Le projet de société du
Parti de Dieu est à contre-courant des aspirations libanaises.
Hezbollah contre démocratie
Rebonds Libération Par Katia HADDAD |
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Katia Haddad titulaire de la chaire Senghor de la francophonie à
l'université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban). Dernier ouvrage
paru : la Littérature francophone du Machrek, anthologie critique,
Presses de l'université Saint-Joseph, 2000, 382 pp., 14 euros.
Pour comprendre la logique du Hezbollah,
il suffit de relire l'article 2 du document d'entente signé par
lui et le Courant patriotique libre du général Michel Aoun
en février : «La démocratie consensuelle demeure
la base essentielle du système politique au Liban. Elle représente
la concrétisation effective de l'esprit de la Constitution et de
l'essence du pacte national de coexistence. Ainsi, toute approche des
questions nationales selon le principe de la majorité et de la
minorité reste tributaire de la réalisation des conditions
historiques et sociales nécessaires à l'exercice d'une démocratie
réelle dans laquelle le citoyen acquiert une valeur propre.»
La troisième phrase de cet article est extrêmement ambiguë : le renoncement provisoire à ce que feu Cheikh Chamseddine, chef spirituel de la communauté chiite, appelait «la démocratie du nombre» est censé rassurer la communauté chrétienne, mais il va de pair avec le renoncement au rôle du «citoyen». Le marché est clair, mais c'est un marché de dupes. Car le renoncement à cette démocratie du nombre est illusoire, ainsi que le montrent trois récents événements. Après l'assassinat de Rafic Hariri, le 14 février 2005, et pour faire taire les voix qui s'élevaient déjà pour réclamer le retrait des troupes syriennes du Liban, accusées de cet assassinat, le Hezbollah organise le 8 mars suivant une grande manifestation, constituée essentiellement de ses partisans, pour «dire merci» à la Syrie. Cette manifestation est une des causes de la contre-manifestation du 14 mars, où plus de 1 million de Libanais descendent dans la rue, démontrant que les partisans de la démocratie sont plus nombreux que ceux de la Syrie et de son allié au Liban. Le 10 mai dernier, après la signature du «document d'entente» avec Aoun, le Hezbollah organise de nouveau une manifestation dont le but est, entre autres, de montrer sa force, augmentée, croit-il, de l'apport des partisans d'Aoun. Mais cette manifestation semble de nouveau bien maigrichonne. Même déconvenue dans la nuit du 31 mai quand, pour protester contre un programme télévisé satirique qui avait parodié Cheikh Nasrallah, ses partisans descendent dans la rue, provoquant des émeutes... Ces trois tentatives reposaient sur l'hypothèse
que le Hezbollah dispose du nombre. Il a reçu chaque fois un démenti
car, en admettant que la communauté chiite soit la plus nombreuse
aujourd'hui au Liban, et qu'elle soit ce qui est loin d'être
prouvé entièrement acquise au Hezbollah, les aspirations
démocratiques de la population libanaise sont transcommunautaires,
de sorte qu'à trois reprises le parti s'est retrouvé inférieur
en nombre. Ainsi, le Hezbollah récuse l'argument
du nombre quand il est en sa défaveur et y recourt quand ça
l'arrange. Ce faisant, il phagocyte les institutions démocratiques. |
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