Publié le 6
octobre 2003
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J'ai
reçu ce témoignage, il mérite toute notre attention, par ce que
c'est une excellente entrée en matière pour un débat plus
général sur le thème de la judéité, en particulier et de
l'appartenance en général.
Le
présent mail est un peu long. En résumé, il part de quelques morceaux
d'histoire personnelle pour se continuer sur des réflexions sur : la judéité,
le droit des juges de la judéité, les femmes non juives, la
discrimination raciale, le racisme orthodoxe, ...
Je
n'ai pas encore glissé dans le texte les références exactes qui
autoriseraient des évolutions, mais pour ceux que cela intéresse,
"le judaïsme libéral" de Pauline
Bébé (ndlr : Voir aussi dictionnaire
des femmes et du judaïsme du même auteur, sa communauté est la CJL) donne de nombreuses références.
Ces réflexions ne sont pas abouties, il
s'agit de pistes, de débats que je vous soumets dans l'espoir qu'à la
lueur de vos questions, réponses, ... je pourrai produire petit texte
propre à clarifier les choses (pour moi et peut-être quelques autres)..
Le
film le tango
des Raschevski a agi sur moi comme un détonateur, car j'y ai trouvé
l'expression tendre de nombreuses choses qui habitaient mon coeur et mon
esprit. De même, ma femme m'a aidé à porter un regard d'amant sur des
questions que l'esprit peine à résoudre. N'oublions jamais que le
cantique des cantiques n'est ni une responsa, ni un commentaire du
commentaire du commentaire ....
Juif
né d'une mère non-juive, pas circoncis et christianisé, j'ai rejoint le
DROR dans mon adolescence, après la guerre des 6 jours qui sûrement réveilla
des sentiments enfouis dans le coeur de mon père. Puis, jeune adulte, la
vie m'a gardé en France et j'ai vécu comme un "français d'origine
juive". J'ai épousé la femme que j'aimais, mes enfants vinrent français,
avec des prénoms français, un baptême républicain et un accueil
catholique. Mais j'avais peint sur ma maison le mot shalom, ainsi que les
trois signes : l'étoile juive, la croix et le croissant.
Plus
tard, en 1993, vivant dans la cité internationale de banlieue Evry, j'ai
entrepris un chemin, non de techouva,
mais de conscience, de clarification et de développement
de ma judéité. Chemin maladroit, sinueux, difficile, semé
d'erreurs, de désillusions, mais aussi d'apprentissages, de joies et de
croissance individuelle.
En 1994, je crois, j'ai participé à un séder laïque organisé par la
toute jeune
UJFP. Une étape fut close cette année 2003 lorsque je participai au séder
de la communauté de Dijon.
Je
sais aujourd'hui que, membre de la communauté, loyal et correct, juif de
coeur et d'esprit, je serai toujours et d'abord un français, marié à
une française que j'aime avant tout, et père d'enfants français qui
fonderont les familles qu'il leur plaira avec les femmes ou les hommes
qu'ils aimeront.
Je
sais aussi que je resterai toujours un goy pour de nombreux juifs et en
particulier pour les institutions religieuses.
Car, je suis sûr aujourd'hui que jamais je n'accepterai ces fourches
caudines que nous impose le consistoire.
En
effet, c'est ainsi, la judéité officielle, dans ce pays où les libéraux
et les laïques sont minorité, la judéité donc, fait l'objet de
jugements dont les critères sont d'abord raciaux. Qu'importe la
conscience de l'individu, la foi du croyant ou les principes du laïque,
sa culture juive ou non, son héritage familial, la judéité est d'abord
fonction d'un critère racial : ta mère est-elle juive ?
Et sur cette base, l'on
demandera au guer
un apprentissage difficile, archaïque et injuste là où suffit au
"juif automatique" de produire une ketouba.
