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Derière mise à jour
27-Sep-2024
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Le judaïsme, comme les autres religions principales, est fait d'un ensemble de croyances mais on n'est pourtant pas tenu d'y croire pour être juif. Dans le judaïsme les actes sont aussi importants que les croyances. Celui qui est le mieux parvenu à élaborer une liste largement acceptée des croyances qu'ont les juifs est Maïmonide qui a formulé treize principes de cette foi. Maïmonide, connu des musulmans sous le nom de Ibn Maimun, était un philosophe renommé qui vivait au XII ème siècle. Les juifs l'appellent également Rambam.
Les treize principes de la foi qui, selon Maïmonide, sont le minimum requis par la foi juive sont les suivants :Les 13 articles Dans le texte synagogal, chacun des 13 articles est inauguré par la formule: ani maamin béémouna chéléma, « Je crois d'une foi parfaite… :
Aussi fondamentaux ces principes puissent-ils être, la nécessité qu'il y aurait à croire en chacun d'entre eux a été remise en question à une époque ou à une autre et les mouvements libéraux au sein du judaïsme remettent nombre de ces principes en question.
A la différence de nombre d'autres religions, le judaïsme ne se concentre pas beaucoup sur des concepts cosmologiques abstraits. Bien que les juifs aient certainement beaucoup réfléchi à la nature de Dieu, de l'homme, de l'univers, de la vie et de la vie après la mort, il n'y a pas de croyance obligatoire, officielle, qui fasse autorité sur ces questions, mis à part les concepts très généraux exprimés ci-dessus. Cela laisse une place importante aux opinions personnelles sur tous ces points. D'ailleurs de savants rabbins - théologiens juifs- discutent de ces questions depuis des temps anciens et continuent à le faire de nos jours.
Le judaïsme se concentre sur les relations : la relation entre Dieu et le genre humain, entre Dieu et le peuple juif et entre les êtres humains. Les écritures racontent l'histoire du développement de ces relations, depuis l'époque de la création, en passant par la création des relations entre Dieu et Abraham, à la création des relations entre Dieu et le peuple juif et ainsi de suite. Ces écritures spécifient également ce que sont les obligations réciproques que créent ces relations, bien que divers courants au sein du judaïsme aient des opinions divergentes quant à la nature de ces obligations. Certains disent que ce sont des lois de Dieu, absolues et immuables - les orthodoxes-; d'autres disent que ces lois divines peuvent changer et évoluer au cours du temps - Conservative ou Masorti -; d'autres encore disent que ce sont des directives que l'on peut choisir de suivre ou non -Libéral, Reconstructioniste-.
http://www.projetaladin.org/holocaust/fr/un-guide-du-judaisme-pour-les-musulmans/165/en-quoi-croient-les-juifs.htm
lEl'hanan MARASOW, Rabbin de la communauté Loubavitch
Bénédiction des cohanims : Dieu va faire rayonner sa face, la proximité se fait sentir, son visage est rayonnant. Quand sa présence est absente, c'est un voile, nous ne sentons pas sa présence.
Rambam : dans le guide des égarés 3 ch 7 para quand Dieu voile sa face, c'est la cause du malheur qui peut nous frapper. Hachgara surveillance divine, Dieu prête une attention particulière à nous.
Nous sommes laissé au hasard quand Dieu est caché. Alors tous les malheurs peuvent nous frapper. 17/31 metsaouni ar ot (tout à la fin de la thora) par ce que Dieu n'est pas présent parmi nous,
.. le voile de Dieu est la cause des tsaroths qui peuvent frapper les bné israël
Dieu voilera sa face .. comme si je ne vois pas leurs malheurs... Kemo comme si
Est-ce après le malheur que Dieu voile sa face, ou comme le pense Maimonide, le malheur s'explique par ce que Dieu voile sa face. Image, le père se cache pour que le fils le cherche. Si Dieu se cache, c'est par ce qu'il veut réveiller en nous cet amour que nous n'avons pas quand nous ressentons sa présence.
Quand nous savons pourquoi il se cache, nous pouvons alors le chercher. Le midrache raconte : quand les ennemis entrent dans le saint des saints, ils trouvent que eles chérubins sont là, les bné israel sont en train d'accomplir la volonté de Dieu, c'est à ce moment que les deux chérubins sont en train de s'enlacer.. proximité entre Dieu et les Bné Israël, quand israël n'obéit pas, les deux chérubins sont dos à dos. Or pendant la destruction, les deux chérubins sont en train de s'enlacer. Si Dieu se voile, alors il y a un amour plus profond,
... Maïmonide fut sans aucun doute l’autorité rabbinique qui contribua le plus à concentrer l’attention autour de ces aspects conceptuels qui dénotent selon lui la racine de l’idolâtrie. Il en a forgé une véritable dogmatique qui pèsera sur la pensée juive jusqu’à nos jours.
Or, en posant les termes de l’idolâtrie essentiellement autour de la figure divine, de sa ou de ses représentations, ou encore sur les croyances ou pratiques singulièrement occultes ou magiques de telle ou telle religion, on se fourvoie. On prend le symptôme pour le mal, on se focalise sur le phénotype et non sur la substance délétère. Et pour cette raison même, on en vient à qualifier d’idolâtre ce qui ne l’est pas, ne l’est plus ou à peine, tandis que l’on ne s’aperçoit pas que c’est au sein même de certaines formes du monothéisme que se loge le pire de l’idolâtrie, à savoir ce qui sur un plan biblique et talmudique constitue la perversité humaine par excellence : la déshumanisation. La « dédivinisation » (l’idolâtrie), soutiendrons-nous, n’est autre que l’idéologie de la déshumanisation.
.....
Maïmonide est allé bien trop loin avec son rationalisme théologique de type néo-aristotélicien. Dans bien des cas, il a jeté le bébé avec l’eau du bain. Sans nul doute, raison et justice doivent lui être rendues pour avoir voulu élaguer la religion d’une dévotion puérile et mercantile, imprégnée de peurs irrationnelles, voire de charlatanisme ou d’hédonisme camouflé.
En ce sens, son combat contre l’anthropomorphisation trop grossière de Dieu a certainement contribué à affiner les mentalités et les esprits. Maïmonide demeure un référent incontournable pour tous ceux qui estiment que la religion ne doit pas être en reste au regard d’une haute normativité morale et intellectuelle.
La foi doit s’efforcer d’être raisonnée, honnête, d’autant que les abus, délires ou dérives ne manquent pas. Mais finalement, il a substitué à tout cela une vision rigide, hautement dogmatique et autoritaire, vouant à la Géhenne et à la perdition non seulement la plupart des peuples jugés pervertis par l’idolâtrie, mais également tous ceux qui d’Israël, jugés hérétiques, ne partageaient pas ses vues tranchées et définitives. Ce qui bien souvent relevait de l’ingénuité et de l’immaturité spirituelle ou même d’un désaveu mûrement réfléchi, est devenu criminalité, et qui plus est, la plus cuisante....
En récusant l’imaginaire comme moyen légitime d’appréhender Dieu, Leibowitz marche délibérément sur les traces de Maïmonide. Mais il va encore plus loin que lui .....
Chez Leibowitz, il n’est même plus possible de dire quoi que ce soit de Dieu. Tout discours sur Dieu est forcément tronqué ou « idolâtre » car produit de l’homme, de ses pensées et de ses désirs. Le pur volontarisme que Leibowitz entend substituer à l’imaginaire mais aussi, faut-il le souligner, à la raison – arguant que la foi est pure décision, sans autre fondement qu’elle-même (« je crois » parce que je décide de croire et seulement parce que je le décide) – peut paraître séduisant mais est, par définition, injustifiable puisqu’arbitraire.
Peut-on vraiment concevoir l’existence de Dieu de manière consistante, même par voie négative, sans la moindre médiation de l’imaginaire et la raison ? Est-il seulement plausible de penser le monde et le rapport à Dieu autrement qu’à travers le prisme des catégories de l’esprit ?
Et si rien de pertinent ne peut être dit de Dieu sinon dans l’abstraction ou l’insaisissable – au risque de tomber dans l’idolâtrie – la pensée ne devrait-elle pas se replier humblement sur le mode apophatique/ agnostique et ne plus requérir que l’on s’engage au service de Dieu !?
Ni la corporéité ni la multiplicité divines n’ont été en soi jugées perverses, et ceci, dans la Bible et par suite, dans nombreuses sources rabbiniques ! Cette compréhension préalable .. est indispensable si l’on veut tenter de cerner la raison précise de l’exécration envers l’idolâtrie.
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L’idolâtrie peut certes induire une profonde immoralité mais pas nécessairement.
Elle varie en nature et en degré. Elle n’implique pas ipso facto des mœurs totalement dissolues, la corruption violente de Sodome et Gomorrhe ou les sacrifices humains.Sinon, comment expliquer qu’Abraham ait avoué à Avimèlèkh roi (païen) de Guerar son erreur d’avoir suspecté qu’il n’y eût point de « crainte de Dieu » en son pays(au sens du scrupule moral) ou qu’il ait accepté de prêter serment avec Laban, lequel jure par son dieu ? Comment expliquer que Joseph ait pu à ce point s’investir pour le salut de l’Égypte, épouser sans scrupule une Égyptienne, si l’Égypte incarnait de tout temps en raison de son polythéisme et les pratiques magiques, la perversion idolâtre par excellence ?Comment expliquer que le général araméen, Naaman, ait pu obtenir du prophète Élisée qui l’a guéri de la lèpre, de continuer à se prosterner devant le dieu Rimon, malgré sa reconnaissance de la souveraineté du Dieu d’Israël ?
On observe du reste que les prophètes n’haranguent jamais les autres peuples pour leurs croyances et leur culte polythéiste mais pour leur corruption morale.
L'idolatrie des non juifs considérée comme un crime suite à des conflits
C’est seulement lorsque les Tannaïm furent amenés à légiférer sur le statut du guèr tochav (« métèque », résidant non-juif sous juridiction d’Israël) en précisant la teneur juridique des lois noachides que l’idolâtrie fut désormais conçue comme un péché capital y compris pour les non-juifs. Novak a livré une documentation et une argumentation fort convaincantes indiquant comment ce statut qui existait depuis les temps bibliques a été défini sous de nouvelles modalités dans le contexte du schisme avec le christianisme naissant, au début du iie siècle : l’inclusion de l’interdit d’idolâtrie dans les commandements de Noé visait à ne plus reconnaître la légitimité des « craignant-Dieu »susceptibles de devenir juifs mais qui « christianisaient » (tout comme les chrétiens, de leur côté, ne toléraient plus en leur sein les nouveaux chrétiens, juifs ou païens d’origine, qui continuaient à « judaïser » ou maintenaient des rites païens).
C’est sans doute également en raison du désarroi accru, subséquent à la destruction du Temple et dans la perspective ardente de l’universalisation eschatologique du monothéisme envisagée dans le Talmud, que l’idolâtrie en devint intolérable jusqu’à en englober obligatoirement les non-juifs.
Le Meiri reprenant les tossafistes contrent Maïmonide
La révolution conceptuelle la plus radicale et la plus significative fut sans aucun doute celle du grand commentateur français du Talmud, le rabbin Menahèm Ha-Meïri (Provence, xiiie s.). Il forgea une catégorie nouvelle et systématique pour désigner les non-juifs dont il était contemporain, en leur conférant un statut religieux éminemment positif :
Concernant les gens des Nations dotées d’un code religieux de conduite qui servent Dieu en quelque façon [comme les musulmans ou les chrétiens] – bien que leur foi doive être jugée comme éloignée de la nôtre – ils ne tombent pas sous ce statut [d’idolâtres], c’est pourquoi, il y a lieu de les considérer au même plan que des israélites, sans restriction, pour toutes ces questions considérées, qu’il s’agisse du devoir de restituer un objet perdu ou de rendre le solde en cas d’erreur dans le paiement. Il en va ainsi pour toutes les autres questions : le devoir [moral] doit s’appliquer indifféremment [aux gens de ces Nations comme aux juifs] (Beit ha-behira, Baba kama 113b).
On notera que le célèbre grand rabbin achkénaze du Yichouv, Abraham Yitshak Ha-Cohen Kook (1865-1935) a entériné explicitement la position du Meïri, l’estimant prévalente au regard de l’avancée sociétale : « Tous les peuples dotés d’un code de conduite prônant l’équité entre les personnes doivent être considérés comme ayant le statut de guèr tochav (résidant considéré comme non-idolâtre) envers qui s’appliquent toutes les obligations (morales). » Cette prise de position ainsi que celle plus doctrinale des Tossafistes évoquée plus haut a été suivie par la majorité des décisionnaires et appuyée par de nombreux grands rabbins israéliens tels Haïm David ha-Lévi (à l’encontre, faut-il l’admettre, d’autre figures qui continuent à considérer le christianisme comme idolâtrie pure et dure, suivant en cela la position de Maïmonide).
Dans la Bible, le concept d’« idolâtrie » n’existe pas à proprement parler. La notion apparaît sous la locution « laâvod èlohim ahérim » ou « lalèkhèt aharé èlohim ahérim » : servir/adorer d’autres dieux ou se laisser entraîner par d’autres dieux. Il s’agit donc essentiellement d’une trahison par rapport à Dieu qui a noué une alliance avec Son peuple. Par ailleurs, le culte des dieux est souvent critiqué comme rendu à des dieux fabriqués de main d’homme qualifiés alors de « èlilim : idoles », « âtsabim : statues »,tsèlèm : statue figurée et plus rarement « pessilim : sculptures » Ce fétichisme est comme nous l’avons vu jugé illusoire, les prophètes soulignant l’impuissance d’idoles manufacturées. Le terme talmudique désignant ce que nous appelons l’idolâtrie est « âvoda zara : culte étranger, profane » ou « âvodat èlilim / cokhavim ou-mazalot / tselamim : culte des idoles / astres / statues ». Le culte étranger est une profanation produisant une aliénation (on s’aliène de Dieu). La profanation peut aller jusqu’à représenter matériellement l’Éternel Lui-même, en rendant à son objet un culte ou en Lui associant une divinité secondaire pouvant être figurée.
En bref, il apparaît que pour Israël, l’idolâtrie revient à une sorte d’adultère...
... Il y a idolâtrie dès lors que l’on tente d’ériger une personne ou une idée de ce monde en valeur absolue ou, à l’inverse, quand l’on prétend assigner la divinité à une fonction restreinte, partisane, en l’asservissant littéralement aux intérêts d’une puissance ou d’une pulsion quelle qu’elle soit. Dans les deux cas, il s’agit d’une sorte de domestication du divin. Sous les oripeaux du service d’un dieu, c’est Son asservissement qui est visé. L’idolâtrie, c’est se faire un dieu sur mesure (où le désir avide de l’homme est la mesure de toute chose).
...
Le désastre du monothéisme mal digéré, toutes religions confondues, est que pour atteindre ses fins hégémoniques, il peut muter en monolâtrie virulente et se mettre à réprimer de manière hystérique toute discidence ou hérésie.
Le monolâtre est à ce point dans l’autocélébration (son dieu est à l’image de son propre narcissisme) qu’il dénie aux autres humains la possibilité de nouer un rapport authentique, fût-ce par médiation, avec le Dieu Un.
La monolâtrie est négation du monothéisme comme projet d’unité du genre humain, dans sa diversité. L’unitarisme monolâtre est pensé comme un totalitarisme. Pour lui, le monde du Dieu Un est irréductiblement binaire : ou l’on est du côté des « fils de la lumière » ou de celui des « fils des ténèbres ». C’est une paranoïa monomaniaque : on monte en épingle la moindre infraction, incartade ou écart de la doctrine pour justifier une réaction violente et proclamer l’état de siège – et donc l’état d’urgence – justifiant la répression ou la guerre sainte.
Le fanatique, dans sa frénésie, se déshumanise. Le comble est qu’il en passe toujours par une diabolisation de « l’infidèle », rendu hideux, « déshumanisé », afin de mieux l’anéantir sous couvert de la piété la plus glorieuse. L’idolâtrie est barbarie et c’est à ce caractère qu’elle doit être décelée et démasquée. Écarter de Dieu et de Son culte toute inhumanité, telle est la seule via negativa ad Deum qui vaille !
Un très bel aphorisme talmudique dit que « Quiconque récuse l’idolâtrie est dénommé "juif". » Il y est notamment question de la fille de Pharaon qui a enfreint l’ordre d’extermination édicté par son père, en sauvant et élevant l’enfant Moïse ... Fanatisme et nihilisme constituent les deux pôles de l’idolâtrie contemporaine. Le risque est de n’opposer au fanatisme des uns que le nihilisme des autres. Et vice-versa. Le contraire de l’idolâtrie n’est pas la foi affranchie de ses figurations anthropomorphiques, pas plus que la tolérance à tout vent, mais la civilisation humaniste (le meilleur de l’anthropomorphisme, l’humanisation de l’homme !), la constitution d’un socle solide de valeurs universelles et divines : respect de la dignité des personnes, justice, bienveillance, amour de la paix.
Rievon Krieger (extraits de l'article, le lire au complet ici
17 juillet 2006http://yechiva.com/index.php/pensee-juive/sujdiv/184-lidolatrie-vue-par-le-rav-soloveitchik
Aurèle MEDION
I
[[L'ensemble des sources en hébreu se trouve dans le livre, au début de chaque shiour]]
Premier verset du Second Commandement : « Tu n'auras pas d'autres dieux sur ma face » (Shemot 20, 3) - אלוקים אחרים על פני לך יהיה לא, lo yiyhe lekha elokim aherim al panai.
La nature de cet interdit est au cœur d'une controverse entre Rashi d'un côté, Rambam etRamban de l'autre.
Rashi définit l'interdit en termes de possession : « Ne possède aucune idole, même si tu ne l'as pas fabriquée toi-même ».
D'après le Rambam et le Ramban cependant, la Torah ne parle pas ici de possession au sens physique. La Torah interdit plutôt ici la reconnaissance de toute divinité autre que D.ieu. Soit, donner une valeur à une divinité quelle qu'elle soit, « donner une valeur absolue à une créature finie » même sans lui rendre un culte. Le culte en soi est l'objet du verset suivant « Tu ne te prosterneras pas devant elles (les sculptures/les images) ».
Il y a trois niveaux d'idolâtrie, de עבודה זרה (avoda zara).
Ces trois concepts de עבודה זרה (avoda zara) n'ont pas uniquement une réalité sur le plan de la halakha mais également un sens sur un plan psychologique et historique. L'idolâtrie n'est pas seulement la façon dont les premiers païens dans l'Antiquité considéraient leur idole... Si quelqu'un ajoute un principe quel qu'il soit en plus de D.ieu en tant que source de la Création, on est déjà dans l'idolâtrie.
