Mivy décoiffe, car il est fait par un chauve

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Derière mise à jour 27-Sep-2024
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Les fossoyeurs, enquête sur le business du grand âge

Le journaliste Victor Castanet publie chez Fayard, mercredi 26 janvier une riche investigation sur Orphéa, le leader mondial des Ehpad et des cliniques.

Partant des dysfonctionnements d'un établissement de Neuilly-sur-Seine, près de Paris, il dévoile témoignages et documents à l'appui les coulisses de ce groupe privé français. Voici quelques extraits de son livre parus dans le journal "Le Monde" en janvier 2022

Depuis son ouverture en 2010, la résidence «Les Bords de Seine», à Neuilly sert de vitrine au groupe Orpea. Presque chaque mois, des investisseurs ou de futurs partenaires commerciaux, souvent  étrangers, ont  droit  à une  visite  des  lieux, habilement  guidée. L'idée étant de leur montrer le savoir-faire de l'entreprise, qui s'apprête alors à devenir le leader mondial de la prise en charge de la dépendance : aménagement des espaces, tenue des lieux, gestion de l'accueil, organisation des soins, etc.

Au-delà de l'image,  Les Bords de Seine, comme  tous les établissements du groupe, doivent rapporter de l'argent. Beaucoup d'argent. Les tarifs des chambres comptent parmi  les plus élevés de l'Hexagone. Aux Bords de Seine, la chambre d'entrée de gamme d'une vingtaine de mètres carrés coûte prèsde 6500 euros par mois, et les tarifs grimpent  jusqu'à 12000  euros pour la grande suite avec salle de bains et dressing.
380 euros par jour et par personne, soit six fois le tarif moyen d'un Ehpad.(...)
Saïda Boulahyane (une auxiliaire de vie dont  l'auteur a recueilli le témoignage) me raconte qu'elle a travaillé pour plusieurs grands groupes, dont  Korian, le deuxième
mondial du secteur et le premier  français. 

Dès qu'elle  le peut, elle choisit  les unités protégées, pourtant réputées les plus difficiles. C'est là que vivent les personnes âgées dites « déambulantes ». La plupart  sont  atteintes de troubles cognitifs sévères altérant leur humeur, leur mémoire et leur comportement, les amenant parfois à être violentes. Beaucoup  d'entre  elles sont  touchées par la maladie d'Alzheimer. Pourquoi Saïda Boulahyane a-t elle choisi ce service ? Parce qu'elle a l'impression d'y être utile, tout simplement. Et chez Orpéa, cela  s'est  révélé plus vrai que jamais.

«Dès que  je suis arrivée dans  cette  unité, dès que l'ascenseur s'est ouvert, j'ai compris que quelque chose n'allait pas. Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dés l'entrée. Et je savais  que  c'est  parce que  les  résidents n'étaient pas changés assez régulièrement», lâche-t-elle. Puis elle poursuit : «Ça s'est révélé être le cas. Je suis restée près d'un an là· bas,et je ne vous dis pas à quel  point il fallait se battre  pour obtenir des  protections  pour nos résidents. Nous étions rationnés: c'était trois couches par jour maximum. Et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade,qu'il ait une gastro, qu'il y ait une épidémie. Personne ne voulait rien savoir.» (...)

Saïda Boulahyane me  détaille  les conséquences  de ce rationnement. Une toilette était prévue le matin et une autre à 14 heures. Puis, il fallait attendre le soir. Si l'un de ses protégés faisait sur lui dans l'après-midi, elle était contrainte de le laisser dans ses excréments pendant  plusieurs  heures.  Peu importe l'odeur, les conséquences sur  sa santé et son bien-être. Nous étions déjà bien loin des attentions des salons  feutrés  du rez-de-chaussée.(...)

Décidément, l'argent ne fait pas toujours le bonheur en Ehpad. Et certaines familles des Bords de  Seine s'en  sont  rendu  compte. Quelques semaines après le début de mon enquête, j'ai pu avoir accès à un document interne  signalant  les réclamations de plu­ sieurs familles pour les années 2016 et 2017. Elles reflètent assez fidèlement  les problé­ matiques de l'établissement que m'ont listées Laurent, Saïda, Yollande, Eléonore (des membres  du  personnel)  et  bien  d'autres.

