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Derière mise à jour
27-Sep-2024
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Souillée, rabaissée, assignée. « Arabe de service » ; « Arabe » parce qu’originaire d’Algérie, « de service » parce que je courberais l’échine, raserais les murs, serais la caution ethnique de l’inacceptable. Car exercer un métier consistant à confondre les voleurs, les escrocs, les violents, ferait de moi une traître, une vendue, une kapo.
Je tiendrais le fouet contre ceux que l’auteur de ces mots abjects estime ne pouvoir être que des Noirs et des Arabes. Evidemment, je suis une vendue contre les « miens », et puisque mon métier consiste à interpeller les délinquants et criminels, ces derniers ne pourraient être que de ces catégories ethniques. Drôle d’antiracisme... Horrible injure, malheureusement normalisée et ancrée dans l’esprit de l’auditoire de Taha Bouhafs.
Un auditoire qui le suit aveuglément, lorsque qu’il qualifie de discriminatoire la décision d’un maire d’une commune de banlieue d’interdire par arrêté « la consommation sauvage de la chicha tard le soir » aux pieds des immeubles d’un quartier populaire. Comme si les fumeurs ne pouvaient, encore, n’être que Noirs et Arabes. Et tant pis si cette décision municipale répond à une demande des riverains. Et tant pis si ces derniers sont eux-mêmes Noirs et Arabes et ne veulent pas voir à leur précarité, s’ajouter les incivilités nocturnes sous leurs fenêtres.
J’aurais été « mandatée pour fermer les yeux sur les actes racistes dans la police ». Après avoir enchaîné mensonges et propos tronqués tout au long des débats du procès qui m’opposait à lui, c’est ainsi qu’ont plaidé les avocats de sa défense. Ajoutant à leurs mensonges celui de me désigner dans leurs plaidoiries « porte-parole de la Police nationale » alors que je milite justement contre les dysfonctionnements de mon institution, et m’expose à la sanction disciplinaire chaque fois que je prends la parole ou la plume.
En réalité par cette insulte je suis jetée au sol, privée d’intelligence et de compétence professionnelle. Mes sacrifices ne compteraient pas. Mon travail non plus. Je suis une femme Arabe donc pour eux je serais sotte, et opportuniste, donc prête à toutes les humiliations pour une caresse de mon maître. Tout au long de ce procès, ce fut un déferlement de fake-news, calomnies, diffamations de sa part et de celle de ses avocats, concluant en chœur donc qu’ « Arabe de service n’était pas une injure raciste, mais une description de ma personne au pire maladroite ».
J’étais victime, mais je me suis finalement sentie sommée – la seule fois où j’ai pu prendre la parole – de me défendre de leurs accusations, de démontrer par une métaphore douteuse, que, non, ma jupe n’était pas trop courte et que je ne méritais pas cette main dégoulinante aux fesses. Sommée de narrer mon histoire familiale que je garde habituellement secrète par pudeur, simplement pour mettre fin à leurs souillures.
Je sais ce qu’est le racisme, je l’ai subi. Et si je n’en parle pas à tout bout de champs c’est qu’il s’agit d’une expérience guidant simplement mon action syndicale, professionnelle, associative, humaniste : contribuer à lutter contre les côtés sombres de l’humain.
Je sais ce qu’est le racisme, j’ai juste le défaut de ne pas en faire un fonds de commerce qui divise, de ne pas chercher de vengeance ou établir de nouvelles règles de dominations ethniques, le défaut de refuser de faire payer à mes concitoyens les crimes du passé de ceux que la Justice des Hommes n’a pas su rattraper, de ne pas avoir l’esprit colonisé. Le défaut aussi de ne réclamer que l’égalité – ni plus ni moins.
A 15 ans, dans un bureau décrépi de mon collège, malgré de bonnes notes, la conseillère d’orientation tentera tout pour me dissuader de choisir la voie générale et littéraire, au seul motif que mes parents étaient arabophones et donc incapables de m’aider. Elle fera le même discours à tous les petits Arabes du collège. Pour ma part, et malheureusement nous fûmes trop rares à le faire, j’ignorerai son injonction et décrocherai le baccalauréat trois ans plus tard.
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Nous serions des millions à avoir subi ce racisme. Des millions d’enfants disqualifiés par l’école et pour tout le reste du cheminement de leur vie. Taha Bouhafs le dénonce t-il ? Non, car il n’est pas antiraciste, il est anti-police.
A 19 ans, désormais orpheline, une douleur insupportable m’étreindra chaque jour. Durant deux ans, les médecins et infirmiers des urgences hospitalières du service public ignoreront mes symptômes, avec pour réponse constante : « Vous exagérez toujours les douleurs, vous n’avez pas si mal, on a l’habitude de ce type de complainte. ». Jusqu’à cette délivrance, et ce médecin libanais, en France depuis trois mois, appelé à mon domicile qui m’écoutera et comprendra. Deux minutes d’une oreille attentive m’enverront au bloc opératoire en urgence et me sauveront la vie. Il faudra attendre 2020, et un débat public sur le racisme chez le personnel soignant, pour que je mette enfin un nom sur ce mépris que j’avais subi vingt ans auparavant : le syndrome méditerranéen.
Nous serions nombreux d’après les témoignages à avoir subi ce racisme. Nombreux dont l’expression de la douleur a été jugée exagérée et dont la prise en charge a tardé. Taha Bouhafs le dénonce t-il ? Non, car il n’est pas antiraciste, il est anti-police.
L’Education Nationale, la Santé…. Deux institutions capitales dont l’action participe à la construction de l’individu et au sein desquels j’ai subi un racisme qu’il faut dénoncer. Mais jamais je ne pourrai les accuser de « racisme systémique », eu égard aux agents qui dans leur écrasante majorité fournissent un travail de bravoure monstre et bienveillant.
Bien des choses dysfonctionnent dans l’ensemble de nos institutions. Et en premier lieu, ce qu’il y a de bien systémique dans la Police nationale, c’est la lâcheté administrative, l’omerta, la couardise des autorités, les textes qui emprisonnent les agents placés tout en bas de l’échelle hiérarchique, la culture du silence et de la sanction de chaque policier qui dénonce le moindre comportement indigne. Pour tout : les harcèlements psychologiques et sexuels, le racisme, le sexisme, le management tyrannique et déshumanisant. C’est contre tout cela que je me bats en tant que syndicaliste. Je ne courbe pas l’échine, je ne rase pas les murs. Je combats un système dans lequel le policier n’est qu’un pion au service de chiffres tout puissants, de doctrines insensées, de politiques inopérantes, de gestion RH catastrophique.
