Journal 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2020, 2021, 2022, 2023
Derière mise à jour
27-Sep-2024
Pour m'écrire, ou pour s'abonner à la liste de diffusion
La ville de Jérusalem n'existe que dans notre imaginaire, la nouvelle métropole israélienne grandit à vue d'oeil et se modernise, de grands boulevards avec une circulation dense sillonnent les collines et entourent des refuges ou notre mémoire se plait à rêver.
Nous sommes partis ce matin en autobus d'Eli pour Jérusalem, le bus était en retard, aussi, dans le froid, une bonne dizaine de personnes se gelaient, des jeunes filles en jupe longue jusqu’au pied, des jeunes gens avec de gros sac à dos et une petite « kipa » , une mère de famille la tête dûment couverte.
La porte coulissante du bus s’ouvrit en silence, et tout le monde entra, on ne pouvait pas deviner de l’extérieur que le bus était blindé, mais à l’intérieur, un double vitrage en matière indéterminé, laissait passer la lumière, et certains détails d’un paysage, pour moi, c'est comme si je regardais avec mes lunettes sales. Question d'habitude. Seul le conducteur, avait droit à une vrai vitre, et tous les risques qui vont avec.
Le gros bus franchit la porte du village, le chauffeur salua amicalement le garde, qui au chaud dans son poste, nous ouvrit la barrière et le bus s’engagea sur la route, en longeant une vallée où nulle rivière ne coulait.
La route ne traverse aucun village, elle les côtoient des chemins bien goudronnés mènent des petits bourgs les uns anciens et arabes, les autres récents et juifs.
Nous admirons à quelques centaines de mètres les villages arabes avec de grandes villas dont les toits de brique parsemés à chaque à chaque étages évoquent irrésistiblement les pagodes chinoises. Nous voyons aussi et surtout des maisons modestes, qui semblaient de loin bien entretenues, couvertes d’antennes et de paraboles de télévision, et des bidons d’eaux utilisés avec les plaques pour une chauffage solaire, et qui se blottissaient autour du minaret.
Nous roulions sur la grande route qui va de Naplouse (Shrem ou Sichem dans la bible – C’est là qu’est enterré le patriarche Joseph), et Ramallah, qui jouxte Jérusalem et où se trouve le siège de l’autorité Palestinienne. Nous avions le sentiment de router sur une route secondaire et bien entretenue, nous croisons surtout des véhicules israéliens, reconnaissables à leurs plaques jaunes, mais il y avait aussi des véhicules palestiniens, surtout des taxis, parfois collectifs et bien remplis, des ambulances du croissant rouge palestinien, et de petits camions transportant probablement des produits de première nécessité par exemples des choux fleurs tout frais.
Épisodiquement, le bus quitte la route pour entrer dans des implantations comme Shilo pour prendre et déposer des voyageurs. A l’entrée de chaque village, le gardien armé ouvre le passage du fond de son bureau, et petit à petit, le bus se remplit. Aucun passager palestinien ne peut l’utiliser, car il ne s’arrête ni dans les villages arabes, ni au bord de la grande route, où l'on voit des palestiniens attendre leur bus pour se rendre à Ramallah ou Jérusalem.
Juste avant d’entrer dans Ramalah, l’autobus change de route, et s’oriente vers Jérusalem, nous longeons alors la barrière de sécurité, en fait une route de terre longée par des rouleaux de fil de fer barbelés. Puis nous arrivons à un « check point » une véhicule type espace, moderne avec une publicité verte en lettre arabe, et des passagers de même allure est bloquée, visiblement les soldats se méfient, alors que sur la file d’à côté, tout le monde passe sans misère, et sans attendre, que les véhicules soient palestiniens ou israéliens.
Nous n’avons pas vu de « mur », il existe bien, nous le verrons plus tard de loin, lors de notre promenade en ville, il fait un peu muraille de Chine, et limitait, de notre point de vue, une zone dense de population et une zone de garrigue méditerranéennes.
Passé le barrage, nous sommes aussitôt plongé au cœur d’une ville moderne, à la circulation dense, nerveuse, et rapide. Sans se tromper, le bus fonce vers la gare centrale, et là un gardien à nouveau lui ouvre la porte, et nous nous arrêtons dans une gare souterraine.
