Alors récemment le président de la République a dit, “ la laïcité n’est pas négociable. ” Mais voilà un exemple qui semble montrer que petit à petit, dans les faits, ce principe est vidé de sa substance.
Nicolas SARKOZY
Moi je crois que le président de la République a porté une parole très forte. La République n’a pas à avoir de complexes. La République, c’est le refus de l’apartheid. Quand on va à l’hôpital, c’est une femme ou un homme, on est un patient devant le médecin. Quand on va à l’école, on y va tête nue. On peut avoir un signe discret d’appartenance à sa religion. Quand on va à la piscine, il ne doit pas y avoir des horaires pour les femmes et des horaires pour les hommes, et puis demain, des horaires pour les gens de couleur et ceux qui ne le sont pas. Ça n’a pas de sens. La République ne se négocie pas. Mais ce que j’ai voulu dire, Monsieur MAZEROLLE, c’est que si nous voulons que nos compatriotes musulmans respectent les mêmes devoirs que les autres, ils doivent être considérés avec les mêmes droits, ni plus ni moins. C’est justement parce que je me suis battu pour qu’ils aient des droits que je peux leur dire, avec beaucoup de fermeté. En France, il y a un concept de laïcité, qui fait que par exemple au guichet d’une administration on n’est pas voilé, on ne porte pas d’éléments ostentatoires d’appartenance à sa religion. Et ça, on ne doit pas négocier sur ce sujet.
Olivier MAZEROLLE
Mais tout de même, on vous dira, certains vous disent en tout cas que la manière dont vous avez organisé le Conseil français du culte musulman, qui a permis à l’UOIF de prendre la majorité… l’UOIF c’est une association, une union qui parfois prône le port du voile, parfois appuie ce que vous venez de dire, des horaires spécifiques pour les femmes dans les piscines. Alors ça amène des questions. Par exemple, hier, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale a dit, monsieur Jean-Marc AYRAULT a dit : Nicolas SARKOZY a une ambiguïté par rapport au fondamentalisme musulman.
Nicolas SARKOZY
C’est l’occasion de s’expliquer. La question de l’UOIF, est-ce que c’est moi qui l’ai inventée ? L’UOIF, Monsieur MAZEROLLE, avait été choisie par monsieur CHEVENEMENT et par monsieur VAILLANT pour être membre de la consultation sur l’installation du Conseil français du culte musulman.
Olivier MAZEROLLE
Membre !
Nicolas SARKOZY
Pareil, ils y étaient. Ils ont été estampillés, reconnus. Et moi je vais même vous dire autre chose : messieurs CHEVENEMENT et VAILLANT, ils ont eu raison. Pourquoi ? Parce que, qu’est-ce qu’on voudrait qu’on fasse avec les musulmans français ? Qu’on discute avec ceux qui sont représentatifs, ou avec ceux qui ne représentent rien. Vous avez dit : l’UOIF est majoritaire. C’est faux. Soyons précis. C’est la FNMF. Mais l’UOIF, ça compte ! Est-ce que vous avez quelque chose à leur reprocher ? Moi je suis ministre de l’Intérieur, je puis vous dire que sur le plan de l’ordre public il n’y a rien à leur reprocher. Alors comment concevons-nous la démocratie ? Monsieur LE PEN viendra tout à l’heure, peut-être que ça sera un élément de débat entre nous. Moi je ne discute pas avec les musulmans qui participent uniquement de mon opinion ou de mon avis. Je prends la communauté musulmane telle qu’elle est, et j’essaie, dans un dialogue républicain, de la faire évoluer. Les musulmans ont des droits, ils ont aussi des devoirs, je vous le dis très clairement, je pense qu’ils doivent avoir des mosquées, parce qu’ils ont le droit de prier, comme les catholiques, comme les juifs, comme les protestants, mais qu’en même temps ils doivent respecter les mêmes règles que les autres. Et on ne va pas remettre en cause l’équilibre de la laïcité en France parce qu’il y a une infime minorité, infime, de musulmans qui ne veulent pas respecter la règle commune.
