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07-Déc-2024
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La fin du cash. Ce n’est pas tout à fait de la science fiction. Banquiers, hauts fonctionnaires et percepteurs planchent sur le sujet. Pour lutter contre la fraude. Et aussi pour tracer nos achats ?
Les "millenials" n’y verront pas malice. Ils applaudiront même, eux, si prompts à payer leur moindre dépense avec une carte bancaire et maintenant leur smartphone. Les États aussi, s’en réjouiront, au nom de la lutte contre le travail au noir et les trafics en tout genre. Les banquiers, soucieux d’améliorer leur rentabilité, encore plus. Demain, nous n’utiliserons plus les espèces, la monnaie sonnante et trébuchante. La cashless society est en marche. Rien, apparemment, ne saurait l’arrêter.
Cette idée repose sur la conjonction de deux phénomènes. Le premier tient à la révolution numérique : avec les réseaux 4G, et demain 5G, l’usage du "sans contact" se développe de façon exponentielle. En Suède, la monnaie fiduciaire en circulation ne représente plus que 2 % des transactions, contre 15 % en France.
Second phénomène : les taux négatifs. À l’origine, Mario Draghi, l’ancien patron de la BCE, a mis en place cette politique pour sauver la zone euro. La BCE a inondé le marché de liquidités, en rachetant une partie des dettes publiques. Devant cette manne, les taux d’intérêt ont mécaniquement baissé. L’Italie, l’Espagne et la France y ont trouvé leur compte pour continuer à s’endetter sans trop débourser. Mais les taux négatifs ont des effets pervers. D’abord, les banques européennes se sont trouvées peu à peu étranglées. Elles doivent en effet déposer, à la BCE, leurs excédents de liquidités, à un taux de - 0,50 %. Cela rogne leurs marges bénéficiaires. Elles sont donc tentées de répercuter ces taux négatifs sur les clients qui gardent des liquidités sur leurs comptes en banque. Pour le moment, seuls les très gros comptes sont concernés. Mais quelles que soient les dénégations des autorités monétaires, si la situation perdure, les banques seront obligées d’étendre ces taux négatifs à une masse toujours plus importante de leurs clients. Ensuite, les taux négatifs plombent les placements en obligations, notamment ceux de l’assurance-vie, dont les Français sont si friands. Résultat : le système pousse à l’investissement en actions avec les risques inhérents.
Une double tentation se fait donc jour. Taxer les liquidités et rendre l’usage des espèces de plus en plus coûteux. Il y a quelques années, les tenants de l’abolition du cash n’utilisaient qu’un seul argument : celui de la lutte contre les narcotrafiquants et l’argent du crime organisé. C’est au nom de cet enjeu moral qu’en 2015, il a été décidé d’arrêter l’impression des billets de 500 euros. L’objectif de la BCE est de réguler l’argent physique, stockable. En clair : ne garder à terme que le billet de 100 euros, voire de 50. En France, l’aéropage d’experts réuni par Édouard Philippe pour réfléchir sur la modernisation de l’action publique, baptisé Cap22, va même plus loin. Il préconise, dans sa proposition 16, d’aller "vers une société zéro cash pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale".
La grande distribution fait partie du lobby des abolitionnistes. Pas de cash, pas de risque de se faire dérober les recettes du jour. Les banques mènent, de leur côté, une stratégie insidieuse de suppression des distributeurs de billets, notamment dans les petites localités. Il n’y a pratiquement plus d’automates qui délivrent des billets de 100 euros. La tendance est générale en Europe. Moins d’automates et moins d’agences bancaires. Tout doit passer par Internet. Étranglées par les taux négatifs, les banques espèrent se refaire une santé, en réduisant leurs effectifs, leurs implantations et en limitant l’usage des espèces.
Et les "réfractaires" désireux de garder des espèces sont des adeptes de l’Ancien monde. Un monde où les espèces pouvaient masquer le non-paiement de la TVA ou des charges sociales. Le monde des trafiquants. L’Honnête homme du XXIè siècle, lui, n’a rien à cacher. Il fait confiance aux réseaux, à la technologie, et à ceux qui veulent notre Bien. Il préférera, selon Christine Lagarde, "avoir un emploi plutôt qu’une épargne protégée". Ce propos, tenu au micro de RTL, le 30 octobre dernier, était passé, à l’époque – presque –inaperçu. Il fallait comprendre que les taux négatifs allaient perdurer et que l’épargnant devaient investir en actifs risqués sous peine … pénalités sur ses liquidités.
Il y a quelques mois, deux économistes du FMI ont rédigé une étude qui suggère quelques pistes aux banques centrales pour faire fonctionner une économie avec des taux d’intérêt négatifs. L’un des deux signataires est désormais gouverneure adjointe de la Banque nationale du Danemark. Ils proposent de "rendre la détention d’espèces aussi onéreuse que celle de dépôts bancaires assortis de taux d’intérêt négatifs, afin de pratiquer des taux d’intérêt très négatifs tout en préservant le rôle des espèces".
Nous aurions ainsi trois types de monnaies, trois euros différents : un euro normal, utilisé dans toutes les transactions transitant par les réseaux : les salaires, les impôts, les virements, les opérations de cartes bancaires, constituant l’essentiel des transactions. Un euro valant un peu moins, correspondant aux liquidités non investies, les banques taxant ces liquidités au moins au même taux négatif que celui de la BCE (- 0,50 %). Enfin, il y aurait un euro espèces qui, lui, subirait une décote pouvant aller jusqu’à 5 %. Vous tirez 100 euros au distributeur – quand vous en trouverez un – il vous en coûtera 105 euros. De quoi vous dissuader d’utiliser des espèces !