Et lorsque Eric Fassin, cité par la défense, explique que le racisme est indissociable de l’Histoire et des drames de l’esclavagisme, de la colonisation, ou du métro de Charonne en 1962, il peine à démontrer que son ami n’est pas raciste. Quand il dit également que ce qui permet de définir le propos raciste n’est pas son auteur mais celui qui le reçoit, il démontre qu’il l’est. Parce que l’Histoire de France ne s’arrête pas aux années 60, elle s’écrit aussi aujourd’hui, à l’aune d’un passé inscrit dans la mémoire collective, pour empêcher que ne se réitèrent les graves erreurs, et tournée vers l’avant avec ce que notre pays a de nouveau désormais : des Français aux couleurs de peau et aux croyances diverses.
Taha Bouhafs, né à la fin des années 90, jouit d’une chance dont je n’ai pas bénéficié. J’ai été témoin de ces têtes d’enfants décapités ou de ce fusil d’un faux militaire sur la tempe de mon père, lors de la décennie noire en Algérie. Une expérience douloureuse qui posera les fondements de ma croyance, que sécurité, Etat de Droit et Liberté sont indissociables. Lui se rêverait en Ali la Pointe s’opposant à la police colonialiste dans les ruelles de la Casbah d’Alger, il est en fait un Français libre de penser et de s'exprimer, à vélo dans les rues de Paris.
Ma mère n’avait que six ans lorsqu’on lui a appris à noircir de suie son visage en entendant les véhicules des militaires français en permission débarquer dans son douar des hauts plateaux du Sétifi. Elle a eu beaucoup de chance, certaines de ses cousines beaucoup moins… Naïve, je lui demandais pourquoi leur communauté n’avait pas saisi la Justice pour sanctionner ces horreurs : « Parce que nous n’étions que des indigènes. » Mais pourtant, lorsqu’elle me racontait les récits de la guerre d’Algérie, elle s’appliquait toujours à ponctuer intelligemment sa parole par : « Je t’interdis de songer à la moindre vengeance sur tes contemporains innocents d’un temps qu’ils n’ont même pas connu. Elle sera non seulement inutile pour les victimes mais tu condamneras les suivants à ne jamais se sentir chez eux ici en France. Si nous avons traversé la Méditerranée, c’est pour vous offrir une vie décente. Alors charge à toi de contribuer à rendre ce pays dont tu es désormais citoyenne à être meilleur et juste, dans l’intérêt général, sans jamais distinguer la couleur de peau de l’humain que tu côtoies. »
Je suis Française, et si je ne formulais qu’une faveur à la Justice, qui délibèrera dans moins de trois mois, elle serait double, collective et personnelle. Collective, car je rêve qu’elle permette à tous ces jeunes noirs ou d’origine maghrébine qui tiennent un dossier de candidature pour intégrer la police de le faire avec la garantie républicaine qu’il ne sera jamais permis de les traiter d’Arabe de service ou de n*gre de maison. Personnelle, de m’autoriser à me recueillir sur la tombe - en Algérie - de celle que je chérie plus que tout et de lui dire : « Voilà, je suis Française, pas indigène. Nous avons enfin droit à la Justice. Vous n’avez plus besoin de mettre de suie sur vos visages. »
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ParLinda Kebbab sur sa page Facebook
Être syndicaliste ( dans la police ou ailleurs), c’est servir d’exutoire pour tes collègues, renoncer à ta carrière pour tremper le doigt dans les sujets qui fâchent, estimer qu’aucun supérieur n’est plus puissant que le droit du travailleur et que le meilleur outil est l’humain.
C'est prendre des coups-bas de ton employeur et de ceux qui n’apprécient pas que tu brises des omertas. C’est être tourmenté et avoir le cerveau qui mouline H24 tellement y a de problème à régler. Avec le sentiment que ces problèmes ne seront jamais réglés.
C’est aussi ne pas avoir de bonnes relations avec certains chefs mais préférer leur imposer le respect des règlements, de la loi et qu’ils prennent leurs patins managériaux.
Si tu es délégué syndical, que tu vis dans le confort professionnel, que t’as le sentiment d’avoir «réussi» ou du « pouvoir », d’être devenu quelqu’un d’important.
Si l’expression « faire carrière » au syndicat te parle, et si pour toi, il permet un déroulé promotionnel accéléré, que tu détournes le regard des injustices parce que c’est trop compliqué et « qu’on a toujours connu ça donc on va pas changer », si l’idée d’envoyer un supérieur ou l’employeur moral au tribunal t’es insupportable, et que tu songes à l’après - ton après- quand tu reprendras du service et ne veux pas te griller.
Si les mots « progrès, injonction revendicative, responsabilités, justice sociale, équité, discriminations, qualité de vie professionnelle, libertés,... » te sont inconnus, que ton immobilisme impacte - pour ne pas dire nuit- à la prise de conscience et à l’action collective.
Ps : Je me suis permis de corriger certaines maladresses de style sans rien changer au contenu de l'auteur.
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En tant que photographe/journaliste et militant (entre autres), je voulais apporter mon soutien total à Taha Bouhafs, cible d’une soi-disant polémique autour de son statut de journaliste.
Le gouvernement et les journalistes des médias appartenant à des milliardaires et grands groupes économiques voudraient délégitimer son travail et surtout légitimer la répression qu’il subit. En effet, pour ces gens, Taha ne serait pas un « vrai » journaliste car il serait « trop militant », car il prend partie active et ne cache pas ses engagements politiques.
Evidemment, il est beaucoup plus facile se faire passer pour un « journaliste neutre » quand on est chargé de véhiculer les idées dominantes, de défendre les gouvernements en place, quand on doit défendre les intérêts des puissants et l’ensemble de valeurs sur lesquels s’appuie cette société d’exploitation et d’oppression.
L’un des grands mérites des journalistes comme Taha c’est la sincérité de dire clairement depuis quel point de vue on parle et quels idées et intérêts on défend, contrairement à tous ces journalistes faussement « neutres ». Et cela n’est pas l’apanage de certains « journalistes de gauche ». Même parmi des courants de droite, libéraux et autres, des journalistes disent clairement de quel point de vue ils parlent.
