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Annie Yanbekian Rédaction Culture France Télévisions 3 mai 2020
Véritable monument de la culture kabyle, le musicien s'est éteint à Paris, à l'hôpital Bichat, des suites d'une maladie contre laquelle il se battait depuis des années.
La triste nouvelle est tombée dans la nuit de samedi 2 à dimanche 3 mai, sous la forme d'un bref et touchant communiqué posté par la famille du chanteur algérien d'expression kabyle sur sa page Facebook : "Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre père (à tous), Idir le samedi 2 mai à 21h30. Repose en paix papa." Selon divers médias algériens, notamment Berbère Télévision sur Twitter, Idir s'est éteint à Paris, à l'hôpital Bichat, des suites d'une maladie contre laquelle il se battait depuis des années. Sa mort n'est pas liée au Covid-19, a précisé sa famille, selon le site ObservAlgérie.
Idir a connu un succès mondial, non prémédité, avec une berceuse qu'il avait composée, A Vava Inouva ("mon petit papa"). Cette chanson, qui donnera son titre à son premier album sorti en 1976, est considérée comme le premier tube international venu d'Afrique du Nord. Elle sera traduite en quinze langues. Le jeune homme, qui avait étudié la géologie, n'avait pas du tout prévu de faire carrière dans la chanson.
Idir chante "A Vava Inouva" (musique d'Idir, paroles de Mohamed Ben Hamadouche, dit Ben Mohamed), à la télévision française
Idir ("il vivra" en kabyle), de son vrai nom Hamid Cheriet, est né le 25 octobre 1949 à Aït Lahcène, à 35 km de Tizi-Ouzou, la capitale de la Grande-Kabylie. Fils de berger, il grandit bercé par les chants traditionnels et les contes narrés lors des veillées qui inspireront son œuvre. Sa carrière scientifique bifurque vers la musique en 1973 quand la chanteuse Nouara, qui devait interpréter sa composition A Vava Inouva à Radio Alger, tombe malade. Il la remplace au pied levé, avec une autre chanteuse, Mila. La chanson étant plébiscitée par les auditeurs, il l'enregistre dans la foulée et part faire son service militaire. Entre-temps, sans qu'il le sache, la chanson connaît un succès mondial.
"Je suis arrivé au moment où il fallait, avec les chansons qu'il fallait", confiera simplement Idir en 2013 à l'AFP. En 1975, il s'installe à Paris pour enregistrer son premier album, également intitulé A Vava Inouva, qui, outre sa chanson-titre, renferme des merveilles comme Cfiy, Isefra ou Ssendu.
Ses chansons respirent la poésie, l'humanité, la tendresse et font d'Idir l'un des grands ambassadeurs de la culture kabyle, avec ses arrangements où résonnent la flûte de berger et la guitare. Mais cet homme discret, à la voix douce et au look d'universitaire, n'apprécie guère les contraintes de la notoriété. Après son deuxième album Ay Arrac Nney sorti en 1979, il s'éclipse entre 1981 et 1991 où, relancé par un album compilation, il reprend le fil de sa carrière. Dans son disque suivant Les Chasseurs de lumière (1993), il invite Alan Stivell. Les concerts d'Idir sont des moments de partage et de fête, son public déborde de ferveur et d'enthousiasme.
En 1999, Idir, éternel défenseur du dialogue et de la fraternité entre les peuples, lance Identités, un album enregistré avec de nombreux invités (Manu Chao, Zebda, Geoffrey Oryema, Dan Ar Braz, Gilles Servat...). Il refait un disque de collaborations en 2002, Deux Rives, un rêve, dans lequel Jean-Jacques Goldman signe les paroles de sa chanson d'ouverture Pourquoi cette pluie ? Le texte fait référence à la tempête et aux inondations meurtrières qui ont frappé Bab el-Oued en novembre 2001.
Puis Idir lance l'album La France des couleurs en 2007, l'année d'un scrutin présidentiel en France et d'une campagne marquée par des débats sur l'immigration et l'identité. En 2017, il sort Ici et Ailleurs, un nouveau disque d'adaptations en duo - avec le recours à la langue kabyle - de grands succès de la chanson francophone, enregistré avec Charles Aznavour, Bernard Lavilliers, Francis Cabrel, entre autres célèbres artistes.