L'avocat d'une résidente du cinquième étage évoque l'utilisation de nombreux vacataires, dénonce des repas rationnés et parle d'un personnel stressé. La fille d'une résidente du deuxième étage réclame davantage de changes. La famille d'une voisine de palier signale la «perte» de vêtements. Plusieurs autres chambres aux premier et quatrième étages se plaignent, elles aussi,de disparitions d'objets.

Certaines  réclament  des  remboursements. Une autre  regrette qu'il n'y ait pas d'infirmière de nuit. Une autre, encore, souligne le temps de  réponse anormalement long aux appels des malades. Au moins six autres  familles se plaignent  de soins d'hy­ giène  non  satisfaisants.  Émergent  également  des difficultés dans  l'administration des médicaments, la gestion du linge ou encore la qualité de la nourriture.
[D'après J'auteur, ces dysfonctionnements sont  avant  tout  Je reflet de la stratégie  globale de l'état-major du groupe, soucieux  de rentabiliser au mieux ses établissements en contraignant les équipes à limiter les frais. Il révèle ensuite des informations sur la mort, en 2018, de J'écrivaine Françoise Dorin, compagne du comédien Jean Piat.]

Chaque soir, Jean Piat, aussi faible et âgé qu'il était, venait rendre visite à son grand amour, à «la Dorin». Un taxi le déposait devant  la résidence  des Bords de Seine. Un déambulateur l'attendait  derrière  l'accueil pour prendre le relais de cette canne qui ne le portait  plus. Il se rendait à pas lents à la chambre de sa bien-aimée  et y restait des heures durant,  jusqu'après la fermeture de l'accueil et l'arrivée de l'équipe de nuit. Il lui prenait la main et écoutait sa respiration,à défaut d'autre chose; ses mots, après s'être désarticulés, étaient devenus des borborygmes. Le Grand Piat veillait sur elle, ne se plaignant jamais de rien, ayant un mot pour tous, un sourire pour chacun.(...)

En plongeant dans la biographie de Françoise Dorin et en visionnant des vidéos d'archives, je découvre  une  femme  moderne, lumineuse et drôle, dotée  d'une  indépen­ dance d'esprit rare. Fille du célèbre chansonnier René Dorin, elle devint l'une des femmes de lettres les plus marquantes des années1960 et 1970.(...)

Durant les premières semaines de mon enquête, plusieurs familles de pensionnai­ res avec qui  je suis  en  contact  me conseillent  vivement  de  rencontrer  sa fille et ses petits-fils, en évoquant une fin de vie effroyable. Tous m'invitent à lire l'avis laissé un an plus tôt (en avril 2018) sur Google par Thomas Mitsinkidès, l'un de ses petits-fils, concernant son  expérience  des  Bords de Seine.Le voici (...) :
«Si vous voulez vous débarrasser des gens que vous aimez, à moindres  frais, il y a une place de libre désormais au deuxième étage, à  gauche, en  sortant  de  l'ascenseur... Madame Françoise Dorin, écrivain de renom, est rentrée dans cet établissement il y a moins de trois  mois. C'est Je temps  qu'il leur a fallu  pour lui faire perdre 20 kilos, et l'usage de la parole. C'est Je temps  qu'il leur a fallu pour laisser une escarre dégénérer et finir parfaire la taille de mon  poing. C'est Je temps  qu'il a fallu pour la mener à un état irréversible. Ho oui! C'est  joli ! C'est cosy même.  On vous vantera  volontiers  la balnéo  et  le confort  des chambres. On vous fera des courbettes et des grands sourires. On vous fera croire que tout est sous contrôle... La vérité c'est que cet établissement à plus de 7000 euros le mois n'est pas un organisme de santé, mais une entreprise à but lucratif( ...).»  (...) 