En effet, alors que l’on peut exiger de l’objectivité à des journalistes, celle-ci ne se confond pas avec la « neutralité », présentée fausse comme un synonyme de « vérité » alors qu’elle n’est qu’une fable inventée afin protéger les intérêts des classes dominantes qui ont la capacité matérielle d’imposer leur point de vue et idéologie comme étant « la vérité ».
Concernant le soi-disant débat sur l’incompatibilité entre le journalisme et militantisme, on pourrait rappeler que rien que pour le mouvement ouvrier et révolutionnaire il y a des exemples d’énormes journalistes militants. Je ne m’attarderai que sur un parmi eux.
Le nord-américain John Reed a été un excellent journaliste, correspondant des guerres balkaniques de 1912-1913 et de la Première Guerre Mondiale mais aussi témoin direct de la révolution russe de 1917. Reed a été l’auteur de l’un des plus passionnants récits de la révolution d’Octobre, « Les dix jours qui ébranlèrent le monde ». Reed était un militant communiste, révolutionnaire et internationaliste ; il a fait partie de la délégation qui a participé au congrès des peuples d’Orient à Bakou en 1920. John Reed a donc été un grand journaliste et un militant communiste.
Cette polémique ne vise donc qu’à discréditer le travail de tous ces journalistes qui ne se vendent pas aux puissants, qui défendent ouvertement le point de vue des exploités et des opprimés, qui souvent font leur travail sans recevoir un salaire pour cela, sur le temps libre que d’autres emplois leur laissent. Il s’agit d’une « polémique » menée par des ignorants cyniques et qui menée jusqu’au bout implique une attaque à la liberté de presse.
Pour finir, je voudrais rappeler que Taha est celui qui a filmé Benalla en train d’agresser des manifestants, celui qui a filmé aussi beaucoup de violences policières ces derniers temps dans les manifestations mais aussi celui qui couvre beaucoup des actions des grévistes actuellement en lutte contre la réforme des retraites, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous (à droite) où je le capte en train de couvrir la conférence de presse des grévistes contre les violences policières.
Pour tout cela, et plus, je tiens à apporter mon soutien au journaliste Taha Bouhafs.
Taha Bouhafs est né en 12995 à Aïn-beida (Algérie). La famille Bouhafs immigre à Échirolles, près de Grenoble, alors que la guerre civile algérienne entre dans une phase de refroidissement. Ses parents professeurs ne peuvent retrouver un emploi équivalent dans l'Hexagone et finissent par exercer des métiers non-qualifiés pour subvenir aux besoins de Taha et de sa soeur jumelle.
De coups d'éclat en provocations, le journaliste rejoint Gaspard Glanz et David Dufresne (pour qui son homologhique est " La relève dans la profession") au rang des martyrs antifas de la liberteé d'informer. A la croisée des mouvements sociaux et communautaires, le juene Bouhafs mène habilement sa barque en rêvant de ses lendemains qui chantent à lui, un soulèvement des banlieues sous la bannière du croissant islamique. Et il ne recule ni devant les fakes news éhontéers, ni devant une violence verbale peu commune sur les réseaux sociaux pour porter cette sixième république sur les fonds baptismaux.
Le jeune Bouhafs quitte l’école et sa famille à 16 ans. Il accumule les petits boulots en ayant pour seul horizon, selon ses dires, « de ranger des surgelés à Carrefour ».
Le vendredi 20 avril 2018, les CRS évacuent les étudiants qui occupent les locaux de l’Université Paris I Sorbonne depuis trois semaines, à l’occasion des manifestations contre la loi ORE qui instaure une sélection à l’entrée de l’université. Il affirme alors qu’un étudiant serait mort suite à l’intervention des policiers et qu’on verrait même « du sang partout ». Cette fausse information, relayée principalement par le média d’extrême-gauche Reporterre, est démentie par la préfecture de police dans un premier temps, puis par CheckNews, l’équipe de fact-checking de Libération, qui met en doute la fiabilité des témoignages. Alors qu’un second article du même quotidien rapporte que le témoin principal, militante insoumise, aurait reconnu avoir menti, Bouhafs persiste et signe, accusant Libération de répandre « mensonges et calomnie » sur son profil Facebook. Il reconnaît toutefois son erreur de mauvaise grâce et déclare notamment à France 24 que “cette erreur est un acte fondateur pour moi, j’ai changé de démarche depuis ». Pour ne rien gâter, Taha Bouhafs est également aperçu sur une vidéo où il s’interpose entre un policier et une manifestante avant de hurler « Vous êtes des grosses merdes ! » au nez de ce dernier.
Présent lors d’un apéro militant place de la Contrescarpe, le jeune militant capture sur son smartphone l’intervention musclée des CRS et la publie sur Twitter. On y voit notamment un homme, habillé en civil et coiffé d’un casque de moto, maîtriser virilement un manifestant et le plaquer au sol. Deux mois et demi plus tard, Ariane Chemin, dans un article du Monde, divulgue l’identité de ce mystérieux personnage, qui n’est rien de moins que l’homme de main du président de la République, Alexandre Benalla. Bouhafs, à son grand regret, n’est pas crédité dans l’article, mais cette heureuse coïncidence va signer le début de sa carrière prometteuse de vigie d’extrême-gauche.
En juin 2019, il est interpellé alors qu’il couvre une manifestation de travailleurs sans-papiers devant le centre Chronopost de Champs-sur-Marne qui les employait illégalement. Il aurait entravé l’action des forces de l’ordre et a par la suite résisté à son interpellation, exactement comme à Villeneuve-la-Garenne quelques mois plus tard lors du confinement. Suite à l’interpellation, il souffre d’une luxation de l’épaule et son téléphone est mis sous scellés. Cette arrestation est à l’origine d’une levée de boucliers d’une grande partie de la profession, qui dénonce à l’unisson cette interpellation abusive qu’elle considère être une atteinte à la liberté de la presse. La tribune du Monde est signée par pas moins d’une vingtaine de sociétés de rédacteurs : AFP, Arte, BFMTV, Courrier international, Les Échos, L’Express, France Culture, Franceinfo.fr, France 24, L’Humanité, Libération, Mediapart, Le Monde, L’Obs, Sud Ouest, Télérama, TV5 Monde, la rédaction des Jours et la rédaction de Reporterre. Alors qu’il est inculpé pour outrage et rébellion, une lettre de l’IGPN disculpant Bouhafs et attaquant le dossier de l’accusation est opportunément transmise au juge. Bouhafs est tiré d’affaire.