Au début du mois de janvier 2018, Idir était revenu se produire à Alger pour le nouvel an berbère, Yennayer, trente-huit ans après avoir quitté son pays natal.
Dans une interview accordée en septembre 2002 à RFI, il s'exprimait sur l'image de porte-parole de la communauté berbère qui lui avait été attribuée, une fois de plus, malgré lui : "Des fois les gens vous prêtent des missions qui dépassent de loin votre condition humaine. C’est un peu étouffant bien sûr ce rôle que l’on m’attribue, car dans ma tête, je ne suis qu’un saltimbanque qui apporte trois minutes de voyage, de rêve, d’éducation parfois, toujours soucieux de préserver son identité opprimée, parce que celle-ci mérite de vivre."
Avec juste un prénom qui sonne comme une injonction pour vivre, il s’est construit l’un des noms les plus illustres de la “chanson du monde”. L’immense Idir, Hamid Cheriet de son nom d’état civil, a tiré sa révérence. Il est décédé dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 mai dans un hôpital parisien des suites d’une longue maladie. On le savait malade, luttant âprement contre une fibrose pulmonaire qui rongeait ses forces et le privait de ce souffle vital qu’il avait le don de transformer en mélodies universelles. Idir est parti sans faire de bruit, avec cette discrétion légendaire qu’on lui connaissait, cette élégance des grandes âmes qui l’a toujours caractérisé.
“J’ai la Kabylie dans la tête”, disait-il. Tout au long de sa carrière qui aura duré près de 50 ans, Idir a chanté et magnifié la langue, la culture et l’identité berbères aux quatre coins de la planète. L’hommage que les Algériens et les étrangers lui rendent depuis l’annonce de son décès dit combien cet artiste a marqué d’une empreinte indélébile la chanson algérienne.
Né le 25 octobre 1949, à Ath Lahcene, un petit village des Ath Yenni, Idir, qui avait fait des études universitaires en géologie, est venu à la chanson en 1973, un peu par hasard. Lors d’un radiocrochet organisé par la chaîne II, la radio kabyle, il s’est vu contraint de pourvoir à l’absence de la chanteuse Nouara pour interpréter Rssed Rssed à Yidhes, la petite berceuse qu’il lui avait composée. Sans vraiment le vouloir, il tombe ainsi dans un monde de la musique qu’il ne quittera jamais.
Il enregistre sur sa lancée un 45 tours. Sur la face A, la berceuse Rssed rssed ayidhess, sur la face B A Vava Inouva. Sa voix si douce et si suave est accompagnée de deux guitares sèches, tout simplement. Ce deuxième titre va avoir un retentissement immense, sans même qu’il le sache, alors qu’il fait son service militaire comme tous les jeunes de son âge. Idir a un jour raconté comment sa maman lui avait confié son admiration pour cette merveilleuse chanson, A Vava Inouva, qui passait à la radio sans savoir que son propre fils en était le compositeur et l’interprète.
Un jour de l’année 1975, un certain Claude Dejacques, qui se trouve être l’un des grands directeurs artistiques de France, débarque à Ath Yani, plus précisément au village d’Ath Lahcène, et tape à la porte de la maison familiale d’un certain Hamid Ath Larvi, de son nom kabyle ; Hamid Cheriet, pour l’état civil. “On vous a cherché partout. On voudrait vous faire faire un disque, un 33 tours, à la suite de ce que vous venez de faire”, dit-il au jeune homme cheveux dans le vent qui venait de lui ouvrir la porte. Cette anecdote, c’est le chanteur lui-même qui l’a confié à votre serviteur.
Produit en France chez Pathé Marconi, A Vava Inouva, le titre phare de l’album, va devenir un tube planétaire adapté dans beaucoup de pays et en plusieurs langues. Idir est pour ainsi dire le précurseur de ce qui va devenir un peu plus tard la “world music”, cette musique du monde qui va permettre à des peuples et à des civilisations oubliés, inconnus ou marginalisés de se faire une petite place au soleil des grandes nations. Idir va devenir, de fait, cet ambassadeur de la chanson kabyle, en particulier, et des peuples berbères en général. Ces peuples amazighs sur lesquels pèse un voile lourd de siècles de silence et qui luttent pour faire reconnaître leur langue et leur culture.
