Mivy décoiffe, car il est fait par un chauve

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Derière mise à jour 20-Mar-2024
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Famille Lévy

Le nom Lévy est très commun, à l'origine c'est le prénom d'un fils de Jacob, et tous ceux qui s'appellent Lévy sont sensés être les descendants des serviteurs du temple, qui étaient aussi les enseignants à l'époque biblique. Mon nom est celui du Préposé de Uffoltz en Haute Alsace, sous Louis XVI. La femme de mon arrière grand père, une demoiselle Lévy est issue d'une longue dynastie de Rabbins née en Espagne au moyen âge.




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Léopold le préposé de Huffolz en 1784

La famille Lévy dont je suis descendant m'est connue depuis le recensement de 1784, où le bon roi Louis XVI a dénombré les juifs autorisés à séjourner en la province d'Alsace. Léopold  mon ancêtre, était préposé des juifs de Uffholtz,  dans le Haut Rhin (près de Cernay au pied du "Veil Armand", ou Hartmannwillerkopff où une grande bataille a eu lieu pendant la grande guerre. 
       La communauté d'Uffholz s'est créée après la guerre de Trente Ans et disposait déjà d'un rabbin au 18ème siècle. En 1732, le Bailli autorisa l'utilisation d'un local comme lieu de culte. Reconstruite en 1858-59, la synagogue fut vendue en 1900 et transformée en étable. Pourtant, aux XVIIIe et XIX e siècles, Uffholtz est le siège d'un rabbinat.

Les premiers souffles de la Révolution (Juillet 1789) poussèrent les paysans et les ouvriers de la vallée de St Amarin vers le village afin de s’en prendre vivement à la communauté juive et à ses biens. La communauté Israélite du village, alors nombreuse (190 Israélites en 1788), ne fit que décliner en nombre par la suite. Le rabbinat d'Uffholtz fut transféré à Cernay après 1870, et supprimé vers 1915 (Source SdV) et pour cause, l'ensemble du village y compris la synagogue fut détruite par les combats qui s'y déroulèrent. Un livre a été écrit sur l'histoire de la communauté, on peut le consulter sur le site de la généalogie juive ici.

Sur la photo ci dessous d'une réimpression du recensement de 1784, on voit à droite l'écriture de Roger, mon père, et à gauche, la mienne. Compte tenu de la calligraphie vous comprendrez aisément pourquoi je préfère taper à la machine ! 

Vous aurez remarqué que Léopold était riche, il avait à domicile un maître d'école, un valet et une servante, mes autres ancêtres connus n'en avaient pas autant. Le préposé était l'intermédiaire entre les autorités royales et la communauté, il était donc percepteur place très enviée sous l'ancien régime, et qui explique peut être sa fortune.

L'histoire raconte que le général Turenne, lorsqu'il reçu du roi Louis XIV l'ordre de conquérir l'Alsace, s'est heurté à une violente résistance des alsaciens, fidèles à leurs suzerains allemands. Ils avaient abattu tous les chevaux disponibles, afin d'empêcher les soldats français de renouveler leur cavalerie. Les français se seraient alors adressé à des marchands de bestiaux juifs pour fournir l'armée, ce qu'il ont fait, et ils ont trouvé des chevaux en Suisse. Léopold était préposé et marchand de bestiaux, et son grand père, vivant du temps de Louis XIV probablement aussi. Il habitait près de la Suisse, et était bien vu de l'administration royale, vu qu'il était préposé. Sa fortune pourrait venir de la fourniture aux armées, qui est réputé être rémunérateur. Ce serait donc un peu à cause de lui que Turenne a pu bousculer les armées ennemies, et que l'Alsace est aujourd'hui française.

Léopold a eu pour fils Hirtz Wolff, qui lui même a enfanté Liebman ou Lipmann, qui,  en vertu du décret impérial du cinq juillet 1808, ont changé de prénom Hirtz Wolff est devenu Benjamin Lévy, et son fils Lipmann, Lehman Lévy .
    