Bouhafs a vent de la présence d’Emmanuel et de Brigitte Macron au théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Il s’installe quelques places derrière eux et annonce sur Twitter la présence du couple présidentiel au théâtre, photo à l’appui : « Je suis actuellement au théâtre des Bouffes du Nord (métro La Chapelle). 3 rangées derrière le président de la République. Des militants sont quelque part dans le coin et appellent tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… La soirée risque d’être mouvementée ». À l’issue de la représentation, alors qu’il filmait l’évacuation des manifestants qui avaient pénétré par effraction dans le théâtre sous les coups de 22h, le reporter est interpellé et placé en garde à vue. La juge d’instruction lui accorde le statut de témoin assisté à l’issue de sa garde à vue, dans le cadre d’une information judiciaire pour « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou dégradations » et « organisation d’une manifestation non déclarée ».
Après que Valeurs a publié un article mettant en lumière l’affinité profonde qui unit Assa Traoré et Taha Bouhafs, au point que ces deux révolutionnaires publient des clichés de leurs vacances bien méritées dans la région de Marseille sur Instagram, Bouhafs voit rouge. Il qualifie l’auteur de l’article de « pseudo journaliste » et précise qu’il n’a « pas de leçon d’antiracisme à recevoir de propagandistes d’extrême droite qui se pignolent sur ce sous-humain de zemmour ». Fait rare pour être signalé, il supprime le tweet devant le tollé suscité par l’emploi d’un terme qui jure quelque peu avec les traditions de l’extrême-gauche, surtout si on le traduit en langue tudesque.
Bouafs divise même dans son propre camp, et gare aux moutons noirs qui mettent en péril le récit hagiographique de la sainte de l’antiracisme officiel Assa Traoré. C’est ce qu’a appris une militante à ses dépens quand elle a osé critiquer l’opportunisme de la porte-parole du clan Traoré, accusée de vouloir s’accaparer entièrement la lutte contre les violences policières. (au détriment d’associations parfois plus anciennes et mieux implantées) et d’en retirer des bénéfices financiers. Comme le rapporte Valeurs Actuelles, l’impétrant aurait envoyé des messages fleuris à cette militante : « Ça veut porter plainte contre un frangin [ndlr, Youssouf Traoré, qui avait menacé les voix dissidentes par messages privés] déjà incarcéré. Bien les militants 2.0. […] Je [ne] parle pas aux collabos, va te cacher et ne te dis plus jamais militante, vieille folle ». Mettre en lumière les combines du clan Traoré est aussi défendu que de manger un sandwich dans la rue pendant le ramadan et vaudra la même sanction, y compris pour les frangines !
Le premier engagement militant qu’il confesse est celui de la participation aux manifestations contre la Loi Travail à Grenoble. Constatant l’absence d’individus partageant son profil sur place, il crée la Commission « Quartiers Populaires » de Nuit Debout Grenoble. Sa frustration ne s’atténue pas pour autant :
« Je voyais passer les féministes, les écolos, tout le monde. Certains trucs me rendaient complètement ouf ! On me parlait de planter des carottes, alors qu’il y avait des gens qui mouraient de violences policières chez moi ! Je craquais ! ».
Le jeune homme prend son mal en patience et finit par prendre sa carte à La France Insoumise. Il se présente sur la liste du parti de Mélenchon dans sa ville natale (deuxième circonscription de l’Isère) en 2017, arrive troisième avec 12 % des suffrages. L’équipe du candidat LREM lui reproche de venir perturber des réunions publiques, tant et si bien qu’il provoque une altercation en pleine rue avec un militant LREM, même s’il clame être la victime de ce coup de sang. Il finit par porter plainte contre le militant qui l’a pris à partie.
Il met en pratique son art consommé de la provocation lors de l’Université d’été du parti à l’été 2019, alors qu’il tronque et diffuse une phrase prononcée par l’historien de la laïcité Henri Peña-Ruiz : « on a le droit d’être islamophobe ». Cette initiative agace passablement les cadres du parti et Bouhafs n’aura d’autre choix que de s’éloigner graduellement des Insoumis, chez qui il n’est plus vraiment en odeur de sainteté.
Il est également l’un des organisateurs de la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre, initiée en bonne part par le CCIF et soutenue par Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, qui faisait suite à l’attentat raté sur la mosquée de Bayonne. « Peu d’hommes politiques ont pris la parole à l’issue de la manifestation, même si Jean-Luc Mélenchon a été acclamé par la foule aux cris de « Mélenchon président ! » La France Insoumise serait en négociation avec le principal architecte de cette marche, Madjid Messaoudene, conseiller municipal à Saint-Denis, pour qu’il y porte les couleurs du parti aux élections municipales de mars prochain. Interrogé par La Vie, Eric Coquerel, député FI de Saint-Denis, a refusé de démentir cette rumeur. » (La Vie)
Le journaliste-militant est proche d’activistes indigénistes et islamistes appartenant au Comité « La Vérité pour Adama ».
Youcef Brakni, porte-parole du comité, est un ancien militant des Indigènes de la République et du Mouvement Islamique de Libération, très actif dans sa ville de Bagnolet où il est connu pour avoir cité des passages du Coran lors du conseil municipal et invectivé violemment des élus qui y siégeaient. « Il fut candidat pour “Français et Musulmans” aux législatives 2017 en Seine-Saint-Denis, soutenu, là encore, par Youcef Brakni. Mélangeant allègrement religion et politique, le parti organisa un meeting politique dans une mosquée de Montreuil le 25 février 2017, avec pour représentants Jimmy Parat et Youcef Brakni aux côtés de Noureddine Aoussat, un imam-prêcheur ultra conservateur, au mépris de l’article 26 de la loi de 1905. » (Naëm Bestandji)
« Entre 2011 et 2013 par exemple, sous la précédente mandature, de nombreux équipements municipaux (cinéma, gymnase, salle, etc.) ont été mis à la disposition de Youcef Brakni pour ses activités militantes. Sous la houlette de son association, le Groupe des associations de Bagnolet (GAB), il organise ainsi la venue du gratin de l’islamo-indigénisme dans la ville. Avec la bénédiction du maire Marc Everbecq, des personnalités telles que la porte-parole du parti des Indigènes de la République Houria Bouteldja, Tariq Ramadan ou encore l’ancien directeur du CCIF Marwan Muhammad — pour ne citer qu’eux — tiennent durant des heures le crachoir. En 2012, c’est à l’occasion d’un de ces événements intitulé “Printemps des quartiers populaires”, que Bouteldja déclare : « Mohamed Merah, c’est moi. » (Valeurs Actuelles)
Madjid Messaoudene est la stricte réplique de Brakni dans la ville de Saint-Denis. À ceci près que ce dernier a réussi à siéger au conseil municipal, tout en étant délégué à l’égalité et à la lutte contre les discriminations, ce qui lui confère un pouvoir de nuisance plus important encore. Proche du CCIF et de l’idéologie frèriste, il a contribué à faire de Saint-Denis le camp de base de la mouvance décoloniale. « L’homme facilite aussi l’organisation de réunions publiques à Saint-Denis, rassemblant la fine fleur de la sphère « décoloniale ». Lieu privilégié de ces raouts : la Bourse du travail. Elle a accueilli le congrès fondateur du Parti des indigènes de la République (PIR) en 2010, un meeting du PIR et de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, émanation des Frères musulmans) le 18 décembre 2016… Le 11 décembre 2015, un mois après les attentats de Paris, Madjid Messaoudene réunissait tout ce petit monde, avec Tariq Ramadan en invité vedette, pour une réunion « contre l’islamophobie », évidemment, mais aussi pour dénoncer des interventions policières accusées de « choquer les habitants »… Comme celle du 18 novembre, où les forces de l’ordre ont appréhendé les terroristes islamistes. » (Marianne)
Il est à l’origine de la défaite électorale du maire sortant de Saint-Denis, Laurent Russier (PCF), car l’alliance entre les listes PCF et LFI supposait que son nom soit effacé de la liste des Insoumis. Saint-Denis, communiste depuis la Libération, tombe ainsi dans l’escarcelle du PS.
