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Derière mise à jour
27-Sep-2024
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Victor Castanet a écrit "Les Fossoyeurs", une enquête à charge contre la gestion d'établissements d'hospitalisation pour des personnes âgées et dépendantes (Ehpad), gérées par le groupe financier multi propriétaire d'établissements : Orpea. L'enquête montre les conséquences dramatiques pour les pensionnaires d'une recherche compulsive du profit, j'ai été amené à fréquenté des EHPAD, et je n'ai pas vu la même chose.
J'ai bien connu et aimé plusieurs personnes qui ont fini leur jours dans un Ehpad, parmi eux, il y a eu mon papa. Certains établissements sont publics, d'autres appartiennent à des mutuelles, et d'autres enfin relèvent du secteur privé. Toutes les personnes à qui j'ai rendu visite ont été satisfaites, mon père a même écrit une lettre peu de temps avant sa mort pour signaler l'excellence de la maison de retraite de Pfastatt près de Mulhouse, et où il aurait aimé que d'autres personnes viennent le rejoindre. Dans cette maison, des personnes âgées entre copines venaient parfois pendant les vacances y passer quelques jours ensemble, lorsque leurs assistantes de vie étaient en congé. Je connais deux établissements Dijonnais, la fondation Fred Wormser à Valmy, ou la maison de la FEDOSAD à Saint Apollinaire, et aussi j'ai rendu visite dans des maisons à Issy les Moulineaux, à Paris et même à Jérusalem. Partout, l'ambiance était bonne, et les pensionnaires ne se plaignaient pas.
Si toutes les personnes rencontrées y étaient bien soignées, elles souffraient souvent de solitude, (Sauf à Jérusalem) où une cousine ayant perdu la mémoire courte, s'y était fait des amis. Trop souvent, la plupart des pensionnaires sont "désorientés", une personne dotée de tous ses moyens intellectuels ne peut souvent discuter qu'avec des infirmières, médecins ou les rares visites. En effet le personnel de service est soumis à un tel rythme de travail qu'il ne peut pas prendre son temps pour bavarder avec les pensionnaires. Les repas en général de qualité, sont pris dans le silence, car chacun plonge dans son assiette ou dans ses pensées.
Dans cette maison de retraite luxueuse de Jérusalem, dans la salle à manger, on ne voyait que des personnes "présentables", les pensionnaires souffrant de troubles mentaux, ou ayant besoin d'assistance pour se nourrir étaient servis au sous sol. Vu le prix de la pension, la plupart des résidents étaient d'origine américaine.
Cette expérience personnelle n'est pas vraiment significative de la situation générale, 80 % des pensionnaires sont désorientés, et certains sont abandonnés par leurs proches, ils sont parfois incontinents, ne mangent plus spontanément, et nécessitent des soins d'hygiène lourds, désagréables et fréquents y compris la nuit alors que le personnel est réduit à son stricte minimum.
Je n'ai eu que des échos éloignés de maltraitance, un proche qu'on attachait à son lit toute la nuit, malgré ses protestations, et pire un aveugle à qui on mentait pour le priver d'une ceinture herniaire qui seule pouvait soulager ses douleurs.
Alors, même si mon impression générale est bonne, une enquête parlant des cas difficiles montrera la face cachée de la lune.
Dans l'ouvrage "Les Fossoyeurs" Victor Castannet, pendant trois ans ainterrogé 250 témoins, le livre vise d'abord ORPEA, leader mondial des EHPAD mais son concurrent Korian, se défend lui aussi, car il a également été victime de plaintes de familles de résidents. Grâce à une enquête de terrain, on apprend ainsi que l’obsession de la rentabilité et de la diminution des coûts, fait qu'on rogne sur les dépenses, y compris sur la nourriture, et sur les protections, la direction s’arrange pour bénéficier au mieux des subventions publiques et jongle sans cesse avec les contrats de vacataires. Les ententes avec des élus ou hauts fonctionnaires viennent même faciliter certains arrangements locaux… Les raisons financières expliquent les dérives dans un établissement Orpéa.
Extraits des « Fossoyeurs », une enquête sur le business du grand âge : « Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée » .
En s’intéressant d’abord aux dérives signalées à Neuilly-sur-Seine, banlieue huppée de Paris, l’auteur n’imaginait pas qu’il plongerait à ce point au cœur de ce qu’il appelle le « système Orpéa ».
A l’en croire, l’obsession de la rentabilité aurait poussé les dirigeants historiques du groupe – à commencer par son fondateur, le docteur Jean-Claude Marian, aujourd’hui richissime président d’honneur –, à imposer des méthodes managériales contestables, à rogner sur les dépenses, à s’arranger pour profiter au mieux de l’argent public, à jongler sans cesse avec les contrats de vacataires. Sans oublier les liens financiers avec des fournisseurs et des apporteurs d’affaires, ou encore une troublante proximité avec des hauts fonctionnaires et des élus, en particulier Xavier Bertrand.
