27-sep-24 |
Intervention de Dov Maïmon
A la convention du CRIF dimanche, 04-Déc-2011 |
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Au lendemain de sa Convention Nationale « Demain les Juifs de France », le CRIF vous propose de découvrir les contributions écrites des intervenants qui ont bien voulu nous en proposer une version écrite. Se présentant sous la forme d’un verbatim, d’un texte synthétique, ou d’une tribune en fonction du choix de leurs auteurs, elles seront publiées sur la newsletter au rythme d’une par jour. Prochainement, vous pourrez retrouver en vidéo l’intégralité des interventions sur le site de notre partenaire AKADEM. Nous ne manquerons pas de vous en informer. Bonne lecture ! «Les Juifs de France en 2030» - Communication de Dov Maimon, directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (JPPI) |
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Ce que je voudrais évoquer avec vous aujourd'hui est le fruit d'un travail long et réfléchi fait par le JPPI. A la demande du premier ministre israélien, nous avons rédigé, après de nombreuses interviews d'acteurs majeurs juifs issus du monde entier, un rapport pour essayer de voir ce que pourrait être en 2030 le peuple juif en général et le judaïsme européen aujourd'hui. Vous pouvez trouver ce rapport et sa méthodologie, ce qui peut être utile, sur le site internet du JPPI. Les Juifs de France sont la troisième plus importante communauté juive au monde, après Israël et les Etats-Unis. La culture juive semble avoir une place importante dans le monde intellectuel français, que ce soit au niveau littéraire, philosophique, cinématographique ou musical, et Paris s'est imposé comme un lieu de créativité juive. De plus, le monde religieux juif est en pleine effervescence. Nous trouvons tous les soirs plus de cent cours de Torah et de Talmud. Le 17e arrondissement à lui seul est le plus grand rassemblement de juifs d'Europe. Enfin Francité oblige, Paris est devenu en vingt ans la capitale mondiale de la gastronomie cachère. Ce dernier point illustre mon premier constat : La préparation de notre rapport nous a montré de manière assez surprenante une différence majeure entre les dirigeants français et les dirigeants américains, australiens ou anglais. Alors que ces derniers ont des équipes indépendantes, observent les développements majeurs, construisent des scénarios et proposent des plans d'intervention intégrés, les Juifs français sont inquiets pour le futur, se plaignent et critiquent les dirigeants, mais ne prennent que peu d'initiatives personnelles pour lancer des projets novateurs. En bref, les Français pensent que les plus belles années sont derrière eux (je me réfère à différentes études et notamment à la grande étude de l'INSEAD eLab sur "l'état de la France"), et sont inquiets sur leur avenir. Par delà la crise de l’Europe qui auront un impact déterminant sur les communautés juives, personne ne sait si la France va faire le choix du métissage et de la société multiculturelle ou si au contraire, elle va, comme plusieurs de ses voisins, revenir à une identité nationale forte et exclusive. Dans un tel contexte, les juifs choisissent la prudence, ne prennent pas position dans ce débat national essentiel. Malheureusement, quand on ne prend pas de décision, les choses se font quand même et cette stratégie du laisser-faire n'est pas forcément la meilleure. La fracture sociale qui caractérise la politique française se retrouve dans la communauté, une majorité des juifs ne se reconnaissent pas dans ses institutions et ont fini par ne plus y mettre les pieds. Leur judaïté s'affirmera par des lectures, l'écoute de la fréquence juive, la vision de quelques programmes d'Akadem et au mieux par des voyages en Israël. Il n'est pas facile d'assumer publiquement son identité juive tout seul en France et on ne peut pas attendre de nos adolescents qu'ils affirment une identité juive dans les universités sans accompagnement. Selon les études statistiques précitées, les Français en général, et les juifs français en particulier, ne se pensent pas dans 20 ans et un grand nombre n’est pas convaincu que leurs enfants continueront à vivre ici. Dans un tel contexte, il n’y a bien entendu pas de réflexion sur le long terme, pas de plans de carrière pour les cadres communautaires, pour les rabbins - et cela n'encourage pas les vocations des plus