Daniel Mermet : l’ancien totem trotskyste de France Inter, proche du FLN dans sa jeunesse, séduit par la fougue de l’agitateur, décide de l’engager comme reporter à Là-bas si j’y suis après avoir entendu parler de lui suite à la diffusion de la vidéo de Benalla. « Après l’avoir reçu dans son émission enregistrée à la Fête de l’Humanité en septembre 2018, il lui donne sa chance à partir du 8 décembre. » (Libération) Une fois son embauche effective, il commence par couvrir les manifestations des Gilets jaunes pour le média.
Arié Alimi : avocat juif algérien originaire de Sarcelles et membre du comité central de la Ligue des Droits de l’Homme, sa conscience politique s’affirme à Assas, alors même que la faculté est traversée par des tensions entre le GUD et l’Union des Etudiants Juifs de France, auquel il appartient. Il défend Taha Bouhafs, ainsi qu’une flopée de militants d’extrême-gauche ou pro-palestiniens. Ses combats le font passer pour un « juif honteux » aux yeux de la communauté juive française. « J’essaie simplement de véhiculer une autre vision du judaïsme, qui a déjà existé : un judaïsme éclairé, rationnel, libéré des peurs et des crispations identitaires. Ma défense de Nabil Koskossi, mes liens d’amitié avec le journaliste Taha Bouhafs, avec des gens du Comité Adama, avec des militants qui ont des affinités avec la cause palestinienne, ma participation à l’organisation de la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie… Tout cela m’a valu des cris, des insultes. Mais l’essentiel est de casser les préjugés, les paranoïas, de jeter un pont entre les deux rives. Je veux contribuer à cela, fût-ce modestement. » (Ballast)
Danièle Obono et Eric Coquerel : la première est députée du 18e arrondissement de Paris et le second de Seine-Saint-Denis. Ils sont tous deux représentants d’une attitude complaisante vis-à-vis de l’islam politique au sein de LFI. « La France insoumise est à la recherche des voix des “quartiers”. Éric Coquerel, député insoumis, estime que c’est là que se trouvent les 600.000 bulletins qui lui ont manqué pour accéder au second tour de 2017. “Il faut que les candidats du 93 aient la couleur de peau des gens qui vivent dans le 93.” affirme même M. Coquerel. » (Marianne) Ils apportent leur soutien au journaliste autoproclamé à chaque fois que celui-ci rencontre des ennuis judiciaires. Il a même été choisi par Coquerel, aux côtés de son frère de lutte Youcef Brakni, pour organiser les « États généraux des quartiers populaires » à Épinay en novembre 2018. Il se rend également, accompagné de ses camarades « indigénistes communautaristes » aux vœux d’Éric Coquerel trois mois plus tard à l’Ile-Saint-Denis.
Mehdi Meklat : proches dans la vie, Bouhafs aurait passé des essais pour incarner son ami dans un film retraçant l’affaire Meklat qui doit être réalisé par Laurent Cantet.
Aude Lancelin : la passionaria de l’extrême-gauche a appelé à libérer Bouhafs, selon elle « embastillé pour un tweet » après qu’il ait été placé en garde à vue suite à l’épisode des Bouffes du Nord. Ce dernier figurait parmi les cosignataires du manifeste de son nouveau média, Quartier Général, qu’elle a fondé dans la foulée de son éviction du Média.
« Sale sioniste veut dire sale juif ? Sacré Benoit, c’est bientot le dîner du CRIF, et t’as pas envie d’être privé de petits fours, je comprends. », Twitter, 18/02/2019.
« Certains m’ont proposé le job en me demandant d’être moins militant. Mais il y a toujours un regard sur l’info, je les trouve hypocrites. J’ai refusé. », StreetPress, 19/02/2019.
Au sujet de Nuit Debout : « C’était une ultra-politisation hyper rapide ! Et puis je n’avais jamais vraiment discuté avec des blancs. Les seuls que je connaissais, c’était mes profs ou la police. Que des relations conflictuelles. », Idem
« Les keufs essayent de m’empêcher de filmer. Me poussent. Un premier n’a pas de matricule. Un deuxième n’a aucune distinction de police, il me pousse sur quinze mètres et me met un coup de poing au torse. Je m’énerve contre eux. Ils décident de m’embarquer. L’un d’entre eux me chope le bras. Je lui dis qu’il va me péter l’épaule. Il continue. Mon épaule s’est déboîtée dans ses bras. J’ai hurlé de douleur. Ils m’ont quand même mis par terre, l’un avait un genou sur mon ventre, l’autre sur mes jambes, l’autre sur ma tête. J’avais du mal à respirer. », Les Inrockuptibles, 14/06/2019.