Wolff signifie loup en allemand, il est dit dans la genèse : «Benjamin est un loup ravisseur», et le loup est devenu le symbole de la tribu de Benjamin, le choix du nom Benjamin pour Hirtz Wolff est donc logique.     Par contre, Lehman est plus mystérieux,
« Juda appelé en yiddisch Leïmé ou Leib (le lion) est à l'origine de très nombreux noms de famille, parmi lesquels Leeman, Lehman.. » alors que Lehmann est un nom de famille alsacien issu du moyen allemand lehenman, designant le possesseur d'un fief, le vassal .

En l'an II de la République, Hirtz Wolff, (Benjamin) Lévy s'est marié à l'âge de 17 ans, avec Rachel Lévy qui en avait 14.

Lehman a eu plusieurs épouses

J'ai retrouvé dans les archives familiales, un document, Jacob et Henriette Hess de Trèves en Allemagne, ont confié à un rabbin la mission d'apporter à Bar le Duc leur autorisation. Sprinz, fille de Jacob et Henriette qui avait été placée comme servante dans la famille Lévy, pouvait se marier avec Lehman Lévy, le fils de la maison.

On était en 1841, j'ai demandé à ma maman, pourquoi Sprinz de Trèves était elle servante à Bar le Duc ?  Elle m'a répondu qu'à l'époque, les filles n'allaient pas à l'école, et que pour parfaire leur éducation, on les envoyait dans des bonnes familles. Des démarcheurs parcouraient la vallée du Rhin, mettaient en relation les familles, favorisaient les mariages, et rendaient de nombreux services. Lehman était né à Uffolz, parlait sûrement judéo-Alsacien, il y avait une communauté linguistique et culturelle entre les communautés juives de Trèves à Bâles et au delà. Autre curiosité, Henriette Hess est née en 1792, à l'époque Trèves, sur la rive gauche du Rhin était française, sa fille Sprinz est née en 1816, après Waterloo, elle se nomme Sprinz.

Sprinz s'est donc marié avec Lehman Lévy en décembre 1841, et malheureusement est morte peu après le 20 mai 1842.

En septembre 1845, Lehman s'est remarié avec Caroline Schnerb, qui a eu plusieurs enfants... et en 1848, est né mon arrière grand père Léopold

Acte confirmé par l'état civil :

En l'an 1848, le dix décembre à trois heures du soir, par devant nous Joseph BONEL adjoint au maire de a ville de Bar le Duc... ont publiquement paru :
 Est comparu Meyer AKAN, âgé de cinquante huit ans, domicilé en cette ville rue des juifs, N°7, lequel nous a déclaré que le 14 février courant, à onze heures Caroline Schnerb, âgée de vingt huit ans épouse de Lehman Lévy, marchand colporteur âgé de quarante huit ans docilité à Bar le Duc, rue des juifs au n° 46 est  accouchée au domicilie de son mari d'un enfant de sexe masculin ... auquel il a été donné le prénom de Léopold... "

Synagogue de Bar le Duc, sur la porte on peut lire « Ceci n'est autre que la maison de Dieu et c'est la porte du ciel »
C'est un passage de la Genèse, là Jacob s'est endormi, et a rêvé, d'une échelle où des anges montaient, et descendaient au ciel.

Léopold a fondé les Galeries du Mobilier à Troyes

Comme son père, Léopold a eu deux femmes, Elisa Créange, qui est morte à vingt ans, puis Céline Lévy de Montigny les Metz,  Céline est la fille de Samuel Lévy qui lui même descend d'une très grande famille de Grands Rabbins, dont le Grand Rabbin de Lorraine avant que Nancy ne soit français, ses ancêtres viennent d'Amsterdam, et sont issus d'une longue lignée de Rabbins espagnols. Je connais des noms d'ancêtres qui remontent jusqu'au moyen âge.  Si une de mes grands mères avait fauté avec un descendant de Louis Philippe, je connaitrais certains de mes ancêtres jusqu'à Hugues Capet !   dans les familles juives, il faut descendre de grands rabbins et on remonte le temps facilement.