La conversion va exiger du guer le respect de toutes sortes de mitzvots
que la plupart des juifs automatiques ignorent superbement. Il va devoir
adhérer aux conceptions les plus obscurantistes du judaïsme (ah, le
charme des anges, le pragmatisme du Paradis, ...) et surtout imposer à sa
famille le poids de pratiques religieuses souvent hors du temps. Au mépris
de la liberté de ceux qu'il aime, voire au risque de leur amour.
Il y a dans ce parcours de conversion un condensé de toutes les raisons
qui condamnent à terme les communautés à l'intégrisme. Et si l'on
considère les 60% de mariages mixtes chez les juifs de France, il semble
suicidaire de perpétuer l'alternative exclusion/conversion orthodoxe.
Au contraire, l'héritage culturel et religieux juif devrait inciter le
consistoire à un dépassement des barrières raciales et à la remise en
cause des pratiques anciennes.
Ces remises en question n'ayant rien de contraire à la Loi.
En effet, l'archéologie, la linguistique, ... nous démontrent
aujourd'hui à quel point il importe de ne pas s'arrêter à la lettre des
textes compte tenu des conditions de leurs productions : quasiment
toujours en décalage chronologique avec l'histoire, souvent inspirés
par les nécessités politiques de l'époque (en particulier au service du
royaume de Juda), généralement produits et reproduits avec la précision
relative d'une époque où la bureaucratie exacte laissait la place à la
poésie et la morale, ...
De plus, les libéraux ont depuis plus d'un siècle mené de nombreuses études
et recherches qui montrent combien les textes eux-mêmes autorisent les évolutions.
Enfin, il est évident que s'il y a du divin dans nos textes, l'idée d'un
dieu chef de bureau dictant le rapport est aussi ridicule et stupide que
celle d'un dieu épicier notant sur de grands livres le nombre mitzvots
par client avant de recaler son crayon à juger divinement entre son
oreille et ses cheveux gras.
Des devoirs d'accueil de l'étranger devraient imposer un accompagnement
éclairé et tolérant des conjoints non juifs dans la découverte de la
culture juive.
De plus, le respect dû à l'individu et celui dû à la famille devraient
inspirer un assouplissement des mitzvots pour permettre aux conjoints
non-juifs de pratiquer sans se renier les rituels en l'occurence plus
culturels que cultuels. Et le lien indestructible qui existe entre le
religieux et le civil devrait être revu à la lumière de la générosité
et de l'intelligence pour permettre une interprétation individuelle (et
le cas échéant laïque) des pratiques et rituels qui rythment la vie
juive.
De même, il y a une cruauté certaine à imposer aux familles de vivre
les déchirements qui sont la conséquence de l'alternative
exclusion/conversion.
IIl existe aujourd'hui une conscience individuelle de l'individu qui rend
inacceptable l'obligation pour la femme d'adhérer à la foi de son mari.
Il y a là un viol de conscience. De même, l'exclusion des enfants non
juifs apparaît comme une attitude pleine d'inhumanité et de mépris pour
le reste de l'humanité. Ce qui est contraire à l'esprit de la tora.
Quant à l'éducation orthodoxe des enfants, elle semble en contradiction
avec les idéaux de liberté individuelle (comme avec l'exigence de sincérité
qui devrait accompagner toute démarche religieuse) dans la mesure où le
judaïsme va peser sur l'enfant et le jeune comme une fatalité raciale au
lieu d'être l'objet d'un libre choix à l'âge de raison.
Enfin, pour le peuple juif installé en France et donc français, les
choix imposés par la majorité orthodoxe se traduisent par une exclusion
de la communauté pour les juifs laïques et même parfois pour ceux qui
pourraient choisir la voie libérale.
Notes : Séder de
l'hébreux "ordre", le séder est une cérémonie
religieuse et gastronomiques qui suit un ordre traditionnel, c'est
une sorte de psychodrame, et depuis des millénaires nous revivons la
sortie d'Egypte la nuit de Pâque (Pessah' ).