Alors que la communauté internationale pensait que Vladimir Poutine allait attendre un «faux pas» de l'Ukraine comme prétexte pour envahir le pays, le président de la fédération de Russie a finalement décidé d'y mener une «opération militaire», sur la seule base de l'article 51 de la Charte des Nations unies.
«Les "républiques populaires" de Donetsk et de Louhansk ont demandé l’aide de la Russie. A cet égard, en vertu de l’article 51 du chapitre VII de la Charte des Nations unies, avec l’autorisation du Conseil de la Fédération de Russie [...] j’ai décidé de mener une opération militaire spéciale», a ainsi justifié Vladimir Poutine, avant d'envahir l'Ukraine ce jeudi 24 février.
Cet article – inscrit dans le chapitre VII de la Charte des Nations unies consacré à l'action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression – stipule en effet qu'un pays peut recourir à «la légitime défense, individuelle ou collective [...] dans le cas où un Membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales».
Et si Vladimir Poutine n'est évidemment pas en mesure de prouver que la Russie a été victime d'une «agression armée» de l'Ukraine, il évoque néanmoins «l'intimidation» et «le génocide» qu'aurait subi la population des "républiques populaires" de Donetsk et de Louhansk «depuis huit ans [...] de la part du régime de Kiev». Le président de la fédération de Russie a également fait part de son ambition «de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine».
L'ATTAQUE MASSIVEMENT JUGÉE «INJUSTIFIÉE»
Une position tenue par Vladimir Poutine que ne partagent pas du tout les plus hauts fonctionnaires de la diplomatie internationale, notamment la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel, qui ont conjointement «condamné fermement l'attaque injustifiée de l'Ukraine par la Russie».
Une attaque également jugée «injustifiée» par le président américain Joe Biden, mais aussi par le chancelier allemand Olaf Scholz, qui a quant à lui qualifié l'opération militaire russe lancée en Ukraine de «violation éclatante du droit international».
«Il n'est pas en effet possible d'expliquer que Vladimir Poutine répond à une quelconque attaque de l'Ukraine, puisque le président ukrainien Volodymyr Zelensky a tout fait pour éviter de se montrer menaçant», a avancé Florent Parmentier, professeur de sciences politiques et chercheur au CEVIPOF de Sciences Po Paris sur France Info, notant «l'accélération très rapide» des prises de position de Vladimir Poutine.
Pour le journaliste et expert en stratégie militaire Pierre Servent, interrogé par France Info, les rencontres de Vladimir Poutine ces derniers jours avec Emmanuel Macron et d'autres dirigeants occidentaux n'étaient même qu'«une fausse séquence diplomatique». Et d'assurer : «il fallait vraiment être très aveugle pour ne pas se rendre compte qu'il ne souhaitait absolument pas négocier. Il y a une volonté de restaurer la force et un mépris pour le droit».
Pourtant, selon de récents propos tenus par Florent Parmentier, la Russie n'a en fait «pas grand chose à gagner» à envahir l'Ukraine. Il y aurait «plus à gagner si la Russie [arrivait] à faire accepter aux Ukrainiens les conclusions des accords de Minsk de 2014 et 2015 qui sont aujourd'hui jugés à Kiev comme étant très défavorables aux intérêts ukrainiens».
A noter enfin que l'article 51 du chapitre VII de la Charte des Nations unies mentionne que ce droit à la légitime défense «n’affecte en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil de sécurité de l'ONU, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales».
ENTRETIEN. Pourquoi Vladimir Poutine parle-t-il de « dénazifier » l’Ukraine ?
Galia Ackerman est historienne, russe et française. Dans son livre « Le régiment immortel », en 2019, elle expliquait le rôle de la victoire de Staline contre le nazisme dans la propagande de Poutine. L’actualité l’illustre dramatiquement.
« Les propagandistes du Kremlin ne mâchent pas leurs mots, et le discours est de plus en plus virulent, comme si la Russie s’apprêtait à mener une grande offensive contre l’Ukraine. » Ces lignes, Galia Ackerman les a écrites, il y a trois ans, à la fin de son ouvrage Le régiment immortel – la guerre sacrée de Poutine.
En étudiant le rôle croissant de la Seconde Guerre mondiale dans la propagande du Kremlin, et de la figure de Staline, elle identifiait l’Ukraine comme le point de rupture inévitable dans la restauration dont rêve Vladimir Poutine. Mêlant pratiques soviétiques (staliniennes même) et idéologie impériale.
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Que savent les Russes de l’invasion ordonnée par Vladimir Poutine en Ukraine ?
Les Russes ne voient pas grand-chose en réalité. Parce que cela ne s’appelle pas une guerre, la guerre n’a pas été déclarée. Ce qui a été déclaré, c’est une « opération spéciale », qui nous rappelle bien sûr la seconde guerre de Tchétchénie, qui n’avait pas été officiellement une guerre non plus, mais une opération antiterroriste. La ville de Grozny a été totalement détruite, mais ce n’était pas une guerre.
Que voit-on à la télévision ?
On montre surtout les avancées des séparatistes pour s’emparer du reste du Donbass, ainsi que l’occupation de telle localité et des images de quelques Ukrainiens capturés. Surtout, on ne montre pas les résultats des bombardements. Officiellement, on a dit que c’était pour détruire les infrastructures. On parle bien des aérodromes, des avions, des chars qui ont été détruits, mais on évite surtout de diffuser des images de bombardements de civils tués et blessés. C’était la même chose en Syrie. L’information est totalement biaisée.
Et la propagande marche ?
J’ai assisté à une scène saisissante dans un débat télévisé, où ils avaient invité un Ukrainien basé à Moscou. Il ne soutenait pas le gouvernement de Kiev, mais il est maintenant totalement révolté face aux bombardements. On lui a donné la parole en dernier. « Mais je ne comprends pas, a-t-il dit, vous parliez de la défense du Donbass, mais que faites-vous à Kharkiv ? Des bombardements des habitations ? » Les autres participants et le présentateur ont commencé à hurler : tout cela, c’est de la propagande ukrainienne, ce sont eux qui tirent d’un quartier sur l’autre. Voilà le type de récit.