Léopold s'était installé marchand de meubles à Rouen, il était bachelier et avait une formation d'ébéniste.

Les normands, à l'époque étaient souvent des plaideurs, aussi a-t-il fuit la Normandie pour s'installer à Troyes où il n'a plus jamais eu affaire avec la justice.  Il faut dire que le commerce des meubles au début du XX ième siècle, était avant tout un commerce de brocante, ce qui donnait facilement lieu à des litiges.
Le magasin en 1900 était situé rue de la Cité et était très étroit.

Il a alors trouvé plus confortable, près de la gare, dans un grand rez de chaussé dont il est resté locataire. On lui disait, vous n'êtes pas au centre ville, vous n 'aurez pas de clients, mais il répondait, "on se déplace pour acheter des meubles ! "

Il espérait réussir en fabriquant des meubles, et avait changé ses papiers à lettre lors de son déménagement, il rêvait d'être une grande fabrique de meubles...  mais il s'est vite rendu compte que le commerce était plus rentable que la fabrication, alors il s'est résolu à acheter d'occasion des meubles, qu'il restaurait pour leur donner un aspect neuf.

 

Il avait quatre ouvriers, qui étaient payés toutes les semaines, il les envoyait parfois à dix ou vingt kilomètres, chercher ou livrer de la marchandise. Il n'y avait pas à l'époque de charges sociales, sur le livre de compte, il y avait la dépense, le salaire brut, c'est à dire le salaire net. Quand un ouvrier partait, on pouvait lire en face de son nom : Parti, puis une semaine plus tard un nouveau nom apparaissait. Les indemnités de licenciement ne devaient pas être très fortes à l'époque.

Léopold avait des opinions politiques et religieuses très claires, il était athée, a n'a donné aucune notion de religion à ses enfants. Il discutait avec les clients, ce qui n'est pas bon pour les affaires. Ne disait on pas qu'un bon commerçant a toujours les idées de son client ?  aussi, lorsqu'une bonne affaire potentielle arrivait, Céline demandait à Léopold d'aller au café, pendant qu'elle tentait de conclure l'affaire.

Gaston a été le fils aîné de Léopold

En 1901, Gaston, le fils ainé de Léopold et par hasard mon grand'père, a éprouvé le besoin de se marier. On lui avait signalé une jeune beauté qui habitait Haguenau, alors, il a échangé un courrier avec la dite demoiselle, ils se sont pris un rendez vous au restaurant de la gare de Nancy, où ils ont fixé la date du mariage... opération vite fait, le mariage entre Gaston Lévy et Denise Loeb (qui se faisait appeler Alice) fut une belle réussite car ils se sont aimé jusqu'à la séparation finale. Le voyage de noce a eu lieu à Paris, où ils ont escaladé la Tour Eiffel, qui venait d'être inaugurée 12 ans au paravant.


Le magasin était rue de la Cité, près de la cathédrale, et a déménagé au coin de la rue Jaillant Deschainets à Troyes et de la rue Thiers, actuellement rue du Général de Gaulle. Dans l'importante surface louée, Léopold avait aménagé un petit appartement, humide, sombre, au rez de chaussée. Les wc étaient dans un couloir, il y avait un coffrage en bois et un trou au milieu qui aboutissait à une fosse d'aisance. De temps en temps, le vidangeur venait vider cette fosse. Il y avait quand même l'eau courante. C'est là que Gaston et Alice ont habité, avec Léopold et Céline, et la cohabitation n'était pas tous les jours faciles. Ma grand'mère en a été bien malheureuse au début de son mariage.

Un été, Gaston et Alice ont envoyé le petit Roger en vacances chez sa Grand'mère à Haguenau...  mauvaise idée  !  En Août 14, la guerre a éclaté , et le petit Roger, qui avait six ans, s'est retrouvé en Allemagne, en guerre contre la France !  !   il a été rapatrié dans un train dont les portes avaient été plombées, via Bâle et Lausanne.