A Vava Inouva marque un tournant important dans l’histoire de la musique et de la culture berbères. Sous la plume d’un Benmohamed, son parolier attitré de l’époque qui va signer les paroles de plusieurs de ses tubes, Idir puise dans le répertoire traditionnel kabyle et dans une littérature orale millénaire très riche. Il dépoussière, insuffle une nouvelle vie et renouvelle aussi bien la langue que la musique. En la projetant résolument dans la modernité, Idir, le pionnier, trace une nouvelle voie et de nouvelles perspectives pour la chanson kabyle, fer de lance du mouvement pour la reconnaissance de la langue, de la culture et de l’identité berbères.
Mieux encore, Idir va inspirer au-delà de sa propre communauté kabylophone ou berbérophone. La musique moderne de l’époque, c’était le rock, pop music, le folk et le blues des Anglo-Saxons principalement. Quand des jeunes prenaient une guitare, ils chantaient ou imitaient The Beatles, Simon and Garfunkel ou Elvis Presley. Le génie d’Idir était de montrer qu’on pouvait faire de la musique moderne en étant soi-même. Ce premier album aura suffi pour faire de lui une icône et une légende. Il aura fait l’essentiel : tracer une nouvelle route.
Idir s’installe en France, qui deviendra ainsi son deuxième pays, sans jamais couper les liens et les racines qui le rattachent à cette terre de Kabylie dont il chantera les peines et les joies, les traditions et les coutumes, les exils et les désespérances, l’âme et l’identité. Avec sept albums studio en 50 ans de carrière, Idir n’aura pas été vraiment prolifique, mais chaque opus aura été un événement longtemps attendu, car le chanteur était un orfèvre perfectionniste et un esthète méticuleux qui ne laissait absolument rien au hasard.
Chaque œuvre composée devait d’abord longuement mûrir et se bonifier comme un bon millésime. Établi en France, sa notoriété lui assure de se produire un peu partout dans le monde sauf, paradoxalement, dans son pays. Il aura fallu attendre janvier 2018 pour que l’ONDA, l’office national des droits d’auteur, lui organise deux grands galas à la coupole.
Sur le plan musical, Idir, qui aura signé entre-temps avec la major Sony Music, fait surtout des reprises de ses propres chansons, mais toujours avec les autres. Comme un passage à témoins. Ainsi dans l’album Identités, sorti en 1996, il réunit autour de lui une pléiade de chanteurs comme Manu Chao, Maxime Le Forestier, Karen Matheson, Dan Arbraz et d’autres talents de la deuxième ou troisième génération issues de l’émigration comme Zebda ou l’ONB, l’Orchestre National de Barbès.
En 2002, il sort l’album Deux Rives, Un Rêve, sur ce thème de la fusion, du partage et de la double culture qui lui est si cher. Dans le dernier album, Ici et Ailleurs, édité en 2013, ce sont les grands noms de la chanson française qu’il fait chanter en kabyle autour de lui comme Francis Cabrel, Charles Aznavour ou bien encore Bernard Lavilliers. Idir aura également fait des duos avec Cheb Khaled et Cheb Mami, les stars du raï.
Idir aura été une voix qui compte et son soutien à tous ceux qui luttent pour la réhabilitation de la culture amazigh aura été constant. Ces interventions dans le débat public sont à l’image du personnage : sages, pondérées, constructives et toujours pertinentes. Idir n’élève jamais la voix, il préfère élever le niveau et le débat. Son immense public qui ne le connaît qu’à travers ses chansons découvre un homme profondément humaniste, un sage et un philosophe.
Personnage discret, ce père de deux enfants est un taiseux qui pèse ses mots et soigne ses apparitions publiques. C’en est tellement vrai qu’il dit ne pas aimer parler quand il n’a rien à dire. Revendiquant sa liberté de penser, il se méfie de la récupération politique, tant est si bien qu’il a toujours refusé de se produire en Algérie en dépit des multiples sollicitations et des ponts en or qu’on lui dressait.