Un contrôle de sécurité digne d’un aéroport nous attend, à la sortie de la gare, nos sacs passent au laser, un garde nous ausculte au détecteur de métaux. Nous avons simplement échappé au contrôle d’identité et au questionnaire stupide que les responsables de sécurité affectionnent.
L’entrée dans principaux centre commerciaux de Jérusalem obéit d’ailleurs à ce protocole. Les hommes de la sécurité, sont en général armés, et d'origine éthiopienne. Vu le nombre important de gardiens, on peut prévoir une crise sociale le jour tant attendu, ou la détente politique permettra de réduire les effectifs pléthoriques de la sécurité. Comme les gardiens sont noirs, on pourra craindre des frustrations « ethniques » avec tous les dérapages possibles lorsque la paix rendra moins nécessaire la fonction de sécurité.
Après le contrôle nous débouchons sur un centre commercial animé, propre, lumineux au centre duquel trône un café confortable. Nous le traversons pour entrer en ville, après une petite promenade nous nous trouvons face au marché. La population est bigarrée, et j’ai été frappé par le pourcentage de personnes qui marquaient ostensiblement, pour reprendre la formule à la mode, un signe d’appartenance au judaïsme orthodoxe.
Soit une «kippa» soit un grand chapeau noir. Le couvre chef à l’américaine des Loubavitchs, se distingue de celui des Litvaks, à rebord porté vers l’avant, pour laisser apercevoir la calotte de dessous.
On ne voit pas de chapeaux à fourrure car le mercredi n’est pas Chabbat.
Comme il avait plu, beaucoup avaient une housse en plastique pour protéger leur précieux couvre chef.
Le sport consiste alors à photographier les personnages aux habits le plus surprenant possible sans se faire remarquer, car les sujets n’apprécient guère, et on les comprend. Aussi en arrière plan d’une jolie photo de famille, comme par hasard, on découvre un magnifique barbu avec parfois des bas comme au XVIII ième siècle, ou un habit rayé, et un beau chapeau. Il faut savoir se tenir, une ville n’est pas un zoo paraît-il, même si on y croise parfois, et sans le savoir, toutes sortes d’animaux, des requins, des poules, des pigeons, des oies blanches, des renards et des vaches qui posent les contraventions. Un conseil, ne vous amusez pas à traverser hors des passages autorisés, vous risqueriez de vous faire écharper par la foule des passants en colère !
Nous avons pris un taxi pour aller vers la vieille ville, le prix négocié à 40 NIS (new israeli shekels = 10 €) le chauffeur nous a conduit rapidement, sans discuter en aucun sens du terme à bon port, d’après son nom, il devait être arabe comme d’ailleurs le taxi du retour qui ne s’était pas montré beaucoup plus loquace.
Un pèlerinage « au mur » est un must pour tout visiteur d'origine juive, à l’entrée chacun fait la queue devant le check point et les sacs sont fouillés, nous pénétrons alors sur une grande esplanade en pente au fond de laquelle se dressait le mur du temple, les minarets et le dôme de la mosquée Al Aqsa.
Nous sommes accueillis par une mezouza monumentale et par une musique qui emplissait les lieux, la musique provenait de la mosquée où les hauts parleur sont allumés à fond, du côté juif du sanctuaire, c’était plutôt le silence. Une partie du mur est réservé aux femmes, un autre plus important aux hommes. Un panneau signalait en plusieurs langues que l’endroit était sacré qu’il était donc interdit d’y profaner les chabbat et les jours de fête, d’être en tenue vestimentaire inappropriée, d’y emmener des animaux, et de se livrer à la mendicité.
Deux mètres plus loin des vigiles faisaient déguerpir un artiste qui cherchait à dresser des portraits… le marchand du temple s’était-il fait chasser par des nouveaux Jésus ? du côté des hommes, le mur se prolongeait sous d’autres bâtiments. Dans sa partie couverte, le mur avait semble-t-il environ dix mètres de haut, mais les archéologues ont mis à jour un mur plusieurs dizaines de mètres supplémentaires qui s’était enfoncé dans le sol.
Des prières continuelles ont lieu, et les gens glissent des petits papiers dans les fentes du mur, pour demander la guérison de l'un, ou le mariage de l'autre. Sous la grande voûte quelques pigeons volètent, faisant fi de l’interdiction d’entrée aux animaux, comme d’ailleurs les mendiants, qui font la manche pour les bonnes œuvres le plus discrètement possible. Les pigeons étaient-ils le symbole de la paix, ou des pieux pèlerins venus enrichir les quêteurs clandestins ?
