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14 octobre 2020 Par Michel Lévy
Les états nations tels que nous les connaissons actuellement sont récents. Il y a peu, la plupart des peuples vivaient dans de vastes empires, comme l'empire Russe, Turque, Perse, Autriche-Hongrie etc... Les états nations ont démembré les empires pour faire naitre des états, souvent dans la douleur car les peuples vivent entremêlés et cultivent parfois des haines ancestrales.
Les Arméniens, issus d'un vaste royaume antique ont été refoulés au cours des siècles, ils ont contrôlé tout l'est de la Turquie actuelle, jusqu'à la Méditerranée ! leur histoire dramatique est faite de persécutions, dont la pire est le génocide de 1915, (Voir sur Mivy).
L'Arménie actuelle a des frontières dessinées par Staline, elles ne correspondent pas vraiment aux frontières ethniques. Un territoire arméniens important a été placé en Azerbaïjan en 1921 par Staline, c'est le Haut Karabakh ou Artsakh. Ce rattachement a entrainé la population d'origine arménienne à être victime d’une politique systématique de discrimination ethnique et d’épuration visant à sa disparition progressive. Mais ce n'était guère surprenant, déjà en 1918 des massacres d'arméniens ont lieu à Bakou, dans le Karabakh et dans le Nakhitchevan.
Avec l'affaiblissement de l'Union Soviétique, le Haut Karabakh a pris son indépendance, avant même l'Azerbaïdjan. Il s'est crée un mini état arménien, reconnu par personne, même pas par l'Arménie ! et qui a mis l'Azerbaïdjan en colère.
Une mini guerre civile est déclenchée, des violences sont organisées contre les arméniens d'Azerbaïdjan, de véritables pogroms ont lieu à Soumgait (1988), Bakou (1990), Marago (1992) faisant chacun des dizaines de morts, et entraînant surtout la fuite de 400 000 arméniens vers Moscou ou l'Arménie, pendant que 150 000 Azéris fuyaient l'Arménie.
A partir de 1993, la situation militaire s'inverse. Renforcés par des volontaires arméniens venus de la diaspora, et un rééquilibrage de l'appui Russe, les arméniens passent à l'offensive, libèrent tout le Haut-Karabakh et conquièrent en 9 % de l'Azerbaïdjan d'où se sauvent 900 000 Azéris, pendant que 400 000 arméniens fuyaient d'Azerbaïdjan. Si mes chiffres sont exacts, 800 000 arméniens ont abandonné leurs foyers, et 1 050 000 Azéris en ont fait autant. Le groupe de Minsk, composé de la Russie, des Etats Unis et de la France, chargé de trouver une solution au conflit n'a jamais réussi à mettre d'accord les deux belligérants.
Début 2020, le Nakhitchevan était Azéri et vidé de sa population arménienne depuis longtemps, alors que les arméniens contrôlaient non seulement le Haut Karabakh mais toute sa banlieue vidée de sa population Azérie. Aucun accord ne se profilait à l'horizon.
L’Azerbaïdjan serait plus homogène, si on oubliait les arméniens, il en reste encore dans le Haut Karabakh, mais la plupart des autres ont été poussés à partir.
Le nettoyage ethnique semble la règle dans la région, on chasse les occupants ancestraux, et on détruit tout ce qui rappelle leur existence. Ce fut le cas du Nakhitchevan, entre l'Arménie et l'Iran, territoire historiquement arménien. La population arménienne est passée de 60 à 2 % au cours du XXième siècle, et les traces de leur présence, les cimetières, les églises, et monuments sont détruits. Il faut noter que les Azéris accusent également les Arméniens d'en faire autant dans les territoires conquis.
Les Tatars du Caucase, autre nom ancien des Azéris, sont près de 9 millions dans leur pays, mais 15 millions en Iran, et cette importante minorité a des revendications autonomistes qui ne plaisent pas du tout aux Mollahs qui règnent à Téhéran, et qui redoutent un éclatement de leur empire.
Les Azéris d'Iran sont habitent le nord du pays, et jusqu'à Téhéran. Tabriz leur métropole a plus d'un million d'habitants. Ils sont plutôt bien intégrés dans le pays, ont un rôle important au bazar de Téhéran, et Ali Khomeneï est issu de leur communauté. Leur culture a été brimée sous le Shah qui voulait imposer la culture perse, pour cela, ils ont rejoint en masse la révolution Khoméiniste. Toutefois, cette adhésion a fait long feu, car ils n'ont pas obtenu l'autonomie désirée, ni le respect de leur culture. Il existe donc en Iran des mouvements séparatistes Azéris discrètement encouragés par Bakou. Certains rêvent d'un grand Azerbaïdjan, voir même d'un empire turque allant du Tukmenistan à la Turquie en passant par le nord de l'Iran.
Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan et Téhéran cultivent une méfiance réciproque en faisant bien attention de ne pas aller trop loin dans les provocations. Si la religion les réunit, si la présence de la même ethnie dans les deux pays peut servir de pont, l'Azerbaïdjan est foncièrement laïque, et son influence est nécessairement considérée comme nocive par Téhéran.
Il existe aussi en Iran une importante communauté arménienne, qui n'y est pas malheureuse. Les relations entre l'Arménie et l'Iran sont plutôt bonne malgré une méfiance ancestrale. Entre les deux pays passe la frontière entre l'Islam et la Chrétienté, qui rappelle des souvenirs tragiques. La confiance est relative.
Téhéran a donc choisi de soutenir l'Arménie, officiellement et discrètement.
Erdogan, le maître de la Turquie, continue la stratégie de ses prédécesseurs en niant la réalité du génocide des arméniens, et continue d'une part à vouloir Turquifier son pays, imposant la langue turque aux Kurdes, et en effaçant les traces des anciens occupants, dont les grecs et les arméniens. Il a rendu au culte islamique Sainte Sophie, qui n'est plus le musée de la tolérance, mais le symbole du triomphe musulman sur la chrétienté d'Orient.
Parallèlement, Erdogan s'active hors de ses terres, il envoie des navires de guerre escorter des bateaux chargés d'explorer les fonds marins afin de savoir s'il y a du gaz ou du pétrole dans les zones maritimes grecques ou Chypriotes. Il revendique un part du gâteau en s'appuyant sur la partie Turque de Chypre que ses prédécesseurs ont conquis.
Il s'oppose donc violemment aux Grecs. Il a pris part à la guerre de Syrie, et occupe un territoire de plus en plus grand dans ce pays, afin de chasser les Kurdes syriens de sa frontière, pour mieux mâter les kurdes turcs. Il prend part à la guerre civile Libyenne, en appuyant le régime de Tripoli, qui contrôle l'ouest du pays et qui est proche des frères musulmans, contre le Général Haftar, chef rebelle de Cyrénaïque (Est Libyen) soutenu par les occidentaux, les Russes, et les égyptiens.
Erdogan soutien et arme l'Azerbaïdjan, en qui il voit des frères turcs. Certains écrivent qu'il rêverait d'une grand Turquie englobant l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, le Turkestan... et pour réaliser ce projet il n'hésiterait pas à détruire l'Arménie, mais c'est plus un procès d'intention et un rêve qu'une réalité politique. En tout cas, la réduction de la sphère d'influence arménienne dans un pays turcophone entre bien dans sa logique d' Erdogan qui a toujours été hostile à l'Arménie.
Erdogan a déclaré le 2 octobre 2020 que "Jérusalem est notre ville" selon l'agence turque Anadolu, il faisait allusion à la situation avant la guerre de 1914, et il semble ainsi menacer directement Israël qu'il ne porte pas dans son coeur.
Cela n'empêche pas les affaires, sur les 44 pays de l'OCDE, la Turquie est le huitième client d'Israël, juste derrière la France, et le cinquième fournisseur,deux fois plus important que la France.
Beaucoup d'Arméniens accusent Erdogan d'avoir encouragé l'initiative Azéri de reconquête du Haut Karabakh. Il offre son soutient logistique, des avions, un F16 turque aurait été abattu par le système S300 russe au main de l'armée arménienne.
Erdogan aurait envoyé des centaines de combattants mercenaires islamistes syriens combattre au côté des Azéris. Le président Macron a dénoncé cette intervention.
Sans l'avoir souhaité, Israël est mouillé jusqu'au cou dans ce conflit.
Israël est en guerre avec l'Iran, depuis l'arrivée des Ayatollahs au pouvoir. D'immenses manifestations ont lieu régulièrement en Iran, ou l'armé piétine un drapeau israélien en criant "mort à l'Amérique", "mort à Israël". Beaucoup plus grave, l'Iran collabore avec la Corée du Nord, et prépare avec un certain succès des fusées intercontinentales, capables d'atteindre Israël et l'Europe, et elle s'acharne à mettre au point des bombes atomiques susceptibles d'être lancées sur Tel Aviv.