Que veut Vladimir Poutine ?
L’armée russe se prépare à envahir complètement l’Ukraine. Peut-être la dépecer, en l’amputant d’une partie, en instaurant des régimes fantoches. C’est bien une guerre. Il ne s’agit pas seulement de reconquérir les territoires qui étaient sous contrôle ukrainien dans les régions administratives du Donbass, mais l’Ukraine en entier.
Sur Internet, les informations circulent cependant…
Oui, mais les régulateurs ont fortement réduit le débit. Ils viennent de bloquer Facebook. Il est de plus en plus difficile de voir des vidéos. Cela peut aussi provoquer des protestations, mais la répression est très dure. La nuit s’abat simultanément sur la Russie et l’Ukraine.
Les manifestations continuent pourtant, elles peuvent durer ?
Je ne pense pas qu’un mouvement populaire peut renverser ce régime ou arrêter cette guerre. Poutine n’a la possibilité que d’une fuite en avant, après ce qu’il a fait. Il ne faut donc pas surévaluer les possibilités de ces manifestations. Vous avez vu le cas de la Biélorussie, il y avait des millions de gens dans la rue, la moitié des adultes du pays, et pourtant, le régime a pu réprimer cela, mettre beaucoup de gens en prison, torturer, décider de peines de prison très importantes.
Vers un régime totalitaire
Poutine va-t-il faire pareil ?
Le parquet a déjà prévenu que le soutien à l’Ukraine va être considéré comme une haute trahison. La peine de mort a été suspendue et n’a pas été rétablie, mais cela va revenir prochainement, puisque la Russie n’est plus liée par les obligations du Conseil de l’Europe. Il y a des cris, dans toutes les émissions télé contrôlées par le Kremlin, pour dire qu’il faut se débarrasser de la « cinquième colonne ». Donc, ceux qui sont sortis dans la rue sont passibles d’être accusés de haute trahison. Les initiateurs risquent gros. Je pense que nous sommes face à la transformation d’un régime très autoritaire en régime totalitaire.
Vous pensez que Vladimir Poutine s’inspire de la Chine ?
Il n’en a pas besoin, je pense qu’il s’inspire de Staline, du prétexte aux grandes purges qui ont coûté la vie à près de 800 000 personnes, en un an, dans les années 1930, et envoyé des millions de personnes au goulag. Staline, avant la guerre qu’il savait imminente, était obsédé par l’idée d’une « cinquième colonne », dont il fallait se débarrasser. Il voulait semer la terreur pour souder la population.
« Décommmunisation »
Vous racontiez, en 2019, dans votre livre Le régiment immortel, le poids de la Seconde Guerre mondiale dans la propagande de Poutine.
Malheureusement, j’avais raison. J’ai décrit, dans un long chapitre, pourquoi il y a cette rupture civilisationnelle entre la Russie et l’Ukraine.
C’est-à-dire ?
Pour moi, elle porte sur l’idée de « décommunisation » dont Poutine a parlé encore récemment. C’est complexe.
La Russie, formellement, n’est plus un pays communiste, alors pourquoi parler de « décommunisation » et pourquoi est-ce inacceptable pour le régime ?
En fait, pour les Ukrainiens, ce mot signifie l’adoption d’une thèse qui n’est pas nouvelle sur les régimes totalitaires, qui remonte à Hannah Arendt. Il s’agit de qualifier aussi bien le régime stalinien que le régime d’Hitler de régimes totalitaires, qui enlevaient toute liberté aux citoyens et finalement conduisaient les pays à leur perte. En 2015, le parlement ukrainien a adopté la loi sur la « décommunisation », en interdisant tout symbole communiste comme tout symbole nazi.
C’est-à-dire ?
Interdire aussi bien la faucille et le marteau que la croix gammée. Et c’est quelque chose de totalement inacceptable pour le régime de Poutine et sa mentalité. Pour eux, ils sont les vainqueurs du nazisme, ils ont gagné la guerre et l’Allemagne nazie l’a perdue. Impossible de mettre à égalité les deux régimes. En réalité, cette position de la victoire inconditionnelle du bien sur le mal excuse tout ce qu’a fait Staline, parce qu’on ne peut pas être à la fois le boucher et le héros.
D’où l’acharnement sur l’association Memorial, qui collectait justement des informations sur les crimes du stalinisme ?
Oui, avec des arrestations, encore récemment. Et aussi la non-reconnaissance du fait qu’une occupation nazie, qui était un malheur évident, a été changée après la victoire soviétique en une autre occupation sur l’Europe de l’Est. Partout où les Soviétiques ont pris le contrôle, il y avait des purges, des déportations, des assassinats ciblés, des procès. On s’est débarrassé des nazis pour se coller les communistes. Cette vision de l’histoire, qui est partagée par l’ensemble de l’Europe qui était occupée par les Soviétiques, est totalement intolérable pour les Russes.
Les aspirations démocratiques des Ukrainiens
Les Ukrainiens, même les russophones, rejettent totalement cette lecture désormais ?
Oui, ils ne veulent pas d’un modèle de gouvernance resté pratiquement intact après l’éclatement de l’URSS en Russie même. Ce que j’appellerais un soviétisme sans le communisme. Dans tous les pays où les communistes sont arrivés au pouvoir, c’est un mode de gouvernance qui permet de contrôler entièrement les citoyens. Et la non-alternance. La Russie a opté pour ce modèle, et l’Ukraine a opté pour le modèle démocratique occidental.
Radicalement ?
Oui. On peut dire tout ce qu’on veut des Ukrainiens. C’est un pays profondément corrompu, un peu bordélique (pardon pour le terme), car c’est un État jeune. La classe dirigeante ukrainienne, même soviétique, a été décimée sous Staline déjà, et pendant des décennies de contrôle total, sous la coupe russe, cela n’a pas permis de développer une grande culture politique C’est un pays jeune, qui a fait beaucoup d’erreurs, mais avec une chose très claire : c’est un pays libre, où les médias ont été libres. Où il y a eu des élections démocratiques, une alternance. Où il y a un multipartisme. On ne peut pas le dire de la Russie.
