Sauter la muraille
 
dernère mise à jour : lundi, 05-Mai-2008
Par Michel Lévy


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Les arabes et les israéliens se protègent derrière des murs psychologiques ou physiques mais infranchissables, à l'intérieur des quels ils vivent entre_eux, se confortant dans leurs certitudes. Ces blocages psychologiques sont probablement la principale raison de la continuation de cette guerre de cent ans qui traumatise le Proche Orient.  
 

Les amis de la paix maintenant avait invité deux personnages hors du commun, une jolie dame curieuse des autres, et un vieux monsieur qui perd la vue et non la vision.

La jolie dame, c’est Bassma Kodmani, elle est syrienne et chercheuse associée au collège de France. Maître de conférence à l'Université de Marne la Vallée, elle a dirigé le programme Gouvernance et Coopération Internationale à la Fondation Ford en Egypte. Elle a conduit aussi à l'IFRI les études sur le Moyen Orient et l’Islam.

Bassma n'est pas une militante, elle a subit la guerre de 1967, un véritable séisme pour les certitudes arabes, son père fut chassé de son pays en 1968. Son exil en France, son mariage avec un palestinien, sa mission en Egypte, le choc du onze septembre a mis en évidence l'échec permanent depuis 40 ans, du monde arabe. Il fallait faire quelque chose pour donner l'espoir. Elle a donc participé à créer une structure universitaire, présente partout dans le monde arabe, et cette structure travaille sur la transition vers une société démocratique.

Je ne suis pas d'un milieu militant, dit-elle pour commencer, j'ai du plaisir à voir et à parler avec ceux d'en face. J'espère vous provoquer, nous pouvons avoir des récits différents, mais ils nous mènent vers une vision commune de ce q u'il faut faire.

Les récits viennent des origines et de l'éducation différente que nous avons reçus. J'ai fait une grande partie de ma vie en France, avec beaucoup de rencontres israélo-palestiniennes, je suis parti en Egypte, où j'ai découvert l'urgence d'un processus de réforme, surtout après les attentas du onze septembre. Les arabes doivent penser par eux même, au lieu d'attendre une initiative US de les démocratiser avec le succès qu'on lui connaît ailleurs. Il faut prendre les devants.

L'épicentre de nos activités est le monde arabe, c'est là qu'on trouve notre centre de gravité.

Nadine Vasseur a eu l'idée d'en faire un livre, et de parler de notre initiative en termes simples. Le livre définit les rapports du monde arabe avec l'occident, et on rejoint l'idée émise par Théo Klein : Il faut sortir du Ghetto. Les murs qui divisent le proche orient sont physiques et psychologiques, il n'est pas sûr que les murs psychologiques soient les plus faciles à franchir.

Bassama explique, qu'elle ne souhaite pas être objective, car il n'y a pas de regards objectifs sur la région, cependant on a pas d'autre choix que de faire avec les gens qu'on déteste, y compris les islamistes. Chacun d'entre nous provient de quelque part, et pour moi, Syrienne, la guerre de 1967 a été formatrice. J'ai bâti ma vision du monde sur ce sentiment d'échec. Les quarantes années qui ont suivi cette guerre sont quarante années d'échecs ! De là est né ce sentiment d'impuissance, de débacle militaire intellectuelle et sociale. De là vient l'enfermement de certaines catégories sociales, et même l'évolution de la condition de la femme. Les régimes politiques ne semblent pas capable de garantir la société elle même dans sa dignité et sa souveraineté. La femme voilée, c'est la protection que l'Etat n'assure plus.

Mariée à un palestinien, j'ai eu des contacts directs avec les israéliens, j'ai amené mes enfants qui ont dialogué avec des colons, et nous avons un potentiel énorme de coexistance, les deux peuples se co-influencent, les autres arabes ne veulent pas connaître Israël.Même si la Syrie signait la paix, il n'y aurait aucun contact, il y aura un grand travail à faire pour ouvrir le mur.

