13 janvier 2009Une étude prospective récente chiffre pour les USA à 6,8% l’« output gap », l’écart entre le potentiel productif de l’économie et son niveau d’activité réel, durant les deux ans qui viennent. Krugman, qui a un faible pour les « calculs sur le dos d’une enveloppe, » - certes simplifiés, mais qui permettent de jauger rapidement des forces en présence - traduit cela par une baisse de 2 100 milliards de PIB. Or le plan Obama avoisine les 800 milliards. Conclusion pour Krugman : le compte n’y est pas.
Par Paul Krugman, New York Times, 9 janvier 2009
« Je ne pense pas qu’il soit trop tard pour changer de cap, mais ce serait le cas si nous ne prenons pas des mesures rigoureuses dans les plus brefs délais. Si rien n’est fait, cette récession pourrait durer pendant des années. »
Ainsi s’est exprimé jeudi le futur Président Barack Obama, en expliquant pourquoi le pays avait besoin que le gouvernement réagisse de façon extrêmement agressive face à la récession économique. Il a raison. Il s’agit de la plus dangereuse crise économique depuis la Grande Dépression, et elle pourrait très aisément se transformer en une longue phase de déclin.
Mais la prescription donnée par M. Obama n’est pas à la hauteur de son diagnostic. Le plan de relance économique qu’il propose n’est pas aussi résolu que le sont ses déclarations sur les menaces qui pèsent sur l’économie. De fait, il est bien en deçà de ce qui serait nécessaire.
Représentez-vous le poids de l’économie américaine. Si la demande effective était suffisante pour absorber sa production, l’Amérique produirait pour plus de 30 000 milliards de biens et services au cours des deux prochaines années. Mais avec une diminution marquée des dépenses de consommation des ménages et d’investissement des entreprises, un énorme fossé se creuse entre ce que l’économie américaine peut produire et ce qu’elle sera capable de vendre.
Le plan d’Obama n’est en aucun cas suffisant pour combler cet « output gap, » cet écart entre production et vente, entre potentiel et activité réelle.
Le Congressional Budget Office (CBO) a publié cette semaine sa dernière étude prospective sur l’activité économique. Il estime qu’en l’absence de plan de relance, le taux de chômage augmenterait au-delà de 9% au début de 2010, et resterait élevé durant les années à venir.
Cette projection, pourtant sombre, est en fait optimiste par rapport aux prévisions de certains analystes indépendants. M. Obama lui-même a dit que sans un plan de relance, le taux de chômage pourrait dépasser les 10%.
Le CBO affirme toutefois que « la production économique au cours des deux prochaines années sera en moyenne de 6,8% en dessous de son potentiel. » Ce qui se traduit une baisse de production de 2 1OO milliards. « Notre activité économique pourrait chuter de 1 000 milliards en dessous de sa pleine capacité », a déclaré M. Obama jeudi. De fait, il sous-estime donc la situation.
Pour combler cet écart de plus de 2 000 milliards de dollars - et peut-être beaucoup plus, si les projections du CBO se révèlent trop optimistes - M. Obama propose un plan de 775 milliards de dollars. Et ce n’est pas suffisant.
Certes, une relance budgétaire peut parfois bénéficier d’un effet « multiplicateur » : En plus de ses effets directs, comme ceux qui résultent des investissements dans les infrastructure sur la demande, il peut exister un autre effet indirect, du à l’augmentation des revenus, qui entraîne une hausse des dépenses de consommation. Les estimations moyennes indiquent qu’un dollar de dépenses publiques génère environ 1,50 dollar de PIB supplémentaire.
Mais seulement 60% du plan Obama portera sur les dépenses publiques. Le reste consiste en des réductions d’impôt - et de nombreux économistes sont sceptiques quant à l’augmentation des dépenses que provoqueront ces réductions d’impôt, notamment les allégements fiscaux pour les entreprises. (Un certain nombre de démocrates du Sénat semblent partager ces doutes.) Howard Gleckman, qui appartient au Tax Policy Center, un organisme non partisan, l’a résumé dans le titre d’une publication récente sur un blog : « beaucoup de dollars, pas beaucoup de bruit. » [1]
Le problème majeur, c’est que le plan Obama ne comblera vraisemblablement pas plus de la moitié de l’écart de production, et pourrait finalement n’accomplir qu’un tiers de ce qui est nécessaire.
Pourquoi M. Obama n’essaye-t-il pas d’en faire plus ?
Le plan est-il limité par peur de la dette ? Il y effectivement des dangers à emprunter sur une grande échelle - et le rapport du CBO prévoit un déficit de 1 200 milliards en 2009. Mais un effort insuffisant de sauvetage de l’économie serait encore plus dangereux. Le président élu a parlé avec éloquence et précision des conséquences de l’inaction - il y a un risque réel que nous glissions pour longtemps dans le piège d’une déflation du type de celle qu’a connu le Japon. Mais les conséquences résultant d’une action inadaptée ne seraient pas très différentes.
Le plan est-il limité ?
a) par un manque de possibilités de dépenses ? Il y a seulement un nombre limité de projets d’investissement publics prêts pour un démarrage immédiat - de projets qui peuvent être lancés assez rapidement pour venir en aide à l’économie à court terme. Mais il existe d’autres formes de dépenses publiques, en particulier sur les soins de santé, qui pourraient être bénéfiques tout en aidant l’économie maintenant qu’elle en a besoin.
b) pour des raisons de prudence politique ? La presse a rapporté le mois dernier que les aides d’Obama étaient soucieux de maintenir le coût final de ce plan en dessous du chiffre symbolique des 1 000 milliards, qui est politiquement sensible. Il a été suggéré également que le fait d’inclure dans ce plan des réductions d’impôt pour les grandes entreprises, ce qui ajoute à son coût, mais ne produit pas grand chose pour l’économie, est une tentative pour gagner des votes Républicains au Congrès.
Quelle que soit l’explication, le plan d’Obama n’a pas l’air suffisant comparativement aux besoins de l’économie. Bien sûr, un tiers vaut mieux que rien. Mais pour le moment, nous semblons être confrontés à deux grands écarts économiques : l’écart entre le potentiel de l’économie et son niveau d’activité vraisemblable, et l’écart entre les discours économiques fermes de M. Obama et un plan économique quelque peu décevant
Publication originale New York Times, traduction Contre Info