Je vais vous donner un exemple. Nous vivons à l'ère de la science. L'univers « se suffit » sur un plan scientifique. C'est une unité en soi. Nous ne connaissons pas l'univers de manière scientifique d'un point de vue extérieur si l'on peut dire. Nous ne savons pas comment l'univers a été créé ni pourquoi il a été créé... Mais nous le comprenons très bien d'un point de vue scientifique, mathématique, à l'intérieur de notre propre cadre de pensée, par des équations ou des liens de causalité entre des phénomènes.
On ne peut pas demander de manière scientifique ce qui soutient l'univers : cette question n'a pas de sens. Il n'y a pas d'explication extérieure ; celle qui est inhérente à l'univers provient de l'intérieur.
Si un Juif accepte l'explication interne, celle de sa propre perception, il est en passe de devenir un idolâtre, un עבודה זרה עובד (oved avoda zara). Il a substitué à D.ieu un principe d'explication absolu et qui se suffit à lui-même.
Nous ne critiquons pas la valeur des formules mathématiques ou du lien de causalité. Au contraire. Le judaïsme a parlé si souvent de tivo shel olam (םלוע לש ועבט), de la « nature du monde ». Qu'est-ce que veut dire םלוע לש ועבט, tivo shel olam ? Qu'est-ce que la nature ?
C'est le « spectacle cosmique » tel qu'il est déterminé par la loi de la causalité. Cependant nous insistons sur le fait que chaque chose dans l'univers reflète quelque chose ou quelqu'un qui est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'univers, et c'est D.ieu. Les lois mathématiques ou bien la loi de la gravitation expriment la volonté de D.ieu. Sa « première volonté » - d'après le Rambam, le רצון הקדמון (ratzon hakadmon) - la volonté créatrice, la volonté de יהי אור (yehi or) est inhérente à la matière organique et non-organique à la fois. Mais D.ieu n'est pas seulement à l'intérieur de l'univers ; il est aussi transcendant donc extérieur à l'univers.
Ainsi le Rambam écrit dans les lois sur les fondements de la Torah (Hilkhot Yessodei HaTorah) : « Et pour quiconque imagine (כל המעלה על דעתו, kol hama'alé al da'ato) qu'il existe un autre D.ieu en plus de celui-ci (du nôtre), il transgresse un commandement négatif ainsi qu'il est écrit dans le verset « Tu n'auras pas d'autres dieux sur ma face » ; il renie le fondement (de la Torah), car c'est le principe fondamental sur lequel tout repose » . Le Rambam vivait à une époque où il n'y avait pas d'idoles. Il n'a jamais vécu dans une société chrétienne. Et les musulmans ne sont pas des païens. La compréhension du Rambam du commandement « Tu n'auras pas d'autres dieux sur ma face » est une compréhension philosophique et théorique. Une philosophie qui explique l'univers fini dans ses propres termes, sans recours à l'infini (אין סוף, ein sof ) repose sur l'idolâtrie.
Le Ramban va plus loin. Il dit que verset « Tu n'auras pas d'autres dieux sur ma face » n'implique pas seulement une dimension philosophique et théorique mais surtout un engagement dans cette philosophie. On peut apprécier les idées d'une certaine philosophie, d'une façon de voir le monde mais ne pas s'y engager, ne pas se battre pour elle, ne pas se soumettre à elle...
Qui a écrit autant sur l'éthique que les philosophes allemands ?
Mais ils ont agi exactement à l'opposé.
C'est pourquoi le Rambam a écrit « Et pour quiconque imagine » (כל המעלה על דעתו, kol hama'alé al da'ato) et non pas « Et quiconque pense » (כל החושב, kol ha choshev) . Le premier signifie celui qui apprécie l'idée, celui qui réfléchit à la possibilité. Le second signifie celui qui l'accepte comme une certitude.
Par exemple, on caractériserait un athée avec כל החושב, kol ha choshev. Il croit à sa philosophie avec tant de certitude qu'il est prêt à se battre pour elle. Quelqu'un qui est simplement dans l'optique de מעלה על דעתו (ma'alé al da'ato) n'accepte pas cette croyance avec certitude. Il s'interroge sur le fait de considérer D.ieu comme le Maître du Monde et comme celui qui nourrit le monde.
Il pense qu'il est peut-être possible d'expliquer le monde dans des catégories finies.
Je vais vous donner un autre exemple. Le marxisme pense que l'homme se suffit à lui-même au départ... Ce sont de grands optimistes [les marxistes] quand il s'agit de l'homme... Ils croient que l'homme, s'il est seul, s'il n'est pas dérangé par la religion, s'il rejette les chaînes qui l'oppriment - vous savez qu'ils ont leur jargon - atteindra les plus grandes hauteurs. C'est ainsi à la fois sur un plan technique et sur un plan éthique. L'homme deviendra parfait. Il ne fera que du bien et plus aucun mal. Ceci est la base du marxisme.
Ce n'est pas comme certains le croient une doctrine économique mais une véritable éthique. L'homme se suffit à lui-même sur un plan moral et il n'y a pas besoin (pour les marxistes) que l'homme suive des lois formulées par D.ieu comme « Tu ne tueras pas » ou « Tu ne voleras pas ». Lui-même formulera des lois appropriées. Ceci est de l'idolâtrie. Nous pensons, quant à nous, que l'homme peut atteindre des niveaux élevés mais qu'il ne peut en aucun cas se suffire à lui-même sur un plan moral. Il a besoin de la loi émanant de D.ieu. Et s'il formule lui-même la loi de « Tu ne tueras pas », il violera cette loi cinq fois par jour. Staline en est le meilleur exemple...
Nous pensons également que l'homme ne peut se suffire à lui-même quand il s'agit du bonheur. Il ne peut pas devenir heureux tout seul. Même s'il va très loin, disons sur Mars ou sur Vénus, il ne se suffira pas à lui-même. Il sera le même être malheureux sur la Lune que sur la Terre. La joie, la sérénité, le bonheur, ne sont possible qu'à travers une réalisation de soi. D.ieu intervient dans la vie de l'homme, donc sans D.ieu il ne peut y avoir de bonheur possible. Quiconque pense que l'homme peut réaliser son propre destin et atteindre la perfection est selon les termes du Rambam quelqu'un « qui imagine qu'il existe un autre dieu », donc pas juste quelqu'un qui transgresse un commandement négatif, mais un renégat (כופר בעיקר, kofer ba'ikar), quelqu'un qui s'oppose au fondement-même du judaïsme.
Nous voyons donc que l'idolâtrie est un phénomène graduel. Un homme ne commence jamais immédiatement à servir des idoles. Il commence à avoir des idées (déviantes). J'étais en Allemagne au moment de la montée du nazisme. Je ne pense pas que tous les Allemands étaient nazis, qu'ils étaient comme des animaux. Ils étaient des Allemands qui étaient des gens cultivés comme d'autres nations le sont. Ce qui s'est passé en Allemagne peut se passer n'importe où. C'est parce qu'il ne faut pas croire en l'homme . L'être humain peut être comme un ange mais il peut aussi se transformer en une sorte d'animal prédateur.
Je sais que nombre de mes connaissances allemandes (non-juives) ne se sont pas engagées dans le nazisme immédiatement. Cela a été un long processus. N'oubliez pas qu'Hitler a commencé en 1918 juste après la défaite allemande. En 1924, il a tenté un putsch à Munich. Cela a été un échec et on l'a mis en prison. S'ils l'avaient gardé quinze ou vingt ans, le monde aurait été sauvé. Mais le gouvernement socialiste l'a gracié et lui a permis de sortir. C'était en 1924. Il est devenu puissant l'année 1931, et en 1933 Hindenburg l'a fait Chancelier.
Tous les Allemands n'ont pas souscrit au nazisme immédiatement. Ils ont simplement commencé à imaginer qu'il y avait peut-être quelques bonnes idées ... N'oubliez pas qu'il y a eu une terrible inflation en 1924 en Allemagne. Les Allemands avaient des économies et, tout d'un coup, toutes ces économies ne valaient plus rien. Un homme pouvait avoir 50 000 marks à la banque. Il se levait un matin et par un décret du Président Ebert - le Président de la République qui était un Social-Démocrate - ses marks ne valaient plus rien. Il ne pouvait même plus acheter une bouteille de lait le lendemain matin.
Ainsi vous commencez à « imaginer » quand vous avez faim et soif. Ebert n'était pas juif, le Gouvernement n'était pas juif mais les Juifs doivent être en coulisses. A ce moment là, il ne s'agit que d'une lointaine possibilité.
Petit à petit, vous arrivez à la deuxième étape, celle de « Tu es mon D.ieu » (קלי אתה, keli ata).
Vous commencez à penser que la doctrine nazie est juste. Mais vous n'êtes pas prêts à tuer les Juifs pour autant ou à rejoindre les SS.
Ainsi arrive clairement la deuxième étape, celle de « se prosterner » (השתחויה, hishtakhavaya). Vous craignez, vous admirez, vous vous rendez... Ce n'est pas encore « Vous ne servirez pas » (תעבדם לא, lo taovdem). Ce n'est pas encore servir, prendre des ordres et les exécuter. Mais vous vous tenez dans la crainte avant que la situation évolue.
Hitler, à cause de la faiblesse et de la lâcheté des soi-disant puissances occidentales a pu occuper la Rhénanie puis occuper l'Autriche. Beaucoup d'Allemands étaient remplis de crainte. Après tout, il avait fini par conquérir tellement de territoires.
Et si vous avez craint pendant un moment et commencé à admirer les résultats, vous arrivez finalement à lo taovdem ; vous commencez à servir. Et vous savez ce qu'est un culte idolâtre, cela signifie le sacrifice humain. Vous pouvez prendre maintenant les enfants, les bébés et broyer leurs têtes contre les murs du ghetto de Varsovie. L'idolâtrie se met en place petit à petit. Au début, on imagine, on conçoit une idée (maalé al daato). Ensuite, on commence à y penser et à lui reconnaître certaines vertus. Plus tard, ça sera de l'admiration et l'étape de lo tishtakhavé lahem. Finalement, on arrive au stade de lo taovdem. On fait désormais partie du groupe. On fait désormais partie de la foule.
Revue l'olivier octobre 1994 (revue chrétienne adventiste du 7 ième jour extrait) interroge Armand Abecassis
La raison pour laquelle le retour du religieux est dangereux, est qu'il n'est pas motivé par l'amour, mais par le désespoir, par l'échec, parce que l'on ne trouve rien d'autre.
Tout l'espoir de l'homme à partir du 19 ième siècle s'est porté sur la révolution industrielle, sur les diverses inventions, sur la médecine etc..Mais on ne se rendait pas compte que le langge religieux qui avait permisà ll'homme de passer du 18 au 19 ièe siècle. ne permettait pas de passer du 19 ième au 20 ième siècle. LEs nouvelles sciences exigeaient un autre langage, le langage religieux du siècle dernier ne satisfaisant plus l'homme populaire. Pourtant, il restasit un appel profond de quelque chose (que certains ont retraduit en langage politico-religieux comme le marxisme). Aujourd'hui, tout s'est écroulé, alors on en revient au religieux.
Toute la confiance et l'espérance l'homme avait investies dans l'histoire se sont trouvées complètement vidées.Ce fut l'échec et le désespoir total. Mais cela n'a pas arraché l'image de Dieu en l'homme. De plus en plus, aujourd'hui, on démontre que l'homme est en relation avec un infini avec un ailleurs et l('histoire consiste à lui proposer des visions pour essayer de satisfaire cette soif, cette espérence et heureusement cela échoue toujours, car cette espérance est celle de l'infini. Et seul l'infini peut le satisfaire. Aucune appoche qu'elle soit olitique ou autre bien que nécessaire mais limitée ne peut remplir cette faim de Dieu et d'absolu de l'humain. Il faut donc être optimiste, d'un certain point de vue, mais très prudent quand même à cause de tous les risques de dérive qui existent. Surtout par rapport à tous ceux qui peuvent manipuler ce genre de choses, même à l'intérieur de la religion (prêtres rabbins, pasteurs, imam)
Elle se compose de deux dimensions essentielles,
1) D'abord le cette attente dont on vient de parler. L'espérance c'est le désir profond de Dieu est en moi
Je sens en moi, que je sois religieux ou pas, cette force, cette attraction qui m'arrache de mois-même qui m'empêche de me satisfaire de moi même et qui me projette vers un ailleurs que oi. Cela est fondamental que l'on soit religieux ou pas
Mais la question qui se pose, et cela rejoint la deuxième dimension de l'espérance, est comment concevoir cet ailleurs. Quel est le nom que je vais donner à cette ailleur ?
Certains ont donné le nom de "histoire", d'autres de "raison" d'autres encore de "programme génétique", Quand on fait le tour de toutes ces propositions, c'est l'échec. Alors que cet ailleurs a un nom, c'et le tétragramme, et comme par hasard il est imprononçable, on ne peut pas lui mettre un contenu parce qu'il est infini,. Comme Dieu l'a dit à Moïse l "L'homme ne peut pas me voir et vivre " exode 33 20
Il est simplement important que je tienne les deux bouts de la corde qui s'appelle espérance, c'est à dire cet arrachement de moi-même, qui me projette vers un au dela de moi_même Dans la Bible comme dans le texte évangélique, quandil y a deux, il y a automatiquement trois. La troisième dimension de l'espérance, c'est la relation, on appelle cela "Alliance" Il y a Lui et moi, à l'image de Lui ; et maintenant, qu'avons nous à faire ensemble ? Losqu'on arrive à assumer cette triple dimension, on est vraiment dans l'espérance.
Pourquoi appelle-t-on cela "espérance" Tiqwah en hébreu ? Parce que je ne sais pas si cela va réussir. Dieu ne me demande pas de réussir, mais de faire l'effort pour rester dans l'alliance.
Je crois que l'espérence, sans vouloir en diminuer les définitions chrétiennes ou musulmane et ce qui caractérise le judaïsme. On et là au coeur du judaïsme. Car l'espérance n'est p as faite de certitude., Comme le disent les rabbins dans la guémarah, lorsqu'ils fini de travailler un thème pour empêcher que les lecteurs ne pensent qu'ils ont tout dit et qu'ils l'ont épuis, ils répètent l'expresseion "Tout cela est peut-être"
L'espérance écarte la certitude, La certitude est anti religieuse et anti rationnellle. La raison elle-même me dit que celui qui est sûr d'avoir raison, n'est pas rationnel, n'est pas raisonnable.
L'homme vise continuellement la vérité, mais ne la possèdera jamais, à moins de vouloir se faire Dieu. Si je veux rester créature-homme en relation d'ailliance extétieure avec Dieu, mais en rapport avec Lui, si je suis toujours en tension vers Lui, je suis sur le plan de l'espérance. L'espérance ne me donne pas la certitude, et comme le dit Edmond Fleg qui a écrdit "Nous, de l'espérance"
«l'espérance n'est pas simplement une attente, mais une attente active" ceci et pardoxal, "Je ne suis pas sûr, et pourtant, il faut que je fasse » Normalement en occident, on nous apprend que l'on ne s'engage que lorsqu'on est sûr. Dans le judaïsme et dans la torah, c'esrt le contraire, c'est parce qu'on est pas sûr qu'on attend que vous le fassiez. Il y a donc cet impossibilité pour l'homme d'atteindre l'absolu, bien qu'il soit condamné à vivre en relation avec lui.
La deuxième dimension de l'espérance est la responsabilité par rapport à moi-même, si les choses ne se fassent pas, car si elles ne m'y engagent pas et qu'elles ne se font pas du tout, j'en suis responsable.
La troisième dimension de l'espérance, c'est l'attente active, fondée sur cette responsabilité, et le souvenir que la foi juive est bien plus la foi en l'homme que la foi en Dieu. Car Dieu n'est pas à démontrer. Dieu est.
La foi en lhomme, c'est de croire qu'un jour l'homme dira non au mal et entrera dans l'alliance, Cela implique une relation à l'autre sous forme d'amour. C'est à dire de patience et d'attente. Sinon, c'est une relation de pouvoir qui s'installe, avec toutes les manipulations que cela implique. Je vais parler à l'autre pour le convaincre de son erreur, lui imposer des vérités, des dogmes. C'est un exercice du pouvoir Alors que l'espérance est d'abord une relation d'amour et d'attente. Le soucis de l'autre avant le soucis de moi. Et donner à l'autre le temps me mettre à sa disposition pour lui permettre de s'ouvrir à l'infini. C'est la voie de l'amour, il nefaut pas chercher à l'ouvrir par la violence comme le dit Bergson "En le poussant par derrière, mais en l'aspirant vers l'avant» Ce n'est pas une morale de la pression et du devoir, mais une morale d'amour. C'esrt une morale de l'oéissance à la loi, mais telle que comme le disait mon rabbin «Si la loi n'existait pas, je l'inventerais, par ce qu'elle m'épanouit» .....
https://www.massorti.com/Revelation-et-modernite-comment
Si Hashem a donné à Moshe la Tora, la Tora est d’essence divine. Et donc source intarissable pour l’homme de commentaires. Cela justifie parfaitement l’existence du midrash, du talmud, de tous les commentaires, même plus, cela justifie que nous les étudions, puisqu’ils sont intemporels.
Maintenant, si la Tora n’est qu’une succession de textes écrits par différentes personnes à différents moments, il est alors fort probable que ce soit pour répondre à un besoin de la société. Même si ces textes sont inspirés, cela signifie qu’ils proposent les meilleures solutions à une époque, pas nécessairement transposables d’une région à l’autre, ni d’une époque à l’autre.
On sait que les juifs au cours du temps n’ont pas toujours pratiqué de la même manière, ni même d’un endroit à l’autre. Alors pourquoi devrais-je mettre tellement de ferveur dans l’exécution d’une tâche ne répondant plus à mes besoins ? Alors pourquoi devrais-je continuer à décrypter de vieux textes pour y trouver les réponses d’antan, et dépenser autant d’énergie à essayer de leur donner une nouvelle jeunesse ? Comment peut-on douter de l’existence d’Hashem en étant pratiquant ?
Laurent
Cher ami,
D’un point de vue fondamentaliste, la question ne se pose pas. Moïse a tout reçu au Sinaï et a tout transmis de bouche à oreille et par écrit jusqu’aux sages du Talmud. Cela est vrai aussi bien pour la Tora écrite que pour la Tora orale. Ce principe est énoncé très clairement dans le Talmud lui-même (certains y voient une figure de rhétorique plus qu’une affirmation historique).
Le problème se pose pour le moderne. En effet, depuis déjà le 16e siècle, on s’est posé des questions sur le processus d’écriture de la Bible. Depuis le 19e siècle on se pose les mêmes questions sur le processus d’écriture du Talmud. Sans entrer dans tous les détails de la recherche sur ces questions, on admet aujourd’hui que tous ces écrits sont le résultat d’un long et complexe processus.