La mendicité s’est d’ailleurs beaucoup développée dans le monde « ‘Harédi » (religieux très pratiquants) depuis quelques années, beaucoup de ces hommes en noir ont une famille nombreuse, et les restrictions budgétaires drastiques dues aux conséquences de l’intifada et à la politique très libérale du gouvernement israélien actuelle ont entraîné une chute vertigineuse des allocations familiales et une augmentation sensible de la misère. Tous ne mangent plus à leur faim.
Nous nous sommes restaurés dans un grand bâtiment multi- séculaire, très chaleureux avec des lampes très originales posées sur chaque table et donnant une lumière douce. La musique provenait de la salle en contrebas, ou une famille fêtait une bar mitzva, et chantait des airs qui ont eu leur heure de gloire en Israël il y a un certain temps (pour ne pas dire un temps certain) et qui sont aujourd’hui connus par tous les juifs de diaspora. Le repas était frugal, un potage au maïs, un peu piquant, une sorte de pizza locale aux aubergine avec de petits ramequins de fromage blanc, de tapenade, de poivrons séchés et remis en forme de sauce.. un café pour l’équivalent de 9 € nous n’avions plus faim, et nous étions au cœur touristique de la ville.
De notre place, j’avais une vue sur la porte voûtée, et je voyais passer les piétons qui allaient et venaient vers l’esplanade du mur ou qui montaient l’escalier qui mène à la ville arabe. Beaucoup de jeunesse, de belles filles arabes les cheveux et le cou caché, des soldats, des groupes encadrés par des moines en tenu de bure, des jeunes gens qui pouvaient être juifs ou arabe, des hommes en noir, quelques enfants très propres sur eux. J’aurais voulu tous les filmer, mais le temps d’apparition par la porte qui me servait de fenêtre était si court !
L’ancien quartier juif de la vieille ville est en passe d’être entièrement rénové. Des escaliers et des ruelles serpentent entre des murs de pierres dorées, des placettes ont été aménagées avec souvent quelques arbres pour donner de la couleur, et quelques rabbins-mendiants pour animer les touristes, insensible aux charmes de la violoniste.
On y rencontre peu de commerces, mais les écoles religieuses fleurissent. Il n’y pas de palais, peu d’édifices remarquables si non les ruines d’une ancienne synagogue surmontée d’un minaret insolite en l’absence de mosquée. L’ancien quartier juif semble peu peuplé, il évoque davantage Saint Paul de Vence que le cœur d’une medinah orientale. Même si on aperçoit du linge qui pend aux fenêtres, une question me taraude, mais où sont donc passés les anciens habitants du quartier ?
Nous nous orientons vers le Cardo, une ancienne voie romaine recouverte d’arcades que les archéologue ont retrouvée en contre bas d’une rue qui fut très commerçante ; aujourd’hui elle semblerait morte, sans la présence d’une boulangerie arabe proposant des montagnes de pains et gâteaux parfumant l’air ambiant.
Le cardo est bordé de magasins d’articles de luxes essentiellement destinés aux touristes de préférence fortunés et juifs. Il y a tout ce qu’il faut pour célébrer le culte domestique ou personnel, mais on y trouve aussi de quoi satisfaire les amateur d’arts, et même les touristes à la recherche de ce n’importe quoi qu’on vend à n’importe qui dans toutes les villes touristiques du monde.
Au centre, une reconstitution du chandelier du temple trône avec une mini exposition retraçant la Jérusalem du temps des rois de Juda. Un groupe de soldats dûment encadré s’arrête devant l’exposition où l’adjudant-guide leur fait un exposé probablement patriotique. Mais beaucoup de bidasses semblent trop heureux de pouvoir enfin s’asseoir et rêver un peu. La discipline n'est plus ce qu'elle était !
Un peu plus bas dans la rue, on aperçoit des grilles ouvertes destinées à interdire, en cas de besoins, l’entrée du quartier, le magasin suivant propose non seulement des articles de cultes juifs, mais aussi des boites richement ornées de nacre, des narguilés de toute beauté… nous sommes entrés dans un quartier arabe.