Au sujet de la fake news de Tolbiac : « Je n’étais pas journaliste à ce moment-là et je ne pensais pas que j’allais le devenir. Moi j’y ai cru parce que j’avais toutes les raisons d’y croire. Dans le contexte des violences de l’évacuation, je suis tombé dans le panneau. Ça m’a appris une chose : c’est de vérifier, de recouper et pas de seulement croire les gens sur parole. A l’époque, je filmais les manifs sur Twitter. Ce n’était pas une démarche journalistique assumée. J’ai été trompé comme le Média, comme Marianne, comme Reporterre.», Libération, 20/06/2019.
« Les pouilleux de Charlie Hebdo n’existent qu’à travers notre indignation. Cessons de commenter leurs unes dégueulasses et ils cesseront d’être. », Twitter, 30/10/2019.
« Dans ce téléphone, assure-t-il à “Quotidien”, il y a une vidéo terrible. On voit un président de la République ainsi que la première dame prendre leurs jambes à leur cou. Ils courent. Ils fuient des gens qui sont rentrés dans le théâtre et qui viennent leur demander des comptes. Cette image, elle est terrible. Elle est dans ce téléphone et j’ai peur que cette vidéo disparaisse. », L’Obs, 21 janvier 2020.
« Il lui a demandé de partir. Peut-être qu’ils se sont pris par le bras… Il lui a dit : Pourquoi tu es là ? Pourquoi tu dis des choses par derrière ? [Taha Bouhafs aurait notamment dit ou repris cette phrase : “Macron, c’est une banane”, ndlr]. Il n’y a pas eu d’agression comme il le dit. […] Ma réaction est de ne pas réagir à cette provocation. C’est un incident qu’il est venu créer lui-même pour se faire de la pub et pour, derrière, venir gonfler quelque chose qui n’existe pas. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça. », Jean-Charles Colas-Roy, Place Gre’net, 04/06/2017.
« un véritable Rouletabille radical, c’est-à-dire qu’il est partout où il faut. Il a une vision de journaliste mais évidemment au service d’un militant politique. Moi je suis assez halluciné du sixième sens qu’il a: il est partout où il faut être » Eric Coquerel, Le Courrier de l’Atlas, 13/12/2018.
« Quand l’été dernier, je découvre la vidéo de la Contrescarpe, je regarde qui a filmé. Taha Bouhafs est un militant de La France insoumise, mais pour moi, il est alors le garçon qui a inventé un mort à Tolbiac. Donc je suis méfiante. Je cherche à récupérer d’autres images de la scène, je contacte des manifestants présents », Ariane Chemin, Society, juin 2019.
« Il fume depuis qu’il a douze ans — désormais “tous les jours” — du tabac Adalya de préférence, et c’est au filtre de cette vapeur aromatisée qu’il analyse les rouages du monde qui l’entoure. […] C’est donc logiquement autour d’un narguilé, dans le Xe arrondissement, qu’on retrouve Taha Bouhafs ce 13 juin. Il est 18 heures, et le reporter a un petit creux. Il faut dire qu’il se lève rarement avant 13 heures : “Le matin, je connais pas”, rigole-t-il. », Les Inrocks, 14/06/2019.
« Les vieux cons vous saluent bien et préfèrent abandonner ce métier plutôt que de s’associer par lâcheté corporatiste à une pétition qui fait semblant de croire que ce monsieur est journaliste. Il a le droit de s’exprimer en tant que militant mais il n’est pas journaliste », Fabien Namias, Twitter, 15/06/2019
« Grand amateur d’assignations identitaires, ne pouvant concevoir que des Français d’origine maghrébine aient l’outrecuidance de condamner les dérives de l’islam politique – on se souvient de son « arabe de service » à l’attention de l’historien Nader Allouche, ou encore de ses algarades twitteriennes contre les « collabeurs » Majid Oukacha, Zohra Bitan ou Zineb el Rhazoui – Taha Bouhafs pratique également le cyberharcèlement. Voire même le « doxxing », cette pratique qui consiste à dévoiler et diffuser les coordonnées personnelles d’une personne, dans l’optique de la livrer en pâture aux réseaux sociaux. La même Zohra Bitan, chroniqueuse des Grandes Gueules sur RMC, en a d’ailleurs fait les frais en juillet 2019. », Valeurs Actuelles, 18/01/2020.
« «Touch’mwa pas», alias #TahaBouhafs, roquet islamiste, harceleur et doxxer en ligne, appelle au lynchage du président @EmmanuelMacron avant de se victimiser au titre de la liberté d’expression. Une liberté qu’il combat lorsqu’il s’agit de critiquer l’islam. #FichezSTaha », Zineb El Rhazoui, Twitter, 18/01/2020.
« À l’issue de ce retour sur le parcours du jeune homme, une question s’impose : jusqu’à quand la France va-t-elle tolérer qu’un parfait petit soldat de la haine anti-flic, qui ne cesse de violer les lois et de souffler sur les braises de la guerre civile se cache derrière l’étiquette de journaliste ? Autrement dit, quand l’enfumage Taha Bouhafs prendra-t-il fin ? Faudra-t-il attendre que des émeutiers tuent des policiers et des gendarmes à l’arme lourde pour que l’on arrête de prêter l’oreille à tous les charlatans qui entretiennent un climat de détestation envers eux et les lois françaises qu’ils représentent ? », L’Incorrect, 23/04/2020.
Publié le 22/01/2020 - mis à jour le 22/01/2020 Actu Juridique.fr
Vendredi 17 janvier 2020, au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, on donnait La Mouche. Taha Bouhafs qui se qualifie de « journaliste des luttes » signale sur Twitter qu’il est assis trois rangs derrière le président de la République Emmanuel Macron.
Il précise : « Des militants sont quelque part dans le coin et appellent tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare la soirée risque d’être mouvementée ». Puis dans un autre tweet, il demande sur le mode de la plaisanterie s’il doit lancer une chaussure sur le président. A l’extérieur du théâtre, une manifestation contre Emmanuel Macron s’organise.
Taha Bouhafs est arrêté à la sortie, puis placé en garde à vue pour, selon l’AFP, «participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations». Taha Bouhafs sera finalement relâché et placé sous le statut de témoin assisté. La personnalité complexe de l’intéressé, à mi-chemin entre politique et journalisme, suscite la polémique et pose notamment la question de savoir ce qu’est un « journaliste professionnel », juridiquement ? Des éléments de réponse avec Emmanuel Derieux, professeur à l’université Panthéon-Assas et auteur de Droit des médias, droit français, européen et international.