Olivier MAZEROLLE
Alors justement, qu’est-ce que vous répondez aux musulmans qui veulent la laïcité, qui s’affirment laïcs, musulmans pratiquants, mais laïcs dans leur vie vis-à-vis de la République, dans leur vie publique, et qu’est-ce que vous dites à ces femmes qu’on a vu défiler sous la banderole “ Ni putes ni soumises ” et qui vous disent, “ ça commence par le voile et ça finit par l’esclavage de la femme ? ”
Nicolas SARKOZY
Mais ces femmes, de quoi se plaignent-elles, et elles ont parfaitement raison ! Madame AMARA mène un combat remarquable. Elles se plaignent de la disparition de l’Etat dans un certain nombre de quartiers qui sont devenus des ghettos, où un certain nombre d’extrémistes et de délinquants font régner la terreur. La réponse à cela, ce n’est pas la question de la laïcité, c’est la question qu’une petite jeune fille puisse se promener tranquillement et librement sur chaque centimètre carré de la République française. C’est ça la question qui est posée. L’Etat, hélas, par faiblesse, a déserté un certain nombre de cités et un certain nombre de quartiers, et des filles mettent le voile pour qu’on les laisse tranquilles. Mais ça, Monsieur MAZEROLLE, ce n’est pas un problème de laïcité, c’est un problème d’ordre public ! Et c’est bien pour ça que j’essaie de reprendre, jour après jour, centimètre carré par centimètre carré, l’Etat de droit dans un certain nombre de ces quartiers. Voilà ce qu’elles demandent, ces jeunes filles. Et “ Ni putes ni soumises ”, ces jeunes filles font un travail absolument remarquable, elles doivent être aidées, et c’est bien pour ça que la police est là.
Olivier MAZEROLLE
Alors je vous propose de rejoindre à Genève Tariq RAMADAN, bonsoir Monsieur RAMADAN.
Tariq RAMADAN, islamologue, philosophe
Bonsoir.
Olivier MAZEROLLE
Vous êtes d’origine égyptienne, je le disais avant cette émission, mais vous êtes suisse de nationalité, vous enseignez l’islam à Genève et la philosophie à Fribourg, et d’autre part vous êtes un intellectuel controversé. Alors vous allez avoir un dialogue avec le ministre de l’Intérieur, mais avant de parler de laïcité, de pratique de l’islam, parlons un moment de l’antisémitisme, parce que vous avez écrit récemment un article dans lequel vous avez pointé du doigt, nommément désigné un certain nombre d’intellectuels français, auxquels vous avez reproché d’être systématiquement favorables à la politique d’Ariel SHARON, uniquement parce qu’ils sont juifs. Alors est-ce qu’en écrivant ces choses-là, d’abord ça vous a valu d’être taxé d’antisémitisme, mais surtout, est-ce qu’en écrivant ces choses-là vous n’êtes pas devant la situation que vos lecteurs qui se trouvent dans les banlieues, soient amenés à commettre des actes anti-juifs ?
Tariq RAMADAN
Ecoutez, j’aimerais d’abord dire une chose en préambule de cette intervention, par rapport à toute la polémique qui a précédé ma participation à cette émission, j’ai été stupéfait et choqué, finalement, que certains se posent même la question de savoir s’il faut débattre avec moi. Je pense qu’il y a une chose qui est claire, vous savez, quand les Arabes ou les musulmans parlaient mal le français, on parlait pour eux, et maintenant, quand on s’exprime en français, on aimerait que nous ne parlions plus, et je pense que c’est un dommage, c’est un déficit de démocratie. Et je salue d’ailleurs l’attitude de SARKOZY, de monsieur SARKOZY, du fait d’avoir accepté ce débat et de s’y être engagé, avec ce que j’ai bien entendu, à savoir sans complaisance, et ça c’est, je crois, une chose déterminante. J’aimerais dire également que je ne cesse de dire, parce qu’on a dit qu’il ne fallait pas que j’intervienne, parce que j’ai un supposé double discours, alors j’aimerais dire avec fermeté ici que tout ce que je vais dire ce soir, c’est exactement ce que je dis aux musulmans, partout dans les banlieues et dans les cités, et que s’il y avait un double discours, je demande à quiconque, à n’importe quel téléspectateur, de le prouver, parce que depuis 15 ans on le dit, et on le répétait encore aujourd’hui, jamais cela n’a été prouvé. Donc il n’y a pas de double discours. Et mon dernier point, c’est de dire aussi que j’affirme avec force que la présence des musulmans et des citoyens français de confession musulmane en France est une énorme chance pour les musulmans, parce qu’ils peuvent débattre, parce qu’ils sont dans un espace démocratique et qu’ils peuvent échanger des idées avec un ministre, avec des autorités locales, et je crois que ça c’est déterminant. Sur la question de l’antisémitisme, non je n’ai pas dit tout à fait cela et je répète que je n’ai pas attaqué un certain nombre d’intellectuels, parce qu’ils étaient juifs, mais surtout parce qu’ils avaient des attitudes qui devenaient communautaristes et qui parfois dans leur soutien à la politique israélienne devenaient aveugles et elle nous proposait une lecture biaisée. Alors ma position, elle doit être très claire et ça me permettra dans l’élan de cette réflexion de poser une question assez claire à monsieur SARKOZY, ma position elle est la condamnation absolue de l’antisémitisme, je le fais depuis 1994 dans les banlieues avec fermeté, avec une fermeté claire. D’ailleurs même le mensuel l’ARCHE qui est le mensuel du judaïsme français a mis en évidence que j’étais un des seuls d’ailleurs à prendre des positions très claires contre l’antisémitisme, l’antisémitisme est inacceptable, il faut le condamner. Il faut condamner les propos de MAHATHIR, par exemple lorsqu’il dit ce qu’il a dit. Qu’il soit musulman ou non, il faut condamner l’incendie criminel qui s’est passé au lycée à Lagny, il faut condamner de la même façon les attentats qui ont eu lieu à Istanbul pendant le week-end dernier comme aujourd'hui. Donc je crois que ces condamnations elles sont fermes, mais je pense de la même façon et ça il n’y a absolument aucune discussion. Maintenant il faut qu’on distingue les ordres et il faut que nous entrions dans un débat de fond.