Mme Mitsinkidès [la mère  de  l'auteur du texte] est la fille unique de Françoise Dorin et du mythique comédien  jean Poiret, le premier  compagnon de  l'écrivaine. C'est une «fille de» qui s'est toujours tenue éloignée des planches et du monde du spectacle.  Les projecteurs   ne  l'intéressent  pas. Faire du bruit n'est pas dans son tempéra­ ment. Alors que sa mère venait de disparaître, après trois mois de souffrances aux Bords de Seine, elle a pensé un temps à médiatiser l'affaire et à porter plainte, avant de faire  machine  arrière. (...)  « Orpéa  est  un groupe  international. Ils ont  une  armada d'avocats, des  méthodes que  je devine  très agressives. Je ne faisais  pas Je  poids face à eux», m'avouera-t-elle, tout à fait désolée, la voix noyée par l'émotion. Puis,se reprenant aussitôt: «Mais  lorsque  votre livre sortira, peut-être que j'en aurai la force.»

(...)Françoise Dorin a été admise aux Bords de Seine le 24 octobre 2017. Si elle souffrait de troubles cognitifs importants, elle se portait bien physiquement, affichant même un léger embonpoint. Le 12 janvier 2018, soit deux mois et demi plus tard, elle décédera des suites d'un choc septique causé par la dégénérescence d'une escarre. Entre ces deux dates, les dysfonctionnements qu'on me rapporte furent nombreux.

Le premier est de taille. Alors que l'on sait que Mm Dorin a déjà souffert d'une légère escarre à la malléole et que c'est donc une patiente à risque, aucun matelas spécifique, dit «anti-escarre», n'a été prévu pour  son arrivée. Une escarre est une plaie profonde causée par une nécrose des tissus sanguins. Elle est liée au fait d'être assis ou allongé trop longtemps  dans  la même  position et peut provoquer de très vives douleurs.  Un matelas anti-escarre est composé  de différentes cellules de bulles d'air qui permettent de soulager la pression sur la peau du patient.(...)

Une aide-soignante qui passe chaque jour faire la toilette  de Françoise Dorin remarque, deux semaines après son admission, l'apparition de rougeurs sur la peau fragile de la résidente et le signale à Amandine [un pseudonyme à sa demande] la maîtresse de maison {membre du personnel} qui préconise alors l'installation d'un  matelas «anti- escarre» · Nous sommes aux alentours  du 14 novembre2017.(..)
{La résidence n'ayant pas de matelas de ce type en stock il faut attendre quarante-huit
heures de plus pour en obtenir un et l'installer.}

Le lendemain de sa mise en place, l'équipe du week-end du deuxième étage composée d'une maîtresse  de maison  et d'un  infirmier, entre dans la chambre de Mme Dorin et se rend compte que le matelas livré est défectueux. C'est Amandine elle  même  ... qui me fera cette révélation ... ).  Ça bipait dans tous les Sens  !  le matelas n'avait pas gonflé. La pauvre Mme Donin était allongée sur de la ferraille...  On imagine difficilement  une cadre infirmière laisser volontairement une pensionnaire de cette «importance» sur de la ferraille.

Selon toute probabilité, le manque de  temps  et la désorganisation l'ont empêchée  de suivre la procédure  jusqu'à son terme. Que personne ne s'en soit rendu compte durant la nuit est un autre sujet, qui nous  revoie à l'épineuse question  des effectifs de l'établissement.
(...)En parallèle. l'état de son escarre, qui se situe au niveau du sacrum se détériore
d'heure en heure; la plaie devient de plus en plus profonde. Pourtant.. durant  plus de dix jours, personne aux Bords de Seine ne prendra  La peine d'en informer la famille. C'est pourtant une procédure des plus élémentaires.(...)

Cette procédure permet,  assez logiquement, qu'un regard médical soit porté sur le cas en question que ce soit par le médecin coordinateur de l'établissement, le médecin traitant du patient ou tout autre médecin que  souhaiterait solliciter la  famille. Les escarres peuvent dégénérer  rapidement. et il faut  pouvoir  établir  un  plan  de soins adapté Mme  Françoise  Dorin  n'aura  pas cette chance.. )

  Malheureusement, l'escarre ne se résorbe pas. Et, face à cette situation qui empire une réunion d'information finit par être organisée le 24 novembre en présence du directeur adjoint  des Bords de Seine et de La psychologue, afin que la fille de Françoise Dorin soit  mise au courant. C'est la cadre infirmier  qui  la prévient. Mais elle aurait minimisé l'information : Elle m'a dit de ne surtout pas m'inquiéter; se souvient  Sylvie Mitsinkidès. Elle s'est montrée rassurante en disant que ce n'était pas grand chose, qu'ils  allaient rapidement soigner cette petite escarre qu'elle s'en occupait personnellement»

Sylvie Mitsinkidès  repart donc sur son ile bretonne, rassurée. Elle prévient tout de même ses fils vivant à Paris et leur demande d'être vigilants.
A cet  instant, le  médecin  coordinateur de l'établissement  n'aurait toujours pas été prévenu. Pas plus que le médecin traitant de la famille. Les aides-soignantes et  les infirmiers auraient  donc  poursuivi  leurs soins sans la supervision d'un médecin.