brillants de nos jeunes – et les organisations – toutes bien intentionnées – n'ont pas de projet commun. Le deuxième constat dont je parlerais aujourd'hui est celui qui est le plus critique pour l'avenir des juifs de France. Si les juifs qui étudient le talmud et qui fréquentent les synagogues sont de plus en plus nombreux – et on ne peut que se réjouir de ce revivalisme – ils ne totalisent qu'une petite minorité des 700.000 ou 500.000 juifs de France. On estime, sur la base des chiffres du SPCJ, que le nombre de juifs qui ont un lien même ténu avec la synagogue, à savoir ceux qui viennent à la prière de la Ne'ila du jour de Kippour, s'élève à 150.000. On observe donc en France, plus que partout ailleurs, un phénomène de polarisation. La minorité visible ne dépasse les 100.000 personnes et les 80% d'autres ne trouvent pas leur place dans les institutions. Pour l'observateur extérieur, il semblerait que ce choix de privilégier le noyau communautaire au détriment des autres modes d'engagement juif constitue le principe organisationnel qui régit les institutions juives de France. Les institutions juives de France, s'inspirant du projet centralisateur hérité de Napoléon et développé après la guerre, n'est pas forcément approprié à la postmodernité. Malheureusement, les autres 80% sont bien moins lotis et, pour des raisons historiques, on ne leur propose pas de services qui puissent les satisfaire. Nos études montrent qu'ils s'intéressent à leur identité mais veulent du judaïsme en environnement non-juif, ne veulent pas être séparés des non-juifs, et l'identité juive centrée sur le culte, la Shoah, l'antisémitisme et la défense d'Israël ne les motive que moyennement. Un grand nombre de jeunes juifs ont du mal avec ce modèle et à défaut d'une tente où on les accepterait tels qu'ils sont, ils choisissent par défaut ou par choix, l'assimilation. Le judaïsme français va se trouver confronté dans les années à venir à des enjeux très sérieux qui concerneront en particulier les résidents de l'Arche. L'interdiction de l'abattage rituel en Hollande, de la circoncision en Scandinavie et les examens les jours de fêtes sont les prémices d'un phénomène plus large lié aux changements démographiques et socioculturels en Europe. Si demain les juifs de France ne sont plus que 150.000, car beaucoup se seront sentis à l'étroit dans l'arche et auront préféré choisir d'autres horizons, alors l'influence politique, électorale et morale d'un tel judaïsme qui s'intéresse surtout à lui-même et se désintéresse des questions sociétales sera réduite. La tente d'Abraham est un modèle à développer dans le contexte français. Si aujourd'hui presque rien n'est fait pour les jeunes juifs de 18 à 35 ans, si l'on n'encourage pas ni ne finance les initiatives les plus audacieuses d'engagement juif – à l'exemple de Limmud, de Jhub, ROI, PresenTense, Kol dor et Moishe House qui ont transformé le judaïsme anglophone – nous avons toutes les chances de perdre les forces d'influence du judaïsme français. Je noterais simplement que les communautés qui ont fait le choix d'un judaïsme moins exclusif et plus diversifié ces quinze dernières années, celles qui ont fait le choix de diversifier l'offre d'engagement juif et de faire de la place aux jeunes, ont vu leur taux de mariage mixte baisser. Tel est le cas en Angleterre, au Canada et en Australie alors qu'en France tout semble indiquer que les mariages mixtes deviennent de plus en plus fréquents. Une des recommandations du JPPI se dénomme 35/35/35 : 35% des membres des comités centraux des organisations doivent être âgés de moins de 35 ans et que 35% des budgets doivent être dédiés à cette population. Tant en Angleterre qu'aux Etats-Unis, les jeunes ont montré que quand on leur fait confiance ils savent monter des projets novateurs qui correspondent à leurs besoins réels et à leur mode de vie. Je souhaite partager avec vous quatre méthodes que j'ai eu la chance de suivre de près. Bien entendu les juifs de France devront choisir le modèle qui leur convient. L'important est que le groupe de réflexion stratégique, le thinktank ou la commission fonctionne selon un mode non-partisan, Indépendant et inclusif, qu'il s'impose comme une plateforme indépendante où tous se sentiront respectés et en confiance, où toutes les options seront pesées pareillement.
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