Sur quoi se basent les savants pour en arriver à de telles conclusions ? Sur une analyse textuelle très serrée tendant à montrer des différences de style ou même d’idéologie au sein même du texte. Sur la littérature comparée en prenant des textes de la même époque où des époques antérieures. Sur les découvertes archéologiques qui apportent des éléments extérieurs confirmant ou infirmant le texte. Sur enfin la rationalité qui amène à regarder d’un œil critique toute affirmation théologique et à ne pas s’en contenter.
Les moyens scientifiques mis à la disposition de ces recherches sont multiples : connaissances historiques, archéologiques, anthropologie, psychologie, étude comparative des mythes, linguistique, philologie…
L’humanité a fait des progrès énormes dans tous ces domaines et les moyens de la connaissance sont devenus immenses. Des centaines d’ouvrages ont été écrits sur ces questions et des milliers de thèses universitaires. Cela ne veut pas dire que les opinions sont unanimes, les chercheurs ne sont pas toujours d’accord entre eux dans les détails, mais personne ne vient les contredire sur les quelques principes de base mis à jour.
Point de vue fondamentaliste
On peut refuser en bloc les résultats de ces recherches. Les ignorer tout simplement. En faisant cela, on a un grand avantage : le judaïsme peut continuer son bonhomme de chemin. C’est la solution empruntée par l’intégrisme juif.
L’inconvénient de cette solution est qu’elle est avant tout « idéologique », mais ni rationnelle, ni scientifique.
Elle peut convenir à des juifs peu cultivés dans les domaines scientifiques nommés plus haut (ils peuvent être cultivés dans d’autres domaines). Elle peut servir de refuge aux personnes qui ont besoin de systèmes catégoriques, du principe du tout ou rien.
Mieux vaut un « tout » manichéen, voire obscurantiste, plutôt qu’un « rien » cultivé, mais venant déstabiliser une construction identitaire et donc un psychisme individuel. Du coup, pour le fondamentaliste, le discours critique universitaire n’a aucune prise, il est refusé en bloc, ou au mieux, soigneusement filtré.
Point de vue moderne
Un juif qui a acquis les instruments de la culture moderne ne peut accepter un tel discours. Il est intellectuellement obligé de tenir compte des différents travaux universitaires qui nourrissent sa culture et fondent sa façon de penser « critique ». Le discours fondamentaliste rebondit sur son intellect mais ne le pénètre pas. Pour lui, le discours fondamentaliste n’a tout simplement pas prise, il est ridicule parce que uniquement intuitif, idéologique et donc contingent d’une subjectivité. Il est tout ce que le savoir universitaire dénonce, analyse et démonte. Alors que, du point de vue fondamentaliste, le savoir universitaire et l’esprit qui l’accompagne incarnent un danger qu’il faut fuir ou combattre.
C’est une question de survie.
Les juifs modernistes ne peuvent pas accepter la fuite ou la négation sur ces questions. Ce serait mentir à eux-mêmes. C’est pourquoi, ils doivent construire autre chose et interpréter autrement la tradition juive. Question d’honnêteté tout simplement.
Si cela leur semble impossible, ils n’ont d’autre choix que la sécularisation, c’est-à-dire l’abandon du judaïsme au profit de la seule judéité.
Dès le 18e siècle, avec la figure emblématique de Mendelssohn, qui n’avait rien d’un réformiste ou d’un renégat, des juifs ont cherché la possibilité de rendre compatible le savoir nouveau que la modernité apportait avec la tradition juive et la fidélité à nos textes. Leur grande préoccupation était de montrer aux juifs qui entraient dans la modernité, qu’ils n’avaient pas à abandonner le judaïsme pour autant. Cela donna naissance au modernisme juif qui engendra plusieurs courants idéologiques. Le courant le plus célèbre et celui qui a le mieux réussi est incontestablement le sionisme qui laissa de côté la question religieuse au profit de la dimension nationale.
Du côté des solutions religieuses, compatibles par ailleurs avec le sionisme, il y eut trois solutions :
L’orthodoxie moderne qui cherche à démontrer que le judaïsme ancestral est totalement compatible avec la modernité. Le problème de ce courant est qu’il laisse de côté plusieurs grandes questions soulevées par la modernité. Sa force consiste à montrer une vision sûre d’elle-même du judaïsme (en tout cas en apparence).
Le judaïsme Massorti intègre totalement le langage de la modernité, tout en conservant la forme ancestrale du judaïsme, notamment la Halakha. Sa faiblesse est qu’il a fait rentrer le loup dans la bergerie, il est constamment sur le fil du rasoir, dans un entre deux dialectique assez complexe. Sa force, c’est son honnêteté intellectuelle, son ouverture, son refus du dogmatisme et sa totale continuité de la tradition historique juive.
Le courant réformé (ou libéral) enfin, qui lui, adopte beaucoup plus fortement les attendus de la modernité a un judaïsme forcément métamorphosé. Sa faiblesse est qu’il manque de cohérence historique (en 150 ans il a adopté des positions très contradictoires), par trop de souplesse, il ne met pas la tradition juive face à un véritable défi. Sa force consiste à savoir s’adapter au public le plus large et à savoir renouveler profondément un certain judaïsme.
Si on accepte le point de vue Massorti, il est indispensable d’accepter le principe de la révélation. Dieu qui est une force transcendante au monde se révèle à l’homme. C’est difficile à accepter rationnellement. C’est une question de foi, en Dieu, dans les textes et en l’homme. Le judaïsme serait la rencontre et le dialogue de ces trois dimensions.
Mais le point de vue Massorti, dans sa croyance dans l’homme, implique la croyance en la rationalité et la confiance en la capacité scientifique de l’humanité. On ne peut donc rejeter les découvertes de la modernité. On est obligé d’en tenir compte. On ne peut pas réduire les découvertes scientifiques à de vagues hypothèses invérifiables et invérifiées, comme aiment à le faire les fondamentalistes.
Il faut donc construire une théologie nouvelle qui intègre les valeurs de la modernité au judaïsme ancestral. Il faut réfléchir avec subtilité de l’intérieur même de la tradition juive éclairée sous ce jour nouveau que représente la modernité.
Toute réponse facile, unilatérale, dogmatique sera considérée comme faible et non satisfaisante.
Ce n’est qu’à partir de cela que l’on peut commencer à discuter.
C’est donc de ce point de vue, en tant que Massorti, que je vais répondre.
Moïse a-t-il écrit la Tora ? Dieu existe-t-il ? Dieu parle-t-il ? Moïse lui-même a-t-il existé ?...
Ces questions sont totalement légitimes et il serait anormal de ne pas se les poser aujourd’hui.
Commençons par Dieu lui-même… Par définition, il est indémontrable. Dieu ne peut pas être vu, il ne peut pas être défini, il est l’ineffable.
Dieu n’est jamais une affirmation, il est une question.
Il en a toujours été ainsi et le principe n’est pas nouveau. Le doute fait donc partie intégrante de la véritable foi. Croire c’est accepter de douter. Celui qui a peur du doute n’est pas un véritable croyant au sens purement monothéiste du terme, c’est un idéologue qui cherche à se rassurer. Dieu est au cœur des hommes, c’est à eux de l’écouter… Le Rav Kook disait que celui qui affirme l’existence de Dieu, sans en douter un seul instant, est un charlatan.
Si on accepte les conclusions de la recherche scientifique, c’est-à-dire que l’écriture des textes saints, Bible et Talmud, relève d’un long processus historique, on doit se poser les questions que cela soulève vis-à-vis de la révélation. Il est évident que le regard sur ces textes n’est plus tout à fait le même que celui porté avant la modernité. Cependant, cela ne veut pas dire que la révélation est impossible. Le processus d’écriture lui-même peut être le résultat d’une volonté divine, d’une inspiration à travers l’histoire. Il est vrai que celui qui est imprégné de modernisme aura tendance à relativiser et à ne pas tout prendre au pied de la lettre. On peut très bien contextualiser un texte, c’est-à-dire le remettre dans son univers historique, tout en lui donnant une importance théologique fondamentale.
Par définition, la lettre du texte, qui ne manque pas de décrire des phénomènes invraisemblables, ne peut pas être prise au sérieux dans son sens propre. Elle peut par contre être source de sens dans son sens figuré ou même dans son sens propre mais considéré comme mythologique.
En cela, on peut être un parfait moderne et éprouver une véritable jubilation à la lecture de la Parasha chaque semaine… On peut être un parfait moderne et se soumettre volontairement au système des mitsvot. Cela parce qu’on considérera qu’à travers une tradition plurimillénaire, s’exprime un souffle particulier que la tradition appelle « rouah hakodesh ».
Ce n’est pas une question de preuves, ce n’est pas par peur d’une punition dans un hypothétique au-delà, c’est par pur amour de la tradition spirituelle juive et de ce qui l’inspire, Hashem, l’infini divin. C’est ce que Maimonide définissait comme le plus haut niveau de la pratique religieuse, la pratique totalement désintéressée, le « lishma ».
En ce sens, un moderne pratiquant, ou un pratiquant moderniste si on préfère, représente actuellement le plus haut niveau de piété juive car il ne se cache derrière aucun faux-semblant, aucune certitude, et n’attend aucune récompense.
La question de Moïse devient donc accessoire. A-t-il vraiment existé ? Qui était-il ? qu’a-t-il véritablement écrit ? Nul ne peut le savoir. Personne ne pourra rien prouver. Mais la Tora elle-même (pas si bête !) a déjà donné la réponse : nul ne connaît sa tombe…
Pas de culte de Moïse dans le judaïsme.
C’est donc bien Moïse qui a écrit la Tora… car nous sommes hors du temps.
Je vais maintenant reprendre les termes mêmes de la question :
La Tora peut être d’essence divine tout en racontant du mythe
La Tora peut être d’essence divine tout en racontant du mythe, tout en prenant son temps pour s’écrire, dans le temps de l’histoire des hommes. Elle est donc à juste titre source intarissable de commentaires (c’est un fait historique incontestable). Elle peut très bien être intemporelle tout en se revêtant de vêtements temporels, ceux du style et de l’époque à laquelle elle a été écrite (les mystiques juifs ne disent pas autre chose, à commencer par le zohar).
La Tora vient également répondre à des besoins de société, ils sont éternels mais méritent parfois d’être relus un peu différemment ou d’être reformulés, le principe n’en est pas ébranlé pour autant. Les habits de la Tora, c’est-à-dire le contexte historique et sociologique, peuvent avoir pris un coup de vieux, ce qui les sous-tend ne vieillira jamais.
Il est évident que certaines des solutions proposées par la Tora correspondant à un région précise et à une époque précise, ne peuvent être appliquées aujourd’hui. Mais personne ne le demande ! Je ne connais pas un seul rabbin qui souhaite rétablir l’esclavage, le mariage des mineurs, l’anathème, la lapidation et que sais –je encore… C’est pourquoi à toute époque, les rabbins se sont fait fort de trouver de nouvelles interprétations.
Pourquoi mettre tellement de ferveur dans l’exécution d’une tâche ne répondant plus à mes besoins ? Parce que cette tâche correspond encore à nos besoins. L’être humain aura toujours soif de justice, il aura toujours besoin de se ressourcer le shabbat, il aura toujours besoin de faire attention à ce qu’il mange, à ce qu’il dit, à ce qu’il fait… il aura toujours besoin de cultiver son esprit, de s’arrêter pour méditer, de prendre le recul pour réfléchir, de savoir qui il est, où il se situe dans la grande aventure humaine. La tradition juive lui offre un fantastique instrument pour cela.
Pourquoi continuer à décrypter de vieux textes pour y trouver les réponses d’antan, et dépenser autant d’énergie à essayer de leur donner une nouvelle jeunesse ? Parce que ce ne sont pas que les réponses d’antan, ce sont les réponses éternelles aux questions éternelles. Aujourd’hui on les formulerait peut-être un peu différemment, mais sur le fond cela ne changerait rien. Si quelqu’un était capable de proposer des textes plus pertinents, pourquoi pas ! Mais personne ne peut égaler la tradition de la Bible et du Talmud, car pour ce faire il faut des siècles d’expérience et de travail de l’écriture collective. Il y a là une source incroyable de sagesse et d’expérience humaine. Pour celui qui ose croire, il y a là du souffle divin.
Comment peut-on douter de l’existence d’Hashem en étant pratiquant ? Je retournerais la question, comment peut-on ne pas être un minimum pratiquant même en doutant d’Hashem ?
Une théologie basée sur les certitudes toutes faites et les affirmations idéologiques narcissiques, risque fort de se briser en affrontant les lames de fond amenées par la modernité. Par contre, une théologie plus subtile et plus profonde, une théologie du doute mais de la quête sincère, épousera la tempête comme un bouchon de liège.
Une pratique des textes et des commandements élève l’esprit et apporte une harmonie dans la vie courante sans avoir pour autant besoin de se justifier de croyance.
De toute façon nous n’avons pas le choix. Nous sommes à la fois juifs et modernes. Nous sommes imprégnés de tout cela. C’est ce qui nous constitue, c’est notre sang et notre âme. Ce n’est ni une prison, ni un carcan, mais le terreau de nos racines. S’en passer serait du suicide. Ce serait surtout assez stupide. Pire, ce serait nous rendre minables au regard de l’histoire qui nous précède. Pour un être humain que reste-t-il sans tout cela ?
Yeshaya Dalsace
Loi et pulsions. Veillée d'étude de Shavouoth 5775.La ParashatMishpatim aborde plusieurs types de vol. Le sujet qui nous occupe est le vol par effraction. (Shemot22,1.et suivants).
אם במחתרת ימצא הגנב והוכה ומת אין לו דמים.
'Si quand il creusait un tunnel, le voleur a été pris, qu'il a été frappé et qu'il est mort, il n'a pas de sang'
Le verset parle d'un voleur qui pour pénétrer chez autrui est en train de creuser un tunnel. Mais en fait c'est un exemple, cela peut concerner tout vol par effraction.
Il a été pris sur le fait et a été frappé à mort. Le verset dit : 'il n'a pas de sang', ce n'est pas un crime.
Mais comment est-ce possible ? Est-ce qu'il serait justifié juridiquement d'abattre quelqu'un pour préserver sa propriété ?
Regardons le verset suivant.
'Si le soleil a brillé sur lui, il a du sang, payer אם זרחה השמש עליו דמים לו שלם ישלם אם אין לו ונמכר בגנבתו. il paiera. S'il n'a pas de quoi payer, il sera vendu (en esclave) pour son vol (pour le rembourser)'
Le sens premier serait de dire que s'il a effectué son larcin en plein jour, quand bien même serait-ce par effraction, son statut changerait, et que l'avoir tué serait alors considéré un crime.
Mais nos Maîtres (Sanhédrin 72a) posent la question :
וכי השמש עליו בלבד זרחה 'mais est-ce que le soleil n'a brillé que sur lui ?'
En effet le verset dit 'le soleil a brillé sur lui'. Si le sens du verset eût été qu'il y aurait une différence entre une effraction le jour et une effraction la nuit, le verset aurait dû dire : 'si le soleil a brillé'. Pourquoi le verset ajoute 'sur lui' ?
Ce qui fait dire aux Maîtres de la Tradition Orale qu'il s'agit d'une sorte de parabole, et qu'il nous faut relire les versets.
Regardons la Guemara afférente dans Sanhédrin 72a :
אמר רבא מאי טעמא דמחתרת חזקה אין אדם מעמיד עצמו על ממונו והאי מימר אמר אי אזלינא קאי לאפאי ולא שביק לי ואי קאי לאפאי קטלינא ליה, והתורה אמרה אם בא להורגך השכם להורגו.
'Rava dit : quelle est la raison du tunnel ? C'est une estimation forte qu'un homme ne reste pas impassible sur son bien. Et ce voleur, le sachant, se dit en lui-même : si je vais voler par effraction (en creusant ce tunnel), le propriétaire va réagir indubitablement, et va se dresser contre moi et m'empêcher de lui prendre son bien. S'il se lève contre moi, je le tue. Et la Torah t'enseigne : si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !'
Dénouons l'écheveau de cet enseignement singulier.
Tout d'abord, quelle est la question de Rava ? Est-ce que Rava veut nous donner une explication de la Torah ? La Torah a-t-elle besoin d'explication[1] ?
Rashi répond à notre question :
מאי טעמא דמחתרת. שאמרה תורה אין לו דמים כלומר הרי הוא לך כמי שאין לו דם ונשמה ומותר להורגו.
'Quelle est la raison du (de celui qui va dans le) tunnel, pour lequel la Torah dit qu'il n'a pas de sang ? C'est-à-dire qu'il est considéré par le verset comme quelqu'un qui n'a pas de sang, qui n'a pas d'âme, et qu'il est permis, licite, de le tuer !'
La question est bien : comment est-ce possible que la Torah dise que si un voleur par effraction ait été tué, ce n'est pas un crime ? Est-ce licite de tuer quelqu'un pour défendre son bien[2] ?
Cest à ces questions que Rava répond.
Regardons l'explication de Rashi aux dires de Rava :
חזקה אין אדם מעמיד עצמו על ממונו. שרואה שאחר נוטלו ושותק, הלכך יודע הגנב הזה שבעל הבית עומד על ממונו להצילו ומימר אמר הגנב אי אזלינא קאי באפאי ואי קאי קטלינן ליה ואמרה לך תורה אין לו דמים ומלמדתך מאחר שהוא בא להרגך השכם אתה להרגו.
'C'est une estimation forte qu'un homme ne reste pas impassible sur son bien. Qu'il voit qu'un tiers prend son bien et qu'il se tait. C'est pourquoi ce voleur qui vient par effraction sait que le propriétaire va réagir pour sauver son bien. Alors ce voleur se dit : si j'y vais il fera obstruction, s'il fait obstruction je le tue [en effet le voleur, sachant que venir par effraction va provoquer du grabuge, ne vient pas pour subir des coups. Sachant cela il est évident qu'il est prêt à tuer à la moindre anicroche, il l'assume dès le départ]. Et la Torah te dit : il n'a pas de sang, ceci t'enseigne qu'étant donné qu'il vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !'
Il y a un grand principe que la Torah nous enseigne : הבא להרגך השכם להרגו, 'Si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !'
Où est-ce que la Torah nous enseigne ce principe fondamental ?
Ici ! Au sujet du voleur par effraction pour lequel la Torah nous enseigne : il n'a pas de sang.
Mais interrogeons-nous : si tant est qu'il s'agit ici d'un cas de légitime défense, pourquoi Rashi a-t-il dit dans la première phrase de son commentaire 'qu'il est considéré par le verset comme quelqu'un qui n'a pas de sang, qui n'a pas d'âme, et qu'il est permis, licite, de le tuer', Rashi aurait dû dire que c'est une obligation juridique de le tuer ! Non un droit ou une possibilité comme une autre !