Vis à vis de la famille, c'est le black-out le plus total. Personne ne les tient au courant  de l'évolution de  l'escarre. Alors même  que, chaque jour,l'un d'entre eux est présent à la résidence, que ce soit Thomas et sa compagne, son frère Julien, ou l'ancienne  aide à domicile de Françoise Dorin. Sans parler de Jean Piat, qui continue de se rendre tous les jours  à  la  résidence,  entre  17 heures  et 21 heures, qu'il vente ou qu'il pleuve.
Pour Sylvie Mitsinkidès, il ne s'agit pas d'un  simple défaut d'information, elle préfère parler de« dissimulation»; plusieurs fois, Thomas  posera des questions, sans obtenir de réponse.(..)
Les jours passent, et le mal devient de plus en plus profond. Le 27 décembre, Françoise
Dorin est envoyée par l'équipe médicale des Bords de Seine à l'hôpital Beaujon pour vali· der la pose d'un pansement  VAC, un dispositif qui  aspire les impuretés d' une  plaie pendant plus d'une heure et nécessite l'intervention   d'une infirmière  extérieure à I'Ehpad. Sa fille, Sylvie Mitsinkidès, assiste au rendez vous médical.
Ce qu'elle découvre, ce matin-là,  la marquera à vie: « L'infirmière de l'hôpital Beaujon soulève le drap, et là, je vois un  trou béant au niveau du sacrum, plus gros que mon poing.»

C'était terrible. (...) Même l'infirmière aura un mouvement  de recul, elle se dit choquée par l'état de la patiente et invite Sylvie Mitsinkidès à prendre  l'escarre
en photo pour conserver une preuve. Aussitôt le rendez-vous terminé, Sylvie Mitsinkidès appelle la résidence des Bords de Seine et demande à parler en urgence au médecin coordinateur. Ce dernier  se serait excusé d'emblée, reconnaissant qu'il y a eu des erreurs commises. qu'il n'aurait été prévenu que le 12 décembre, soit un mois après l'apparition de l'escarre. qu'il n'y est pour rien, qu' il est à mi-temps, qu' il va prendre le relais, qu'ils vont trouver une solution.

A son retour aux Bords de Seine, il ne reste plus que deux semaines à vivre à Françoise Dorin.(..) Le12 janvier elle décède après des semaines de souffrances indicibles. a l'âge de 89 ans sans un bruit (...)
Rien ne sera fait. NI la cadre Infirmier ni aucun membre du personnel médical ne seront interrogés. Aucune sanction  ni aucun avertissement ne seront  prononcés contre ceux  qui  n'ont   pas  respecté  la  •bible•  [charte interne, très détaillée, indiquant la marche à suivre en pareil cas}.  Les dysfonctionnements ne  seront  ni  analysés   ni corrigés. Personne, apparemment ne tirera les leçons de cette affaire. Les bibles. chez Orpéa, ne répondent qu'à une trinité: celle composée du fondateur  du groupe, Le docteur Jean-laude Marian, du directeur général. Yves Le Masne, et du directeur général délégué en charge de l'exploitation.  Jean· Claude Brdenk. (..).

L'aut eur décrypte  ce qu'il appelle le système Orpéa. tenu pendant des années  par ces trois hommes qui ont refusé de répondre à ses questions. Seul M. Le Masne est encore en fonctions. M. Marian, qui a vendu ses actions le 21 janvier 2020, est  désormais  président d'honneur.  M. Brdenk, lui  aussl  parti début 2020, est aujourd'hui vice-président du premier syndicat des maisons de retraite privées le Synerpa. Un ancien cadre important, Patrick Métais, ex-directeur médical de Clinéa, la  branche diniques du groupe a accepté, lui, de témoigner. et évoque  notamment de façon très détaillée les méthodes de la haute hiérarchie d'Orpéa pour activer ses réseaux et gagner des parts de marché.