« Dénazifier »
Pourquoi Poutine parle-t-il de « dénazifier » l’Ukraine ?
À l’époque du soviétisme, on ne parlait pas de nazisme, mais de fascisme. C’était les « fascistes allemands », parce qu’il y avait le mot « socialisme » dans « national-socialisme ». Après la guerre, tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec Staline, même quelqu’un comme Tito, qui a combattu très valeureusement contre les nazis, étaient appelés « fascistes ». En 1968, quand les chars russes ont envahi la Tchécoslovaquie, on ne disait pas que les Tchèques étaient des nazis, mais on disait quand même qu’il s’agissait de prévenir une invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis allemands. On parlait très facilement des fascistes ou nazis sionistes. Bref, tous ceux qui étaient contre les Soviétiques devenaient automatiquement des fascistes ou des nazis.
Pourquoi « dénazifier » ? L’extrême droite serait forte en Ukraine ? Comme si le mouvement national était indissociable de l’extrême droite ?
Non, c’est totalement faux. Il y a des groupes néonazis et une extrême droite en Ukraine, mais ils sont moins importants qu’en France ou en Allemagne. Ce que Moscou ne supporte pas, c’est par exemple la loi promulguée en Ukraine il y a quelques années faisant des résistants à l’occupation soviétique des héros, au même titre que les résistants au nazisme. Pour Poutine, c’est un crime impardonnable. Pour le régime, cette glorification de combattants au soviétisme, c’est la résurgence du nazisme.
L’ennemi, quel qu’il soit, c’est le nazi…
Oui, et eux sont dans la logique nous avons vaincu les nazis, nous sommes le bien. Ceux qui se battent contre nous sont des nazis. J’ai entendu de mes propres oreilles, dans des émissions télé qui depuis des années prônent qu’il fallait faire ce que Poutine est en train de faire, que tous ceux qui combattaient les Soviétiques en Ukraine occidentale étaient automatiquement des nazis.
Dépecer l’Ukraine
Poutine veut contrôler toute l’Ukraine ?
Oui, il veut tout reprendre.
Mais il ne peut pas tenir un pays aussi vaste…
Non, il ne peut pas tenir l’Ukraine. Ce que je pense, et j’espère me tromper, c’est qu’il veut diviser l’Ukraine en plusieurs entités, établir un ou plusieurs régimes fantoches, comme ils l’ont fait dans les deux républiques séparatistes du Donbass. Commencer une russification profonde et la chasse à tous les opposants. Et une élimination physique, annoncée par les Américains.
Balkaniser l’Ukraine en quelque sorte ?
Oui. Pour que cette hydre du nazisme ne puisse plus renaître. Des cartes circulent, elles correspondent exactement à ce qu’a dit Poutine. Elles montrent l’Ukraine et indiquent les territoires qui, soi-disant, ont été donnés en cadeau par les Tsars russes d’abord (ce qui est absurde, puisqu’il n’y avait pas d’Ukraine sous les Tsars, c’était des provinces de l’empire tsariste). Puis donnés par Lénine, puis par Staline avec l’Ukraine occidentale. Enfin par Khrouchtchev, avec la Crimée. Le concept est brutal et clair. Vous voulez la décommunisation ? On va vous enlever tous les cadeaux du pouvoir soviétique. Et même ceux du Tsar, car la Russie actuelle est à la fois héritière de l’Union soviétique et du Tsar de toutes les Russie.
Ils veulent tuer le président ukrainien Volodymyr Zelensky ?
Absolument. Peut-être pas tout de suite, mais le capturer vivant, lui faire un procès, et si la peine de mort est rétablie entre-temps, ils sont capables de l’appliquer.
Vladimir Poutine parle de pays frère, mais il le détruit et semble mû par la haine ?
Oui, vous l’avez senti peut-être en écoutant les discours de Poutine. La haine de l’Ukraine est viscérale. C’est une question très émotionnelle pour ce régime, avec cette insistance sur Kiev comme étant la mère des villes russes, parce que c’est le berceau de l’orthodoxie. Idéologiquement, l’empire russe a besoin de l’Ukraine, il ne peut pas se constituer avec le Kazakhstan ou le Kirghizistan. La clé de la restauration de l’empire, c’est l’Ukraine. Ils feront tout pour contrôler avec des collaborateurs locaux, qui, bien sûr, vont se manifester. C’est inévitable.
Et en Russie ?
Je voudrais ajouter que si la nuit noire est en train de tomber sur l’Ukraine, elle descend dans le même temps sur la Russie. C’est la même nuit noire. Mais le peuple ukrainien a à son crédit une capacité de résistance exceptionnelle. Les deux révolutions de Maïdan, en 2004 et 2013, montrent que le peuple ukrainien a une vitalité incroyable. Dès que le régime Poutine va tomber, et il finira par tomber, l’Ukraine renaîtra de ses cendres. Pour la Russie cela va être beaucoup plus difficile. Parce que le dommage de ces vingt dernières années d’endoctrinement, de nihilisme, de destruction des valeurs humanistes, le relèvement de la Russie va être beaucoup plus pénible et difficile.
La propagande « poutinienne » a été trop loin en France ?
Nous l’avons trop ingérée. Un de mes amis de la haute « intelligentsia » parisienne était persuadé que la Russie était notre meilleur rempart contre l’islamisme. Et donc on s’est totalement brouillé. Il vient de m’écrire, en me disant : je me trompais. Cette idée d’une proximité avec Poutine pour une restauration des valeurs occidentales, favorisée aussi par l’antiaméricanisme, est une idée totalement fausse. Elle a pris racine chez nous, certains s’en débarrassent péniblement aujourd’hui.
«Je suis Poutine !»