A son retour, Roger n'a pas retrouvé son papa. Âgé de 41 ans, Gaston a du abandonner sa chère Alice, son cher Roger et sa chère Odette pour aller se battre dans l'Artois. Incorporé le 3 Août 1914, affecté dans l'infanterie, il a été réformé le 30 mai 1917 pour maladie aggravée en service. Je me souviens de longs moments passé auprès de lui quand j'avais quinze ans, il me racontait la boue, la mort, il avait été gazé, enterré vivant, et avait eu la chance de pouvoir revenir. Il en voulait aux juifs Allemands qui étaient "plus boches que les boches" ! 

Médaille de la Victoire
     

Il a fini la guerre avec la médaille de la victoire, un certificat de bonne conduite, qu'il avait encadré, et qui décora son séjour pendant toute sa vie, et avait été promu soldat de seconde classe.

En 1918, Léopold avait soixante dix ans, il a décidé de se retirer à La Varenne Saint Hilaire, en région parisienne, près de sa fille. Un accord est intervenu entre ses fils, Henri qui était encore sous les drapeaux, Hermance Lévy, mariée avec Albert Roos et habitant La Varenne saint Hilaire, Mathilde Lévy remariée avec Lucien Lévy demeurant à Rouen, ses frères et soeurs ont accepté que le fonds de commerce revienne à Gaston.

Voici le trésor familial : Une voiture à bras, trois établis, des outils, une armoire , un buffet, un bureau, quatre lits, un lit en noyer et un autre en chêne...  pauvre fond de commerce  !  !   

Gaston a eu une soeur Hermance qui s'est installée à Toulouse, un frère, Henri, qui vivait à Amiens où il a crée son propre magasin de meuble appelé "Les Galeries du Mobilier". Il a eu aussi une autre soeur Lucie, qui est morte à l'âge de onze ans, et enfin en 1885 la petite dernière Mathilde.

Le destin de Mathilde a été tragique, elle s'est mariée en 1905 avec Lucien Lévy, avec qui elle a eu trois enfants. La petite Simone à l'âge de trois ans est morte, ébouillantée en tombant dans une bassine d'eau. Mathilde était fatiguée car enceinte d'Hugette aussi elle a confiée la petite Simone à ses grands parents Léopold et Céline. Un accident domestique terrible est arrivée, Simone est tombée dans une bassine d'eau bouillante, on était en 1912. Trois ans plus tard, Lucien tombait au champ d'honneur. Sa fille Huguette s'est mariée en 1932 avec Emile Bercoff, vétérinaire aimé de tous, et le couple s'est installé à Buchy. En 1942, Emile a été arrêté, et déporté, puis Mathilde, sa fille Huguette, ainsi que sa petite fille Michèle âgée de dix ans. Ils ont tous été assassinés à Auschwitz. Seuls survivants de la famille, le cousin de mon papa, fils de Mathilde, Robert Lévy de Rouen, son épouse Mairy Asséo, et sa fille unique Brigitte qui a eu deux filles, Myriam et Barbara à peu près du même âge que les miennes, et qui sont très sympathiques.

Gaston aurait pu connaître ses vingt descendants de la génération de mes petits enfants, mais il n'y a que trois jeunes qui descendent de Mathilde.

Le drame de Mathilde, de sa fille Huguette de son gendre Emile Bercoff et de sa petite fille Michèle a été rédigé par Anne Grynberg dans un livre retraçant l'histoire de plusieurs familles victimes de la Shoah. Vous trouverez ici l'introduction à ce livre, et la partie concernant les Lévy Bercoff.

 

L'entre deux guerre, Gaston, André et Roger

Gaston resté seul maître du magasin, avait deux enfants, Odette et mon papa, Roger.

Odette s'est mariée en 1923 avec André Serff, qui s'est associé avec Gaston, pour former la maison Lévy-Serff. Plus prosaïquement, ils ont choisi d'appeler le magasin "Les Galeries du Mobilier"

André et Odette ont acheté une grande maison à La Rivière de Corps, loin de tout, mais avec un grand verger.