Nicolas SARKOZY
Je peux dire quelque chose là-dessus.
Olivier MAZEROLLE
Attendez Monsieur SARKOZY voudrait vous répondre sur ce point.
Nicolas SARKOZY
Monsieur RAMADAN, c’est une question tellement importante la question de l’antisémitisme qu’il faut que nous allions jusqu’au bout des choses, je n’ai pas aimé votre article, je vous le dis très simplement et bien en face. Pourquoi je ne l’ai pas aimé monsieur RAMADAN ? D’abord parce qu’un article ce n’est pas une intervention, on ne se laisse pas emporter par sa parole, on réfléchit, on écrit, on trempe sa plume. Vous êtes un intellectuel, cet article ce n’est pas un hasard, et pourquoi je ne l’ai pas aimé, je veux vous le dire bien en face, parce que voyez-vous dans mon esprit, on pense avec sa tête, on ne pense pas avec sa race. Quand vous dites, qu’un certain nombre d’intellectuels, le juge LEVY, sous-entendu qu’il ne peut avoir de réflexion qu’en fonction de sa race, ce n’est pas une maladresse comme vous l’avez dit, c’est une faute et je vais m’en expliquer sur deux autres points. Emporté par votre élan monsieur RAMADAN vous avez été jusqu’à dire que d’autres étaient juifs, alors qu’ils ne l’étaient même pas, c’est de l’amalgame, et l’amalgame, c’est du racisme. Et enfin troisième élément, juste un moment, troisième élément, je vais vous dire pourquoi c’est une faute parce que les Juifs, ce n’est pas comme les Auvergnats ou les Parisiens, il y a eu la Shoah il y a eu 6 millions de juifs qui ont été conduits dans les conditions que l’on sait, il y en a un seul qui a dit que c’était un détail, c’est une honte et quand on parle du juif LEVY ou du juif GLUCKSMANN, on fait l’impasse sur ce qu’a été la Shoah, nous, nous ne l’avons pas oublié. Monsieur RAMADAN, ce n’était pas une maladresse, c’était une faute et quand on fait une faute, je vous le dis très simplement, on doit s’en excuser.
Tariq RAMADAN
Non très clairement, j’aimerais dire une chose, d’abord la première des choses c’est que je n’ai jamais dit et écrit que par exemple un certain nom comme monsieur TAGUIEFF que je savais ne pas être juif, le titre de mon article c’est “ critique des nouveaux intellectuels communautaires. ” Dans le titre je ne parle pas de juif et je savais que j’englobais un certain nombre de postures aujourd'hui, un certain nombre de sociologues, d’intellectuels qui sont portés à un soutien d’un Etat et à un soutien d’une communauté. Donc il n’y avait pas dans mon esprit, ce que j’ai reconnu, c’est un déficit de formulation et je sais, je veux dire moi on m’appelle intellectuel musulman, ça a été fait ici, on appelle intellectuel juif et je n’y voyais pas d’insulte. Ma position, elle est celle-ci et j’aimerais être très clair, je pense que ma volonté c’est de distinguer trois ordres. La première des choses, c’est que sur cette question là le débat ou la question israélo palestinienne est tellement présente en France aujourd'hui qu’il faut absolument que nous dépassionnions le débat. Et je suis désolé de voir qu’après cet article là la passion qui s’est prise et les propos qu’on a tenu, les insultes qu’on a eues à mon égard sont vraiment dommageables et je ne pense pas que c’est comme ça qu’on dépassera ces questions là. La deuxième des choses que je voulais mettre en évidence, c’est qu’il faut que nous distinguions les ordres, je peux en France comme n’importe où dans le monde, avoir une critique de n’importe quel Etat sans être taxé d’antisémitisme, je veux dire par là que quand je critique la politique israélienne, je ne suis pas antisémite, que quand je critique la politique saoudienne, je ne suis pas islamophobe, il faut qu’on puisse dire ces choses là et qu’on ne dérive vers des postures. Mon texte n’est pas antisémite, je condamne l’antisémitisme avec la plus farouche des postures et même vos services de renseignements monsieur SARKOZY