Depuis 2007-2008, L'Azerbaïdjan, peuplé avant tout de musulmans chiites, a établi des relations de confiance très forte avec les israéliens. Cela était possible, car l'Azerbaïjdan avait fait le choix de la laïcité, or la méfiance vis à vis d'Israël apparait aux yeux de nombreux musulmans comme le sixième pilier de l'islam. Pour les Azéris, la religion a peu d'importance. Ensuite, il n'y a pas de tradition antisémite dans ce pays, enfin Ilham Aliyev, président du pays est un autocrate, qui a suffisamment de pouvoir pour imposer ce que bon lui semble.
L'Azerbaïdjan y a tout intérêt, Israël est devenu un excellent client pour son pétrole, des compagnies israélienne gèrent son téléphone, des projets de développement communs sont alléchants, mais surtout, sur le plan militaire, Israël fournit à son armée, les moyens d'éviter le désastre qu'il y a subit en 1994. Grâce à Israël l'armée Azérie s'est bien modernisée et dispose de drones redoutables, dont certains sont montés sur place.
Pour Israël, cette alliance est stratégique, non seulement le pays y trouve un fournisseur de pétrole pas trop éloigné et un très bon client pour ses armes, mais surtout l'Azerbaïdjan est frontalière avec l'Iran. Les activités militaires israéliennes sont secrètes, mais on murmure que les grandes oreilles de Jérusalem sont à l'écoute de tout ce qui se passe à Téhéran, probablement aidé par des autonomistes iraniens azéris. On dit que d'anciennes bases Russes ont été confiées à Israël, qui aurait bati des infrasctructures souterraines, et en cas de conflit, les avions israéliens pourraient transporter beaucoup plus de bombes, car ils auraient besoin de moins de carburant.
Dans de telles conditions, Israël ne veut à aucun prix se fâcher avec Aliyev, Israël n'a pas poussé volontairement à la guerre, mais elle a donné aux Azéris le sentiment qu'ils seraient les plus forts, et encouragés par Erdogan, ils ont lancé une campagne militaire pour reconquérir le Haut Karabakh. C'est dramatique.
Les arméniens sont outrés, déçus, écoeurés, ceux qui vivaient en milieu arabe retournent vers l'antisémitisme traditionnel, les autres ne comprennent pas. L'Arménie venait de nommer un ambassadeur à Tel Aviv la veille de l'attaque Azérie, elle l'a rappelé en consultation. J'aurais aimé que les dirigeants israéliens, Nethanyahu et Ganz se prononcent, et rassurent la communauté arménienne, en particulier celle de Jérusalem, et lui expliquent qu'Israël n'a rien contre l'Arménie, et que ses bonnes relations avec l'Azerbaïdjan ne sont pas dirigés contre eux. Mais c'est le silence complet.
Plus grave, les arméniens sont seuls, par ce qu'ils sont pauvres, aucune grande puissance ne les appuie, ni l'Europe, ni les États Unis, ils n'ont pas de pétrole à offrir, enclavés, pas de moyens de chantage, leur situation m'évoque celle d'Israël en 1948.
Au fond, deux légitimités s'affrontent, d'une part l'intangibilité des frontières internationalement reconnues, et d'autre part le droit des peuples à disposer d'eux même. Si on admettait la légitimité arménienne, on risquerait des guerres à travers toute l'Afrique, ou les ethnies chevauchent les frontières, ils faudrait par exemple, démanteler l'Iran habitée par des peuples différents. La communauté internationale a peur des interminables guerres civiles que ce processus pourrait entraîner. Par contre quand les tensions ethniques deviennent trop violentes, comment s'assurer que la minorité n'est pas brimée, exclue, persécutée ?
Chacun chez soi en respectant le principe du libre choix des peuples à disposer d'eux même, c'est mieux que de voir des massacres de minorités par la majorité en colère. Les frontières divisent, mais aussi protègent, elles doivent être reconnues et acceptées à l'intérieur comme à l'étranger.
Quoi qu'il en soit, la guerre est le pire des moyens pour résoudre les conflits. La communauté internationale, le groupe de Minsk, Israël, souhaitent la fin des combats, même si tous ne sont pas d'accord sur la légitimité des positions des uns ou des autres. Vladimir Poutine semble prendre les choses en main, et réunir ces deux anciennes républiques soviétiques, afin d'obtenir la fin des violences.
Il a déjà réussis à obtenir une armistice, presque respectée quelques jours, mais la guerre a repris de plus belle. Quelle autorité aura la force et la volonté nécessaire et suffisante pour obliger les deux belligérants à poser leurs différents devant un cour de justice internationale, et à déposer les armes ?
Les familles qui habitent sous les bombes lui en seront reconnaissantes.
Michel Lévy
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