Henri, le frère de Gaston, a lui aussi ouvert un magasin de meubles à Amiens, qu'il a également appelé "les galeries du Mobilier"

 

Profitant de la grande crise de 1929, Gaston a acheté une grande maison à Sainte Savine, tout à côté de Troyes, elle avait été construite de ses mains par un maçon qui avait fait faillite. Il en était très fier.

Elle avait deux étages, la porte d'entrée, en chêne massif, avait des vitraux, les couloirs d'entrée étaient peints en faux marbre, il y avait deux étages. Au second, on trouvait le grenier et les chambre de bonne.

Roger était très appliqué à l'école, mais pas très brillant dans ses études. Il est resté en classe jusqu'en 5 ième, et avait appris l'allemand, la famille étant alsacienne, il restait de nombreux mots en judéo-alsacien dans le langage de tous les jours. Gaston voulait que son fils apprenne un métier, "commerçant n'est pas un métier" lui répétait-il. Aussi Roger, bon gré mal gré a appris la tapisserie, à faire et à refaire matelas et fauteuils.

Roger prend la succession

Lorsque Roger, s'est trouvé une fiancée, en 1938, Gaston lui a offert le premier étage de la maison de Sainte Savine.

Très fier, Gaston a montré à Marie-Anne Blum, la maman d'Élisabeth, que tout le monde appelait Lison, la jeune fiancée le futur logement familial...  Catastrophe, l'appartement n'avait pas de WC. Il fallait utiliser un pot de chambre, puis le descendre dans la fosse d'aisance située dans une annexe couverte dans la cour. Marie Anne a décidée que sa fille n'habiterait pas dans un logement où il n'y a pas de wc moderne, alors Gaston a fait construire un WC au fond de la cuisine, une mini pièce en béton donnant sur un toit.

Un très beau mariage a eu lieu à Besançon, puis les jeunes mariés sont partis vivre à Sainte Savine. Gaston et Alice résidait au rez de chaussée, Roger et Lison au premier, et au second, il y avait le grenier et les chambres de bonne. Une pour les future grands parents, et une pour les parents.

Alice avait gardé un très mauvais souvenir de sa belle mère, et Gaston avait une devise qu'il me répétait sans cesse : "Les jeunes avec les jeunes, les vieux avec les vieux". C'est ce qu'on voit d'ailleurs dans toutes les fêtes de famille. Afin de déranger le moins possible les jeunes mariés, Gaston et Alice partaient assez souvent à Sens, où ils descendaient dans le meilleur hôtel de la ville.

Roger s'est associé avec son beau frère André, et Gaston a pu prendre une retraite bien méritée.

La guerre a surpris tout le monde

Roger a été mobilisé en 1939, son unité n'a guère combattu, devant la défaite, et l'incapacité de résister sur une ligne de défense tenable, son capitaine a pensé que tous ses soldats allaient être faits prisonniers pour rien. Aussi, il leur a demandé de rentrer chez eux discrètement, et de se considérer comme mobilisés. Au cas où une résistance redevenait possible, ils étaient priés de se tenir à la disposition de la patrie.

La famille Lévy-Serff, en 1940 s'est entassé dans la grande voiture d'André Serff, et a pris la route de l'exode, Roger voulait aller en Algérie, le plus loin possible des allemands. Mais lors d'une halte à Castelnaudary, Gaston a retrouvé un jeune soldat de Troyes qu'il connaissait. Ils sont tombé dans les bras l'un de l'autre, et le soldat a fait tomber son pistolet. Un coup est parti blessant au vendre Lison, ma maman, qui était enceinte. Hospitalisée à la maternité elle a donné naissance à Françoise, la petite soeur de Claude-Henri, et ma grand soeur.


Lettre de Gaston

Les liens affectifs était très fort dans la famille, et le style d'écriture a bien changé depuis, voici une lettre que Gaston, qui tentait encore de sauver le magasin a envoyé à sa famille repliée à Castelnaudary.