L'angle d'attaque ne peut être que politique. Je ne crois pas que l'économie entrainera une normalisation, on irrite les opinions par des accords commerciaux. Ces accords seront considérés comme légitime quand une paix sera signée. Les Égyptiens ont un sentiment de culpabilité pour avoir signé une paix séparée. A partir ce ce sentiment, il y a en Égypte un débat très malsain et des blocages qui empêchent la normalisasion des relations humaines et économiques.

Nadine Vasseur été productrice du Panorama de France Culture de 1982 à 1997. Elle est aussi l'auteur de livres d'enquêtes et de reportages dont Le Poids et la voix (Le temps qu'il fait, 1996) et Il était une fois le Sentier (Liana Levi, 2000) et de livres d'art dont le dernier est Les incertitudes du corps (Seuil, 2004).)

 

Il vaut mieux avoir à faire à des dirigeants politiques qu'à des dignitaires religieux. Les religieux ont un discours vague, basé sur le bien et le mal, les ennemis de l'islam, l'intégrité des musulmans. Ce discours dévore les société arabes. Les religieux ne rendent de compte à personne, ils ont envahit l'espace public, ils contrôlent la télévision, le système scolaire, les lettres et les arts. C'est un lobby au sens américain du terme qui pollue l'opinion.

A contrario, les partis intégristes sont contrôlables et leur espace d'influence est plus restreint. Mais dès qu'il y a un rapport de force entre le religieux et le politique, c'est toujours le religieux qui gagne. L'islam est si puissant que les politiques n'osent pas l'affronter. S'il s'agissait d'un parti politique, il y aurait affrontement, et ce serait plus sain. Les partis islamistes sont loin d'être unis, leurs dirigeants sont eux-même souvent friand de critiques, car ils s'en servent pour les luttes internes. Un parti islamiste critiqué pourra laisser davantage de place aux modérés. Aujourd'hui ces partis sont acquis aux mécanismes de la démocratie mais pas encore aux idées.

 

 
 

 

Le vieux monsieur, c'est Théo Klein, je l'ai bien connu quand il habitait Colmar, animé d'une foi profonde, et d'une culture immense, cet amateur du Sapeur Camembert avait toujours table ouverte. Théo Klein enseignait la physique. Avec Edith son épouse, ils ont rapproché de nombreux jeunes du judaïsme en donnant des cours de pensée juive, et en dirigeant des colonies de vacances auxquelles Mivy a participé. Malheureusement, il est mort l'an passé, il n'a donc pas pu venir à cette conférence, mais je profite de l'occasion pour lui rendre un hommage ému, et lui dire merci.

L'autre Théo Klein est avocat, et fut président du CRIF avant que ses idées trop pacifistes ne déplaisent et qu'il soit obligé de laisser sa place. Il aime beaucoup l'anecdotesuivante qu'on raconte sur Daniel Mayer, ministre socialiste, qui s'était rendu en Israël au début des années cinquante. On lui a demandé, «êtes vous d'abord Français, Juif ou Socialiste ?» Daniel Mayer répondit, je suis d'abord socialiste, puis français, enfin juif. Cela va très bien ! lui dit son interlocuteur, en hébreux on lit de droite à gauche ! ! ! Théo Klein, lui se refuse à toute hiérarchie, il est français, israélien et juif; totalement; et sans priorité.

 

Avocat aux barreaux de Paris et d'Israël, Théo Klein a été durant les années 1942-1944 un des responsables de la résistance juive. Président du CRIF de 1983 à 1989, interlocuteur des dirigeants israéliens et figure majeure du judaïsme français, sa liberté de ton et son franc-parler sont bien connus.

Il prit la parole pour conforter Bassma, nous croyons l'un comme l'autre, qu'un accord est possible, qu'il s'agit d'une ouverture d'esprit, et que nous sommes tous les deux enfermés. La volonté d'être entre soi marque la société juive partout où elle est.

En Israël, je ressent ce sentiment de ghetto, je ne sais pas ce que les fondateurs su sionisme ont pensé des arabes, ils étaient généralement ignorés. Ils s'imaginaient peut-être que les arabes partiraient d'eux même, où qu'ils se feraient oublier. Le colonialisme a probablement eu une influence surles premiers sionistes. (Le sionisme et le colonialisme sont contemporains).