devraient vous tenir au courant de ce que je dis dans les banlieues françaises à savoir que l’antisémitisme, c’est non. Et la troisième des choses, c’est qu’il ne faut pas que nous fassions une hiérarchie dans notre lutte contre le racisme monsieur SARKOZY. Il y a aujourd'hui en France un antisémitisme, il faut le condamner, mais il y a un racisme anti arabe, il y a un racisme anti noir, il y a un racisme islamophobe aujourd'hui, il ne faut pas que nous fassions de distinction entre ces racismes là, il faut les condamner tous et de la même façon. Alors j’aimerais faire un appel et j’aimerais juste vous demander une chose monsieur SARKOZY, laissez-moi terminer, juste vous demander une chose parce qu’elle me paraît très importante monsieur SARKOZY, aujourd'hui ce n’est pas l’affaire de… vous savez l’antisémitisme n’est pas l’affaire de la communauté juive, et l’islamophobie n’est pas l’affaire de la communauté musulmane, c’est l’affaire des citoyens français et j’aimerais que vous disiez solennement à la suite de ce qu’a dit monsieur CHIRAC et qui était très très fort, il a dit, “ s’en prendre à un juif, c’est s’en prendre à la France ”, et il a raison et il faut le condamner. Mais j’aimerais que vous disiez, que vous appeliez le peuple français qui vous écoute aujourd'hui à dire de la même façon, s’en prendre aujourd'hui à un arabe, s’en prendre à un musulman, s’en prendre à un noir, c’est s’en prendre à la France, c’est qu’il faut aujourd'hui appeler tous les citoyens français à s’opposer à ce racisme là et au premier rang desquels les fonctionnaires qui sont sous votre autorité monsieur SARKOZY ? Il ne faut pas qu’on puisse tutoyer les Musulmans de cette façon là.
Olivier MAZEROLLE
Monsieur SARKOZY vous répond.
Nicolas SARKOZY
Monsieur RAMADAN, je note que vous avez reconnu une maladresse là où il y avait une faute, moi je suis ministre de l’Intérieur depuis 19 mois, moi je ne suis pas entouré d’un halo de suspicion d’antisémitisme ou de racisme. Monsieur RAMADAN il faut bien que vous disiez une chose, quand tant de gens suspectent votre discours, ce n’est pas le monde entier qui a tort, c’est peut-être vous qui devez faire votre introspection. Alors je vais vous dire une chose parce que moi je ne fuis pas monsieur RAMADAN, il n’y a rien dans mon esprit qui ressemble plus à celui qui n’aime pas les Juifs, que celui qui n’aime pas les Arabes, ils ont le même visage, le visage consternant de la bêtise et de la haine. Et bien sûr que dans la République française chaque fois que l’un des nôtres, même pas d’ailleurs Français sur notre territoire est insulté pour la couleur de sa peau, c’est inadmissible, mais jusqu’à preuve du contraire monsieur RAMADAN, vous n’êtes pas victime vous, vous étiez accusé. Mais il y a une deuxième ambiguïté que je voudrais lever avec vous, vous avez un frère…
Olivier MAZEROLLE
Alors on arrive à l’Islam cette fois.
Nicolas SARKOZY
Vous ne l’avez pas choisi j’imagine, votre frère a justifié, expliqué, trouvé des bonnes raisons à la lapidation des femmes adultères, c’est un point capital, la lapidation d’une femme c’est une monstruosité, et justifier une monstruosité ça ne peut être le fait que d’un déséquilibré. Est-ce que lapider une femme, c’est monstrueux ou pas ? J’ai regardé, vous avez fait la préface d’un ouvrage qui s’appelle “ Musulmane tout simplement ”, qui fait le commentaire d’une sonate du Coran, expliquant qu’il faut frapper les femmes et l’auteur dit “ quand on dit dans le Coran il faut frapper les femmes, c’est juste une tape légère, on poursuit, qui ne provoque pas de blessure physique. ” On est content du conseil et de la recommandation. Monsieur RAMADAN, est-ce que c’est votre conception des rapports entre les hommes et les femmes, entre l’égalité entre les sexes ? Et bien si c’est votre conception, ce n’est pas la mienne.