Il nous semble devoir expliquer que c'est en fait ce que la Mishna de Sanhédrin vient nous enseigner :
הבא במחתרת נידון על שם סופו.
'Celui qui creuse le tunnel pour voler est jugé par la Torah sur le mot de la fin'
C'est-à-dire que, nonobstant le fait qu'il ne vient que pour voler, la Torah le considère comme un meurtrier en potentiel.
C'est dans ce contexte que notre tradition rendra compte de la nuance du texte du verset que nous avions relevée plus haut : 'Si le soleil a brillé sur lui'.
Rashi rapporte la Guemara (72a) et explique :
'Si le soleil a brillé sur lui. C'est une sorte d'image. S'il est clair pour toi comme ce soleil que ce voleur est en paix avec toi, comme ce soleil qui est paisibilité dans le monde, et que de même il t'est évident qu'il ne viendra pas à tuer même si le propriétaire se lève contre lui. Par exemple le cas d'un père qui viendrait dévaliser les biens de son fils, où il est certain que les sentiments du père envers son fils l'empêcheraient d'abattre son fils s'il venait à s'interposer'.
Cette explication des Maîtres de la Tradition Orale nous prouve bien qu'a priori le voleur par effraction sera considéré comme un tueur potentiel, quand bien même sa volonté première n'est que d'attenter au bien d'autrui. Si par contre il est de l'ordre de l'évidence qu'il ne sera pas prêt à tuer, le tuer est un homicide ('Si le soleil a brillé sur lui').
Le sujet de l'agresseur, le Rodèf, est abordé dans la suite du Traité Sanhédrin (73a).
La Guemara rapporte trois versets nous enjoignant d'intervenir en cas d'agression.
1°) dans le passage relatif au commandement de la Torah de ramener un objet perdu à son propriétaire, la Torah dit : והשבותו לו, 'et tu le lui ramèneras à lui' (Devarim 22,2). L'insistance du verset, répétant le mot 'à lui', nous enseigne que de même qu'il y a un commandement de la Torah de ramener l'objet perdu à son propriétaire, de même y aura-t-il un commandement de ramener la personne à elle-même si elle est en danger.
Tu le ramèneras à lui. (Explication de Tossefotדה''מ והשבותו לו)
2°) 'Ne reste pas immobile sur le sang de ton frère', לא תעמוד על דם רעך (Vayikra 19,16).
La Guemara demande : 's'il y a le premier verset, pourquoi la Torah surenchérit avec le second ?'
Et répond : 's'il n'y avait eu que le premier verset ('et tu le lui ramèneras à lui'), j'aurais pensé que l'obligation n'aurait incombé qu'à son propre corps. Qu'il agisse pour le ramener à son intégrité. Le second verset ajoute. Dire 'ne reste pas immobile' signifie : 'ne reste pas sur toi-même, c'est-à-dire recherche tout ce que tu peux faire pour sauver ton prochain : même jusqu'à chercher des sauveteurs, les employer et les payer.'
3°) La Torah parle dans la Parashat Ki Tavo du statut du viol (Devarim 25 à 27). Une jeune femme fiancée qui aurait été forcée n'est pas condamnable, quand bien y aurait-il eu adultère, 'car elle a crié et personne n'était là pour la sauver'.
La Tradition Orale explique ce verset en disant : 'mais s'il y eût quelqu'un pour la sauver, il aurait dû la sauver avec tout ce qui lui aurait été possible', ce qui signifie même par la vie de l'agresseur.
A partir du cas de viol, la Tradition Orale élargit le concept d'agression au meurtre (voir le raisonnement dans Sanhédrin 73a).
C'est en cela que cette troisième source est nécessaire, car nous n'aurions nullement appris des deux premières la possibilité, voire l'obligation, de tuer l'agresseur pour sauver l'agressé.
Tossefot (סנהדרין ע''ג ע''א דה''מ אף רוצח) demande : pourquoi a-t-on besoin de cette troisième source, mais n'avions-nous pas déjà le cas du voleur par effraction pour lequel la Torah dit que quiconque peut le tuer ?
Tossefot répond que le cas du voleur par effraction est fondamentalement différent en cela que le verset nous dit qu'on a le droit de le tuer, par contre, dans le cas de l'agresseur, c'est un devoir.
C'est-à-dire que la Torah donne la possibilité, le droit, de tuer le voleur par effraction, mais qu'il n'y a aucune obligation de le faire, tandis que dans le cas classique de Rodèf, d'agresseur, c'est une obligation juridique.
Nous allons rapporter les termes par lesquels Rambam synthétise ce sujet dans les HilkhotGuenéva (chapitre 9, Halakha 7) et nous y trouverons ce même distinguo :
הלכה ז'.הבא במחתרת בין ביום בין בלילה אין לו דמים אלא אם הרגו בעל הבית או שאר האדם פטורים. ורשות יש לכל להרגו בין בחול בין בשבת בכל מיתה שיכולין להמיתו, שנאמר אין לו דמים.
'La personne qui creuse un tunnel pour s'introduire chez autrui, que ce soit le jour ou la nuit, n'a pas de sang, c'est-à-dire la personne qui l'aurait tuée, le propriétaire ou qui que ce soit, est exempt de châtiment. Le droit est donné à quiconque de tuer cette personne, que ce soit jour de semaine ou Shabbat, et quel que soit le mode d'exécution, comme dit le verset « il n'a pas de sang »'.
Tout d'abord nous voyons des mots de Rambam que, contrairement au sens obvie du verset, les termes 'si brille le soleil' sont à interpréter dans le sens imagé.
D'autre part, et c'est ce qui nous occupe, comment peut-on dire que le droit est donné de le tuer ? De deux choses l'une, soit c'est un agresseur, ce serait alors un commandement de la Torah de l'éliminer, soit ce n'est pas un agresseur, où y aurait-il alors nécessité de le tuer ?
D'autre part, il y a une loi spécifique aux cas d'agressions stipulant que, malgré le fait qu'il soit obligatoire de tuer l'agresseur, ce ne le sera que s'il n'est pas possible de sauver l'agressé par d'autre moyen. Par contre s'il est possible d'arrêter l'agression en cassant la jambe de l'agresseur par exemple, le tuer sera considérer un meurtre (Opinion de Rabbi Yonathan ben Shaoul qui est considérée décisive, Rambam Hilkhot Rotséa'h OuShemirat HaNéfèsh chapitre 1, Halakha 13, voir Késsèf Mishné). Or Rambam ne mentionne nullement cette Halakha en ce qui concerne le voleur par effraction.
Il nous semblerait juste de dire que le voleur par effraction n'est pas un Rodèf, un agresseur. La Mishna nous dit qu'il est jugé על שם סופו, 'sur le mot de la fin', c'est-à-dire que la Torah lui confère un statut, celui d'assassin, quand bien même sa réalité présente n'en soit pas éloquente, puisqu'il vient pour voler. La Torah rentre dans les méandres intimes de la dynamique et de la pensée du voleur par effraction. Et c'est cet écheveau que Rava vient démêler.
Ce n'est pas une obligation juridique de le tuer car peut-être que le propriétaire va faire semblant de dormir plutôt qu'affronter l'inaffrontable.
Mais a priori ce n'est pas comme cela. A priori la plupart des gens ne restent pas impassibles lorsqu'on touche à leur bien. Et ce sujet de la Torah vient prendre en compte cette zone de turbulence ingérable que le voleur par effraction vient provoquer, et confère au voleur par effraction, au moment où il est dans le feu de l'action[3], le statut juridique de condamné à mort.
Regardons justement comment Rambam rapporte le cas où il y a certitude que le voleur ne tuera pas (Halakha 10 dans le même chapitre des lois de Guenéva) :
היה הדבר ברור לבעל הבית שזה הגנב הבא עליו אינו הורגו ולא בא אלא על עסקי ממון אסור להרגו. ואם הרגו הרי זה הורג נפש,שנאמר אם זרחה השמש עליו.
'Si la chose est claire, évidente, pour le propriétaire que ce voleur qui vient chez lui ne va pas tuer, et qu'il ne vient que pour l'argent, il sera interdit de le tuer. Et s'il l'a tué, il a tué une âme, comme dit le verset « si le soleil a brillé sur lui »'.
Pourquoi Rambam dit-il 'il a tué une âme' ? Il aurait pu dire simplement : c'est un meurtre ! Ce qui nous fait entendre qu'a contrario celui qui est prêt à tuer, en entrant par effraction n'est pas à cet instant précis 'une âme' juridiquement. Le tuer n'est rien. Tu as le droit de le tuer, ce n'est pas un meurtre. Et même Shabbat, où il est prohibé de verset du sang, ne serait-ce que de tuer un moustique, ce ne sera pas un problème de le tuer, puisqu'il n'a pas de sang.
Pour résumer, reprenons la Mishna :
הבא במחתרת נידון על שם סופו
'Celui qui creuse le tunnel pour voler est jugé par la Torah sur le mot de la fin',
C'est-à-dire que quand bien même le voleur par effraction ne viendrait-il a priori que voler, la Torah nous dévoile que, sachant la perturbation qu'il va entrainer, le voleur est prêt quelque part à tuer, la Torah lui confère alors un statut pénal de tueur, de Rodèf.
Deuxièmement, contrairement au statut classique de Rodèf, d'agresseur, où il y a obligation d'Alors il faut évaluer avec justesse quelle action peut l'empêcher de tuer, au sujet du voleur par effraction ce qui est visé n'est pas tant qu'il faille l'empêcher que le fait qu'il prend, comme nous venons de le proposer, un statut juridique pénal de tueur. Rashi, dans son commentaire sur le verset, synthétise le propos :
אין לו דמים. אין זו רציחה הרי הוא כמת מעיקרו.
'Il n'a pas de sang. Ce n'est pas un homicide, c'est comme s'il était mort depuis le début.'
Une différence fondamentale distingue le voleur par effraction de l'agresseur. L'agresseur, le Rodèf, prend son statut à partir du moment où il attente concrètement à la vie d'autrui, où il court après son prochain avec un couteau par exemple, attitude caractérisée d'agression. Le voleur par effraction, le Ba BéMakhtérèt, en faisant cette effraction prend la responsabilité des déflagrations à venir, et, faisant cette agression, les assume. Bien qu'en soit il ne soit pas agresseur, Rodèf, la Torah lui confère un statut de Rodèf.
Là, dit Rava, la Torah nous enseigne un principe fondamental : הבא להרגך השכם להורגו, 'Celui qui vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer'.
Il vient te tuer, mais il n'est encore pas dans le geste spécifique du tueur, prends les devants !
Essayons de mettre à plat le problème.
Tuer est un interdit de la Torah, comme il est répété plusieurs fois dans la Torah et en particulier dans les dix paroles (Shemot 20,13 et Devarim 5,17) : לא תרצח, 'Ne tue pas'.
Nous avons plus haut plusieurs cas où tuer peut être une obligation de la Torah, lors de cas d'agressions par exemple.
Le cas du Ba BéMakhtérèt, du voleur par effraction, nous interpelle particulièrement par le fait de son côté facultatif finalement, comme nous l'a enseigné Rambam:'Le droit est donné à quiconque de tuer cette personne', et d'autre part, et justement peut-être, s'il y a forte présomption d'une réaction énergique du propriétaire, il est aussi possible qu'un homme sage vienne à préférer simuler l'absence plutôt qu'affronter l'irréparable !
Comment la Torah, si exigeante par rapport au crime, peut-elle tout d'un coup permettre de tuer de sang-froid ce pauvre voleur qui essaie de se débrouiller comme il peut ?
N'aurait-il pas été plus sage de nous enseigner que face à la perte d'une vie, les biens finalement ne sont que secondaires et renouvelables, tandis qu'une vie, même celle d'un voleur, est irremplaçable ?
Nous avons expliqué dans le commentaire de Rashi que le voleur par effraction prend un statut d'agresseur car, venant justement par effraction, il sait pertinemment que le propriétaire ne se laissera pas faire et fera obstruction pour qu'il ne s'empare pas de ses biens. Le sachant, le voleur prend les devants. Rambam (Halakha 8) explique de la même manière. Par contre, la plupart des commentateurs expliquent différemment.
Rashbam sur le verset :
אם במחתרת. או בלילה או להרוג או ליהרג בא, לפיכך.
'Si dans le tunnel. Et la nuit, il vient soit pour tuer soit pour être tué, c'est pourquoi (…).'
Rashbam explique que tuer le voleur par effraction n'est pas juridiquement un crime, car en venant il assume soit de tuer soit d'être tué. Ceci est différent de l'explication de Rashi, car pour Rashi la démarche n'est pas de prendre en compte a priori que le propriétaire serait prêt à le tuer, mais serait prêt à intervenir.
La différence est importante car s'il est licite[4] d'intervenir, quitte à frapper et blesser le voleur, par contre il est illicite de tuer quelqu'un pour protéger son bien.
Comment donc d'après le Rashbam la Torah peut-elle conférer un statut au voleur sur la base d'une estimation que l'individu lambda ne serait pas prêt à respecter les lois de la Torah ?
Rabbi Méïr HaLévy Aboulafia dans son ouvrage Yad Rama explique comme le Rashbam [5]:
אין לו דמים, חזקה אין אדם מעמיד עצמו על ממונו אלא טורח להציל בכל דבר ואפילו בנפשו של גנב, והאי גנב כיון דאתי למיגנב ודאי אי לאו דדעתיה למקטליה לבעל הבית כי קאי באפיה לא הוה אתי, לפיכך אמרה תורה הבא להרגך השכם להורגו. וכי תימא אם כן הוה ליה בעל הבית נמי רודף, בעל הבית לאו רודף הוא, אי משום דקטיל ליה השתא, משום דאתי איהו למקטליה הוא דקטיל ליה. מאי אמרת אי לאו חזקה דאין אדם עמיד עצמו על ממונו לא הוה אתי איהו אדעתא דמקטליה, מכל מקום בעל הבית לא קא עביד השתא ולא מידי והשתא אמאי אתי למקטליה, הוה ליה רודף והתורה אמרה הבא להורגך השכם להורגו.
ולא מצינן למימר דהאי דקאמר חזקה אין אדם מעמיד עצמו על ממונו דלהצלה בעלמא הוא ולאו לאצוליה בנפשו של גנב, דאם כן אכתי מנא ידעינן דדעתיה דגנב למקטליה לבעל הבית כי היכי דלדייניה כרודף, והאי מימר אמר אי יכילנא ליה לבעל הבית שקילנא ליה לממוניה בעל כרחיה ואי לא שביקנא ליה ולממוניה וערקנא. אלא משום דידע ביה בבעל הבית דאי יכיל ליה קטיל ליה, הלכך כי אתי אדעתא דקדים איהו וקטיל ליה, הילכך הוה ליה רודף כדקאמרן.
'Il n'a pas de sang. C'est une estimation forte qu'un homme ne reste pas impassible sur son argent, et que bien au contraire il fera tous ses efforts pour le sauver, et même en éliminant la vie du voleur. Et ce voleur, puisqu'il vient voler, s'il n'était pas prêt à tuer le propriétaire s'il fait obstruction, il ne viendrait pas, c'est pourquoi la Torah stipule « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ». Maintenant tu peux me poser la question : finalement c'est le propriétaire qui est l'agresseur !
Et si le voleur tue le propriétaire, ne serait-ce pas à titre de légitime défense ?
Et d'ailleurs, n'as-tu pas dit précédemment que c'est en vertu du principe qu'un homme ne reste pas impassible sur son bien que le voleur est considéré prêt à tuer le propriétaire ?
Il faudra répondre que concrètement le propriétaire à cet instant précis n'agresse nullement, c'est le voleur lui, en venant, qui se pose en agresseur et qui est prêt à le tuer. Or la Torah nous enseigne « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ».
Il n'est pas correct d'expliquer l'estimation forte en cela qu'un homme ne reste pas impassible sur son bien et est prêt à intervenir pour le sauver, à se battre mais nullement prêt à tuer le voleur. Car si on explique ainsi comment pouvons-nous affirmer que le voleur est prêt à tuer le propriétaire, peut-être qu'il assume de se battre s'il sent qu'il peut avoir le dessus sur le propriétaire, mais peut-être que sinon il rebroussera chemin et ne volera pas, voyant que le jeu n'en vaut pas la chandelle ? Nous sommes donc obligés d'expliquer que le voleur est convaincu d'office que le propriétaire le tuera s'il le peut, c'est pourquoi il prendra les devants et le tuera, la Torah lui donne donc un statut d'agresseur.'
Rabbénou Nissim de Gérone, le Ran, dans son commentaire sur Sanhédrin, suit la démarche du Yad Rama. Nous rapporterons néanmoins les mots de son commentaire, car, étant un peu plus synthétique, il nous aidera à entrer plus loin dans notre réflexion.
ואי קאי לאפאי קטלינן ליה. ודאי שאין כל הגנבים באין על עסקי נפשות ואי קאי בעל הבית לאפיה ושקיל ממוניה מיד גנב לא קטיל ליה דאי לא יכול גנב למיגנב ליזיל לנפשיה אלא בעל הבית הוא העומד כנגדו על מנת להרוג אם לא יניח לו את הכלים מיד, שאף על פי שאינו בדין להורגו על כך, חזקה שאין אדם מעמיד עצמו על ממונו והגנב שהוא יודע זה כשהוא עומד כנגדו על עסקי נפשות הוא עומד והוא שהתחיל במריבה ובא במחתרת עשאו הכתוב רודף ואמר שאין לו דמים.
'Et s'il se lève contre moi, je le tue. En fait, c'est évident que pas tous les voleurs par effraction viennent pour tuer. Et si le propriétaire fait obstruction et reprend son bien de la main du voleur, il est fort possible que le voleur le lui laisse et aille vaquer à d'autres occupations. C'est le propriétaire qui se lève sur le voleur qui lui est prêt à tuer par contre pour récupérer son bien, quand bien serait-il illicite de le faire. Car c'est une estimation puissante qu'un homme ne reste pas impassible sur son bien. Et le voleur sait cela et c'est pourquoi il assume, en venant par effraction, à tuer si le propriétaire fait obstacle. C'est lui qui est à l'origine du conflit, c'est pourquoi la Torah a conféré au voleur par effraction un statut d'agresseur en disant « il n'a pas de sang ».'
Le Yad Rama et le Ran nous posent une question essentielle : comment définir l'agresseur ? Est-ce le voleur ? Le propriétaire ? Qui est en légitime défense ? Il est bien évident que le voleur ne vient pas pour tuer, ce n'est pas un tueur. C'est un voleur. Mais, venant par effraction, il y a grand risque qu'il provoque une réaction très dangereuse, quand bien même celle-ci serait illicite. Venant, il l'assume, il veut s'en sortir, il est donc prêt à tuer. Il est à l'origine du conflit. La Torah nous enseigne ici : « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ».