Pourquoi il faut soutenir Poutine
Chronique Algérienne - Point de vue de Youcef Benzatat / Algérie Patriotique / 27
La guerre, ce n’est pas bien. Elle tue des femmes et des enfants innocents et tout ce qui se dresse sur son chemin. La guerre est aveugle. On n’est jamais pour la guerre, mais parfois elle nous est imposée. Elle devient indispensable pour redresser le tort qui nous est fait. Elle devient inévitable lorsqu’elle devient l’ultime recours.
Voire nécessaire parfois pour sauver l’humanité et préserver la paix dans le monde. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, oui, il faut parfois faire la guerre pour préserver la paix et tuer des innocents pour sauver l’humanité. «Dégâts collatéraux», disent les va-t-en-guerre pour justifier les massacres commis par leur folie.
La guerre contre les nazis allemands et celles menées par les Vietnamiens contre les Américains et les Algériens contre le colonialisme français étaient nécessaires. On ne les aimait pas ces guerres-là, mais on y était forcé de les mener jusqu’au bout. Jusqu’à leur privation définitive de nuire à ces ennemis de la paix et du bien-être de l’humanité que sont le nazisme allemand, l’impérialisme américain et le colonialisme français.
Oui, on n’aime pas la guerre, mais on est contraint d’être pour lorsqu’elle est nécessaire. C’est le cas aujourd’hui pour la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine. On n’aime pas cette guerre, mais nous la soutenons car elle est nécessaire. Elle est nécessaire parce qu’elle vise en même temps le renversement du régime ukrainien qui n’hésite pas à afficher ouvertement son idéologie néo-nazie, en l’accompagnant sans scrupule par des passages à l’acte. Notamment celui d’avoir commis un génocide contre les populations du Donbass, avec méthode, froideur et l’arrogance de la satisfaction du fait accompli.
La guerre que mène Poutine à l’Ukraine est une guerre contre un parti néo-nazi, qui n’est pas si différent des partis appartenant à cette idéologie fasciste et qui meublent les régimes occidentaux s’autoproclamant des démocraties. Des partis de plus en plus populaires ces dernières décennies et qui sont partout prêts à l’assaut du pouvoir, si ce n’est pas déjà fait pour certains d’entre eux, sous le regard impuissant, voire complaisant de la majorité de la classe politique et de la société civile, qui n’hésitent pas à les rejoindre comme on y adhérait autrefois au parti nazi d’entre les deux guerres.
En témoignent leur indifférence et leur insouciance cynique devant la destruction délibérée de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Yémen, de Gaza et, plus récemment encore, leur absence totale de réaction et d’indignation devant le feu vert donné par l’Etat d’Israël à son armée et à ses services de sécurité d’abattre tout Palestinien désobéissant, frondeur ou récalcitrant.
Cette guerre est d’autant plus nécessaire, au regard de la solidarité unanime avec ce régime néo-fasciste ukrainien de la part de l’Occident et la diabolisation de Poutine pour avoir voulu le contrer, en même temps d’avoir pris l’initiative de repousser l’encerclement dont la Russie fait l’objet dans le but d’étouffer la principale poche de résistance à l’expansion de l’impérialisme occidental.
Tout en étant nécessaire, parce qu’elle constitue un front de résistance à la montée du fascisme en Occident et le danger qu’il fait peser sur la paix dans le monde et le salut de l’humanité, elle est surtout nécessaire parce qu’en s’attaquant à un allié génocidaire de l’Occident, elle constitue un affront à la propension de celui-ci à se considérer le maître du monde, s’auto-attribuant la prérogative de désigner des Etats souverains par le qualificatif d’Etats voyous, légitimant leur destruction et le massacre aveugle de leurs populations dans l’impunité et l’inaction totale des institutions internationales.
Si nous soutenons la guerre que mène Poutine contre le régime néo-nazi ukrainien, c’est parce que c’est notre guerre aussi. Celle qui permettrait la polarisation du monde, la démocratisation des institutions internationales, ONU, TPI, etc., le rétablissement de la justice internationale et la fin des entraves aux processus de démocratisation et de développement des pays émergents.
Poutine est un homme de son temps, qui partage son idéal politique avec celui de tous ceux qui sont victimes d’un Occident dominateur, arrogant et cupide. Il est issu d’une nation qui ne s’est pas bâtie sur le génocide des Amérindiens, des Africains, des Asiatiques et des aborigènes australiens. Il est comme nous tous indigné et révolté devant la conduite d’un Occident belliqueux, héritée d’une histoire criminelle et génocidaire. Conscient que seule une résistance solidaire pourra stopper. Nous sommes tous des Poutines indignés, pour la paix dans le monde, la justice internationale et le salut de l’humanité. Youcef Benzatat / Algérie Patriotique / 27 Février 2022
(Algérie black liste)
(*) Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que la responsabilité de son auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement notre position.
LES DICTATEURS ONT SOUVENT UN COMPORTEMENT FRISANT LA FOLIE
Par Jacques BENILLOUCHE copyright © Temps et Contretemps
Poutine et son visage bouffi |
Tous les dictateurs ont souvent été traités de fous parce que leurs actions n’avaient aucune explication logique répondant aux critères humains d’intelligence. Les époux Ceausescu avaient été classés dans cette catégorie parce qu’ils avaient imposé une chape de plomb sur la liberté de leurs citoyens et détruit leur capitale et ses beaux joyaux architecturaux pour construire un palais démesuré. Mais tant que leurs actions restaient limitées à leurs citoyens, le monde observait en spectateur, sans chercher à entraver leur fuite en avant. Staline et Hitler ont été considérés à postériori comme fous parce que la mort volontaire de millions d’humains ne pouvait être justifiée que par des coups de folie, sans autre explication.
Poutine face à son conseil de sécurité |
Poutine est certes un mégalomane qui a mis au pas toute la classe dirigeante de son pays. Face à lui, personne n’ose broncher ni émettre un avis contraire, à l’image flagrante de la réunion de son conseil de sécurité où il a carrément humilié son chef des renseignements qui avait un temps hésité à l’invasion de l’Ukraine. Des grands officiers, des grands spécialistes sécuritaires, des grands politiques russes, assis sagement comme des enfants devant leur maitre, sont momifiés par la peur.