Le tout au nom d’une phrase érigée en dogme dans les réunions d’état-major : « Il faut que ça crache ! »
Le groupe crie au mensonge, et à la calomnie, fait valoir le contexte difficile, surtout depuis la pandémie, et s'il reconnaît qu'ici ou là il peut y avoir des manquements, ce n'est en aucun cas une politique systématique. La direction va remédier à tous les disfonctionnements constatés.
Une émission de télévision montée par Elise Lucet , la Fouquier-Tinville de la télévision, s'annonce saignante et partiale, soyons en sûr, les scandales seront dénoncés, et les circonstances oubliées. Les manquements évidents des géants Orpéa et Korian, les compromissions voir la corruption de hauts fonctionnaires seront probablement dénoncés, on aura des coupables à pendre, mais dira t-on que la maltraitance existe aussi dans les Ehpad publiques ou mutualistes ?
On a pas attendu Victor Castanet pour appeler "mouroir" un grand nombre de maisons de retraite.
Orpéa se défend, et dans un communiqué dénonce une campagne de calomnie, le groupe s'engage à corriger toutes les insuffisances réelles constatées, le groupe souhaite que l'administration crée un "label qualité", une série de normes, et que le label soit donné à tous les établissements qui le méritent, avec des inspections à l'improviste, afin que chaque chef d'établissement, puisse craindre qu'on lui retire son label en cas de défaillance. Il est vrai qu'aujourd'hui les inspections sont rares, et annoncées longtemps à l'avance, ce qui permet de présenter au bon moment une maison impecable.
Les grands groupes financiers, comme les établissements mutualistes ou publics sont tenus à une saine gestion, et à obéir à des normes fixées par la sécurité sociale, ou les contrôleurs financiers de l'état. Partout on chasse "le gaspi", dans le privé où les prix sont plus élevés, on tient à rétribuer les actionnaires, si bien que même dans les maisons très chères, le personnel est rarement suffisant. Non seulement on rechigne à embaucher pour faire des économies, mais lorsqu'on le fait, on ne trouve personne. Les salaires sont très bas, la charge très lourde, et le travail pas toujours ragoutant. Le taux de congés maladie, d'accident du travail en Ehpad est bien supérieur à celui qu'on trouve dans les autres établissements de santé.
Aujourd'hui, il y aurait 68 personnes dans les Ehpad pour 100 pensionnaires, dont moins de 25 soignants, tout le monde s'accorde pour dire que c'est insuffisant, mais ce chiffre global cache de grands écarts, les besoins ne sont pas les mêmes selon l'état de santé moyen des pensionnaires de l'établissement. Certaines personnes n'ont besoin que d'une aide légère pour la toilette, d'autres doivent être changées et nettoyées plusieurs fois par jour, et exigent une aide pour leur donner à manger à la cuillère.
En ne considérant que le personnel soignant, le plan solidarité grand âge 2007-2012 préconisait 0,65 soignants pour un résident et jusqu'à 1 pour 1 pour les personnes en très grande dépendance. On en est loin !
En comparaison à ses voisins européens, la France est loin derrière. Ainsi, pour un EHPAD de 100 lits, l'Espagne a 40 soignants, l'Allemagne 38, la Belgique 35 et la France 24.5 seulement. (don 6 infirmiers ! )
On ne peut pas continuer à laisser des vieillards dans des couches sales pendant des heures, ni rester insensible à la formation d'escarres, ou à la sous alimentation. Il faut du personnel dévoué et disponible pour des tâches ingrates, indispensables pour maintenir en vie le plus longtemps possible de ceux qu'on aime.
Il est indispensable de les payer dignement les soignants, afin d'attirer du monde dans la profession, et il faut aussi qu'ils puisse matériellement faire leur métier, c'est à dire disposer du temps pour le faire. Donc on devra multiplier les emplois.
Or un séjour en Ehpad coûte aujourd'hui deux fois le montant d'une retraite moyenne. Combien faudrait-il payer pour avoir des prestations décentes ? ? serait-il moral d'avoir des Ehpad aux normes réservés à quelques uns, et rien pour les autres ?
Pour cela nos dirigeants ont prévu une nouvelle branche de la sécurité sociale, qui permettrait de financer la grande dépendance, afin que les anciens puissent y terminer leurs jours dans des conditions décentes. Or ce projet est voté et resté dans les cartons, on ne peut pas réclamer à corps et à cri la réduction des dépenses publiques, la réduction du nombre de fonctionnaires, et vouloir des services publics de santé, d'éducation, ou de sécurité de qualité. Soit la dépense est individuelle, alors seuls ceux qui ont la chance de pouvoir en profiter en bénéficieront, soit la l'État nous oblige à épargner, afin que nous puissions tous terminer nos jours dans la dignité.
C'est un débat politique qui devrait être discuté pendant la campagne électorale, mais on préfère se préoccuper de la chasse aux étrangers, et de la chasse aux impôts.
Michel Lévy