Tariq RAMADAN
Ce n’est pas la mienne non plus. J’aimerais que vous m’entendiez là dessus, parce que systématiquement quand on veut me reprendre sur le discours, on reprend le discours des autres que j’aurais préfacés ou que j’aurais soutenu. Alors première des choses, c’est ce que je ne suis pas mon frère, il a des positions, et sur la question de la lapidation, de façon extrêmement précise je me suis exprimé en disant, que dans ma position elle n’était pas applicable et que je demandais parce que je sais que ma position est minoritaire aujourd'hui dans le monde musulman, un moratoire pour qu’il y ait un vrai débat intra musulman, entre les musulmans.
Nicolas SARKOZY
Un moratoire… monsieur RAMADAN, est-ce que vous vous rendez compte..
Tariq RAMADAN
Attendez, laissez moi terminer.
Nicolas SARKOZY
Un moratoire, c'est-à-dire qu’on doit pendant quelque temps renoncer à lapider les femmes.
Tariq RAMADAN
Non, non attendez, qu’est-ce que ça veut dire un moratoire ? Un moratoire ça veut dire qu’on cesse absolument l’application de toutes ces peines là pour qu’il y ait un vrai débat. Et ma position, c’est que si on n’arrive pas à un consensus entre les Musulmans il faudra le cesser, mais vous ne pouvez pas, vous savez quand vous êtes dans une communauté, je peux aujourd'hui à la télévision faire plaisir aux Français qui nous regardent en disant “ moi c’est ma position ”, ce n’est pas simplement ma position à moi qui compte, c’est de faire évoluer les mentalités musulmanes, monsieur SARKOZY il faut aussi que vous l’entendiez…
Nicolas SARKOZY
Mais monsieur RAMADAN…
Tariq RAMADAN
Laissez-moi terminer.
Nicolas SARKOZY
Juste un point, je vous entends, mais les musulmans sont des êtres humains qui vivent en 2003 en France puisque nous parlons à la communauté française et vous venez de dire quelque chose de particulièrement incroyable, c’est que la lapidation des femmes, oui c’est un peu choquant, il faut simplement faire un moratoire, et puis on va réfléchir pour savoir si c’est pas bien, mais c’est monstrueux de lapider une femme parce qu’elle est adultère, il faut le condamner.
Tariq RAMADAN
Monsieur SARKOZY, écoutez bien ce que je dis, ce que je dis, c’est que ma position à moi, c’est qu’elle n’est pas applicable c’est clair, mais aujourd'hui je suis et je parle à des musulmans du monde entier et je collabore que ce soit aux Etats-Unis, dans le monde musulman, vous devez avoir une posture pédagogique qui fasse discuter les gens, vous ne pouvez pas décider tout seul d’être progressiste sans les communautés, c’est trop facile, aujourd'hui ma position, c’est de dire “ nous devons cesser. ”
Nicolas SARKOZY
Monsieur RAMADAN, si c’est régressif de ne pas vouloir qu’on lapide une femme, j’avoue que je suis progressiste.
Tariq RAMADAN
Attendez, non, non je ne parle pas simplement monsieur SARKOZY, je ne parle pas simplement de cette question là, je parle d’un certain nombre de questions qui aujourd'hui taraudent les communautés musulmanes du monde et sur lesquelles nous devons avoir un débat de fond, donc encore une fois je suis moi, de ces positions extrêmement claires. Maintenant quand je fais une préface d’un livre, vous devez lire l’ensemble de la préface parce que je mets en évidence, c’est que tout à coup une femme prenne la parole et puis dégage une réflexion. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est dit dans les livres que je préface. Et si vous aviez lu l’ensemble de la préface vous auriez vu que je suis dans des postures critiques par rapport aux gens que je préface, mais je relève une chose, c’est qu’une femme, une Marocaine prend des positions, prend la parole et c’est une bonne chose. On n’est pas toujours d’accord, on fait évoluer les choses, je suis plus ici monsieur SARKOZY dans une posture de pédagogue qui discute avec sa communauté, mais je ne veux pas avoir simplement ce rôle d’être gentil devant la France et puis finalement d’être déconnecté d’une communauté qui doit être en débat. J’aimerais juste vous dire une chose monsieur SARKOZY…
Nicolas SARKOZY
Ca pose un problème, c’est que nous sommes en 2003 et en 2003 nous sommes un certain nombre qui ne pouvons pas accepter que les femmes musulmanes parce qu’elles seraient musulmanes soient frappées, c’est quand même un discours moyenâgeux, c’est un discours qu’on ne peut pas accepter. On peut être pédagogique sur tel ou tel point qui sont pour le coup de détail pas sur des châtiments corporels physiques sur les femmes quand même.