L’opposant Lev Ponomarev a réagi en osant le qualificatif le plus adapté selon lui : «Poutine est fou, il veut dominer le monde. L'Occident doit désormais se montrer ferme. Le chef du Kremlin est pétri d'une mentalité paranoïaque. Il peut nous entraîner dans une troisième guerre mondiale, voire dans un conflit nucléaire».
La personnalité de Poutine s’est modelée au fil du temps, de manière progressive, sous forme de différentes incarnations. Il s’est d’abord comporté comme réformateur économique et démocrate. Le président George W. Bush, le premier, «a regardé l'homme dans les yeux et a pu se faire une idée de son âme». Il n’avait pas la fibre de dictateur mais il l’est devenu au fil des années, au fur et à mesure qu’il peaufinait ses tendances autoritaires. Il a démantelé le système électoral russe, a pris le contrôle de ses médias, a assassiné ses opposants, a emprisonné ou a contraint certains à l'exil, a participé à la plus grande corruption de l’Histoire et a interdit les manifestations pacifiques sous peine du goulag.
Le monde s’est réveillé tardivement, après l’invasion de l’Ukraine et son action radicale. La chancelière allemande Angela Merkel, la première, avait osé déclarer au président Obama que Poutine était déconnecté de la réalité et qu’il «vivait dans un autre monde» tandis que l'ancienne secrétaire d'État, Hillary Clinton, l'avait comparé à Adolf Hitler.
Il n’est pas fou car il est parfaitement conscient. Il a cependant le complexe de la persécution qui l’a poussé à la folie des grandeurs parce qu’il se sent isolé. Il a toujours dit que la Russie est un pays assiégé, entouré d'ennemis, perpétuellement au bord de la catastrophe, dont il est le seul capable de la sauver. Des armes nucléaires de l'Otan sont menaçantes à ses frontières. Il a martelé cette doxa à toutes ses conférences de presse : il n’est pas agresseur mais une victime assiégée après avoir vécu le déshonneur de l’Urss. Sa stratégie est à présent éprouvée ; il intimide ses adversaires impuissants à force de mensonges éhontés.
En réalité, il est plus proche de Néron qui était d'une ambition démesurée, après avoir lutté de toutes ses forces contre l'immense conjuration politique dressée contre lui. Les historiens ont longtemps débattu de la folie, réelle ou mise en scène, de Néron. Sa ressemblance avec Hitler semble plus probante par l’obsession de la catastrophe imminente, la méfiance totale du reste du monde, le bouc émissaire paranoïaque de certaines minorités et l’appétit pour l'annexion de nouveaux territoires. A cela s’ajoute la corruption endémique de tous les dirigeants russes. Poutine se justifie en affirmant que tous les gouvernements occidentaux aimeraient emprisonner leurs opposants et envahir leurs voisins, mais que la plupart du temps ils manquent de courage.
Les derniers évènements posent la question de la santé mentale et physique de Poutine lorsqu’il annonce la mise en alerte de la force de dissuasion russe qui peut comprendre une composante nucléaire. Les observateurs poussent à nouveau l’interrogation sur sa folie ou sur sa santé. Les médias se sont donnés à cœur joie. Selon les rumeurs, toutes démenties par le Kremlin, Poutine, qui est apparu à de nombreuses reprises le visage bouffi, serait un amateur de botox, atteint de la maladie de Parkinson, il souffrirait des conséquences d'un Covid long ou bien encore souffrirait d'un cancer qui ne lui laisserait plus que quelques années à vivre. En 2015, un rapport du Pentagone rédigé en 2008 indiquait qu'il était atteint du syndrome d'Asperger, qui se manifeste par des difficultés à communiquer, à établir des rapports sociaux, et à supporter le bruit ou un environnement très stimulant. Cela expliquerait ses difficultés dans les relations sociales avec autrui. Il y a des petits moments où il disparaît un peu des radars et quand il réapparait, quelques questions se posent sur un usage immodéré de la cortisone.
Anne Colin Lebedev, maîtresse de conférence spécialiste des sociétés post-soviétiques, alerte sur les dangers à psychiatriser l'adversaire : «Poutine est fou. Peut-être, mais peu importe, car nous avons surtout besoin de comprendre la rationalité interne de son action. Nous avons besoin de cerner l'étendue de son projet, de voir ses points saillants». Ce point de vue est partagé par le journaliste Frédérick Lavoie, envoyé spécial en Ukraine : «Je n'aime pas quand on se borne à le qualifier de fou furieux. En attribuant ses actions à la folie, on omet toute possibilité d'analyse de sa conception de ce qu'est une action rationnelle».
Mais un fou a toujours des périodes de lucidité qui l'ammènent à analyser la situation avec pragmatisme. Poutine est isolé, ses troupes manquent de logistique, des soldats russes tombent chaque jour, les Ukrainiens résistent avec leurs maigres armes, l'économie marque des signes d'effondrement avec un rouble en perte de vitesse. Il estimait avoir un boulevard en Ukraine mais ce boulevard est semé d'embûches. Il n'a pas pensé que la mobilisation pacifique serait aussi forte à l'étranger. Il croyait pouvoir surfer sur des menaces militaires mais l'Occident n'est pas tombé dans le piège. Alors, de cette folie peut surgir un réveil pour mettre fin à une aventure perdue d'avance.
Sommes-nous déjà en guerre avec la Russie?
- Philippe de Lara Maître de conférence en science politique, université Paris-II
https://www.telos-eu.com/
Je voudrais ouvrir ici deux questions. Un, la position de non-belligérance de l’OTAN est-elle tenable ? Deux, l’OTAN et l’UE peuvent-elles répondre à l’agression russe, si agression il y a, sans entrer dans l’engrenage de la guerre totale ?