En 1922, au Caire s'est tenu une réunion de délégués arabes qui préparaient le royaume arabe qui devait s'ériger sur les ruines de l'empire turc, qui avait été défait grâce aux arabes. Les délégués avaient invité des représentant du mouvement sioniste et leur avaient expliqué qu'ils n'avaient confiance ni aux anglais ni aux français pour obtenir leur indépendance. Ils pensaient que le peuple juif était cousin, et que partout où il passait il apportait la richesse, ils dirent de nation à nation, on se reconnait on fait des concession et on marche ensemble. Ce projet n'a pas eu de suite. Pourtant, Israël ne peut pas être une annexe des l'Europe ou des Etats Unis, notre histoire, notre langue est sémite. Nous faisons partie de la région, et si nous refusons de le reconnaître nous perdons notre légitimité.

 
 

Nous considérons comme ennemis tous ceux qui s'opposent à nos idées. On a ainsi fermé le problème. On doit consacrer du temps à étudier ce qu'est notre judaïté, ce n'est pas à cause de l'antisémitisme que nous sommes juifs, nous sommes porteurs d'un héritage que nous négligeons, nous perdons de vue l'essentiel.

En Israël c'est pire, personne ne voit de débat sur l'insertion dans la région, on s'enferme en attendant des jours meilleurs. Au gouvernement ou au parlement, il ne se passe rien. Pour conserver un gouvernement capable de négocier, on a fait des alliances avec des partis qui ont exigé des mesures rendant l'échec des négociations certaines.

Tout le jeu politique est tourné vers la politique intérieure, comme au temps du Ghetto. L'extérieur est par définition hostile. Or celui qui nous gène par ses critiques et ses arguments n'est pas nécessairement un ennemi. Il faut être capable de l'écouter; il nous sert de miroir et nous permet de mieux comprendre les réactions que nous suscitons.

 

 

Tous les israéliens reconnaissent qu'ils ne peuvent pas vivre sans solution. Certains refusent d'affronter les problèmes, et si on ne fait rien, la solution s'imposera de l'extérieur, et ce ne sera pas nécessairement de la meilleure façon.

Aujourd'hui Israël se préoccupe de sa sécurité militaire, or la conception militaire de la sécurité est parfois incompatible avec la conception politique.

On dit souvent que les écrivains sont la conscience d'Israël, or ils sont souvent âgés, et n'ont pas d'influence politique. Les dirigeants s'enferment dans leurs propres querelles, ignorant le monde où ils vivent. L'histoire de l'homme commence à partir du moment où Adam a été chassé du Paradis, ce n'est qu'à ce moment qu'il peut engendrer et que la vraie vie commence. Il devient donc responsable de ses actes, et le premier crime apparaît. Dès ce moment, on voit que l'homme est le gardien de son frère.

 

 

C'est Bassma Kodmani qui a terminé la soirée, en rappelant la convergeance des points de vue, les arabes ne doivent pas compter sur les américains pour les démocratiser, et Israël ne doit pas compter sur eux pour résoudre ses problèmes de coexistance avec les palestiniens. Arabes et israéliens peuvent être en désacord sur l'histoire, il faudra laisser le temps aux scientifiques pour établir une vérité prouvée, mais il est urgent de parler d'avenir, on parlera d'histoire après ! ! .

 

Deux articles à lire :

http://www.monde-diplomatique.fr/2007/06/KODMANI/14803
Il y a quarante ans, la guerre des six jours

Une génération arabe traumatisée par la défaite
L’effondrement des armées égyptienne, syrienne et jordanienne face à Israël a d’abord marqué la défaite politique d’une génération qui avait parié sur le développement, l’unité arabe et le socialisme. Déboussolées, les sociétés se tournent vers la religion, et on assiste à l’émergence de mouvements islamistes d’autant plus puissants que les équipes en place, incompétentes et autoritaires, n’ont d’autre objectif que de se maintenir à tout prix au pouvoir.

Par Bassma Kodmani
http://www.senat.fr/bulletin/20060227/etr.html
Analyse des élections palestiniennes en 2006 pour le Sénat