Maison de la Paix à Hébron : un débat antidémocratique ?
Bet Hashalom, la Maison de la Paix, est une bâtisse de trois étages qui se trouve sur la route empruntée par les fidèles de Kiriat Arba, lorsqu'ils descendent vers Hébron pour prier à la Maarat Hamahpela, le Caveau des Patriarches. Cette maison a été achetée par des Juifs à un Arabe et plusieurs familles s'y sont installées il y a plus d'un an. Depuis quelques temps, ces familles sont menacées d'expulsion par les instances du gouvernement et la propriété de la maison est contestée. Pierre Lurçat, avocat et journaliste, nous donne des précisions sur cette affaire qui suscite beaucoup d'émotion en Israël.
Claire Dana Picard : Cette maison a été achetée à un Arabe par des Juifs qui en sont donc devenus les propriétaires. Vous pouvez nous dire en quelques mots comment s'est passée la transaction ?
Pierre Lurçat : Toute la transaction a été filmée, et on voit le vendeur qui reçoit l'argent des acheteurs. Cela rappelle un peu la transaction d'Avraham Avinou (le patriarche), qui a été relatée dans la Paracha que nous avons lue la semaine dernière (lorsqu'il a acheté la Maarat Hamahpela). Cette transaction a été parfaitement documentée, à dessein bien évidemment, en pensant qu'un jour, il y aurait certainement des contestations comme c'est souvent le cas dans cette région d'Israël. Par ailleurs, il est important de préciser que l'argent qui a permis de financer cette acquisition n'est pas n'importe quel argent. C'est l'argent d'un Juif américain, qui n'est pas un riche millionnaire comme ceux qui soudoient bien souvent, malheureusement, nos hommes politiques ces derniers temps. Il s'agit d'un donateur qui a "cassé sa tirelire", qui a utilisé toutes les économies de sa retraite parce que son grand-père faisait partie de ces Juifs de Hébron qui avaient été massacrés en 1929 lors du tristement célèbre pogrom.
CDP : Et c'est une maison qui a coûté cher, je crois qu'elle a coûté un million de dollars, n'est-ce pas ?
Oui. L'argent a été payé, il n'y a aucune contestation possible sur le paiement et il n'y a aucun vice juridique. Ce qui est en jeu, ce n'est pas tellement la légalité de la transaction. C'est bien au-delà de cela : c'est le droit des Juifs à habiter et à acheter des maisons à Hébron.
CDP :Il est peut-être important de souligner que le vendeur arabe est passé par un intermédiaire jordanien : pourquoi toutes ces précautions, pourquoi a-t-il tenu à garder l'anonymat ?
PL : Parce que – on le sait, même si les médias israéliens et les autres médias ne le rappellent jamais - la peine de mort est infligée par l'Autorité palestinienne et dans beaucoup d'autres pays arabes à toute personne qui vend un bien à un Juif. Il y a des lois antisémites, qui ressemblent à celles de l'Allemagne nazie, qui sont en vigueur tout près de chez nous en Jordanie et même dans l'Autorité palestinienne. Et cela, évidemment, les médias ne le rappellent pas assez. C'est cela, à mon avis, le vrai scandale. C'est contre cela que devrait s'élever la Cour suprême et le pouvoir israélien s'ils avaient un semblant de logique et de justice dans leur attitude.
CDP : Revenons maintenant à la vente de la maison. Dans le cas présent, pourquoi le titre de propriété a-t-il été contesté ? Et s'il s'agit d'une affaire judiciaire, comment se fait-il que le gouvernement y soit mêlé ? En quoi cette affaire le concerne ?
PL : A priori, elle ne le concerne pas du tout. Dans un Etat de droit, ce sont les tribunaux qui doivent trancher sur ce genre de litiges, si litige il y avait. Mais en fait, on s'aperçoit en grattant un peu à la surface que ce n'est pas du tout un problème de propriété et de justice; il s'agit d'un problème politique. On le voit bien d'ailleurs puisque c'est la Cour suprême qui s'en mêle alors que normalement, la compétence pour ce genre de litiges incombe aux tribunaux de première instance et de grande instance. Et là, tout d'un coup, c'est la Cour suprême qui s'en mêle parce que c'est Hébron, parce que c'est la ville symbole, symbole de notre attachement et de notre présence en Eretz Israël. Pour une certaine frange de l'establishment politique et juridique en Israël, elle est une ville détestée et considérée comme une ville arabe, comme l'écrivait ce matin (lundi) Nadav Shragaï dans le quotidien Haaretz. Pour eux, Hébron est la ville des Arabes alors que nous savons que c'est la ville des Patriarches, c'est la ville qui est le symbole même de notre présence ici (en Israël) avant même Jérusalem. C'était la première capitale du royaume de David.
CDP: Est-ce que cela veut dire qu'il y a une crise sérieuse dans le système juridique israélien ?