On le remarque car à côté des objets typiquement juifs, on voit des narguilés, et de la marquetterie fine. Les commerces sont plus nombreux, et le dédale des rues nous emène vers la porte de la vieille ville, nous finissons dans une boutique, où le marchand nous reçoit avec une amabilité toute commerçante. Nous lui achetons des verres, et nous lui demandons d'où viennent ses merveilles. «Les verres sont fabriqués à Jérusalem,» nous dit-il, «ils sont de bonne qualités, c'est du vrai cristal avec beaucoup de plomb, ils sont fait par les arméniens de la ville, rien à voir avec les pâles imitations fabriquées à Hévron que l'on vend ailleurs à vil prix.» Il nous vente des objets fait par des juifs iraniens qui chassés par les Ayatollah ont ramené le meilleur de l'artisanat perse en Israël, les fauteuils, eux sont Syriens, je lui ai demandé s'ils passaient par le Liban, il m'a répondu qu'ils transitent par la Jordanie, c'est pas très légal, mais on se débrouille ! ! Ayant repéré au syndicat d'initiative un tract en arabe, je lui ai demandé s'il y avait ici des touristes arabophones, il m'a répondu, "pas encore, mais avec la mort d'Arafat, on espère". Avec la mort d'Arafat on espère n'est-ce pas tout un programme ?
Si ce marchand était incontestablement arabophone, peut-être était-il arménien, car nous étions à la limite de leur quartier, et en le traversant j'ai remarqué que les noms des gens étaient toujours écrits en caractère latin. Les arméniens ne se sentiraient-ils ni israélien, ni palestinien, mais simplement commerçants et souriants ?
Ce qui frappe à Jérusalem, c'est la diversité des quartiers, je ne les ai pas tous visités, et pour cause, la ville devient tentaculaire, et en autobus cela prendrait plusieurs jours. Chaque jour de nouvelles collines sont construites aussi un projet de tramway est-il sur les rails. Je n'ai vu que de loin les quartiers arabes récents, reconnaissables à leurs immeubles en forme de pagode, j'ai apperçu au loin les quartiers d'affaires plein d'immeubles de verre, comme à New York, mais en moins haut, car c'est plus facile à entretenir. Par contre je me suis promené dans l'hyper-centre ou les restaurants sont encore trop rares. On y voit une population très mélangée, avec des élégantes juives ou arabes mais si elles ne sont pas religieuxes, je vous défie de les distinguer !
Il ne faut pas manquer le marché, on y entre, comme partout qu'après avoir été fouillé, j'ai remarqué qu'on ne m'a pas demandé mes papiers, alors que deux jeunes femmes arabes en tenue traditionnelles avaient leur carte d'identité à la main pour passer le barrage. Mais le petit désagrément du contrôle s'explique facilement si on se souvient des carnages provoqués par les terroristes. De toute façon nous avons été bien récompensé, et la simple vue de la soldate qui nous a laissé entré m'a suffit pour me mettre de bonne humeur pour toute la journée.
Au marché, on fait de bonnes affaires, il y a des fruits de la viande congelée et préemballée. On trouve à l'étale le plan du boeuf, découpé en quartiers et chaque quartier a son numéro. Ainsi on ne demande pas un faux-filet mais un morceau de 7. Il faut s'y faire, c'est pas génial pour un cuisinier français, d'ailleurs les restaurant ne le sont pas non plus !
Mais le quartier le plus unique au monde de Jérusalem c'est «Gueoula» tout juste avant «méa Shéarim» dont la réputation est un peu surfaite. Vous vous croyez revenu en Pologne avant guerre. Mais avec des chauffes eaux solaires et la clim en plus !
Quand vous vous promenez dans le quartier, si vous n'êtes pas vêtu de noir avec un grand chapeau, on vous remarque ! mais ce costume d'un autre âge n'empêche pas la plus-part des habitants d'avoir une activité professionnelle. Par exemple, tout le personnel de la banque où je me suis renseigné était habillé comme ça, et portait haut et fier la barbe, sauf les dames qui préféraient des coiffes souvent très élégantes."
Et si je devais résumer Jérusalem en une seule photo ? et bien je choisirai celle ci : tout y est la modernité, les chapeaux, une jeune beauté qui téléphone et la sécurité.
Michel Lévy