Autre facette que ne connaissent que ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer de près, l’homme a l’esprit très aiguisé et possède un sens de l’humour très raffiné. Il adore rire et faire rire autour de lui.
Pour l’avoir suivi durant trois jours lors de son retour en 2015 pour parrainer un festival en Kabylie, votre serviteur a eu l’occasion de découvrir que son immense notoriété n’avait d’égale que sa modestie et son humilité. Assailli pendant des jours par des milliers de fans qui réclamaient de lui un geste, une photo ou une parole, il n’a jamais, à aucun moment, montré le moindre signe de contrariété ou d’impatience. Il répondait à tous avec la même bienveillance et le même sourire malgré la fatigue et la maladie.
“Ce sont des moments très forts avec une charge émotionnelle considérable. Tu es entouré par des gens qui sont venus pour toi, qui t’accueillent avec joie et tu es au centre de leurs préoccupations et intérêts. Tu as souvent les yeux humides et la nature extraordinaire de cet accueil t’encourage et te porte. Je dois dire que cet engouement, je ne m’y attendais pas trop. Cela m’a rassuré. Il y a cette affection qui est là malgré l’absence. Ce que l’on a semé est toujours là. La nature extraordinaire de cet accueil change un peu la donne. Tu te surprends à vouloir donner plus. Si je peux faire quelque chose, si je peux amener quelque chose, ce sera avec plaisir. La seule chose qui pourrait m’en empêcher ce serait un problème de santé et rien d’autre”, nous avait-il confié ce jour-là.
À l’heure de l’épidémie du coronavirus et du confinement, on ignore encore dans quelles circonstances ses obsèques se dérouleront et où Idir sera enterré.
Kabyle.net 4 mai 2020 Ameziane Kezzar
Idir était au commencement une voix. La voix de tous : des ancêtres, des peuples et de la nature. Elle donnait de la vie, des parfums et des couleurs aux mots qu'elle interprétait. Elle portait dans ses cordes un chant. Un chant venant de loin, de notre nuit des temps. Un champ aérien qui a traversé les temps avant de trouver écho dans cette voix, mélodieuse et fragile, dans laquelle il a pris forme et par ce chant cette voix a pris un nom : Idir, qui signie «vis» à l'impératif
Idir, un jeune chanteur, qui vient de réveiller les morts par une nuit d'hiver, le temps d'une émission radiophonique. Il a ressuscité l'âme des ancêtres disparus et réveillé les mémoires des vivants oubliés. Les anc^tres et leurs descendants également oubliés par l'histoire. Quoi de plus fort que l'art pour remettre en cause une histoire officielle écrite par les vainqueurs avec le sang des vaincus ? Quoi de plus fort que l'art pour faire renaître, comme au printemps, l'amour de la vie dans les coeurs aséchés par tant d'injustices ?
Idir, une puissante voix tragique qui est allé chercher de l'avenir au delà de l'histoire. Ine histoire officielle qui a cru nous avoir tués, enterrés. Il suffit d'un chant pour que tout recommence. Il suffit d'une forte et pure émotion pour que tout se reconstruise et que le refoulé et le naturel reviennent au galopn et ce au détriment du discours politique et historique que la raison du plus fort a érigé pendant des siècles. Ne dit-il las dans une de ses chansons «Tecfam taqsiT nettawi, ghef lekhed lekdeb yuzlen aseggwas. Tidette ma tebda tikl atqdehe3 deg yiven wass Vous vous rappelerez tous de cette histoire que nous racontons, à propos du mensonge qui a couru pendant un an. Et que la vérité rattrape dès qu'elle se met à marcher » Il en va des mensonges comme des propagandes religieuses et idéologiques, elles ne résistent pas devant l'authenticité et la puissance de l'art.
Voilà pour la mission que les ancêtres lui ont confiée. Une mission qu'il a réussi à accomplir à travers ses cordes vocales et instrumentales. UIne mission dans laquelle il a mis toute son âme et tout son savoir. In mission pour laquelle il a été taillé et destiné. In rejeton de Prométhée qui a encore une fois volé du feu aux dieux pour le ramener à ses semblables. Le feu symbole de savoir et de lumière, pierres inaugurales de toute civilisation.