Tariq RAMADAN
Non vous avez parfaitement raison, monsieur SARKOZY vous avez parfaitement raison mais tenez-vous à ce que je dis, si il s’agit d’avoir un débat avec moi, ma position elle est extrêmement claire, la violence conjugale, et la violence à l’endroit d’une femme est inacceptable, islamiquement, c’est ce que je dis, et je le dis avec force.
Olivier MAZEROLLE
Monsieur RAMADAN, je vous propose de passer à un autre chapitre aussi qui concerne aussi l’application de laïcité, je vais résumer, mais vous avez dit “ dans le fond, la laïcité c’est une étape dans la vie de la France, dans l’histoire de la France. ” L’Islam est une nouvelle venue, et donc il y aura certainement à demander à la laïcité d’avoir quelques adaptations. Alors de quoi s’agit-il dans votre esprit ?
Tariq RAMADAN
Ecoutez ça, ça fait partie aussi de l’évolution de ma pensée, je participe aux débats en France depuis une dizaine d’années et c’est vrai que dans un premier temps j’entendais beaucoup ceux qui sont, ceux que SARKOZY a même appelé les intégristes de la laïcité, un certain nombre de “ laïquards ” si je puis dire, qui nous donnaient une perception de la laïcité que je n’avais finalement pas suffisamment étudié. Alors j’ai travaillé avec des spécialistes de la laïcité, que ce soit monsieur BOUSSINES (phon), monsieur POULAT, monsieur MORINAUD, la Ligue de l’enseignement, pour me rendre compte finalement que non ce n’est pas vrai, aujourd'hui la loi de 1905 convient parfaitement aux musulmans, aux citoyens français qu’il s’agit de l’appliquer de façon totale, stricte et égalitaire et sans complaisance mais de façon égalitaire. Donc ma position sur ce plan là, elle n’est pas du tout d’une adaptation de la laïcité parce que finalement en étudiant on s’aperçoit que les latitudes qui sont offertes aux musulmans en France sont extrêmement importantes et en plus en tant que citoyen il leur est offert de s’organiser. Alors j’avais une interpellation à faire à monsieur SARKOZY concernant justement le conseil français du culte musulman, je crois qu’il faut qu’on reconnaisse une chose monsieur SARKOZY et je le dis aussi avec d’autant plus de sincérité que je n’ai aucun rôle à jouer contrairement à ce qu’on dit que j’aimerais être le représentant de l’Islam de France. Ca ne veut rien dire, l’Islam de France est divers, je suis un partenaire ou une voix parmi une tendance parmi d’autres, il y en a des multiples, et je crois qu’il faut aussi qu’on sache cette diversité là et donc je ne joue aucun rôle institutionnel et je n’en jouerais pas parce que je ne suis pas Français. Donc ma question elle est celle-ci, vous avez un temps d’avance, je dois dire que vous avez un temps d’avance sur la classe politique française parce que vous prenez acte de cette réalité, vous avez voulu normaliser le fait musulman dans ce pays, et ça je crois qu’il faut le saluer. Vous avez réussi clairement là où vos prédécesseurs et en particulier là où la gauche plurielle avait échoué, et vous avez monté ce conseil du culte, ce conseil français du culte musulman. Alors je crois qu’on vous fait un faux procès, alors de ce faux procès je vais arriver à une vraie question, le faux procès c’est celui de dire en fait la composition du culte ne conviendrait pas à la France, à la laïcité, à la démocratie. Je crois qu’il y a une chose qu’il faut dire dans le strict respect de la laïcité, les institutions représentatives des religions ne doivent pas rendre compte à l’Etat de leur composition, la nature de la composition n’est pas du registre de l’Etat.
Olivier MAZEROLLE
Alors qu’elle est votre question monsieur RAMADAN, parce qu’il faut qu’on avance malheureusement.
Tariq RAMADAN
Oui simplement une chose, c'est-à-dire qu’on ne demande pas aux protestants, ni aux catholiques, ni aux juifs qui compose le consistoire, ça peut être des libéraux, même des intégristes tant qu’on respecte, c’est la nature des propositions et des décisions qui compte. Alors monsieur SARKOZY vous avez mené de façon très volontariste cette opération, elle est arrivée aujourd'hui à un moment donné où nous sommes dans un système hybride entre des élections à la base et finalement un conseil co-opté. J’aimerais si nous voulons tous l’Islam de France, nous devons aller vers une triple sorte d’indépendance, une indépendance politique, une indépendance financière, intellectuelle et religieuse en l’occurrence.