De plus, le Yad Rama et le Ran expliquent qu'ils sont obligés d'expliquer que la 'Hazaka, l'estimation forte, prend en compte que le propriétaire serait prêt à tuer le voleur, car, si non, comment affirmer que l'on serait sûr que le voleur viendrait tuer ?
Est-ce à dire alors que pour Rashi et Rambam il faudrait expliquer que la Torah donne le droit de tuer le voleur par effraction même si finalement il ne serait pas si évident que le voleur serait prêt à tuer ?
Il ressort clairement de Rashi et de Rambam que le concept de HaBa LéOrguera, Hashkem LeOrgo, « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer » est fondamentalement différent du cas classique d'agresseur, de Rodèf. En effet la remarque du Yad Rama, qui le force à affirmer que le propriétaire serait prêt à tuer, nous montre qu'en fait le voleur par effraction n'est pas dans un geste de meurtrier et que malgré cela la Torah lui confère un statut juridique de Rodèf.
La Torah, dans ce cas et dans d'autres à définir, nous enjoint à prendre nos responsabilités et à prendre les devants pour transgresser un interdit majeur, celui de tuer, pour sauver sa propre vie.
Rashbam, le Yad Rama et le Ran limitent l'écart entre les deux notions, mais prennent le risque d'affirmer qu'un homme est prêt a priori à transgresser la Torah pour sauver son bien. Rashi et Rambam mettent en relief la différence de taille qu'il y a entre le voleur par effraction et l'agresseur.
La personne qui frappe son prochain transgresse un interdit de la Torah. La Tradition Orale l'apprend du verset de la Parashat Ki Tétsé (Devarim 25,3). La Torah nous parle des différents châtiments corporels. Pour certaines transgressions, la Torah prévoie des condamnations de flagellation. Malgré cela, la Torah nous enjoint d'être vigilants et un interdit de la Torah incombe au bourreau du tribunal s'il ne rajoute qu'un seul coup à ceux prescrits par le tribunal.
ארבעים יכנו לא יוסיף.
'Il le frappera de quarante coups, il n'en rajoutera pas.'
La Tradition Orale généralisera et apprendra de ce verset l'interdit de frapper quiconque.
Rambam (SéfèrHaMitsvot 400e interdit, et Hilkhot Sanhédrin chapitre 16, Halakha 12) :
'L'interdit de la Torah est de rajouter sur les coups, ne serait-ce qu'un coup supplémentaire à ce que le tribunal a estimé que le condamné serait susceptible de supporter. C'est ce que nous enseigne le verset « selon son forfait, un compte de quarante coups, il n'en rajoutera pas ». Le Sifri (Misdrash Halakha relatif au verset) explique : s'il a ajouté un coup il transgresse un interdit de la Torah. De cet interdit nous apprenons l'interdit de frapper toute personne d'Israël. En effet c'est un raisonnement a fortiori. Si pour un fauteur, il est prohibé d'après la Torah de rajouter ne serait-ce qu'un coup, raison de plus que pour toute personne sera-ce interdit de la frapper'.
Il est donc clair et indubitable que frapper quiconque est interdit d'après la Torah. Néanmoins, la Guemara du Traité Baba Kama (27b) nous rapporte des cas où frapper son prochain deviendra licite.
ההוא גרגותא דבי תרי דכל יומא הוה דלי חד מינייהו אתא חד קא דלי ביומא דלא דיליה. אמר לו יומא דידי הוא לא אשגח ביה. שקל פנדא דמרא מחייה. אמר לו מאה פנדי בפנדא למייה. אפילו למאן דאמר לא עביד איניש דינא לנפשיה במקום פסידא עביד איניש דינא לנפשיה.
'Il y avait une citerne d'eau qui appartenait à deux associés, de laquelle chacun puisait alternativement un jour sur deux. Vint l'un des deux et puisa le jour qui n'était pas le sien. Vient l'autre et lui dit : mais c'est mon jour ! L'autre ne réagit pas (c'est-à-dire qu'il continua à puiser). Il prit un manche de pioche et le frappa. L'affaire vint devant Rav Nakhman.
Il dit : même cent coups de manche de pioche il aurait pu lui donner. En effet, même d'après celui qui dit que l'homme n'est pas habilité à se faire justice lui-même, dans un cas de perte manifeste [comme ici où le temps qu'il aille au tribunal faire valoir ses droits, l'autre aura puisé une quantité d'eau qu'il deviendra impossible d'évaluer], tous les avis s'accordent à dire que l'homme se fait justice pour lui-même.'
דאתמר רב יהודה אמר לא עביד איניש דינא לנפשיה רב נחמן אמר עביד איניש דינא לנפשיה. היכא דאיכא פסידא כולי עלמא לא פליגי דעביד איניש דינא לנפשיה, כי פליגי היכא דליכא פסידא. רב יהודה אמר לא עביד איניש דינא לנפשיה דכיון דליכא פסידא ליזיל קמיה דיינא. רב נחמן אמר עביד איניש דינא לנפשיה דכיון דבדין עביד לא טרח.
'Comme il est enseigné. Rav Yéouda dit : l'homme ne se fait pas justice pour lui-même. Rav Nakhman dit : l'homme se fait justice pour lui-même. Dans un cas où il y a perte patente, il n'y a pas de débat, tous sont d'accord que l'homme se fait justice pour lui-même. Dans un cas où il n'y a pas de perte, Rav Yéouda dit : l'homme ne se fait pas justice pour lui-même, car, étant donné qu'il n'y a pas de perte, qu'il aille devant le juge ! Rav Nakhman dit : l'homme se fait justice pour lui-même, étant donné que ce qu'il va faire est la justice même, pourquoi devrait-il se fatiguer à aller au tribunal ?'
Il ressort a minima de ce passage du Traité Baba Kama que, tout au moins dans un cas de perte, comme le cas de cette citerne d'eau, tous les avis s'accordent à dire qu'il serait tout à fait licite et recommandé de frapper et de blesser le spoliateur si le propriétaire ne peut défendre son bien autrement, comme le dit Rav Nakhman : 'Mais qu'il lui donne cent coups de pied de pioche !'
D'autant plus que la conclusion légale est comme l'avis de Rav Nakhman, Shoukhan Aroukh 'Hoshen Mishpath chapitre 4, paragraphe 1 :
כיצד אדם עושה דין לעצמו אם רואה שלו ביד אחר שגזלו יכול לקחתו מידו ואם האחר עומד כנגדו יכול להכותו עד שיניחנו, אם לא יכול להציל בענין אחר, אפילו הוא דבר שאין בו הפסד אם ימתין עד שיעמידנו בדין.
'Comment l'homme se fait-il justice pour lui-même? S'il voit son bien dans la main d'un autre qui le lui a volé, il est habilité à le lui reprendre de sa main. Si l'autre fait obstruction, il a le droit de le frapper, jusqu'à ce qu'il le laisse le reprendre, s'il ne peut pas le récupérer d'une autre manière. Et ceci est licite même s'il s'agit d'une chose où il n'y aurait pas de perte s'il conviait l'autre au tribunal.'
S'il y a un interdit de frapper autrui, comment y a-t-il alors consensus pour permettre de frapper le voleur pour l'empêcher de voler, ou pour récupérer son bien ?
VI. A quel titre est-ce licite de frapper autrui pour récupérer son bien ?
Première démarche.
Cette question importante soulève de grands débats. Pour l'éclaircir, il nous faut procéder étape par étape.
Le Mordekhi, sur Baba Kama troisième chapitre §30, cite Rabbi Méïr de Rothenburg et le Yéréïm de Rabbi Eliézer de Metz :
'Ce que Rav Nakhman autorise à ce qu'on se fasse justice pour soi-même ne concerne que le cas d'un vol où l'objet est visible et tel quel [où là, le spolié peut entrer chez le voleur récupérer son bien]. Soit que le voleur veuille le lui arracher ou bien que le voleur l'ait déjà pris et qu'il se trouve tel quel entre ses mains. Par contre si l'objet a été volé mais a disparu, le spolié n'est pas habilité à saisir d'autres biens en compensation, même si le vol est avéré indubitablement, car cela revient à encaisser une dette, et la Mishna enseigne (Baba Métsia 113) : celui qui a prêté de l'argent à un autre ne doit faire de saisie (même dans la rue) qu'avec l'assentiment du tribunal, et il (même le fondé de pouvoir du tribunal) ne doit pas rentrer dans sa maison pour prendre un gage, comme dit le verset (Devarim 24,11) « à l'extérieur il se tiendra ».'
Rabbi Shelomo Louria, dans son livre Yam She lShelomo sur Baba Kama troisième chapitre §9, va nous apporter, sur la base de notre sujet, des éléments déterminants :
'Indépendamment d'un argument de risque de vol, un homme est habilité à mettre à la porte de chez lui quiconque s'il le déteste par exemple. Et si cette personne ne veut pas sortir, et que le propriétaire l'a frappé et blessé, celui-ci est exempt, car l'homme est habilité à se faire justice lui-même pour sauver son bien, et tout un chacun a le pouvoir sur sa maison, וכל אחד שולט בביתו.'
Synthétisons.
Rabbi Méîr de Rothenburg et le Yéréïm mettent en relief que la notion de se faire justice soi-même est limitée à l'objet précis du vol, et non à sa représentation-valeur.
Le Yam ShelShelomo explique le fait que quelqu'un est habilité à mettre autrui à la porte de chez lui, même par la force si nécessaire, par le fait que l'homme domine son bien. Nous voudrions déduire de ces éléments la démarche suivante :
Je possède quelque chose, cela signifie qu'outre le fait que j'en aie jouissance j'exerce sur cet objet un pouvoir, une domination.
L'origine et le bien-fondé d'un pouvoir sont mystérieux. Qu'est-ce qui fait que quelqu'un puisse exercer une coercition sur autrui ?
Nous trouvons dans le droit juif la notion de tribunal. Un tribunal a un pouvoir non seulement décisionnaire mais coercitif, d'où vient cette force ?
Nous pouvons, dans les mots du Yam ShelShelomo, trouver un début minimal de démarche : cela m'appartient signifie que, par rapport à cet objet, j'ai une force coercitive. C'est le domaine d'expression de ma personne. Par l'usage, le droit et le pouvoir.
Nous pouvons comprendre par cela que la notion de AvidHinish Dina LéNaphché, 'l'homme peut se faire justice pour lui-même', ne s'applique qu'à l'égard de l'objet précis, et non de sa valeur.
Nous avons voulu dégager une première analyse, et dire qu'il est interne au fait de posséder quelque chose de pouvoir exercer une coercition à son égard. Néanmoins une autre approche ressort de plusieurs autres commentateurs.
Rambam, Hilkhot Sanhédrin, chapitre 2, Halakha 12 :
'L'homme a à faire justice pour lui-même s'il en a la force. Etant donné que ce qu'il fait est justifié juridiquement, il n'y a aucune raison qu'il se fatigue à aller au tribunal, et ce quand bien même n'y aurait-il aucune perte dans ses biens à prendre son temps à aller au tribunal. C'est pourquoi si la partie adverse a fait des réclamations au tribunal, et qu'après analyse du sujet le tribunal en est arrivé à comprendre que ce qu'il a fait était justifié juridiquement, on ne casse pas son jugement.'
Les mots de Rambam paraissent anodins en première lecture. Les grands Maîtres des générations nous ont enseignés que les mots apparemment en trop révèlent souvent le fond de la pensée des commentateurs. Le Rav Israël Zeev Gostman, dans Kountrassé HaShiourim sur Baba Kama, relève l'incongruité apparente de la fin de cette Halakha de Rambam : 'on ne casse pas son jugement'. La phrase aurait pu être : 's'il se trouve que ce qu'il a fait était justifié juridiquement, on laisse le bien dans sa main', que signifie l'expression 'on ne casse pas son jugement' ? Ces mots nous révèlent que Rambam pense que le propriétaire qui défend son bien agit comme juge. Et d'ailleurs le contexte de cette Halakha dans le second chapitre des lois du Sanhédrin de Rambam montre de manière éloquente quelle est sa conception.
Dans la Halakha précédente, Rambam nous enseigne que d'après la conception de la Torah une personne seule peut être habilitée à juger son prochain, comme dit le verset (Vayikra 19,15):
בצדק תשפוט עמיתך, 'Juge ton prochain avec droiture'. Par décret rabbinique, nos Maîtres ont exigé un quorum de trois. Néanmoins, dans certains cas un juge émérite aura la capacité juridique de juger seul.
C'est là-dessus précisément que Rambam enchaine : 'L'homme a à faire justice pour lui-même s'il en a la force (…)'.
Les commentateurs déduisent des termes 'on ne casse pas son jugement' que, pour ce qui le concerne, l'individu garde son statut originel d'être apte à juger seul, c'est-à-dire qu'il est juge pour ce qui le concerne. Il ressortirait même qu'il est le mieux habilité à le faire, comme le laisse entendre les mots : 'L'homme a à faire justice pour lui-même', cela même jusqu'à dire que s'il en a la capacité, c'est à lui de le faire. Ce sont les mots de Rambam : 's'il en a la force'.
Rav Gostman a une autre lecture des mots de Rambam 's'il en a la force'. Il propose de dire que ces mots nous expliquent la structure de la notion de Avid Hinish Dina LéNaphché, 'l'homme peut se faire justice pour lui-même'. La notion de juge habituellement et de jugement prennent corps dans la capacité d'exprimer une sentence, un jugement. L'individu, pour ce qui le concerne, peut faire justice par son acte, sa force. Son acte fait loi. Il nous semble que ces deux lectures se complètent et ne s'excluent pas.
L'incidence concrète entre l'analyse du Yam ShelShelomo et celle de Rambam sera de savoir si l'individu est habilité à prendre un autre objet de la main du voleur que celui du litige. Nous avons des preuves que le Rosh pense comme Rambam (PiskéHaRosh premier chapitre de Baba Kama §20 sur 15b), mais ceci sortirait du cadre précis de l'étude présente. Le Tour, fils du Rosh, exprime le sujet comme le Rambam ('HoshenMishpat chapitre 4) :
אף על פי שהיחיד אינו יכול לדון, עושה דין לעצמו.
'Bien qu'un individu seul ne soit pas habilité à juger, il fait néanmoins justice pour lui-même'.
Pour synthétiser. Selon l'explication du Yam Shel Shelomo, il entre dans le fait d'être propriétaire de pouvoir appliquer une justice en ce qui concerne ce bien. Selon Rambam, et autres, l'individu est juge dans le champ de ce qui le concerne directement. Il serait même plus habilité à appliquer une justice que des instances institutionnelles, qui sont là pour aider, non pour se substituer aux intéressés.
D'après les différents commentateurs, dans certaines circonstances précises, le propriétaire d'un bien est habilité à forcer le spoliateur, quitte à le forcer, le frapper, voire le blesser, pour récupérer ce bien ou pour l'empêcher de le voler. La personne a, pour ce qui la concerne, un statut de Beth Din, de tribunal, quelque soit l'analyse précise. Par contre il est évident que le propriétaire ne sera jamais habilité à tuer le spoliateur pour l'empêcher de voler. En effet toucher à la vie d'autrui entre dans des catégories pénales. Si c'est ainsi commente le Yad Rama (ainsi que Rashbam et Ran) a-t-il pu expliquer dans l'analyse du voleur par effraction que le propriétaire était prêt à le tuer pour protéger son bien ?
['Il n'a pas de sang. C'est une estimation forte qu'un homme ne reste pas impassible sur son argent, et que bien au contraire il fera tous ses efforts pour le sauver, et même en éliminant la vie du voleur. Et ce voleur, puisqu'il vient voler, s'il n'était pas prêt à tuer le propriétaire s'il fait obstruction, il ne viendrait pas, c'est pourquoi la Torah stipule « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer »']
Comment la Torah peut-elle construire un statut sur une logique qui envisagerait que d'office, dans le cas du vol par effraction, les gens seraient prêts à dépasser les limites du légal ? Cette question se pose dans une certaine mesure même selon la démarche de Rashi et de Rambam. En effet, même s'il n'est pas envisagé dans leur démarche que l'homme soit prêt à tuer pour défende son bien, néanmoins Rava nous a aidé à comprendre que tout le cas de Ba BéMakhtérèt, du statut du voleur par effraction, est fondé sur l'estimation forte qu'un homme ne reste pas impassible quant on attente à ses biens, ne serait-ce pas plus sage d'éduquer les gens à ne pas être si attachés à des choses finalement si éphémères ?
Si on sent qu'il y a, la nuit surtout, un voleur qui rode, et bien laissons le faire, à quoi cela servirait de se lever et d'affronter un combat à l'issue incertaine ? Ou bien mettons à nos portes des systèmes de sécurité performants !
Nous pouvons comprendre qu'il y ait des crimes passionnels. Il nous semble que toute législation prend en compte de telles extrémités. Par contre ce qui nous interpelle est que, dans le sujet qui nous occupe, la Torah authentifie l'attachement pulsionnel que l'on pourrait avoir à ses biens, et donne même le droit de tuer le voleur qui se trouve être ici l'agresseur, étant celui qui provoque cette zone de turbulence.
Nous avons apporté au premier paragraphe de cette étude l'explication que la Tradition Orale donne au verset 'Si le soleil a brillé sur lui'.
Rapportons de nouveau le commentaire de Rashi qui synthétise la Guemara de Sanhédrin (72a et b) :
'Si le soleil a brillé sur lui. C'est une sorte d'image. S'il est clair pour toi comme ce soleil que ce voleur est en paix avec toi, comme ce soleil qui est paisibilité dans le monde, et que de même il t'est évident qu'il ne viendra pas à tuer même si le propriétaire se lève contre lui. Par exemple le cas d'un père qui viendrait dévaliser les biens de son fils, où il est certain que les sentiments du père envers son fils l'empêcheraient d'abattre son fils s'il venait à s'interposer'.
Mais en fait la source de Rashi, la Guemara de Sanhédrin (72a et b), est plus complexe. Il nous semble nécessaire de l'aborder pour cerner plus précisément notre propos.
תנו רבנן אין לו דמים אם זרחה השמש עליו. וכי השמש עליו בלבד זרחה אלא אם ברור לך הדבר כשמש שאין לו שלום עמך הרגהו ואם לאו אל תהרגהו.
'Nos Maîtres enseignent : « il n'a pas de sang si le soleil brille sur lui », est-ce que le soleil ne brille que sur lui ? il faut donc comprendre le verset ainsi : si la chose t'est claire comme le soleil qu'il n'a aucune paisibilité à ton égard, tue le, et sinon ne le tue pas !'