Heureusement que Gaston avait obligé Roger à apprendre la tapisserie, commerçant, ce n'est pas un métier  !  !   Roger, Elisabeth et leurs deux enfants sont partis habiter Toulouse, où  Roger s'est installé comme tapissier.  Il avait en effet un besoin urgent de gagner sa vie, car les nouvelles n'étaient pas bonnes, et tous ses biens avaient été réquisitionnés, la maison, le magasin, ou son compte en banque, qu'il croyait en sécurité dans la zone dite libre. Un  vol pur est simple.

Un jour, un cousin d'Elisabeth est venu de Genève, et a très fortement conseillé à la famille de venir se réfugier en Suisse. Ce qui fut fait, Lison a franchi la frontière à Anemasse, avec de grandes difficultés, et a été admise en Suisse. Alors Roger a tenté de la rejoindre en traversant le Jura. Le passeur l'a dépouillé, et il s'est retrouvé en Suisse, vivant, mais sans un sou.

Les autorités Suisse, qui avaient admises Elisabeth, Claude et Françoise, ne pouvaient rejeter le mari et père, ils l'ont admis aussi, et toute la famille a été internée. Les réfugiés n'avaient pas le droit de travailler afin de ne pas faire concurrence aux travailleurs Suisses. Ils n'ont jamais manqué de pomme de terre.

Et c'est ainsi, qu'en février 1944 Michel est né, à la maternité de Lausanne, un jour où l'hôpital était consigné suite à une épidémie sévère de grippe.

Malheureusement, Lison et Roger se sont disputés, et lorsque la France a été libérée, Roger est rentré seul à Troyes, alors qu'Elisabeth est repartie à Besançon, avec à la main ses deux grands enfants, et le petit Michel dans une corbeille à linge...

Roger s'est remarié avec Julianne Nordmann, qui était, et il ne l'a jamais su une cousine éloigné d'Elisabeth   !  !  il a partagé sa vie entre le magasin, et la synagogue. Très pieux il y a consacré le plus clair de son temps. Aujourd'hui à Troyes, il y a au centre communautaire juif une bibliothèque Roger Lévy.

Roger et Julianne occupaient le premier étage de la maison, au rez de chaussé, il y avait la chambre d'Alice, tout en style Louis XV, avec des napperons, des vases, de la dentelle partout. En face, de l'autre côté du couloir, il y avait la suite de Gaston. Une chambre à coucher spartiate avec un lit metallique, et une table de nuit, puis son séjour, tout aussi militaire, avec une table en chêne même pas vernie, une bibliothèque toute simple, dans laquelle il y avait très peu de livres. Il y avait aussi une cuisine où s'activait Madame Valtier qui s'occupait d'eux avec amour. Il n'y avait ni salle de bain, ni WC.

Alice est morte relativement jeune, en 1954, Gaston lui a survécu jusqu'en 1959. Il souffrait d'une cataracte, et perdait tentement la vue. Il passait la plupart de son temps à tenter de lire son livre de prière. Et moi, je partageais quelques moments d'intimité avec lui, on écoutait ensemble des émissions à la radio, où l'humour ne manquait jamais. (Pierre Dac et Francis Blanche par exemple).
Je ne me souviens pas d'avoir partagé le moindre repas avec lui. Étais-ce par ce que sa cuisine n'était pas cachère ? ou par ce qu'il avait pris au pied de la lettre sa devise : "Les jeunes avec les jeunes, les vieux avec les vieux" ? Je pense qu'il refusait «d'envahir» le logement de son fils, et que Roger ne voulait pas que je mange non-cachère chez mon grand-père.