Olivier MAZEROLLE
Alors votre question.
Tariq RAMADAN
Et jusqu’à aujourd'hui votre relation a été très très forte avec les Etats étrangers, et votre implication dans ce conseil est très importante, qu’est-ce que vous envisagez à l’avenir, parce que ce que l’on veut c’est un conseil du culte indépendant politiquement. Alors j’aimerais savoir est-ce que pour vous aujourd'hui..
Olivier MAZEROLLE
Attendez monsieur SARKOZY vous répond.
Nicolas SARKOZY
Trois choses, d’abord je souhaite débarrasser l’Islam des influences étrangères, les musulmans français sont majeurs et vaccinés comme on dit, c’est à eux de se débrouiller. Deuxième chose, j’ai eu à faire face à une double incompréhension, une partie de la communauté musulmane qui avait peur du regard de l’autre et une partie de la communauté nationale qui avait peur des musulmans. Il a fallu surmonter cette peur, parce que c’est la peur qui crée les conditions du racisme, je dis les mêmes droits et les mêmes devoirs, mais à mon tour de vous renvoyer la question. Vous voulez vous présenter comme quelqu’un qui veut faire construire et faire avancer, alors demandez à ceux qui nous écoutent et qui sont de confession musulmane de ne pas mettre le voile à leur enfant à l’école, d’accepter quand on est une femme de se faire soigner par un médecin homme si il se trouve qu’il est là, de ne pas demander d’horaire spécifique dans les piscines, de se découvrir sur les papiers d’identité. J’ai du faire mettre dehors une Egyptienne qui était depuis trois ans en France, à Rennes parce qu’elle a refusé d’enlever son voile pour faire sa photo d’identité. Monsieur RAMADAN quand on veut s’intégrer, il y a la communauté nationale qui doit s’ouvrir, mais celui qui veut être accueilli doit faire un effort. Moi quand je vais dans une mosquée et ça m’arrive, je retire mes chaussures parce que c’est conforme à la coutume, aux habitudes, et bien dans nos écoles on est tête nue, dans nos hôpitaux on ne choisit pas le sexe de son médecin, dans nos piscines on est homme et femme, dans nos administrations on n’a ni la kippa, ni le voile, ni la croix sur le ventre lorsque l’on répond à un fonctionnaire. Si vous voulez que l’on vous croit dans vos protestations de modération, alors demandez aux musulmans de France de faire cet effort d’intégration en renonçant pour certains à faire de la provocation.
Olivier MAZEROLLE
Alors monsieur RAMADAN, rapidement, parce que le temps s’est beaucoup écoulé, est-ce que vous êtes prêt …
Tariq RAMADAN
Moi ce que je demande aux Français, monsieur, et ce que je dis partout, partout où sont les musulmans c’est le respect strict de la loi. Et si aujourd'hui nous n’avions pas ce débat, si nous l’avons d’ailleurs ce débat, c’est parce que justement sur les contours de la loi, il y a discussion, si aujourd'hui il y a toute cette discussion autour de la loi de 1905, c’est que finalement les contours de la loi doivent être déterminés et qu’il y a débat, donc le respect strict de la loi de 1905 et j’aimerais vous dire une chose, c’est que je ne suis pas le seul à dire que dans le respect strict de la loi de 1905 il ne faut pas exclure les jeunes filles dans les écoles. La Ligue de l’enseignement le dit, la Ligue des droits de l’homme le dit, le MRAP le dit, même pratiquement l’épiscopat, donc je crois que ce point de vue là il faut le respect de la loi. Et mon souci… mais je n’ai pas terminé. Vous m’avez dit une chose sur les hôpitaux…
Nicolas SARKOZY
Mais pour qu’on ne les exclue pas ces jeunes filles, moi non plus je ne suis pas pour qu’on les exclue, parce que je ne suis pas pour qu’on est des écoles confessionnelles musulmanes, où on ne sache pas ce qui se passe dedans, et où que ce soit l’arène de l’extrémisme. Mais pour qu’on ne les exclue pas, alors il faut qu’au lieu de mettre le voile complet, parce qu’on n’arrive pas à l’école de la République la tête couverte, alors il faut faire comme on l’a fait à Orléans, un petit bandana sous les cheveux qui est un signe d’appartenance à la confession musulmane, mais qui n’est pas un signe ostentatoire. Pourquoi on n’arrive pas à cela ? Parce que quand on veut réussir l’intégration, il faut que des deux côtés on fasse un effort. Ce n’est pas à la République de s’adapter.