Je n’ai pas de certitude sur la réponse à ces questions immenses et effrayantes, mais je pense qu’elles se posent déjà aux Occidentaux et j’espère qu’ils s’y préparent. En effet, la position de non-belligérance affirmée depuis le début des hostilités n’est pas une garantie solide de non-extension du conflit. À tout moment, la Russie peut décider que telle sanction ou telle intervention des Occidentaux, en particulier les livraisons d’armes à l’Ukraine, constituent des actes de guerre.
Plus la Russie se rapproche des frontières occidentales de l’Ukraine, plus s’accroît le risque d’incidents impliquant les forces de l’OTAN sans que l’OTAN l’ait décidé. Or Poutine a clairement fait savoir qu’il veut envahir toute l’Ukraine et liquider les « nazis », c’est-à-dire non seulement les dirigeants du pays, mais tous ceux qui combattent pour la liberté de leur pays, ce qui peut aller très loin compte tenu de la mobilisation de la population ukrainienne, qui a impressionné le monde entier.
Enfin, l’intensification de la campagne de l’armée russe crée de nouveaux risques et va bientôt toucher massivement la population civile. C’est déjà le cas à Kharkiv, à Tchernihiv, à Marioupol, aux environs de Kyiv. Des milliers d’Ukrainiens de la diaspora sont en train de rentrer en Ukraine pour combattre l’invasion russe. L’exil des familles ukrainiennes atteint et dépasse le million. Le convoi qui avance lentement vers Kyiv transporterait des bombes thermobariques, qui ne sont ni nucléaires ni interdites par des conventions internationales comme le sont les armes chimiques, mais qui n’en sont pas moins dévastatrices.
La position de non-belligérance sera de plus en plus problématique à chaque ligne rouge franchie. Problématique non seulement sur le plan moral, mais aussi pour la crédibilité de l’OTAN. Enfin, le risque nucléaire est de plus en plus tangible : si l’emploi d’armes nucléaires est vraisemblablement du bluff, il faut prendre très au sérieux le risque d’incidents nucléaires majeurs, qu’ils soient délibérés ou non, autour des centrales nucléaires ukrainiennes. Le 3 mars un tir russe a incendié un bâtiment administratif de la centrale de Zaporijjia situé à 600 mètres des réacteurs. Que fera l’Occident quand nous serons face à des massacres de civils et à l’élévation du risque nucléaire, dont le président Macron a déclaré qu’il était « très préoccupant » ?
Pour toutes ces raisons, l’OTAN et l’UE peuvent se retrouver malgré elles en guerre avec la Russie. La géographie n’est pas la moindre de ces raisons : dès lors que la Russie entend envahir toute l’Ukraine, la guerre est imbriquée à l’intérieur du flanc est de l’OTAN. La situation est d’autant plus mouvante que la Russie n’a pas déclaré la guerre à l’Ukraine et continue (de plus en plus difficilement) à masquer la réalité de son « opération spéciale » au peuple russe.
Les déclarations de Poutine le 5 mars (discours à des personnels navigants d’Aeroflot, rapporté par Reuters) montre qu’il est prêt à considérer l’Occident comme cobelligérant. Dans le même temps, son discours est flottant sur ce qu’il considère comme une déclaration de guerre à la Russie. Il a d’abord dit que « les sanctions qui nous imposées s’apparent à une déclaration de guerre mais, Dieu merci, nous n’en sommes pas là », puis il a ajouté : « Toute tentative par une puissance d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine serait considérée par la Russie comme une entrée dans le conflit militaire. Cette entrée en guerre aurait des conséquences catastrophiques pour l’Europe et pour le monde. » Entre chantage à l’apocalypse nucléaire si les Occidentaux décrètent une zone d’exclusion aérienne, alors que l’OTAN avait rejeté la veille cette éventualité, et ambiguïté sur les sanctions, qui s’apparentent à une déclaration de guerre mais pas vraiment, Poutine cherche peut-être à dérouter ses adversaires, à moins qu’il ne soit lui-même inquiet de ce qu’ils pourraient faire.
Cette guerre fait donc vaciller les catégories du droit et de la théorie de la guerre. Il va falloir penser des faits inédits — belligérance potentielle, état de guerre hybride — pour ne pas être dépassé par les événements.
D’autant plus que les buts de guerre de Poutine, qu’on avait cru limités au Donbas et au littoral de la Mer Noire jusqu’à la Crimée, visent maintenant toute l’Ukraine, et que la Russie affiche désormais des ambitions au-delà de l’Ukraine. Ainsi, un texte de l’agence RIA Novosti sur les conséquences de la guerre, accidentellement mis en ligne le 26 février et rapidement retiré, mais sauvegardé et dont la Fondapol a publié la traduction le 2 mars, ajoute une nouvelle dimension de belligérance potentielle au conflit. Ce texte, qui était censé paraître après la victoire de la Russie en Ukraine, décrit les conséquences géopolitiques du retour de l’Ukraine dans le « monde russe ». Dans l’esprit de Poutine cette reconstitution de l’empire de toutes les Russies (Russie, Biélorussie, Ukraine) a des conséquences immédiates pour les relations de la Russie avec l’Occident et pour l’ordre mondial : « Si les atlantistes se réjouissent aujourd’hui que la “menace russe” unifie le bloc occidental, Berlin et Paris doivent comprendre qu’ayant perdu tout espoir d’autonomie, le projet européen s’effondrera à moyen terme. » Autrement dit, l’avenir des pays d’Europe continentale est la séparation avec le monde anglo-saxon et la finlandisation, pour ne pas dire la vassalisation à l’ombre de l’empire russe.