Emmanuel Derieux : Il existe, en droit français, au moins deux définitions du « journaliste professionnel ». La première est celle de l’article L. 7111-3 du Code du travail qui pose qu’« est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse, et qui en tire le principal de ses ressources ». Le même article détermine la condition supplémentaire, liée à la perception de « rémunérations fixes », en tant que salarié ou mensualisé (distingué, dans ce cas, des « pigistes » rémunérés à la tâche, en fonction du nombre et du volume de leurs contributions), qui permet à un « correspondant » (pas davantage défini ou identifié) de se prévaloir de la qualité de « journaliste professionnel ».
En dépit du caractère imprécis et incomplet d’une telle définition, l’article L. 7111-4 du même Code, accroissant la confusion, assimile, « aux journalistes professionnels », pourtant bien mal définis, « les collaborateurs directs de la rédaction» dont il énumère diverses fonctions. Certaines ne correspondent pratiquement plus aujourd’hui à des situations ou activités réelles (telles que celles de « sténographes rédacteurs »), tandis que, du fait de l’évolution des techniques (audiovisuel, services numériques) et de leurs usages, d’autres probablement sont apparues.
ED. : Elle figure à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881. Elle y a été introduite par la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du « secret des sources des journalistes ». A cette fin et de manière quelque peu différente et un peu plus précise et explicite que ce que pose le Code du travail, y est considérée comme « journaliste (…) toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ». Notons que le texte évoque alors le « journaliste », sans le qualificatif de « professionnel »
ED. : Aux termes de l’article L. 7111-5 du Code du travail, « les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique » (radio, télévision, services de presse en ligne) « ont la qualité de journaliste professionnel ». S’agissant des « services de presse en ligne », l’actuel article 1er de la loi du 1er août 1986, relative au statut des entreprises éditrices de presse, pose que, « pour les services de presse en ligne présentant un caractère d’information politique et générale », la reconnaissance de cette nature entraîne leur soumission à certaines obligations spécifiques et leur admission au bénéfice de certains avantages (en matière d’aides de l’Etat, sous forme d’un régime fiscal notamment). Encore faut-il que de tels services emploient, « à titre régulier, (d’)au moins un journaliste professionnel au sens de l’article L. 7111-3 du Code de travail ». C’est donc parce qu’ils emploient « au moins un journaliste professionnel » que ces services peuvent se prévaloir de cette nature ou qualité. Et c’est parce qu’ils y travaillent que certains peuvent prétendre au statut de « journaliste professionnel ». Compte tenu de ces différents éléments, les journalistes étant ceux qui font du journalisme et le journalisme étant l’activité des journalistes, de telles définitions sont tautologiques et assez insatisfaisantes.
ED. : L’appartenance à cette catégorie de « journaliste professionnel », au sens du Code du travail tout au moins, est attestée par l’attribution d’une « carte d’identité professionnelle ».
Celle-ci est délivrée par une Commission composée, pour moitié, de représentants des employeurs et de représentants des journalistes. Ne constituant pas une condition d’accès à la dite « profession », la détention de cette carte atteste cependant qu’il a été considéré que l’intéressé(e) satisfait aux éléments, fort imprécis et incomplets, de la définition légale du « journaliste professionnel » (tels que précédemment mentionnés : « activité principale, régulière et rétribuée », au sein d’un média et en tirer « le principal de ses ressources»).
Mais il est possible d’exercer cette activité et d’être reconnu comme journaliste, sans avoir la carte de presse. De même que la détention de cette carte peut être contestée et remise en cause. La question peut être soumise au tribunaux, dans le cadre de litiges opposant des individus se réclamant de la qualité de journalistes et des employeurs, ou encore entre ces mêmes individus et l’administration fiscale. Cela donne lieu à des décisions des juridictions judiciaires ou administratives qui peuvent apparaître assez incertaines sinon incohérentes et contradictoires en raison même de l’imprécision des textes.
ED. : En principe, une « profession » se caractérise par des exigences de formation et de compétences identiques ou partagées, des similitudes dans les activités exercées, le respect de règles communes garantissant la qualité du service rendu et conditionnant la confiance accordée par le public, un contrôle d’accès… Mais la volonté, au nom du principe de « libre communication des pensées et des opinions », consacré par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de faire du journalisme une « profession ouverte », librement accessible par tous, semble interdire, aux yeux de certains, toute condition ou préoccupation de ce type. Cela résulte en réalité d’une confusion.
Ce n’est pas la même chose en effet de jouir d’une liberté ou d’exercer une « profession ».
Est-il légitime de revendiquer le statut de « professionnel », et les protections et les avantages qui y sont liés, sans en supporter les contraintes et les obligations ? Toute la difficulté de définir le journalisme tient dans la très grande variété de ses formes et lieux d’exercice.
ED. : Au-delà des définitions légales imprécises et incomplètes, les juges ont notamment dû préciser qu’il s’agissait d’un travail, de type intellectuel, de collecte, traitement, mise en forme… d’informations en relation avec des faits ou événements d’actualité. Même la définition de l’activité de l’entreprise pour laquelle travaille le journaliste n’est pas un critère absolu. Il est ou non admis, par la jurisprudence, que l’entreprise (SNCF, FNAC, syndical professionnel, institution publique…) peut ne pas relever de la « branche » ou du secteur de l’information, et toutefois employer des personnes pouvant invoquer leur qualité de journaliste dès lors que, en son sein, une certaine indépendance est accordée à ceux qui y contribuent.
ED. : En effet. Travailler au sein d’une rédaction, dans une entreprise, bénéficiant ainsi de l’appui et de la reconnaissance d’une collectivité, constitue assurément une condition de la confiance accordée par le public, sinon un label de qualité. Par ailleurs, la loi du 14 novembre 2016 a introduit un article 2 bis dans la loi du 29 juillet 1881 qui fait désormais obligation aux médias qui emploient des journalistes d’élaborer une « charte déontologique » au respect de laquelle chacune des parties s’engage. C’est assurément là une condition et composante du caractère professionnel de l’activité exercée et de la confiance que le public est susceptible de leur accorder.
ED. : Pour pouvoir se prévaloir de la qualité de « journaliste professionnel », cette activité, mal définie, doit être, pour l’intéressé(e), son occupation « principale, régulière ». De cette activité « rétribuée », l’intéressé(e) doit, de plus, tirer « le principal de ses ressources », par rapport à d’autres revenus professionnels. Ces « ressources », fixes ou variables, selon les conditions d’exercice de l’activité, en tant que « mensualisé » ou « pigiste », doivent être la contrepartie du travail accompli. Outre leur montant, la transparence et l’identification de l’origine de ces revenus et de l’identité de celui qui les verse est une condition et garantie de l’indépendance de ceux qui les perçoivent et de la confiance qui leur est accordée par le public.