Après le combat de jeunesse, fait à l'instar des grands de son rtemps, et qui lui a valu le surnom de Lennon Kabyle, il a inscrit nos chants dans l'histoire de la musique universelle. Pour une fois, la chanson kabyle quitte ses modes orientaux, pour rejoindre la World music avec tout ce que celle ci exige d'harmonie et d'accords. Idir a donné un souffle moderne à la chanson, ce qui a suscité chez les jeunes de la grande époque un grand engouement pour la musique. D'autant que sa réussite a permis un pont vers les musiques américaines et européennes. Il a dans chaque disque tenté d'ouvrir de nouvelles pisstes musicales à la chanson Kabyle, du folk au celtique en passant par le flamenco.
Il est pour tout kabyle un suymbole de réussite et de modernité. In féministe, un humaniste ami des minorités et des oppprimés. Il incarne le goût du travail bien fait, la simplicité, l'ouverture d'esprit, la longévité et la sagesse. Il est même considéré pr les siens comme leur représentant et ambassadeur attitré à l'étranger. Une marque de considération et de confiance qu'il a honorée pendant presque un demi-siècle de succès.
Idir a mis à jour la culture méditerranéenne ancestrale, il a mis en valeur et rendu visibles les chants anciens de nos mères sans voix. Ol les a modernisés et fait écouter au monde avec fidélité nos douleurs et nos espoirs, nos larmes est nos joies, nos émotions et nos resentis. Même si la langue Kabyle n'est pas comprise partout, son terprétation et sa douceur vocale ont fait d'elle un langage musical universel compréhensible par tous les humains. rien ne vaut un joli chant pour parler de son pays !
Idir est ce mélomane tragique. De l'or'dre et de l'harmonie du maître apollinien au rythme de flûte du berger dionysiaque, il nous a appris à la fois, grâce au premier les lois universelles, et a réveillé grâce au second le dieu Pan qui sommeille dans chaque Kabyle. Tous ces airs nostalgiques à la fluûte nous réconcilient avec la nature, avec nos champs et leurs esprits. Des airs de joie, avec un fond de mélancolie et de mélancolie avec un fond de joie. N'est-ce pas dans cette culture tragique en dehors du temps politique et historique que se trouve l'équilibre de notre société ? N'est-ce pas grâce à cette culture que nous avons réussi à traverser tous ce ssiècles obscurs que l'histoire nous a durement imposés ?
Rien ne lui manquait. Il avait outes les qualités humaines et artistiques. Ol nous a sauvé de la musique horizontale et monocoçrde, il a chanté avec les plus grands, il est peut-être l'un des rares à être reconnu en tant que Kabyle grâce à son travail et à son aura. J'ai presque envie de lui redire ces mots qu'un admirateur a dit un jour à Jean Ferrat «Monsieur Ferrat, vous avez de belles musiques, de beaux textes et une belle voix, vous n'avez aucun mérite !»
Aujourd'hui, le voilà parti rejoindre ses pairs. A la mort de MuHend U Yehya, il a commencé son hommage par cette belle citation de Jean-Louis Trintignant : « Ne pleure pas de l'avoir perdu, mais réjouis toi de l'avoir connu. » Nous te dirons la même chose aujourd'hui, cher disparu : Nous nous réjouissons de t'avoir écouté, et de t'avoir connu.
Ameziane Kezzar
Kamel Daoud
Qui est Idir ? Un artiste qui prouve ce que le pays, dans ses radicalités, ses errances et ses angoisses désapprouve cycliquement :
L'Algérie obsédée par l'Union
L’ Algérie est un pays obsédé par l’union, l’unicité, l’uniformité. On le sait, on le vit. Paradoxalement, cette obsession cultive en soi son contraire, ses diables intimes. De tout ce qui fait les grands courants idéologiques de cette terre malmenée, chacun, chaque famille politique ou culturelle, a tenté de faire son monopole à un moment ou un autre.
Cela nous a divisés, tués, éparpillés sur le chemin du développement et du bonheur et nous a dressés les uns contre les autres comme si, pour vivre, nous avions besoin de faire la guerre et de la refaire même à huis clos, même entre nous, même dans le ventre de nos mères, même avant de naître. Voilà donc que de l’islam, nous avons fait de l’islamisme. “Je suis Allah”, remplace Dieu, je suis l’islam remplace une religion et je suis la vérité, ce qui permet tous les massacres.