Tariq RAMADAN
Monsieur SARKOZY, vous avez parfaitement raison, et Dieu sait si je l’ai toujours dit…
Nicolas SARKOZY
Alors dites-le.
Tariq RAMADAN
Mais je le dis, je le dis en toute circonstance, aujourd'hui il faut ce dialogue là, et si il faut en arriver là…
Nicolas SARKOZY
Non, non, il faut retirer le voile, est-ce que c’est ce que vous dites ?
Tariq RAMADAN
Non je dis que, non ce n’est pas ce que la loi dit monsieur SARKOZY, ce n’est pas ce que la loi dit.
Nicolas SARKOZY
Si la jurisprudence, monsieur la jurisprudence du conseil d’Etat est précise, pas de signe ostentatoire, le fouloir qui couvre tous les cheveux, les épaules et le cou, c’est ostentatoire, est-ce que vous demandez oui ou non aux jeunes filles musulmanes de mettre un signe discret d’appartenance à la religion musulmane et de retirer le voile ? Si vous le demandez alors je crois que vous voulez être un modéré, si vous ne le demandez pas, c’est le double discours.
Tariq RAMADAN
Non, ce n’est pas un double discours, ne me faites pas dire cela, il faut un signe discret d’accord, un signe discret, moi je pense qu’il est d’accord, mais vous savez bien monsieur..
Nicolas SARKOZY
Est-ce qu’il faut retirer le voile ?
Tariq RAMADAN
Attention… On peut retirer le voile à partir du moment que vous respectez qu’une jeune fille couvre…
Nicolas SARKOZY
Non on doit, est-ce qu’on doit retirer le voile ?
Tariq RAMADAN
Monsieur SARKOZY vous êtes en train d’appuyer sur un fait qui ne correspond pas à la loi de 1905, la jurisprudence à partir de 1989 dit la chose suivante, “ à partir du moment où il n’y a pas de trouble à l’ordre public, pas de demande de dispense de cours, et qu’il n’y a pas de prosélytisme on peut y aller. ” Moi ma position elle est celle-ci maintenant si, laissez-moi terminer, si il faut aujourd'hui, attendez, si après dans n’importe quelle école de France, on demande à une jeune fille qu’elle porte un signe discret et qu’on arrive à cette décision là je suis d’accord, et je vous suis monsieur, parce que vous avez dit une chose qui est vraie. De 1256 cas on est arrivé à 4 par le dialogue et je pense que c’est ce sur quoi il faut… c’est dans ce sens là qu’il faut aller. Donc il n’y a pas de double discours.
Olivier MAZEROLLE
On va arrêter là.
Tariq RAMADAN
Juste une dernière chose, juste monsieur MAZEROLLE, j’aimerais juste demander une chose, j’aimerais vous dire une chose monsieur SARKOZY, aujourd'hui cette question là elle est un débat politicien, qui est devenu politicien, on a passionné ce débat là, je ne crois pas qu’une loi va régler le problème du communautarisme comme vous, et j’aimerais juste dire une chose, vous avez posé comme principe et je le retiens parce que je crois que c’est très important, qu’aujourd'hui il fallait des actes symboliques pour montrer que les Français de confession musulmane avaient leur place, j’aimerais vous dire une chose…
Olivier MAZEROLLE
C’est très long, là il faut qu’on arrête.
Tariq RAMADAN
Juste un point, vous me donnez 30 secondes, la politique sécuritaire qu’on voit aujourd'hui dans les banlieues, elle n’est pas suffisante monsieur, vous devez absolument aussi faire un travail contre le délitement des services sociaux pour aider à la base, le symbole ne suffit pas. Aujourd'hui on a besoin d’une politique, la France ne sera laïque que si elle n’oublie pas d’être sociale monsieur SARKOZY.
Olivier MAZEROLLE
Merci monsieur RAMADAN, ce débat a duré le moment qu’il fallait, je pense.
Nicolas SARKOZY
Mais oui, mais pour sortir des idées claires, c’est un travail. FIN
Olivier MAZEROLLE
Merci Monsieur RAMADAN. Ce débat a duré le moment qu’il fallait, je pense…
Nicolas SARKOZY
Mais oui, mais…
Olivier MAZEROLLE
Chacun…
Nicolas SARKOZY
Pour sortir des idées claires, ça le travaille.
Olivier MAZEROLLE
Merci Monsieur RAMADAN. Maintenant nous allons parler d’un autre chapitre, les itinéraires de la misère, en fait il s’agit de l’immigration avec les questions de Jean-Baptiste PREDALI, l’un des responsables du service politique de FRANCE 2. Il va falloir raccourcir un peu, parce qu’on a