PL : Oui, vous avez raison. Si on veut vraiment comprendre les dessous de cette affaire, on est obligé finalement de se poser la question suivante : comment en est-on arrivé là ? Comment a-t-on aujourd'hui un système judiciaire, dans un Etat qui se dit démocratique, qui est capable de prendre une telle décision. Parce qu'il y a un déni de droit qui est évident pour toute personne quelque peu objective. Je pense que tout le monde s'aperçoit qu'il y a un déni de droit fondamental. Et si on veut comprendre, à mon avis, les motivations profondes, on est obligé de se demander au nom de quoi cette décision est prise par la Cour suprême (Bagatz) et au nom de quoi elle est appliquée d'une certaine manière, tout à fait extrémiste, par le procureur de l'Etat et par le ministre de la Défense Ehoud Barak qui considère que c'est la priorité alors qu'on sait par ailleurs qu'il est incapable de mettre fin aux tirs de Kassam. Comme si la priorité aujourd'hui, pour le gouvernement israélien, était d'empêcher une famille juive de vivre dans une maison à Hébron.
CDP : Finalement, quelle a été exactement la décision de la Cour suprême ?
PL : La Cour suprême a dit que tant que la question de la propriété n'était pas tranchée, les Juifs n'avaient pas le droit d'habiter dans cette maison. Donc, elle laissait la porte ouverte à une expulsion sans dire qu'il fallait les expulser immédiatement : cela, c'est une interprétation faite par Ehoud Barak et par d'autres personnes au gouvernement et auprès du Procureur de l'Etat.
Mais déjà, en soi, cette décision était à mon avis gravissime. Et on est amené à s'interroger sur la nature même du système judiciaire en Israël. Pendant de nombreuses années, pendant plusieurs décennies, en fait depuis la révolution constitutionnelle du juge Aaron Barak, on pensait qu'il y avait cette notion d'Etat juif et démocratique, tout à fait problématique d'ailleurs, mais qui constituait malgré tout un semblant de consensus, de pacte social sur lequel pouvait s'édifier et vivre la démocratie israélienne. D'abord, on s'est aperçu que l'Etat juif et démocratique n'était pas juif, le juge Barak l'a dit lui-même. Il a dit que l'Etat juif, c'était ce que lui et les membres de "l'élite éclairée" considéraient comme juif. Ce sont ses propres termes et c'est lui qui parlait d'une "'élite éclairée", qui se considérait comme le représentant de "l'élite éclairée". Donc, on s'est aperçu que l'Etat juif et démocratique n'était pas juif, et aujourd'hui, on s'aperçoit qu'il n'est même pas démocratique. Les juges n'ont même pas l'élément fondamental du Tsedek, de la justice, qui est à la base de tout système de droit démocratique.
CDP : En fait, cela semble être devenu un débat politique entre la gauche et la droite.
PL : A mon avis, il transcende le clivage entre la gauche et la droite. Il s'agit pour moi d'un débat politique entre les tenants d'une véritable démocratie et les tenants de ce que le politologue Jacob Talmon a appelé il y a déjà assez longtemps la démocratie totalitaire, c'est-à-dire le pouvoir accaparé par une petite élite qui est prête à employer tous les moyens pour faire triompher sa conception du Droit et sa conception de ce que doit être l'Etat d'Israël.
CDP : On a la nette impression que tout est fait pour tenter de prouver que les militants de droite sont des gens violents, qui ne respectent pas la loi. Comment faire, dans ce cas, pour ne pas céder aux provocations ?
PL : Je pense qu'il y a toujours ces provocations et des actes qui sont montés en épingle par les médias et on peut souvent suspecter qu'ils sont le fait de provocateurs du Shin Bet. On l'a déjà vu par le passé. La majorité des habitants juifs de Hébron sont pacifiques comme tous les Juifs de Judée–Samarie et on essaie de les présenter aux yeux du public et de l'opinion internationale comme des gens violents, comme des délinquants, alors que la violence, en fait, est de l'autre côté. La violence, c'est celle d'un pouvoir illégitime qui voudrait expulser les gens de leur maison, comme l'ont bien compris un certain nombre de commentateurs et les Juifs de Hébron eux-mêmes qui ont dit : "Si on ne peut pas habiter cette maison, acheter cette maison, cela veut dire que les Juifs n'ont plus le droit d'habiter à Hébron". C'est gravissime d'en arriver à cette situation, dans l'Etat juif souverain revenu sur sa terre.
CDP : Vous avez certainement entendu qu'il y a un grand mouvement de solidarité qui vient d'être lancé pour que cette maison ne soit pas évacuée. Vous croyez qu'on arrivera à éviter une confrontation ?
PL : Je l'espère, bien entendu. J'espère que la mobilisation du public juif israélien va arriver à faire reculer le pouvoir dans cette démarche totalement antidémocratique et quasiment totalitaire, consistant à vouloir interdire aux Juifs d'habiter Hébron qui était la première capitale de l'Etat juif.
[Mercredi 12/10/2008 22:30]
Dépêches, Société / Justice,