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Les juifs du Kerala


 

Mercedi 8 février 2017
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     Mon ami Charles Ranchon va régulièrement en Inde, il est passé par Cochin, capitale du Kerala, au Sud Ouest du sous-continent. Au Kérala vivait une communauté juive remontant à la plus haute antiquité, il en reste encore quelques traces. Il vous propose donc un récit  historique, en s'inspirant de la plaquette explicative distribuée à l'entrée de la synagogue de Cochin.

En partant de Pondichéry sur la Côte Est du Golfe du Bengale, on rejoint aisément la Côte Ouest de l'Inde appelée Côte de Malabar. Après avoir traversé la grande ville de Maduraï célèbre pour ses temples colorés, on atteint ensuite les Nilgiris, les « Montagnes bleues » dont les crêtes dépassent les 2000 mètres. On traverse les théiers, on fait étape dans les stations d'altitude et le tout est enveloppé par une végétation luxuriante.

 

Plantations de thé

Puis le relief s'aplanit et la flore change. Plus on avance vers l'ouest, plus on abandonne la forêt tropicale pour les palmeraies de cocotiers sillonnées par de multiples canaux. C'est le Kérala. Littéralement, le nom de cet état indien peut se traduire par « le Pays de la noix de coco ». On arrive alors sur la Côte de Malabar dans une autre grande ville industrielle, Ernaculam, d'où l'on prend le ferry pour se rendre à Cochin, une bourgade coquette et accueillante, un havre de paix, à l'abri des fumées de la ville. C'est dans cet ancien comptoir hollandais que l'on découvre les vestiges de ce qui fut pendant des siècles une importante communaté juive.

Lorsqu'on essaie d'évoquer l'histoire des Juifs du Kerala, on prend rapidement conscience de la difficulté de la tâche tant il y a de faits importants et intéressants en rapport avec l'ancienne colonie de la côte du Sud-Ouest de l'Inde et qui ont fini par s'estomper.
Comment et quand les Juifs sont-ils arrivés dans l'ancien port de Cranganore (aujourd'hui Kodungallur) ou Shingly comme les Juifs appelaient leur ancien comptoir, ces questions restent encore quelques uns des problèmes non résolus de leur histoire antique mais quelle que soit la date de leur premier établissement, c'est un fait historiquement incontestable que du cinquième au quinzième siècle, les Juifs de Cranganore ont eu virtuellement une principauté indépendante gouvernée par un souverain de leur propre origine et de leur propre choix.

La renommée de ce petit royaume juif se propagea de façon très large et lointaine.  Ainsi, dit le Rabbin Nissim, pète et voyageur hébreu du XIVè siècle:

 

"Je suis venu d'Espagne,
J'avais entendu parler de la cité de Shingly
Il me tardait de voir un Roi d'Israël
Et je l'ai vu de mes propres yeux."

 

Cranganore, connue par les Grecs sous le nom de Muzhiris et par les Juifs sous le nom de Shingly, était le seul port de l'Inde connu du monde extérieur. Ce fut alors vers ce port que les Juifs se tournèrent et ils y bâtirent leur refuge ainsi qu'une place commerciale. La destruction de Cranganore est souvent comparée à la dévastation de Jérusalem en miniature avec les conséquences qui s'ensuivirent, à savoir la diaspora.

L'attachement des juifs, et particulièrement ceux de Parur et de Mala, à Cranganore était si fort que, jusqu'à récemment, une poignée de sable de Shingly avait sa place dans le cercueil de tout juif, elle était dotée de la même valeur ou presque qu' une poignée de terre d'Israël.

Encore à l'heure actuelle, la plupart des Juifs évite de visiter Cranganore et si les affaires les amènent un beau jour par ici, ils quittent à la hâte les lieux avant le coucher du soleil

        Il existe encore aux environs une petite colline connue sous le nom de "Juda Kunnu" et un réservoir nommé "Juda Kula". Les assiettes de cuivre juives ainsi que les assiettes chrétiennes syriaques comportant des signatures et des poinçons en judéo-persan témoignent d'une très vieille présence juive. Les dites assiettes seraient les secondes au monde par leur ancienneté. Ces signatures comme ces éléments toponymiques sont considérés comme un rappel du passé glorieux des avant-postes oubliés du monde juif.

Quant à la date probable de la première colonie juive à Shingly, l'opinion diverge nettement entre plusieurs écoles de pensée. Les débuts des échanges commerciaux entre l'est et l'ouest, selon Basnage, laisseraient penser que les premiers Juifs du Kerala seraient arrivés avec la flotte marchande du roi Salomon. L'étrange ressemblance entre certains mots tamouls et leurs équivalents en hébreu accrédite cette thèse. Ainsi que l'affirme Dr Caldwell, l'ancien mot tamoul « takaï » qui signifie « paon », serait devenu en hébreu תֻּכִּיִּים « tukkiyyim » dans le Livre des rois et dans les Chroniques.

On suppose que la première colonisation juive à Cranganore se serait produite après l'exode de Perse au Vè siècle au cours du règne du roi Kavadh Ier.

Une autre théorie prétend que les  Juifs du Kerala sont les descendants des tribus gardées en captivité par Salmanazar. Après leur libération ces tribus seraient venues à Cranganore ou encore, comme le prétend un autre historien, les Juifs du Kerala seraient plutôt les descendants des captifs de Nabuchodonosor à Babylone.

Dans son livre Noticias dos Judios de Cochim, l'ouvrage le plus ancien qui relate l'histoire des Juifs de Cochin, Moshe Pereira de Paiva, un historien voyageur hollandais d'origine portugaise qui vista la cité le 1er novembre 1686, certifieque 70 à 80000 juifs sont arrivés sur la Côte des Malabars en 370 de notre ère depuis Majorque aux Baléares où leurs aïeux étaient gardés captifs par les troupes de Titus et de Vespasien.

Le rabbin Rabinovitz, lui, a une autre opinion : pour ce dernier, il est clair et évident que la présence d'une communauté juive en Inde serait dûe à des marchands navigateurs rhadanites (ou rhodanites), qui seraient des descendants des premières commuanutés juives de France installées dans la vallée du Rhône. Ces gens seraient devenus des navigateurs marchands qui auraient commercé à l'instar des Arabes entre l'Irak et l'Inde durant le moyen-âge.

Mais la tradition des Juifs de Cochin maintient qu'aussitôt après la destruction du Second Temple, dix-mille Juifs auraient été gracieusement accueillis par le gouverneur hindou de l'époque qui les a autorisés à s'établir dans différentes parties de la région. C'est alors qu'une majorité d'entre eux s'est installée à Cranganore. Ces quelques éléments nous montrent bien que l'origine de la communauté juive du Kérala a été plus que contreversée par les historiens.

Nous tâcherons prochainement de comprendre comment cette communauté s'est installée. Nous resterons entre ce qui relève de la légende et ce qui relève du récit historique. (à suivre)   

Charles Ranchon

Jews Street à Cochin

Synagogue de Cochin