Cela pose la question de la rémunération complémentaire tirée d’autres activités.
Sont-elles compatibles notamment au regard de l’exigence d’indépendance ou de l’absence de conflits d’intérêts ? Pour en revenir au sujet d’actualité qui nous occupe, même si l’expression d’opinions relève évidemment de la liberté de communication, et sans imposer aux journalistes un devoir de neutralité ou une obligation de réserve, peut-on cependant admettre de ceux qui prétendent être des « journalistes professionnels », que le militantisme, pour quelle que cause que ce soit, l’emporte sur la recherche, l’analyse, l’explication et la diffusion de l’information ?
ED. : Le développement d’Internet a fait apparaître de prétendus et bien mal dénommés « journalistes amateurs ». Ceux-ci ne satisfont aucun des critères et des conditions leur permettant de se voir accorder la qualité de « journalistes professionnels ». Parfois à l’origine d’informations qu’ils ont pu contribuer à faire ressortir, nombre d’entre eux diffusent également, plus ou moins intentionnellement, ou par méconnaissance ou incompétence, toutes sortes de rumeurs et de fausses informations. Ils n’agissent pas, dans la recherche, le traitement, la vérification… des informations, comme le public est en droit de l’attendre de « journalistes professionnels ». Vous feriez-vous soigner par un chirurgien ou un dentiste… « amateur » ? Iriez-vous ou retourneriez-vous chez un boulanger ou un coiffeur… « amateur », n’ayant pas suivi une formation adaptée et attestée par l’obtention d’un diplôme, de quelque niveau qu’il soit ?
Le journalisme pourrait-il être la seule activité, prétendument « professionnelle », qui pourrait être ainsi totalement librement exercée ? Les médias et les « journalistes professionnels » n’ont aucun intérêt à laisser entretenir une telle confusion. Il y va de leur crédibilité.
ED. : Cela suppose de répondre à une question préalable. Peut-on, compte tenu de la variété des modes d’exercice de ce métier, rédiger une définition unique ? Ou bien conviendrait-il de procéder à des distinctions en fonction : de la nature des publications (presse, radio, télévision…), de leur ligne éditoriale (d’information politique et générale, spécialisée, d’opinion…), des tâches (enquêteur, rédacteur, éditorialiste…) et des responsabilités assumées par les personnes concernées… ?
Il n’est ni possible ni justifié d’attendre de tous la même chose et la même nature et qualité de l’information diffusée. Les médias et les journalistes n’ont pas intérêt à entretenir pareille confusion. Tous ne participent pas de la même façon à la diffusion d’informations et au débat d’idées nécessaires à la démocratie. Ils ne méritent pas la même confiance du public. Ils ne justifient pas de bénéficier du même statut, des mêmes protections et des mêmes aides publiques (à titre personnel, par un régime fiscal de faveur, ou au profit des entreprises qui les emploient)…
ED. : Dans les limites de la loi, chacun doit pouvoir s’exprimer librement. Une confusion ne peut cependant pas être établie entre l’activité des « journalistes professionnels » et celle de « journalistes amateurs » ou, peut-être encore moins, de « journalistes militants ».
Le crédit des « journalistes professionnels » et la confiance du public en dépendent. Sans exigence de formation, contrôle d’accès, engagement de respect de règles de bonnes pratiques… les journalistes peuvent-ils encore se prévaloir de la qualité de « professionnels » ? Est-il légitime de revendiquer cette nature et qualité de « profession », et le bénéfice des droits qui y sont attachés, sans en offrir les conditions et les caractéristiques et en supporter les contraintes ?
Une distinction doit être faite entre l’exercice d’une « profession », et les garanties que le public en attend, d’une part, et la jouissance de la « liberté de communication », théoriquement ou officiellement offerte à « tout citoyen », d’autre part. A défaut de réduire ou de contrôler l’accès à la « profession », une distinction des fonctions et de responsabilités, et une claire information du public à cet égard, pourraient apparaître nécessaires et justifiées.
ED. : N’offensons pas les grands noms d’Albert Londres et d’Albert Camus ! L’appel, relayé au travers des réseaux sociaux, par quelqu’un qui se présente comme « journaliste de luttes » ou « journaliste militant », à se rassembler et à pénétrer, par la force, dans quelque lieu que ce soit, ou à s’en prendre au Président de la République ou à toute autre personne ou institution, ne peut évidemment pas, dans un régime démocratique, relever de la fonction de journaliste.
Il n’est pas possible d’être à la fois acteur, ou encore moins activiste, et observateur.
Et pour prendre un autre exemple d’actualité, ne relèvent pas davantage de l’activité journalistique et de la satisfaction de l’information du public, à mon sens, la collecte et l’exploitation, partisanes, unilatérales et exclusives, sur Internet, sans vérification des sources et détermination du contexte et des circonstances, d’extraits de séquences vidéo dans lesquelles ne sont retenus que les coups portés par les forces de l’ordre, sans que l’on en sache les raisons, et sans faire état des violences que policiers et gendarmes subissent et des exactions auxquelles, par leur légitime intervention, ils tentent de mettre fin.
Un « journaliste professionnel » ne peut pas avoir d’autre exigence et activité que celle de la recherche de l’exactitude et de la qualité de l’information. La confiance du public en dépend. Un « journaliste digne de ce nom ne confond pas son rôle » (pour reprendre la formule de la charte de déontologie de 1918) avec toute autre fonction ou activité et notamment, au-delà de la libre expression d’une opinion, toute action militante !
ED. : Plus qu’elle n’est la cause de problèmes nouveaux, préalablement inexistants, l’évolution des techniques de communication et de leurs usages rend, s’agissant de la définition du « journaliste professionnel » comme sur bien d’autres aspects du droit de médias, seulement plus sensibles certaines insuffisances et imperfections anciennes du droit. Elle pourrait être l’occasion de chercher à y remédier.
Le militantisme ne devrait pas être ici celui d’un prétendu « journalisme » qui n’en aurait que l’apparence trompeuse ou le nom. Mais, à travers le droit et une définition plus précise et rigoureuse de ladite « profession » de journaliste, l’objectif devrait être celui d’une meilleure qualité de l’information et du service rendu au public et, en conséquence, de la confiance, aujourd’hui limitée, que celui-ci leur accorderait.
Propos recueillis par Olivia Dufour