Beaucoup croient que leurs racines sont leur monopole
Mais ce n’est pas la seule accaparation : nous avons sur le dos ceux qui ont monopolisé la mémoire de la guerre d’indépendance, “la famille révolutionnaire”, le “je suis les chahids, le moudjahid, son fils, sa fille, son petit-fils”… etc. Et ceux qui ont tenté de définir l’amazighité par l’exclusivité, “la famille identitaire”, celle qui croit que les racines sont aussi un monopole pour fonder une supranationalité, une algériannité meilleure que celle des autres, une caste ou une race.
Faut-il faire l’inventaire des malheurs subis et des occasions ratées à cause de ces radicalités sans issues ? Faut-il tout rappeler de ce que nous avons perdu comme vies, comme temps à vouloir les uns jouer à Dieu, les autres aux martyrs et les derniers aux ancêtres ? De tous, personne n’a essayé de jouer le rôle de nos enfants à venir. Ni a endossé leurs chairs fragiles.
A force de cultiver la différence n’a-t-on pas cultivé la solitude ?
D’où Idir, son beau visage qui fait l’effet de la mer calme et voyageuse. Car c’est une vie qui a donné du sens à la vie. Une seule de ses chansons, avant tant d’autres, nous a ouvert au monde et a prouvé que l’universalité ne nous tue pas mais nous honore, nous fait participer au reste de l’humanité et ne nous dissous pas dans l’indistinct ou la traîtrise. De cette conviction profonde, l’homme eut le don d’un visage reposé, serein et en paix.
Les traits d’un homme tourné vers l’avenir. Ce qui nous manque cruellement ; ressembler à cet homme et comprendre qu’il y a une voie pour la guérison et que mieux que les militantismes haineux, les vanités reconverties en radicalités, le ghetto sublimé ou la nation hiérarchisée, il y a l’éloge à faire de la vie. Une guitare est allée plus loin que mille marches. Elle vaut dix mille discours.
Bien sûr le malheur fut long et coûteux mais le martyr autorise-t-il à regarder l’autre comme il vous regarde ? Permet-il de répondre à une exclusion par une exclusion ? À rêver d’une séparation à cause d’un rejet ? Faut-il faire de la douleur une caste et un repli et une illusion de supériorité sur les autres ? à force de cultiver la différence n’a-t-on pas cultivé la solitude ?
Voilà que la mort d’Idir nous rappelle la vie riche : il est possible de guérir et d’avancer, conquérir, créer au lieu de tourner en rond autour des tombes et des vérités mortes et des blessures. Voilà l’homme qui a compris que si la Kabylie a défendu l’amazighité elle peut aussi la tuer en l’enfermant, la séparant, en la dégradant en haut-parleurs, en une muraille, en emblèmes, ou un regard de mépris donné après le mépris subi.
Le gardien d'un trésor a-t-il le droit de s'en faire propriétaire ?
Le gardien d’un trésor a-t-il le droit de s’en faire propriétaire ? Nos meilleures enfants savent que l’amazighité est une nation, que la Kabylie est une région, entre dix ou mille autres. Idir a prouvé que cette amazighité est un univers et une universalité. On ne se souviendra pas de ses insultes car il n’en a pas proféré. Ni de sa théorie raciale, car il n’en a pas eu. Ni d’un militantisme méprisant et haineux, car il n’en a pas fait métier.
Ni d’une obsession du martyr ou d’une fixation sur la douleur car il a vu plus loin. Son algériannité a été la meilleure : elle n’a été ni régionaliste, ni de caste, ni autonomiste, ni victimaire, ni complotiste, ni traître, ni de souche, ni enfermée, ni exilée, ni amnésique, ni religieuse, ni fantasmée.
Son algériannité est possible pour tous. À la fin, dans sa tombe, c’est lui qui doit faire ce vœu que “puissions-nous un jour, enfin, vivre et se reposer en paix”. Bâtir l’Algérie au lieu de la chercher dans les tombes ou dans le ciel ou dans les montagnes. Car lui il a su le faire, de son vivant.
Par : Kamel DAOUD