תניא אידך אם זרחה השמש עליו דמים לו. וכי השמש עליו בלבד זרחה אלא אם ברור לך כשמש שיש לו שלום עמך אל תהרגהו ואם לאו הרגהו.
'Un autre enseignement nous dit : « si le soleil brille sur lui, il a du sang », mais est-ce que le soleil ne brille que sur lui ? Il faut donc comprendre le verset ainsi : si la chose t'est claire comme le soleil qu'il est de toute paisibilité avec toi, ne le tue pas, sinon tue-le !'
Ces deux enseignements se contredisent ! En effet le premier enseignement met en relief qu'a priori il est interdit de tuer le voleur par effraction, à moins que cela soit clair comme le soleil qu'il vient en vue de te tuer. Le second enseignement, au contraire dit qu'a priori il faut tuer le voleur par effraction, à moins que cela soit clair comme le soleil qu'il ne vient pas du tout pour te tuer.
La Guemara aborde cette contradiction :
קשיא סתמא אסתמא. לא קשיא כאן באב על הבן כאן בבן על האב.
'Le second enseignement contredit le premier ! Ce n'est pas une question. Le premier enseignement parle du père qui vient dévaliser son fils, le second enseignement parle du fils qui vient dévaliser son père.'
Rashi explique ainsi le premier enseignement :
'Si le père vient dévaliser par effraction son fils, toi qui est son fils tu t'interroges sur ses intentions. Dans le doute, ne le tue pas car nous pouvons affirmer qu'un père a priori a de la miséricorde pour son fils, et quand bien même le fils se lèverait pour sauver son bien, le père ne le tuerait pas. C'est pourquoi la Torah dit : « il a du sang », A moins que cela soit clair pour toi comme le soleil qu'il est cruel à ton égard et qu'il te hait.'
Rashi sur le second enseignement :
''Si le fils vient dévaliser par effraction son père, et en fait nous déduirons d'ici tout homme qui viendrait par effraction par raisonnement à fortiori, tue-le dans le doute ! Car nous pouvons affirmer que c'est dans cet état d'esprit qu'il vient, pour tuer si le propriétaire se lève récupérer son bien. Et ceci tant que ce n'est pas clair pour toi comme le soleil qu'il est miséricordieux à ton égard comme un père vis-à-vis de son fils.'
Des années nous nous sommes interrogés sur ce passage de la Guemara : comment du même verset les Sages peuvent-ils apprendre deux enseignements antagoniques ? Et d'autre part, qu'est-ce que c'est que cette histoire du père et de son fils ?
Pour reprendre cette première question, il est d'autant plus étonnant que le premier enseignement relie l'expression אם זרחה השמש עליו, 'si le soleil brille sur lui', au premier verset quand cette expression fait partie du second verset comme nous l'avons vu plus haut au premier paragraphe de cette étude ?
Nous suggérons de répondre à nos deux questions de la manière suivante, et là va commencer à poindre la problématique principale de cette étude.
La Torah nous enseigne au sujet du voleur par effraction une innovation juridique de taille : si tel voleur a été tué, ce n'est pas considéré comme étant un homicide ! En effet a priori nous pouvons affirmer qu'un tel délinquant est un tueur potentiel. Le fait de briser les limites et de s'immiscer chez autrui de cette manière témoigne a priori d'un dépassement de ses limites intérieures et le présente comme un tueur potentiel. C'est ce que la Guemara appelle : מחתרתו זו היא התראתו, 'son effraction, c'est sa sommation' !
Le second verset nous enseigne qu'il y a une limite à cela : 'si le soleil brille sur lui, il a du sang'. C'est-à-dire que si tu peux affirmer sans aucun doute qu'il ne sera jamais prêt à te tuer, alors ce sera un homicide. Nous pouvons donner un exemple d'un tel cas : le père qui viendrait voler son fils par effraction.
Telle est effectivement la lecture première du sujet, et telle est d'ailleurs la lecture que Rashi propose dans son commentaire sur la Torah, comme nous l'avons apporté plus haut.
Mais les Maîtres du Talmud soulèvent une question sous-entendue dans la contradiction entre ces deux enseignements.
Pour apprécier la problématique, nous voulons mettre en relief encore une fois l'innovation suivante :
La Torah ne badine pas avec le meurtre. C'est considéré comme une des fautes majeures.
Il y a deux exceptions ; l'agresseur et le voleur par effraction, comme nous l'avons exposé plus haut.
La différence entre les deux statuts est de taille : l'agresseur, le Rodèf, est indubitablement un danger, le voleur par effraction est a prioriun danger, dans le doute considère-le comme un danger (ce sont les mots de Rashi).
Le second verset relatif au voleur par effraction vient nous dire que si le soleil brille sur lui, c'est-à-dire que si par contre nous n'avons aucun doute qu'il n'en viendra pas à tuer, « il a du sang », ce sera considéré comme un homicide si on le tue.
En clair il y a opposition entre le premier verset et le second. Le premier verset nous dit l'innovation principale : dans le doute, tue !
Le second verset nous limite cette innovation en disant que s'il y a certitude, ne tue pas !
Pour résumer : dans le doute, tue ! Certitude du contraire, ne tue pas !
Mais, et là est la question subtile sous-entendue dans notre passage, si c'eût été ainsi pourquoi la Torah écrit-elle le second verset en disant 'si le soleil brille sur lui, il a du sang', c'est alors un homicide ? N'aurait-ce pas été plus juste d'écrire : 'il a du sang si le soleil brille sur lui' pour bien scinder entre la proposition principale et l'exception ?
Ecrire 'si le soleil brille sur lui, il a du sang' ne nous laisserait pas entendre que 'si le soleil brille sur lui' se réfèrerait aussi au premier cas et nécessiterait une certitude pour tuer le voleur ? Comme si et le premier cas et le second cas nécessitaient certitude ! Ce qui est contraire à l'innovation majeure de notre sujet.
Reprenons. L'innovation majeure du statut du voleur par effraction est que l'on puisse avoir le droit de tuer sans certitude expresse quant à l'intention de tuer du voleur. Si telle est l'innovation centrale du sujet, pourquoi la Torah ne scinde-t-elle pas l'exception du second verset en éloignant le cas de certitude ? Ce qui fait dire aux Maîtres de la Tradition Orale qu'il y a deux cas opposés de certitude. Le père vers son fils, et le fils vers son père.
Dans la première lecture du sujet, lecture apportée par Rashi sur la Torah, nous avions pensé que le cas du père qui vient voler par effraction son fils était un exemple parmi d'autres, exemple signifiant, mais un exemple néanmoins. Selon la lecture élaborée de la Guemara, nous sommes forcés de dire que ces cas, outre leur côté signifiant, sont utilisés à dessein et de manière extrêmement précise. La Tradition Orale nous transmet comment résoudre cette anomalie des versets : 'là on parle du père chez le fils, là on parle du fils chez le père'.
Certes la Torah nous enseigne qu'a priori un voleur par effraction est considéré d'office comme étant un agresseur. Mais l'anomalie du verset, de mettre 'si le soleil brille sur lui' entre les deux versets, nous laisse entendre qu'il y a un cas où il nous faudra une certitude pour tuer le voleur part effraction, c'est le cas du père qui vient voler son fils pour lequel, a priori, le tuer sera considéré comme un homicide.
De tous ces Pilpoulim, il ressort que ce cas du voleur par effraction,Ba BéMakhtérèt, est la rencontre de plusieurs pulsions, de plusieurs instincts, de l'instinct de propriété d'un côté et de celui de conservation, du père vis-à-vis de son fils, miséricorde instinctive, duquel un fils, jusqu'à nouvel ordre est complètement absent.
La Torah dans le sujet de Ba BéMakhtérèt, du voleur par effraction, vient statuer avec précision sur des pulsions antagoniques, et en faire des paramètres clefs pour décider si tel acte est un meurtre ou ne l'est pas.
Le pulsionnel n'est pas considéré ici circonstance atténuante du crime, mais est le matériau sur lequel s'articule les versets, et les statuts juridiques.
Il est à remarquer qu'un sentiment positif comme la miséricorde d'un père envers son fils est considéré matériau fiable au même titre que la dynamique meurtrière d'un voleur qui fait une effraction.
Nous avons vu plus haut que, d'après la démarche du Yad Rama (et autres), on peut considérer a priori qu'il y a risque que le propriétaire attente à la vie du voleur par effraction pour récupérer son bien, quand bien même serait-ce illicite. Le sachant, nous pouvons affirmer que le voleur prendra les devants et abattra le propriétaire. Là-dessus, la Torah t'enseigne : HaBa LéOrguera, Hashkem LeOrgo, « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer » !
Mais, selon le second enseignement de la Guemara de Sanhédrin, lorsque le fils vient voler par effraction son père, la Torah considère que le fils est un assassin en puissance. Mais pourquoi ? Car il sait que le propriétaire est prêt à le tuer pour récupérer son bien, il prend donc ainsi les devants. Mais ici, le propriétaire c'est son père, or nous avons affirmé qu'un père n'est pas prêt à tuer son fils ! Pourquoi prendrait-il les devants, quels devants y a-t-il à prendre ?
Nous pouvons dire que cette question peut être considérée comme une preuve pour la démarche de Rashi et de Rambam qui ne disent pas que le propriétaire serait prêt à tuer le voleur par effraction.
Comment répondre à cette grande question ? Il nous parait possible d'y répondre de plusieurs manières. Néanmoins le plus vraisemblable serait d'analyser les choses ainsi :
Le père vient faire un vol par effraction chez son fils. La Tradition Orale nous dirait les choses ainsi : nous pouvons affirmer qu'en venant chez quelqu'un qu'il a identifié comme étant son fils, il se prépare certes à voler mais, s'il y a menace, il assume de rebrousser chemin car nous pouvons affirmer qu'il n'est pas prêt à tuer son fils.
Le fils vient faire un vol par effraction chez son père. Le fils se prépare à voler mais, si le père se rend compte que l'on cherche à toucher à son bien, qui me dit que là le père ne perdra pas son équilibre intérieur, peut-être dans son désarroi serait-il prêt à tuer son fils ?
C'est-à-dire qu'il y a une différence fondamentale entre la démarche a priori où le père n'est pas considéré prêt à tuer son fils et le chaud de l'action où l'on ne peut jurer de rien. Où les passions de quiconque peuvent se déchainer.
Là est le cœur de notre étude.
Nous voyons que le corps juridique relatif au vol par effraction est structuré autour de ces versets qui se contredisent. La Tradition Orale nous résout la contradiction en employant ces cas de père et de fils. Ces lois qui touchent au pénal sont structurées autour de l'incapacitéa priori qu'a la personne de se contrôler et de surmonter ses pulsions dans certaines circonstances précises.
Mais où a-t-on vu un système de lois envisager a priori que l'homme en serait contrevenant dans certaines circonstances ?
Les lois ne sont-elles là pas pour cadrer les choses, et les humains ?
Certains aimeraient dire que la Torah ne chercherait pas à casser les pulsions mais chercherait à les canaliser. Outre la difficulté que nous avons à suivre a priori ces plombiers de la pensée, il nous semble qu'ici la loi suit le pulsionnel qui lui est premier.
Nous sommes ici dans une loi construite sur un hors-la loi. Et même plus, puisque le fin mot de l'enseignement du Ba BéMakhtérèt, du statut du voleur par effraction est l'innovation soulevée par Rava dans la Guemara de Sanhédrin (72a) :HaBaLéOrguera, HashkemLeOrgo, « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer ».
Nous avons apporté plusieurs fois au début de cette étude l'enseignement de Rava qui se conclut par ces mots :
'Et la Torah t'enseigne : si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !'
Mais où la Torah a-t-elle proféré un tel enseignement ?
Nous avons proposé plus haut de dire que de la lecture simple de l'enseignement de Rava il ressortirait que c'est justement de notre sujet que nous apprenons ce principe central de la Torah.
Et d'ailleurs Rashi, chaque fois que la Guemara cite notre principe, en définit l'origine à partir du voleur par effraction (Traité Berakhot 58a et 62b, ainsi que dans son commentaire sur la Torah).
Néanmoins le Méiri, dans son commentaire sur la Guemara de Sanhédrin (72a), en donne une autre source. En effet le Midrash (ParashatPinkhas §3) apprend notre principe du verset suivant (Bamidbar 25,18) :
וידבר ה' וגו' צרור את המדינים כי צוררים הם לכם. מכאן אמרו חז''ל אם בא להרגך השכם להרגו.
' « D. dit à Moshé (…) : oppresse les Madianites car ce sont des oppresseurs pour vous ! », de là nos Maîtres apprennent : si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !'
Le Méiri explique: quand bien même les Madianites ont-ils fait du mal à Israël, le verset nous enjoint de les anéantir car ils sontmaintenant des oppresseurs pour Israël, c'est-à-dire sache qu'ils recherchent toujours à vous oppresser, donc attaquez-les de manière prospective.'
Le Midrash Tankhouma nous aide à lire de manière puissante le verset. En effet la lecture superficielle du texte nous laisserait entendre que D. enjoint de faire la guerre aux Midianites pour les punir du mal qu'ils ont fait aux enfants d'Israël. Mais le Midrash nous fait remarquer que le terme צוררים, Tsorerim, 'ce sont des oppresseurs' est au présent, c'est-à-dire qu'ils sont maintenant des oppresseurs potentiels pour Israël, d'où la source à la notion de guerre préventive.
Alors, on apprend de Makhteret ou de la guerre contre les Madianites ?
Le fond sur lequel se structure la notion du voleur par effraction est cette notion de défense prospective, mais ce n'est pas explicite, comment Rava peut-il dire : or la Torah dit 'si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer !' Où le dit-elle ?
Nous proposons de dire que ce principe ressort de toute la Torah. Il y a là et là une allusion à cette notion, mais le fond est que la Torah nous l'enseigne.
Nos Maîtres s'expriment ainsi: la Torah t'enseigne HaBaLé Orguera, Hashkem Le Orgo, « si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer », c'est-à-dire que c'est la Torah elle-même qui nous enjoint de nous défendre même au prix d'un interdit majeur : tuer. Nous pourrions dire : la Torah nous enjoint d'exister.
Nous pourrions dire aussi qu'à quoi servirait une loi qui défendrait des individus qui ne se défendraient pas eux-mêmes ?
Nous avons au fil de notre étude mis à jour petit à petit que des lois majeures prennent en compte les pulsions humaines comme le fait qu'un individu est fortement perturbé lorsqu'on touche à ses biens, et qu'alors on ne jure plus de rien. Et que d'autre part la Torah nous enjoint de nous défendre, et de prendre nos dispositions en amont, même en attentant à un interdit majeur de la Torah : tuer.
Ces deux sujets ne sont pas évidents. On pourrait tout à fait concevoir que l'on nous éduque à prendre des distances par rapport à notre propriété, et par rapport à notre survie. Ce à quoi l'on pourrait rétorquer que beaucoup l'on fait et personne ne l'a réussi ! Certes, mais pourquoi ne pas essayer ? Ne peut-on pas rêver ?
Nous pouvons aussi comprendre aisément qu'il y ait un une notion de légitime défense, mais la notion d'attaque prospective est plus hasardeuse. En effet, comme nous l'avons souligné moultes fois lors de cette étude, il y a une différence majeure entre une agression manifeste et une agression potentielle.
Nous voulons apprendre de l'expression 'et la Torah dit «si quelqu'un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer »', que loin de nous éloigner de notre réalité prosaïque la Torah nous la fait découvrir et prendre en compte.
Notre pulsionnalité c'est nous. C'est ce qui anime notre réalité, qui lui donne énergie et corps. Respecter notre pulsionnalité, et même quelque part être enjoint de la respecter c'est s'interroger sur d'où viennent ces pulsions. Etre enjoint d'exister, c'est s'interroger sur ce qui me donne cette existence.
Loin de nous de dire que la Torah prône d'une quelconque façon d'être des barbares ou des bons sauvages. Nous voulons mettre en relief bien au contraire qu'ici la Torah nous enjoint ce qui nous est peut-être le plus difficile : d'exister.
Le droit n'est pas là pour gommer ce qui lui échappe, mais donne ici un cadre à ce qui ne sera jamais dominé, à ce qui lui insuffle vie.
Les Maîtres ont thématisé cette problématique à partir du premier verset de la ParashatMishpatim (Shemot 21,1) :
ואלה המשפטים אשר תשים לפניהם.
'Et voici les jugements que tu placeras devant eux.'
D. s'adresse à Moshé : place les jugements que je vais t'enseigner devant eux. Mais devant qui s'agit-il ?
Rashi, dans son commentaire sur le verset, explique sur la base de la Guemara dans le Traité Guittin88b et du Midrash Tankhouma que ce verset nous enjoint de nous faire juger par des tribunaux de Torah et non par des tribunaux idolâtres, quand bien même leurs lois ponctuellement correspondraient aux lois d'Israël :
'Tu placeras ces jugements devant eux, et non devant les idolâtres. Et même si tu sais que pour ce sujet précis ils jugent comme les tribunaux d'Israël, ne va pas devant leurs tribunaux. Car celui qui amène une affaire d'enfants d'Israël devant les tribunaux idolâtres profane le Nom et donne de l'importance à l'idolâtrie et la glorifie, comme dit le verset (Devarim 32,31) « car leur roc n'est pas comme notre Roc, et nos ennemis sont des juges », lorsque nous faisons de nos ennemis des juges, c'est un témoignage sur la supériorité de leurs idoles.'
Selon l'explication du Midrash Tankhouma rapporté par Rashi, le verset de Devarim met en relation la comparaison entre le D. d'Israël et le pouvoir des idoles avec le fait que nous préférerions ou non nous faire juger par les tribunaux des Nations.
En effet, et c'est ce que nous découvrons dans les détails de l'étude présente, la conception du droit est le reflet précis de notre relation au divin.
La base du sujet réside dans le jeu de mots que le Midrash opère dans l'explication du verset. En effet ce que nous avons traduit 'juges' se dit פלילים, Pelilim, en hébreu, ce qui signifie 'terribles, impitoyables'. En effet la conception de la justice tourne autour d'une dimension d'efficacité, ce que les Romains anciens qualifiaient 'dura lexsedlex', 'la loi est dure mais c'est la loi'. Le système juridique de la Torah prend en compte dans son élaboration le contraire finalement de ce qu'il préconise ; ne serions-nous pas enclins à chercher des modes plus redoutables, plus parfaits ? Mais ce serait au prix d'évacuer ce qui donne vie et existence au tissu vivant concerné par ces lois.