Toute une partie du livre. sans lien directs avec les dysfonctionnements signalés aux  Bords de Seine,   porte  sur  cet  aspect   stratégique. L'auteur affirme ainsi qu'Orpéa entretient de longue date  une relation  particulière avec une  personnalité politique majeure.]  Patrick Métais attendra  que l'on se connaisse  un peu avant  de me faire une ultime révélation.

La première fois qu'il fera référence à cette  figure politique par téléphone, il se montrera prudent,  m'expliquant  seulement  qu'Orpéa avait  réussi à nouer des  relations  jusqu'au sommet de l'Etat avec une figure de premier plan. Il m'invitera un soir à allumer ma télévision et à regarder un programme dans lequel l'homme auquel il faisait référence devait normalement lancer sa campagne à l'élection présidentielle de 2022. Nous  étions  le  19 septembre 2019, près de neuf mois après le début de mon enquête. France 2 lançait sa nouvelle émission politique «Vous avez la parole ». Je regardai aussitôt un  teaser  de  l'émission  sur mon  portable et fus stupéfait de découvrir le visage de l'invité-phare de cette première: Xavier Bertrand ! L'ancien ministre  de  Nicolas Sarkozy, l'ancien assureur de Saint-Quentin,  le président de région tout-terrain, deux fois ministre de la santé  (2005· 2007,   puis  2010-2012), crédité à l'automne 2021 de plus de 15% d'intentions de  vote  pour  l'élection  présidentielle  de
2022.prêt à revêtir la casaque de la droite républicaine...
« Vous    comprenez    maintenant,    Victor, pourquoi on  se sentait  tout-puissant, chez Orpéa? On avait le ministre  de la santé  de l'époque dans  notre  poche, avance Métais. Qu'est-ce que vous voulez de plus? Au-dessus, il ne reste que Dieu. Et encore, pas sûr qu'il nous aurait été aussi utile.»(...)
{Xavier Bertrand] a été l'homme fort de la santé  durant  la période  la plus détermi· nante  du  secteur  de  la dépendance: les années 2002-2010, où le marché des autori· sations  d'Ehpad et de cliniques a littéralement explosé.(...) }

A en croire le témoignage de l'ancien directeur médical de Clinéa, Xavier Bertrand
ne s'est jamais rendu à aucune commission de développement. Mais régulièrement, en pleine réunion, le docteur Jean-claude Marian aurait laissé échapper un commentaire permettant a ceux qui étaient au courant de comprendre que le ministre de la santé de l'époque allait être informé d'un dossier.(...)

D'après Patrick Métais, Bertrand est l'asssurance tous risques du groupe quand il n'y avait vraiment  plus d'autres solutions, alors Marian faisait appel à Bertrand C'était la solution de dernier recours. Mais avec celle-là. on était presque sûr que ça passait. Je pense que plus encore que sur les autorisations, Bertrand nous aidait à être financés.

Il  faut comprendre le contexte. Pendant toute une période, dans le courant des années 2000, les conseils généraux et les ARH pouvaient valider des autorisations de création d'Ehpad sans avoir encore les financements de l'assurance maladie. Et  Il fallait
attendre deux trois, quatre ans pour être financés. reprend Métais. La clé dans ces
années-là, c'était vraiment le financement et la place de votre projet dans l'arrêté de classement. Tout notre boulot c'était de nous retrouver en haut dela liste, et le ministre avait dairement le pouvoir de débloquer des crédits ou d'accélérer des financements. Le patron de clinéa me le disait ou Marian le sous entendait.  Il  disait: «rappelle qui il faut, ou encore: j'appelle l'assureur!» Je ne sais pas si tout le monde comprenait autour de la table, mais c'était évident que les principaux responsables du groupe étaient au courant

Je savais que Marian avait un accès direct au ministre. ll avait son "..o6'" et déjeunait régulièrement avec lui. Je  peux même vous dire précisément où  ça se  passait.  Ils allaient bouffer à La Closerie des lilas.