Les Galeries du Mobilier ont prospérées jusqu'aux années 1960. Suivant les conseils de Gaston, André, qui s'occupait des achats et des ventes achetait de grosses quantités de chaises, tables, ou armoires séparées, et présentait des ensembles complets, ce qui était nettement plus avantageux que de choisir les ensembles proposés par les fournisseurs. Il y avait un atelier, car les meubles étaient vernis, et souffraient pendant les transports. Chaque vente nécessitait un passage à l'atelier, et j'avais sympathisé avec Paul, un vernisseur, qui réparait les rayures avec du verni au tampon. Il travaillait dans des vapeurs toxiques, un jour il est tombé malade, et est mort d'un cancer des poumons, j'ai éprouvé une grande culpabilité.

Un jour un représentant de commerce est venu au magasin proposer des cadeaux d'entreprise, il offrait des brosses à habit, et sur le dos de la brosse, figurait le nom et l'adresse du magasin. Il y avait des fines avec une rangée de poil, sur 13 cm de long, et des grosses, de taille (17 cm x 4). Le vendeur a demandé, vous voulez bien des grosses ?
Roger, mon papa, à répondu "oui ! ", et combien ? il a dit "50". Il a reçu 50 grosses de petites brosses, or une grosse c'est l'ancien nom de 12 douzaines. C'est donc 7200 petites brosses qui sont arrivées au magasin ! ! parfaitement inutilisables, on ne voit pas un marchand de meuble offrir un mini brosse comme cadeau d'entreprise.
Les escrocs cela existait déjà dans les années 1950 !

L'affaire a périclité à la fin des années 1960, devant la concurrence des grandes franchises, qui s'installaient hors de la ville, et suite à la succession catastrophique d'André Serff.

Roger était très pratiquant, et très croyant, il a été un des pilier de la communauté Juive de Troyes. A la fin des années 1950 les locaux de la synagogue rue Chardonneret étaient trop petit, et la communauté juive cherchait à trouver plus spacieux. On a trouvé rue Brunneval, dans le vieux centre historique, un immeuble vétuste, mais très grand à vendre. On pouvait y faire un centre communautaire et transformer un rez de chaussée en synagogue. Lors de la visite, le président Albert Blum, le vice président Isidore Frankforter, M Henri Cahen un concurrent, mais néanmoins ami, et mon papa, ont visité les lieux. Le Président hésitait, et mon papa souhaitait cet achat, il lui a demandé "Avez vous l'argent ? " Sans hésité, il a répondu "Oui", alors que c'était faux. L'achat a été réalisé, avec quelques difficultés. Les locaux appartenaient à l'église, qui n'avait pas le droit de vendre pour un autre culte... un artifice juridique a permis de résoudre le problème, et une collecte de fonds fructueuse a permis de financer l'achat, mon père a fait lui-même un gros efforts. Roger a passé toute sa vie entre le magasin, la synagogue et son domicile.


Lettre de Roger à une amie ...
         Il tenait à transmettre le judaïsme, il avait été rédacteur de "La Revue Juive de Champagne", qu'il faisait imprimer, et dans les années 1980 il a rédigé une lettre, diffusée à toute la famille, pour mettre en garde contre les "mariages mixtes" qui étaient sa hantise.   

En 1962, plus d'un million de français vivant en Algérie se sont réfugiés en métropole, ne voulant pas être arabisés, et craignant souvent pour leur vie. Ceux qui avaient les moyens, ou qui avaient de la famille se sont retrouvés sur Paris ou la Côte d'Azur, et ceux qui n'avaient rien on été répartis par l'administration. Ainsi à Troyes, nous avons vu débarquer des familles coupées de leurs racines et de leurs proches. La communauté juive de Troyes s'est dévouée pour accueillir ses coreligionnaires, Abba et Sarah Samoun, le rabbin et son épouse ont été exemplaires, et Roger les a aidé de son mieux, et mettant gracieusement à la disposition de familles de réfugiés «les appartements» de Gaston et Alice.

C'est à cette époque que je suis tombé amoureux de ces gens venus de l'autre côté de la Méditerranée, quoi d'étonnant si en 1970 je me suis marié avec une fille de Siddi Bel Abbès... Edith Roubach

Michel Lévy

Ils se marièrent, et eurent deux enfants, huit petits enfants, et en mars 2024 trois arrière petits enfants... 

 

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