[1]Nous trouvons dans le Talmud l'opinion de Rabbi Shimon bar Yokhaï qui recherche l'explication des versets pour en déduire des implications légales (Baba Métsia 115a), רבי שמעון דדריש טעמא דקרא. Mais la conclusion légale n'est pas comme cet enseignement de Rabbi Shimon. Tossefot dans le Traité Sotha 14a (דה''מ כדי ליגעה ) prouve que néanmoins tous les avis convergent pour dire que chercher la cohérence de ce que nous enseigne la Torah s'impose, et correspond à la démarche classique des Tanaïm, Maîtres de la Mishna. La question de Rava néanmoins ne semble pas toucher à cette discussion classique.
[2]L'actualité est sans cesse émaillée de cas de propriétaires qui sortent leur fusil à pompe et abattent des voleurs qui s'immiscent dans leur propriété. Tel est le contexte de notre étude. Homicide ? Homicide volontaire ? Légitime défense ?
[3]En effet, dès que le voleur s'apprête à partir il sera illicite d'attenter à sa personne (Rambam même chapitre Halakha
[4]Comme nous allons le prouver dans la suite.
[5]Nous rapportons l'intégralité du passage ainsi que notre traduction.
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Publié le 26 février 2015 par Emmanuel Bloch
Dans le calendrier juif, chabbat Zakhor est le chabbat qui précède immédiatement la fête de Pourim. Ce jour-là, la fin de la lecture de la Torah est exceptionnellement considérée comme une obligation de la Torah [1] ; pour cette raison, les femmes comme les hommes font un effort spécial pour être présents à la synagogue, afin d’entendre le rappel de l’éternelle obligation « d’éradiquer la mémoire d’Amalek de dessous le ciel ».[2]
Amalek est souvent mentionné dans le discours rabbinique, mais son identification précise semble malaisée : s’agit d’une figure historique, par exemple une peuplade du Moyen-Orient antique ? D’une personnification de l’Ennemi éternel du Juif (comme par exemple Adolf Hitler) ? Ou encore d’une simple allégorie (Amalek comme le doute spirituel) ?
Toutes ces réponses, avec de nombreuses sous-variantes, sont parfois données ; dès lors, ce billet aura pour objectif de retracer succinctement les identités multiples et contradictoires qu’a assumées, dans la pensée juive, la figure purement négative d’Amalek [3], et d’examiner le rapport de la tradition juive à la question de la violence religieuse.
Passons rapidement sur la présentation d’Amalek dans le Tanakh car les textes sont bien connus : Amalek est présenté par le texte biblique comme un petit-fils d’Esaü [4], et l’ancêtre éponyme d’une peuplade [5] qui prit l’initiative d’attaquer unilatéralement les Hébreux, tout juste sortis d’Egypte, à Rephidim, [6]une localité située dans la péninsule du Sinaï. Si cette première bataille se termina par une victoire des Hébreux, les Amalécites prirent leur revanche lors d’une deuxième escalade militaire[7]. Mais c’est au temps de la monarchie que la bataille décisive entre Israël et Amalek fut livrée : au terme d’une guerre totale mandatée par Dieu, l’armée du roi Chaoul défit Amalek, mais laissa en vie le roi Agag, ce qui fut considéré comme une faute grave par le prophète Chmouel[8]. Pour finir, dans la Meguilat Esther que nous lirons à Pourim, le personnage de Haman est présenté comme un descendant du roi Agag, ce qui indique une ascendance Amalécite[9]. Bref : dans le Tanakh, Amalek est sans conteste possible une ethnie, ennemie d’Israël et ennemie de Dieu, et qui représente une sorte de mal absolu[10].
Les choses se corsent avec la littérature rabbinique. Si ‘Hazal commentent abondamment, dans les midrashim et le Talmud, la perfidie Amalécite telle qu’elle est ressort des différents passages bibliques mentionnés ci-dessus, on ne trouve quasiment aucune indication explicite du destin d’Amalek à leur époque. La seule exception concerne les très rares sources qui identifient Amalek à Rome.[11]
Qui étaient alors les Amalécites des temps talmudiques ? Il faut apparemment en déduire que, dans le monde où évoluaient les des Sages du Talmud, Amalek avait cessé d’être une réalité concrète – soit que la peuplade ait été complètement détruite[12], soit que sa population ait été mélangée, par le roi assyrien Sancheriv, à celle d’autres peuplades, au point de ne plus être identifiable[13].
A cette même époque, le seul à identifier encore les Amalécites comme une ethnie était Flavius Josèphe, qui les voyait occupant une partie du territoire des Iduméens (Edom)[14]. Flavius Josèphe, qui obtint la citoyenneté romaine en l’an 71, percevait vraisemblablement les Iduméens (Edom) comme un adversaire au pouvoir romain dans la région. En plaçant Amalek en leur sein, Josèphe en faisait donc astucieusement un ennemi aussi bien des Juifs que des Romains.
Par la suite, la figure d’Amalek devint, en réaction aux nombreuses attaques antisémites subies par les Juifs en Exil, une sorte d’ennemi archétypal. Sa détermination précise changeait en fonction des endroits, des époques et de l’identité des persécuteurs.
Une première voie empruntée par les juifs du Moyen-Age fut d’assimiler Amalek au Christianisme. Les premières références historiques se trouvent dans les poèmes liturgiques de R. Eléazar HaKalir (6eme-7eme siècle), mais ce sont les persécutions infligées aux Juifs en Europe médiévale, quelques siècles plus tard, qui firent que cette conception se généralisa. On retrouve ainsi l’assimilation de l’ensemble du monde chrétien à Amalek chez les commentateurs suivants : le Ramban[15], don Isaac Abrabanel[16], R. Abraham Ha-Yar’hi[17], peut-être Rachi[18], et d’autres encore.
Une autre suggestion fut de voir Amalek dans le peuple Arménien. Cette association curieuse, que l’on lit déjà dans des sources du 10eme siècle[19], et on la retrouve encore par exemple au 15eme siècle chez r. Ovadia de Bertinoro [20].
Il nous faut noter ici un point très important: l’assimilation de la Chrétienté au symbole d’Amalek ne servit jamais d’excuse à de possibles débordements violents, dont les Chrétiens auraient été les victimes et les Juifs les acteurs. En effet, les rabbins européens médiévaux avaient parfaitement conscience du potentiel de violence religieuse inhérent à la figure antique d’Amalek. Afin d’étouffer le problème dans l’œuf, ils développèrent donc des mécanismes internes de défense permettant de neutraliser toute portée offensive des textes.
En particulier, les rabbins européens firent dépendre l’obligation d’exterminer Amalek de la réalisation de nouvelles conditions d’application, lesquelles étaient inconnues des sources talmudiques : pour certains, la mitsva n’existait que lorsqu’Israël est gouvernée par un monarque[21] ; pour d’autres, plus limitatifs encore, seul le roi juif était soumis à l’obligation de détruire Amalek, et pas la foule de ses sujets[22]. Quelle que soit l’approche, le résultat final de ces garde-fous fut d’adapter la halakha afin de rendre, de facto, inopérante l’obligation religieuse de tuer le peuple Amalécite. En repoussant aux temps messianiques toute velléité de violence juive, les rabbins firent d’Amalek une figure amputée de moitié : responsable mythique des souffrances infligées aux communautés juives, mais pas cible potentielle de leurs représailles.
En comparaison, à la même époque en terre d’Islam, Maimonide codifiait quant à lui une obligation littérale d’exterminer Amalek[23]. Il suivit toutefois la tradition talmudique et se garda prudemment d’identifier précisément la population Amalécite. Cependant, même ce silence vague fut perçu comme insuffisant, lors de la réception des idées maimonidiennes en Europe chrétienne, aux yeux des rabbins ashkénazes généralement influencés par le Rambam. Ces derniers prirent alors l’initiative, dans leurs écrits halakhiques, de modifier sur ce point les positions maimonidiennes, afin de neutraliser le danger d’une obligation trop concrète d’exterminer Amalek[24].
Une autre tendance importante du judaïsme médiéval fut l’allégorisation de la notion d’Amalek. Dans cette optique, Amalek devenait un mot-code désignant le mauvais penchant (Yetzer Ha-Ra’)[25], ou bien encore le doute spirituel (Safek)[26]. Cette option n’était d’ailleurs pas réservée aux philosophes – les kabbalistes en firent un grand usage également. Ainsi, pour le Zohar, Amalek désigne en réalité les forces négatives de la spiritualité[27].
Rabbi Yossef Karo, qui ne codifia pas l’obligation de détruire Amalek dans le Choulhan Aroukh, remarqua par ailleurs qu’un Amalécite qui accepterait les 7 Mitsvot des Bnei Noah ne serait plus considéré comme faisant partie d’Amalek, mais qu’il jouirait du même statut que tout autre non-Juif[28]. Ce faisant, il ouvrait la voie à une nouvelle conceptualisation de l’idée d’Amalek : non plus une race qu’il faudrait exterminer, mais bien un ensemble de comportements immoraux et indignes de l’humanité, et dont une ethnie particulière s’était faite, au départ seulement, le porte-drapeau.
Au 20eme siècle, Amalek fut notamment invoqué en référence aux Nazis [29]. Le président de l’Etat d’Israël, Itzhak Ben-Zvi, refusa au criminel de guerre Adolf Eichmann la grâce que ce dernier demandait, en invoquant les mots du prophète Samuel au roi Amalécite Agag (I Samuel 15 : 33)[30]. Mais Ben-Zvi, qui n’était pas pratiquant, n’utilisait pas cette référence pour indiquer une volonté d’accomplir un acte religieux, et Eichmann avait d’ailleurs été condamné devant un tribunal légalement constitué ; Amalek était donc ici un marqueur culturel utilisé dans le discours afin d’indiquer une incarnation contemporaine d’un Mal presque absolu.
Triste innovation du 20eme siècle : les premières références concrètes à d’autres Juifs comme représentant Amalek. C’était le cas du r. Elhanan Wasserman (1875-1941), rosh yeshiva célèbre et l’un des premiers dirigeants de l’Agoudat Israël, pour qui les Juifs qui rejetaient la Torah et les mitsvot étaient Amalek[31]. Le même rav Wasserman a également rapporté au nom de son maître, le ‘Hafetz ‘Hayyim, que les communistes juifs soviétiques seraient des descendants d’Amalek[32].
Ce phénomène prend apparemment de l’ampleur depuis quelques décennies, dans le contexte toujours surchauffé des relations entre Etat et Religion en Israël : en 2013, le rabbi de Satmar considérait que les sionistes sont Amalek[33] ; l’actuel dirigeant spirituel du parti Chass, le rav Shalom Cohen, réservait plus modestement ce qualificatif au seul parti politique haBayit haYehoudi[34] ; sont également Amalek, selon d’autres rabbins, des ministres israéliens comme Yossi Sarid ou Yair Lapid. De nos jours, Amalek semble ainsi en pleine expansion en Israël, ce qui peut sembler quelque peu ironique, vu l’obligation d’éradiquer définitivement sa mémoire…
Il nous faut conclure. Je voudrais retenir deux leçons de ce rapide survol historique. Premièrement, Amalek est un concept aux contours remarquablement fluctuants : au fil du temps, il a été compris tantôt comme une peuplade antique et tantôt comme un ennemi archétypal, tantôt comme une entité physique et tantôt comme une réalité spirituelle, tantôt comme un élément étranger au peuple juif et tantôt comme des Juifs aux opinions politiquement inacceptables.
Deuxièmement, Sartre avait bien raison lorsqu’il affirmait que « les juifs sont passionnément ennemis de la violence. Cette douceur obstinée qu’ils conservent au milieu des persécutions les plus atroces, ce sens de la justice et de la raison qu’ils opposent comme leur unique défense à une société hostile, brutale et injuste, c’est peut-être le meilleur du message qu’ils nous délivrent et la vraie marque de leur grandeur »[35].
A sa manière, notre étude le démontre également : la mitsva d’éradiquer Amalek ne fut jamais appliquée après l’époque biblique. En refusant d’identifier nommément Amalek, en le transformant en une figure métonymique ou en rendant de facto impossible l’application du commandement de l’éradiquer, les rabbins surent de tout temps éviter que le Judaïsme ne tombe, de quelque manière que ce soit, dans la violence religieuse[36].
A nous de savoir, à notre époque, rester dans la ligne tracée par les maîtres des générations précédentes. En effet, notre situation n’est désormais plus identique à celle des longs siècles de la Diaspora, et de nouveaux défis surgissent qui demandent réflexion. D’un côté, l’existence de l’Etat d’Israël nous rend, pour la première fois depuis 2’000 ans, une indépendance politique dont les générations passées ne pouvaient que rêver. Mais dans le même temps, la résurgence d’Israël en tant que puissance militaire nous force à réexaminer l’emploi de la force armée et les conditions de la légitimité de son usage.
Dans ce contexte, la mitsva d’éradiquer la mémoire d’Amalek présente d’incontestables risques de dérives. Jusqu’à présent, rien de concret, sauf chez quelques va-t-en-guerre ou déséquilibrés[37]. Mais si nous voulons, à l’instar des générations qui nous ont précédés, échapper au piège de la violence religieuse, il nous faut insister encore et toujours sur les garde-fous que notre Tradition a su développer au fil des siècles.
C’est dans l’esprit de la Torah ; c’est la position la plus morale ; et c’est aussi le simple bon sens.
Notes:
http://www.cheela.org/thora/4818-aaron-veau-
Chemoth 32 1 Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s'attroupa autour d'Aaron et lui dit: "Allons! fais-nous un dieu qui marche à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l'homme qui nous a fait sortir du pays d'Égypte, nous ne savons ce qu'il est devenu." 2 Aaron leur répondit: "Détachez les pendants d'or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et me les apportez." 3 Tous se dépouillèrent des pendants d'or qui étaient à leurs oreilles et les apportèrent à Aaron. 4 Ayant reçu cet or de leurs mains, il le jeta en moule et en fit un veau de métal; et ils dirent: "Voilà tes dieux, ô Israël, qui t'ont fait sortir du pays d'Égypte!" 5 Ce que voyant, Aaron érigea devant lui un autel et il proclama: "A demain une solennité pour l'Éternel!" 6 Ils s'empressèrent, dès le lendemain, d'offrir des holocaustes, d'amener des victimes rémunératoires; le peuple se mit à manger et à boire, puis se livra à des réjouissances.
Cet incident met à mal la notion de démocratie appliquée à la plème. "Le peuple" a tort, et la loi de Moïse est au dessus du peuple
Pour des raisons de crainte, ou d'opportunité, Aaron accepte de se mettre à la tête des insurgés, tente de ralentir les choses, mais procède le lendemain aux sacrifices, en cautionnant l'idolâtrie.
Ceux qui croyaient en Aaron ont été abusés, ils ignoraient qu'il rusait.
psaume 118 : 8 Mieux vaut s’abriter en l’Eternel que de mettre sa confiance dans les hommes. 9 Mieux vaut s’abriter en l’Eternel que de mettre sa confiance dans les grands. 10
psaume 40 5 Heureux l’homme qui cherche sa sécurité en l’Eternel, et ne se tourne pas vers les orgueilleux et les amis du mensonge!
psaume 146 3 Ne placez pas votre confiance dans les grands, dans le fils d’Adam, impuissant à secourir.
Jérémie 17 5 Ainsi parle I'Eternel: Maudit soit l'homme qui met sa confiance en un mortel, prend pour appui un être de chair, et dont le coeur s'éloigne de Dieu!
Ces phrases rappellent d'abord la méfiance que chacun d'entre nous doit avoir vis à vis des puissants, des politiques, mais aussi des penseurs, des rabbins Ce n'est pas au rabbin que nous devons faire confiance, mais en l'Eternel.
L'Eglise en Israël a déposé plainte auprès de la police contre un extrémiste juif. La semaine dernière, ce rabbin n’a pas hésité à justifier les incendies criminels de lieux de culte afin de détruire, affirmait-il, « l'idolâtrie ».
Par RFIPublié le 10-08-2015 Modifié le 10-08-2015 à 09:37
Les exactions contre les lieux de culte se sont multipliées ces derniers temps en Israël. Le 18 juin 2015, l'église de la Multiplication, située au bord du lac de Tibériade, a été incendiée.AFP PHOTO / MENAHEM KAHANA
Avec notre correspondant à Jérusalem, Michel Paul
Le rabbin Bentzi Gopstein, chef du mouvement d'extrême droite Lehava qui dit lutter contre la perte de l'identité juive en particulier à travers le mariage entre juifs et arabes, est directement visé par cette plainte. La semaine dernière, il a encouragé publiquement les incendiaires d'églises en Israël. Il a notamment cité Maïmonide, un des grands penseurs juifs, et la loi religieuse juive pour justifier la destruction de l'idolâtrie en Israël. « Je suis prêt, a-t-il notamment proclamé lors d'un débat, à passer 50 ans en prison pour défendre la vérité ».
Gopstein a ensuite fait machine arrière en soulignant que ses propos devaient être interprétés au niveau théologique uniquement. Il a proposé à la police d'aller enquêter sur les prêches des imams dans les mosquées.
Mais les chrétiens en Israël ne l'entendent pas de cette oreille. L'Assemblée des ordinaires catholiques de Terre sainte, qui regroupe les représentants des différentes communautés, a porté plainte pour incitation à la haine et à la violence qui constitue une menace pour les lieux de cultes et les lieux saints.
Les responsables catholiques font part de leur profonde inquiétude face à l'augmentation des crimes de haine. Les évêques demandent aux autorités israéliennes de protéger la population chrétienne et ses lieux de cultes contre les attaques qui se sont multipliées ces derniers temps.
David Isaac Haziza mis à jour le 03.08.2015
http://www.slate.fr/story/105067/judaisme-violence
Après les actes commis par des ultra-orthodoxes en Israël, revenons à ce que disent vraiment les textes.
L’histoire des religions, je ne l’apprendrai à personne, a partie liée avec la violence: prétendant s’attacher à un niveau de vérité qui dépasserait l’humain, le singulier, la nature, elles font souvent peu de cas, à leurs débuts du moins, des aléas du concret. Le judaïsme ne fait pas exception, loin s’en faut, et son histoire, comme ses textes, connaît son lot de violences.
Mais dissipons d'abord deux mythes.
Le mythe antisémite, ou du moins «anti-judaïque», d’une religion de haine, d’un culte intrinsèquement cruel et violent, de textes où la justice, l’amour et l’altruisme n’auraient pas leur place. Le mythe, en somme, de la loi du talion, ou du judaïsme comme particularisme exclusif. Ce serait contre cette monstruosité théologique que Jésus, un Juif plus éclairé, se serait élevé en disant: «Vous avez appris qu'il a été dit: œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre.»[1] Le même Jésus enseignerait aussi contre la religion de ses pères: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même»[2] et «Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent.»[3].