Patrick Métais ne sera pas le seul à me raconter ces déjeuners en  ville qui réunis- saient régulièrement le patron du groupe Orpéa et le ministre de la santé de l'époque, et dont l'existence n'a en soi rien de répréhensible. L'un des plus importants allié des financiers de la place de Paris, qui a suivi le secteur des maisons de retraite pendant plus de cinq ans pour une très grosse banque, me confirmera les propos de Patrick.

A la suite de ces révélations, je décidai de contacter Roselyne Bachelot. qui a été elle· même ministre de la santé sous Nicolas Sarkozy (de 2007 à 2010). Je me rendis chez elle Je 8 janvier 2020 et nous discutâmes pendant plus de deux heures. M....Bachelot, aujourd'hui ministre de la culture d'Emmanuel Macron. m'affirma qu'elle n'était en rien au courant des liens susceptibles d'unir Xavier Bertrand au groupe Orpéa.

Mais elle me rêvêla durant cet entretien trois informations essentielles.

Bien évidemment,  j'ai contacté  Xavier Bertand pour obtenir sa version des faits et lui donner la possibilité de répondre aux différentes interrogations soulevées par les témoignages de Patrick Métais, J'ancien directeur médical de Clinéa, et de Rosetyne Bachelot, l'ancienne ministre de la santé. (...)
{M .Bertrand répond par écrit  à l'auteur. assurant avoir respecté les procédures et contestant tout lien privilégié avec Orpéa}

« Si  j'ai déjà rencontré M. Jean·Claude Marian, comme je rencontrais à cette époque de nombreux acteurs du monde de la santé et du monde médico-social il n'est  pas un ami et  je entretiens  aucune relation  spéciale avec lui.
Vous utilisez à de nombreuses reprises dans vos questions le terme d' "aide'" qui aurait pu être apporté au groupe Oréa. Il  n'est pas question d'aider qui que ce soit, mais de faire en sorte que les projets présentés aboutissent dans le strict respect des procédures en lien étroit avec les élus et les collectivités territoriales notamment départementales  pour la question du financement.

Ce que vous appelez '"liste  du ministre'" n'était qu'un simple processus mis en place avec la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) destiné à relayer les de· mondes des élus que reçoit tout ministre et destiné à financer des places dans un Ehpad ou à boucler un budget de construction. mais jamais de financer intégralement un établissement, ce qui aurait été impossible sans les contreparties des collectivités, en particulier des déportements. (. .)

Afin d'aller au bout de mon travail d'enquête. je  formulai alors à l'intention de
M. Bertrand une  nouvelle série de questions, lui donnai  un délai supplémentaire de deux semaines pour  répondre afin de donner toute sa place au contradictoire, lui proposai de nouveau  une rencontre et lui demandai une nouvelle fois s'il serait d'accord  pour  que  je consulte les fameuses « listes du  ministre » rédigées à son époque. Je ne reçus aucune réponse à ce dernier mail.

(...) Si Je groupe  Orpéa  a officiellement ouvert  sa première  maison de retraite en Charente-Maritime  en 1989, son  premier gros  coup, qui va véritablement le faire chan­ ger de catégorie, s'est déroulé dans l'Aisne au début des années 1990.Le groupe, ne possédant alors qu'une petite dizaine d'établissements dans  toute la France, va obtenir, en quelques mois,la gestion de sept Ehpad dans le département d'élection  de Bertrand:  à Saint-Quentin, Soissons, Fère-en-Thardenois, Château-Thierry, Beaurevoir, Hirson et Tergnier. Des établissements qui ont  tous ouvert dans le courant des années1990.

L'apporteur  d'affaires  d'Orpéa  dans  Je nord de  la France, l'incontournable  jean­François Rémy, avec qui  je me suis entretenu à plusieurs reprises, me confirmera avoir été  au courant  des liens étroits  qui existeraient entre le groupe et l'ancien mi­ nistre de la santé.

Je savais qu'ils étaient très très bien avec Xavier Bertrand, certifie­ t-il quand vous reprenez le nombre d'Ehpad et de cliniques qu'ils ont obtenus dans le dé­ partement de l isne,dans le 02,  où Bertrand a fait sa carrière politique...Tout le monde le savait et tout le monde le disait.


VICTOR CASTANET

 

 

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