D’autre part, pour Novosti, cette restructuration du continent sans les Anglo-saxons et sans l’Union européenne va accélérer la « construction d’un nouvel ordre mondial » : « La Chine, l’Inde, l’Amérique latine, l’Afrique, le monde islamique et l’Asie du Sud-Est, plus personne ne croit que l’Occident dirige l’ordre mondial, et encore moins qu’il en fixe les règles du jeu. La Russie n’a pas seulement défié l’Occident, elle a montré que l’ère de la domination occidentale mondiale peut être considérée comme complètement et définitivement révolue. »
Le statut performatif de ce texte est ambivalent. D’un côté, les deux extraits qui précèdent ne sont que des prédictions et ils relèvent du rêve d’empire dont j’ai parlé dans un article précédent. La solidarité atlantique n’est pas près d’éclater et la Russie est de plus en plus isolée dans le monde. La résolution du 2 mars exigeant le retrait des troupes russes a été votée par 141 pays, dont les pays arabes du Golfe, tous les pays de l’Indochine sauf le Vietnam, toute l’Amérique latine à l’exception de Cuba, du Nicaragua et de la Bolivie qui se sont abstenus (le Venezuela soutient la Russie mais il était absent au monde du vote), et même l’Afghanistan des talibans, qui a de la mémoire. Seuls l’Érythrée, la Corée du Nord, la Syrie et le Belarus ont voté contre, avec la Russie. Les 35 autres pays présents se sont abstenus. Leurs positions doivent être analysée au cas par cas, car elles vont d’un soutien tacite (le Mali et la Centre-Afrique sous influence russe exemple), à la réticence de pays qui réprouvent l’aventurisme de Poutine et les risques que l’État-voyou russe fait peser sur l’ordre mondial. .
C’est le cas du géant chinois et, dans une moindre mesure, de l’Inde. Surtout, comme je le soutiens dans mon article précédent, la Russie n’a ni le rayonnement idéologique, ni les moyens économiques et démographiques nécesssaires au rétablissement d’un empire. La première semaine de l’invasion a montré non seulement la force de la résistance de l’Ukraine, mais aussi les faiblesses de l’armée russe, qui est réalité toujours l’armée délabrée de l’URSS finissante (ce qui n’entrave pas complètement hélas sa capacité de nuisance)
Mais d’un autre côté, Poutine croit à son rêve et il est décidé à le poursuivre y compris par les armes : « C’est ici que commence la deuxième dimension de la nouvelle ère qui s’annonce [la disparition de l’UE et de l’OTAN et la vassalisation de l’Europe continentale] (…) Les dégâts dus à l’escalade de la confrontation seront bilatéraux, mais la Russie y est moralement et géopolitiquement préparée, quand une aggravation de l’opposition entraînera pour l’Occident des coûts importants, dont les principaux ne seront pas forcément économiques. » Que ces menaces se traduisent par une agression militaire ou non, elles créent de facto une situation qu’on peut qualifier de belligérance hybride entre l’Occident et la Russie.
Que peuvent, que doivent faire les Occidentaux ? Ils doivent être prêts à être entraînés dans la guerre sans l’avoir voulu et à préparer des formes de ripostes de moyenne intensité, qui ne peuvent pas être l’engagement direct à un niveau égal à celui des forces russes, mais qui ne pourront pas non plus se limiter aux sanctions si dures soient-elles et à la livraison d’armes. Au demeurant, la livraison d’armes, de plus en plus difficile et périlleuse, implique déjà un haut risque d’implication de militaires de pays de l’OTAN en Ukraine. D’autres sont plus compétents que moi pour envisager ces mesures de guerre hybride de moyenne intensité et leur implication juridique et militaire. Il faut espérer que nos États et nos armées les préparent activement.
« L’UKRAINE LIBÉRERA LA RUSSIE »
Il y a un propagandiste en chef, en Russie, un journaliste mafieux, Vladimir Soloviov, l’un de ceux qui, étant toujours à l’antenne, à la télé comme à la radio, appellent à la haine de l’étranger, l’un de ceux qui formatent l'opinion des Russes qui n’ont pour s'informer que les canaux officiels (une grande majorité des gens, bien sûr). Il a perdu, à cause des sanctions, sa magnifique villa au bord du lac de Côme. Le 8 mars, il a une conversation avec un de ses invités constants (mafieux autant que lui, mais vivant en Israël), et l'invité lui dit qu’on n'arrive à rien en Ukraine, que l'armée russe, en deux semaines, n’a pas pris une seule ville, qu’ils n’ont pris que des routes et que, si on n'avait pas l'intention d'entrer dans les villes, ce n'était pas la peine de commencer l’opération.
Deux Vladimir, Soloviov et Poutine (Wikipedia)
Soloviov le laisse parler pendant un bon quart d’heure, et surenchérit : oui, reprend-il, d'autant que, maintenant, cette guerre (il dit le mot « guerre » — interdit officiellement), nous ne pourrons pas la gagner, parce que nous sommes considérés par tous comme « l'engeance de l’enfer » (sic), et, dit-il, ce que nous sommes en train de perdre, c’est la Russie elle-même… — Cette conversation a fait le tour d’internet, en un clin d’œil, et l'émission n’est plus visible, pour des « raisons techniques » sur le site, mais le fait est là. C’est clair pour eux, ils ne peuvent pas gagner.
En même temps, le journal "Kommersant", qui appartient à Alisher Ousmanov (l’un des oligarques les plus répugnants de l'entourage de Poutine, ancien mafieux qui a fait de la prison pour viol en URSS, et qui vient de perdre l’un des yachts les plus chers au monde, sous le coup des sanctions), "Kommersant", donc, publie un article indiquant que, oui, malgré ce que disait le président de la Russie, il y a bien en Ukraine, dans l'armée active, des appelés qui font juste leur service militaire. Et non seulement il y en a, mais il y en a qui sont prisonniers. Et que « Monsieur Poutine » a donc affirmé, malgré lui, quelque chose de faux. Et qu’une enquête judiciaire est lancée pour retrouver les responsables de cet abus.
Moi, en vingt ans et plus d'observation de Poutine en Russie, jamais de la vie je n’ai lu « Monsieur Poutine » (Gospodine Poutine). Je ne comprends pas ce que ça signifie, mais, ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas gentil. C’est comme si Vladimir Vladimirovitch Poutine, Président de la Fédération de Russie (ça, c’est la façon normale de l’appeler, officiellement) était devenu une espèce de quidam privé, un « monsieur », bourgeois, comme les autres.
Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je sais que la guerre a déclenché une guerre interne (qui devait déjà exister, je suppose — témoin les mesures d'éloignement quand Poutine reçoit, mesures qui ne peuvent pas être simplement dues au Covid).
Les sanctions ont frappé les oligarques aux yachts, et ça, on comprend bien, pour eux, c’est impardonnable. Ils vivaient tranquilles, à Londres ou Monaco, ils ne s'occupaient pas de politique, ils pillaient comme bon leur semblait, et Poutine leur a fait un enfant dans le dos. Parce que, oui, tout le monde, absolument, est d'accord sur un point : chacun pensait que la rhétorique guerrière resterait rhétorique, qu’elle ne servirait qu’à aiguiser les tensions. Mais la décision de la guerre a été prise dans un cercle extrêmement restreint, voire pas dans un cercle du tout — juste par un seul homme.
Et puis, il y a la marche de la guerre.
Honteuse, déshonorante pour une armée qui se prétend une des meilleures armées du monde. Il est très difficile de chiffrer les pertes. Les Ukrainiens (sans parler de leurs pertes militaires à eux — où je n’ai rien trouvé), parlent de 12.000 tués. Ce qui est hallucinant. Je me garderai bien de dire si c’est vrai ou si c’est faux, mais, à coup sûr, il s'agit de milliers de morts (sans compter les blessés, et sans compter les pertes en matériel, gigantesques). Bref, c’est une boucherie sans nom. Non seulement une faillite sur le plan des opérations, parce que, de fait, à part Kherson et Mélitopol au sud, aucune grande ville n’a été prise, mais sur le plan logistique. L'armée ukrainienne laisse avancer les colonnes, fait sauter des ponts qui les empêchent de reculer, et attend qu'elles tombent en panne sèche, et récupère un matériel souvent intact, abandonné.
Le système cryptage russe
Et il y a l’épisode, quasiment comique s’il ne s'agissait pas de la vie des gens, du système de cryptage de l'armée russe, le système ÉRA : les unités sont à ce point désorganisées qu’on entend les militaires russes les plus hauts placés sur le front utiliser des portables… ukrainiens, oui, avec des cartes SIM ukrainiennes (confisquées à quelqu’un, sans doute, ou tout bêtement achetées), parce qu’ils ont commencé par détruire les antennes de diffusion d’internet, mais qu’ils n’ont pas pensé que, pour leur système crypté, eux aussi, ils avaient besoin d’internet… Et personne, visiblement, dans l'armée russe, n'avait pensé qu’il fallait y penser avant et arriver avec un circuit internet (je ne sais pas comment ça s’appelle) interne. Bref, leur système crypté, dont ils étaient si fiers, qui leur avait coûté si cher, ils l’ont cassés eux-mêmes. C’est, réellement, à n’y pas croire, mais c’est vrai.
Du coup, ils bombardent, par terre, et par les airs. Le président Zélinski demande à l'Otan une zone d'exclusion aérienne, et s'indigne qu'on la lui refuse. Mais, je le redis, l'Otan ne peut pas se permettre une confrontation directe avec Poutine, d'abord parce que ça lui donnerait l'occasion — très réelle, envisagée — d'envoyer une bombe atomique « tactique », par exemple sur la Pologne — mais aussi parce que ça lui donnerait l'occasion de prouver que, réellement, c’est le monde qui agresse la Russie, et, donc, de trouver un soutien national dans une population aux abois sous le coup des sanctions. La zone d'exclusion contrôlée par l'Otan serait la pire des choses à faire. Autre chose est de donner à l'Ukraine les moyens pratiques de lutter contre les avions russes — et ça, il n’y a aucun doute, ça se fera.
La Russie ne peut que perdre la guerre
Je l’ai déjà dit, oui. C’est jour après jour. La Russie ne peut que perdre la guerre, elle ne peut que s’effondrer. Mais il y aura encore des offensives. Et le monstre détruira encore tout ce qu’il peut, et il y aura encore des centaines et des centaines de morts, militaires ou civils. — À Marioupol, hier, 9 mars, une bombe est tombée sur un hôpital d’enfants, et, visiblement, elle ne s'était pas égarée. Nous en sommes là. Ils sont, oui, monstrueux. Et ils ne connaissent qu’une tactique, celle de Grozny et d'Alep — la ruine totale.
Seulement, là, Poutine est tombé sur un os. Pas seulement les sanctions. Pas seulement sur les limites de vingt ans de ce qu'il appelait « la stabilité » — avec absolument rien qui ne marche normalement. Et pas seulement le front uni de l’Occident.
Il est tombé sur le front uni d’un pays qui, avant, était très divisé. Il a créé cette unité. Il s’est retrouvé face à ce qu’on appelle, en russe, une « voïna narodnaïa »… Et cette expression remonte à 1941. Il ne s'agit pas seulement d’une guerre, comme ils disent, « patriotique », mais à la fois « populaire » et « nationale » (puisque le mot « narod » unit les deux notions). Ils se sont retrouvés, avec leurs Z marqués sur leurs chars et leurs canons, dans la position des nazis. Envahisseurs, assassins de civils. Et les soldats russes, qu’on a tous envoyés sur le front avec des rations alimentaires pour trois jours, sans rien leur expliquer de ce qui se passait, ni, souvent, où ils étaient, restent éberlués : ils pensaient, quand ils savaient quelque chose, que les populations les accueilleraient avec des fleurs, puisqu’ils venaient les sauver des « nazis » et des « narcomanes »… et les gens les haïssent, et, héroïquement, dans des zones occupées, manifestent, face aux mitraillettes. Et ils commencent à penser
Oui, nous vivons des moments terrifiants. Pourtant, jamais nous n'avons été plus proches de changements majeurs. Et le peuple ukrainien, par son courage inouï, non seulement continue de tenir tête, mais fait bien autre chose : à son corps défendant (c’est le cas de le dire), il lutte aussi pour libérer les Russes.
Parce qu'il faut faire tomber Poutine. Il faut qu’il parte, ou qu’il meure. Il faut que la Russie change.