En vérité, le principe de faire du bien à son ennemi est directement tiré de la Torah, du Pentateuque[4], autrement dit de la loi juive[5]. «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» est une citation du Lévitique[6], qui précise quelques versets plus loin qu’on doit également aimer l’étranger en mémoire de l’esclavage en Egypte[7]. L’opposition, enfin, entre «œil pour œil et dent pour dent» et la patience face au mal, a aussi donné lieu à beaucoup de contresens: je me contenterai de signaler que la «loi du talion» n’est pas censée être appliquée littéralement mais sert plutôt de norme compensatoire (la valeur d’un œil pour un œil perdu), et que tendre l’autre joue à l’agresseur est aussi une formule de la Bible juive[8], qui n’a d’ailleurs pas davantage force de loi dans le judaïsme que dans le christianisme: nulle cour de justice ne demanderait à un plaignant d’agir ainsi.
Le second mythe est celui, apologétique ou bien-pensant, d’une religion débonnaire, qui n’aurait jamais connu la violence ou la haine. Nombre de Juifs laïques ignorent tout simplement la violence de la Bible et l’existence de sources, nombreuses, qui feraient ressembler le judaïsme d’aujourd’hui à Daech ou au moins à la République Islamique d’Iran, si elles étaient appliquées telles quelles. D’autres ne les ignorent pas mais préfèrent garder le silence à leur sujet, ce qui peut partir d’une bonne intention, mais laisse malheureusement le champ libre aux fanatiques qui connaissent ces sources et ont beau jeu de dire: «Nous sommes les meilleurs représentants de la Torah, nous ne cherchons qu’à l’appliquer au mieux.»
Intéressons-nous un instant à la violence contre l’autre, le non-Israélite, celui qui ne se situe pas dans l’Alliance. Dans la Bible elle-même, nous trouvons des sources contradictoires, certaines normatives (le commandement d’exercer tel ou tel type de violence contre tel ou tel type de personnes, les Cananéens ou les Amalécites par exemple, ou celui d’épargner ou de protéger un groupe donné, les Gabaonites ou, mettons, les esclaves non-juifs ayant fui de chez leurs maîtres), d’autres narratives (par exemple, les récits d’exterminations massives dans le Livre de Josué ou celui du massacre, par les fils de Jacob, des habitants de Sichem, massacre désavoué par le patriarche, mais d’autres massacres rapportés sont, au contraire, l’accomplissement de la parole divine), et on peut franchement dire que face à tant de diversité, chacun voit un peu midi à sa porte.
La notion de guerre sinon sainte, du moins voulue par Dieu, existe dans le Pentateuque
La notion de guerre sinon sainte, du moins voulue par Dieu, existe dans le Pentateuque, et la Halakha –ensemble des prescriptions et coutumes qui forment la Loi juive– l’a codifiée, de façon théorique au moins. Les Hébreux ont le commandement de faire la guerre aux Cananéens pour s’installer à leur place sur la terre que Dieu a promise à leurs ancêtres:
«Tu anéantiras tous les peuples que l’Eternel ton Dieu te livre, sans laisser ton œil s’attendrir sur eux; et tu ne serviras pas leurs dieux, car ce serait un piège pour toi.»
Josué appliquera ce principe en exterminant les habitants de Canaan à l’exception de quelques uns. Le judaïsme serait-il né d’un génocide? C’est quand même aller un peu vite en besogne. D’abord, on ne parle pas de «Juifs» avant l’exil à Babylone, soit de nombreux siècles après la date supposée de la conquête de Canaan, et le judaïsme que nous connaissons est lui-même surtout le fruit du second exil, consécutif à la destruction du Temple par les Romains en 70 de notre ère.
Ensuite, il y aurait une chose rassurante dans cette histoire, à part peut-être pour les tenants d’une lecture littérale de la Bible: nombre d’archéologues pensent que les Hébreux étaient des autochtones cananéens et n’ont jamais conquis la «terre promise» pour la bonne raison qu’ils y vivaient déjà et se sont séparés progressivement de leurs voisins, que cette extermination n’a en somme jamais eu lieu [10]. Cela veut aussi dire que ce commandement, même à l’époque où il fut édicté, n’était pas littéralement applicable et qu’il s’inscrit plutôt dans une mythologie guerrière, peut-être comparable aux récits de l’Iliade.
.La mort d'Agag, par Gustave Doré. Agag était le roi des Amalecites
Une autre population que la Torah livre à l’extermination a pour nom Amalec. Peuplade qui n’est mentionnée nulle part ailleurs (ce qui en a conduit plus d’un à y voir également un nom allégorique) et qui est évoquée pour sa cruauté à l’égard des Hébreux. Alors que les Cananéens peuvent espérer une rédemption en acceptant la domination hébraïque et la loi divine, et que le Livre de Josué rend même hommage à la prostituée cananéenne Rahab devenue membre de l’Alliance, les Amalécites n’ont apparemment aucun espoir d’échapper à la vengeance d’Israël. «Souviens-toi de ce que t'a fait Amalec, lors de votre voyage, au sortir de l'Egypte; comme il t'a surpris chemin faisant, et s'est jeté sur tous tes traînards par derrière. Tu étais alors fatigué, à bout de forces, et lui ne craignait pas Dieu. Aussi, lorsque l'Éternel, ton Dieu, t'aura débarrassé de tous tes ennemis d'alentour, dans le pays qu'il te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras la mémoire d'Amalec de dessous le ciel: ne l'oublie point.»[11]Cananéens et Amalécites sont les uns comme les autres l’objet d’un commandement d’extermination ou à tout le moins de guerre, de milhemet mitzva –«guerre obligatoire». Les sources rabbiniques ont traité ce point avec ambivalence. Pour les Cananéens, la guerre avait déjà eu lieu ou était censée avoir eu lieu du temps de Josué et le Talmud enseigne que les nations concernées n’existent plus, qu’elles ont été mélangées et que le commandement de les exterminer, de les asservir ou de les refuser comme prosélytes au sein de la communauté d’Israël est caduc[12].
Pour Amalec, c’est une autre histoire. D’abord, on ne sait pas de qui il s’agit précisément. Dans Reckless rites, un livre passionnant consacré à cette figure archétypique du mal, à la violence dans le judaïsme et à la fête de Pourim qui commémore la victoire de la reine judéo-perse Esther sur l’Amalécite Haman, l’historien Elliott Horowitz montre que l’on trouve dans le Talmud et dans la tradition rabbinique différentes stratégies face au commandement biblique relatif à Amalec.
Insister sur le fait qu’il fait précisément partie des peuples qui ont disparu avec les Cananéens et les autres; sur le caractère inapplicable du commandement tant que les Juifs sont en exil; sur le fait que tout Amalec a déjà été exterminé (sic), que cette mitzva, ce commandement ne s’applique pas aux individus qui abandonneraient la voie amalécite ou encore sur le caractère allégorique de la figure et du nom d’Amalec.
Ce sont peut-être des stratégies de neutralisation de la violence biblique, plus ou moins vouées au succès. Et dans les commentaires et codifications médiévales on en trouve qui mentionnent l’extermination d’Amalec comme une loi (sans toutefois identifier le peuple concerné, ce qui rend de facto cette loi impossible à appliquer), et d’autres qui ne la mentionnent pas et s’en tiennent au souvenir de ses méfaits: c'est le cas du Shoulhan Aroukh, la somme halakhique du XVIe siecle à laquelle tend à se conformer l'orthodoxie juive aujourd'hui encore.Littéralité et interprétation
La violence qui s’est exercée contre les Palestiniens «au nom de la Torah» fait partie du judaïsme et n’en fait pas partie, un peu comme Daech fait partie de l’islam et n’en fait pas partie
La violence qui s’est exercée contre les Palestiniens «au nom de la Torah», que ce soit le martyre, il y a un an, du petit Mohammed Abu Khdeir, ou l’assassinat d’un bébé il y a quelques jours, ou encore le massacre d’Hébron par Baruch Goldstein en 1994, fait partie du judaïsme et n’en fait pas partie, un peu comme Daech fait partie de l’islam et n’en fait pas partie.
N’en fait pas partie dans la mesure où Josué n’était pas techniquement juif, et où ce type de violence exterminatrice relève de quelque chose qui n’était pas encore le judaïsme. A cela s’ajoute le fait que la tradition prophétique a davantage insisté sur l’universalisme du message divin. Le fait, aussi et comme je viens de l’exposer, que la tradition rabbinique a cherché à neutraliser la violence des sources.
De même d’ailleurs pour l’agression d’homosexuels: les attitudes du judaïsme contemporain varient grandement, y compris dans le monde orthodoxe, à l’égard de l’homosexualité. Mais si le commandement biblique de mettre à mort l’homosexuel mâle existe bel et bien, il reste, même pour les fous furieux qui voudraient le voir appliqué dans l’absolu, inapplicable du fait de l’absence d’un Sanhédrin, seul tribunal habilité à prononcer des peines capitales. Ce qui permet de dire que Yishaï Schlissel, l'extrêmiste juif qui a poignardé six personnes lors de la gay pride de Jérusalem fin juillet, a certes agi mû par l’existence de sources violentes et par un climat orthodoxe homophobe, mais que son acte même ne serait pas justifiable en tant que tel halakhiquement, fût-ce selon une conception extrême et littérale de la Halakha.
Quant au massacre de Palestiniens, outre l’infamie morale qu’il constitue, il ne saurait se justifier du point de vue halakhique, ne serait-ce que parce que les Palestiniens ne sont pas des Cananéens ou des Amalécites! Là encore, même les sources les plus contestables du point de vue moral ne peuvent pas vraiment servir d’appui à ce genre de barbarie.
Un phénomène inédit
On peut donc parler d’un phénomène étrange, peut-être inédit dans l’histoire juive. Du retour, au sein du monde religieux, d’une mythologie biblique que je pourrais même qualifier de pré-juive. Ce retour constitue plutôt une rupture avec le fil de la tradition, qu’une continuation.
Les colons sauvages qui s'en prennent violemment aux Palestiniens sont plus près du mythique Josué, ou d’ailleurs de ses meilleurs ennemis cananéens –ou des mystérieux Amalécites– que du monde des écoles de Talmud traditionnelles.
Mais attention, cela ne veut pas dire que le judaïsme ne serait pas en cause: il l’est en partie. Comme toute religion, comme toute culture ou civilisation, le judaïsme est divers, on y trouve des imaginaires et des systèmes de valeurs hétérogènes.
L'influence des rabbins
En même temps, ce qui se passe en ce moment peut aussi, dans certains cas, être vu, non pas comme une dérive «bibliste» mais bien comme celle d’un certain normativisme rabbinique.
Parmi les inspirateurs du crime commis à Duma, il y a des rabbins, Yitzhak Ginzburg par exemple, qui dirige une yeshiva et prône les pires horreurs en se fondant sur le Talmud qu’il ne cite pas plus inexactement qu’aucun autre. Il y a Dov Lior, Grand Rabbin d’Hébron et de Qiryat Arba, qui, n’étant pas à une monstruosité près, affirmait pendant la guerre contre le Hamas que la Loi permettait de tuer tous les Palestiniens de Gaza si c’était nécessaire.
L’influence de ces gens est limitée aux cercles extrêmes du sionisme-religieux, peut-être à quelques centaines de personnes, mais elle est réelle et lorsque, afin d’être interrogé sur ses liens avec l’auteur d’un livre de Halakha aux accents particulièrement violents, Lior fut arrêté après des années passées sans être inquiété malgré son fanatisme assumé, des rabbins qui n’étaient pas de son bord, le Grand Rabbin séfarade d’Israël parmi eux,s’émurent du traitement réservé par la police laïque à ce digne «sage»
.La responsabilité des rabbins extrémistes est incontestable
Et pourtant, oui, la responsabilité des rabbins extrémistes est incontestable. Rares sont ceux qui versent directement le sang, mais leur appel à la double logique du kitsch biblique et du juridisme talmudique, a pu avoir des conséquences désastreuses. Avant l’assassinat de Yitzakh Rabin, certains d'entre eux le désignaient par exemple sous le nom de rodef, «assaillant», ce qui déclencha fatalement la réaction suivante: si Rabin est un rodef, il convient de l’empêcher de nuire.
Le rodef est une notion halakhique bien précise, et non un mot qu’on prononce à la légère. Principe de légitime défense intelligemment codifié par le Talmud. Bien sûr, Rabin n’était pas techniquement un rodef mais avec un peu d’imagination, il était facile de le faire admettre à des esprits simples. La rencontre de trois choses a dès lors permis son assassinat: un imaginaire biblique grandiloquent, une logique talmudique poussée à l’absurde, et pas mal de folie. Ygal Amir est fou au sens où il croit que Dieu lui parle et surtout au sens où il prétend vivre en accord parfait avec des textes qui furent écrits il y a trois mille ans, mais, à n’en pas douter, il connaît bien les sources qui ont motivé son acte.
Mais il faut se souvenir à l'inverse qu'il peut y avoir un judaïsme traditionnel, observant, orthodoxe, qui soit en même temps conscient du caractère problématique de ses sources. D’éminentes figures du judaïsme le plus strict ont ainsi dénoncé la violence commise au nom du judaïsme ou même par l’Etat d’Israël– et ce, en partant des sources elles-mêmes. Yeshayahou Leibowitz, qui était à la fois sioniste et profondément religieux, n’hésitait pas à traiter certains de «Juifs nazis», ce qui lui valut l’ire de Rabin lui-même.
Il dénonçait la torture et lui qui s’était battu pour la création de l’Etat juif estimait que l’occupation des territoires palestiniens était immorale et corrompait l’âme des occupants comme celle des victimes de cette occupation. Plus récemment, le rabbin Froman, lui aussi sioniste et vivant même «derrière la ligne verte» (c’est le fameux Orient compliqué…), s’illustra par son inlassable, presque folle quête de paix, et alla jusqu’à rencontrer en personne des dirigeants du Hamas. Alors oui, cela peut entrer en contradiction avec le sens littéral de certains versets bibliques ou de certaines sections talmudiques, mais le choix de voir la révélation comme un processus continu plutôt qu’un fait s’étant produit une fois pour toutes au Sinaï n’est pas une nouveauté dans le judaïsme. Certaines pratiques permises par la Bible, telles que la polygamie, furent interdites ensuite. Protéger les civils ne fait pas explicitement partie des prescriptions bibliques mais on peut l’envisager comme s’inscrivant dans un tel processus de développement moral et intellectuel.Ambivalence de la Loi juive
Ce qui est heureux, et triste à la fois parce qu’on semble parfois l’oublier, est le caractère profondément dialectique et évolutif de la Halakha. Le fait que le Talmud mentionne une foule d’avis contradictoires. Que les rabbins aient fait beaucoup d’efforts pour neutraliser la violence de la tradition, et ce, dès l’époque la plus reculée. J’ai mentionné l’exemple d’Amalec mais on pourrait évoquer celui de la peine capitale: alors que la Torah en use un peu à tort et à travers, ils la rendent pour ainsi dire inapplicable. La Mishna –recueil de la Loi orale juive mis par écrit vers la fin du deuxième siècle de notre ère, dont le commentaire est contenu dans le Talmud– enseigne ceci:
«Un Sanhédrin qui exécute ne serait-ce qu’une fois en sept ans est appelé destructeur. […] Rabbi Tarfon et Rabbi Akiva disent: Si nous siégions au Sanhédrin, nul homme ne serait jamais exécuté.» Sanhédrin 15b
Ainsi l’on voit que la belle idée du rabbin Delphine Horvilleur de faire violence aux textes pour ne pas faire violence aux hommes existe. A tout le moins jouer avec le texte, tricher s’il le faut. Le traitement d’Amalec et la peine de mort sont des exemples parmi d’autres.
L'AOCTS réagit aux déclarations du Rabbin Gopstein
« Les chrétiens sont des vampires buveurs de sang », « Noël n’a pas sa place en Terre Sainte » : les dernières déclarations du rabbin Gopstein, leader du mouvement extrémiste anti-assimilation Lehava, ne sont guère passées inaperçues.
Dans un article publié il y a quelques jours sur le site harédi Kooker, et repris par le quotidien israélien Haaretz, Benzi Gopstein se fait fort de dénoncer la présence chrétienne en Terre Sainte, l’accusant de nourrir des velléités prosélytes à l’égard des juifs, avant d’asséner : « Noël n’a pas sa place en Terre Sainte. Expulsons les vampires avant qu’ils ne s’abreuvent encore une fois de notre sang ».
Des propos qui ont aussitôt suscité l’indignationde toute la communauté chrétienne, surtout des chefs catholiques de Terre Sainte, dont voici le communiqué :
« C’est avec consternation que l’Assemblée des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte a pris connaissance des déclarations injurieuses et absolument inadmissibles du rabbin Benzi Gopstein.
Nous commémorons cette année le cinquantième anniversaire de Nostra Aetate, déclaration sur les relations entre l’Eglise catholique et les religions non chrétiennes, au premier rang desquelles, le judaïsme. Ce texte historique, fruit du Concile Vatican II, a posé les bases d’un dialogue nécessaire et désormais solide entre juifs et chrétiens, sous le sceau du respect, de la fraternité et de la sincérité.
Nous, Ordinaires Catholiques de Terre Sainte, croyons en ce dialogue, en son importance, et en sa viabilité, et condamnons avec fermeté les propos irresponsables du rabbin Gopstein ; ils sont un outrage à ce même dialogue et aux valeurs qui y sont rattachées.
Il y a quatre mois, nous avions porté plainte contre Benzi Gopstein, sans que cette action ait été suivie d’effet. Nous lançons donc de nouveau un appel pressant aux autorités israéliennes : ces tentatives d’intimidation et ces provocations, récurrentes, représentent un réel danger pour la coexistence pacifique dans ce pays. Vous vous devez de les dénoncer avec vigueur, et de prendre les mesures qui s’imposent dans l’intérêt même de tous les citoyens.
Les chrétiens appartiennent à cette Terre Sainte, et y célébreront Noël avec joie, comme ils l’ont toujours fait ».
Le chef de file du mouvement Lehava n’en est pas à sa première provocation. En août dernier, il n’avait pas hésité à affirmer que la loi juive préconisait de détruire l’idolâtrie en terre d’Israël, et qu’en conséquence, les églises et les mosquées pouvaient être incendiées. Ces propos, tenus dans un contexte marqué par une suite d’actes de vandalisme contre des édifices chrétiens, avaient alors conduit l’AOCTS à porter plainte contre le rabbin Gopstein pour incitation à la haine.
Dimanche 29 novembre, des activistes du groupe Lehava avaient même manifesté devant le YMCA de Jérusalem contre la tenue d’un marché de Noël, dénonçant le « meurtre d’âmes juives », et demandant aux chrétiens de quitter la Terre Sainte.
Manuella Affejee