Un homme pourrait mettre en musique cette nouvelle architecture monétaire : Benoit Cœuré. Ce polytechnicien a été, pendant huit ans, membre du directoire de la BCE. Il a été à la pointe du combat pour la disparition des billets de 500 euros. Un instant, il avait espéré succéder à Mario Draghi. Finalement, le choix s’étant porté sur Christine Lagarde, on lui a concocté un poste sur mesure à la Banque des Règlements Internationaux (BRI), surnommée la Banque centrale des banques centrales. Il y dirige, depuis le 15 janvier, le nouveau "hub Innovation". Il va coordonner le travail des banques centrales sur les nouveaux moyens de paiement numériques. Avec un objectif, fort louable au demeurant : lutter contre les crypto-monnaies qui prolifèrent et conserver aux banques centrales le monopole de la création monétaire. Ses travaux s’étendront tout naturellement à la question des espèces et aux moyens d’en limiter durablement les usages.
Derrière ces questions monétaires complexes, c’est un véritable débat de fond qui doit s’engager. Quoiqu’en disent les « progressistes », la monnaie fiduciaire, pièces et billets, est un instrument de liberté. L’histoire n’est jamais un long fleuve tranquille. Les peuples savent que personne n’est à l’abri d’un coup dur. Dès lors que tous vos avoirs seront numérisés, tous les actes de votre vie seront fichés, vos données à la disposition du système financier, de l’État et de ses divers organismes. « Big Brother is watching you ». Il n’est pas neutre qu’une des sociétés les plus en pointe dans cette numérisation de la finance et de la monnaie soit la Chine. Ce qui est en jeu, c’est une certaine idée du libre arbitre, du bien commun.
Le jour où les espèces disparaîtront, l’individu n’aura plus aucun moyen de faire face à un minimum de dépenses de subsistance si, pour une raison ou une autre, sa personnalité numérique est bloquée. Que ce soit par un "bug", un hacker, la décision d’un fonctionnaire, d’un algorithme ou d’un conseiller financier généralement injoignable. L’attrition des espèces accentue la marginalisation des populations les plus faibles : personnes âgées, notamment en milieu rural, SDF, migrants… Le gouverneur de la Banque de Suède a lui-même tiré la sonnette d’alarme en expliquant que son pays risque d’arriver à une situation où tous les moyens de paiement utilisés par le public seront, de fait, donnés et contrôlés par les acteurs commerciaux. L’individu, l’épargnant risque bel et bien d’être pris en tenaille par un système autocratique incarné par des banques centrales qui s’affranchiront de plus en plus des États. Et un marché financier où seuls les plus riches et les plus initiés pourront tirer leur épingle du jeu.
Par Wolf Richter – Le 9 mai 2015 – Source 24hgold.com
Par Wolf Richter – Le 9 mai 2015 – Source 24hgold.com
« Le billet de banque, c’est de la liberté dans la poche » : la guerre contre l’argent liquide est officiellement lancée en Allemagne, elle séduit le G7 et nous prépare un avenir infernal.
C’est venu de quelqu’un qui est dans les petits papiers du gouvernement allemand. Peter Bofinger est membre du conseil allemand d’experts en économie – les Cinq grands sages de l’économie –, la fonction de ce dernier étant de fournir des avis au gouvernement et au parlement concernant les problématiques d’ordre économique. Et ces gens sont pris très au sérieux…
Donc, ce Bofinger a déclaré au magazine allemand Der Spiegel durant un entretien (disponible pour les abonnés) que le liquide [l’argent papier et les pièces de monnaies, NdT] devrait idéalement disparaître de nos porte-monnaie.
Au Danemark, une nouvelle loi a été proposée qui permettrait à des magasins de détail de pouvoir refuser les paiements en liquide. Officiellement, ce serait pour réduire les tracasseries administratives et de trésorerie dans la gestion de la caisse du magasin. Puisque c’est le commerçant qui décide d’appliquer cette règle ou pas, la loi semble inoffensive.
Mais elle représenterait en vérité une étape nouvelle vers un système faisant de l’argent une entité purement électronique, dont les mouvements peuvent être pistés de manière continue, où que l’on soit.
Cette loi tombe à pic. Une banque nationale danoise avait imposé un taux négatif sur les dépôts de l’ordre de -0,75%, avec l’intention de cravacher les épargnants et de confisquer leur argent tant que leur attitude n’évoluait pas, afin de limiter l’appréciation de la couronne danoise vis-à-vis d’un euro défaillant. Mais pour échapper au courroux des taux négatifs, les épargnants pouvaient toujours retirer leur argent, et le garder sous le matelas. C’est ce à quoi cette loi entend mettre un terme, en rendant l’argent liquide inutile.
Et Der Spiegel de demander : en quoi cette loi danoise est-elle une bonne idée ?
«Avec les possibilités techniques d’aujourd’hui, les billets et les pièces constituent un anachronisme, affirme Bofinger. Ils rendent les paiements incroyablement difficiles», avec des gens perdant du temps à la caisse à chercher dans leurs sacs un billet ou une pièce, et la caissière de s’efforcer de rendre la monnaie (plutôt que d’attendre que l’acheteur trouve sa carte au fond de son sac, de réaliser la transaction, et d’attendre sa confirmation, quel gain de temps en vérité !).
Ce projet à la pertinence douteuse, commandé par le gouvernement pour nous faire gagner du temps à la caisse, s’est révélé trop faiblard même pour Bofinger…
Mais gagner du temps à la caisse n’est en fait que secondaire, a-t-il précisé. Cette mesure permettra de faire disparaître le travail au noir et le trafic de drogue. Presque un tiers des euros en circulation consiste en billets de 500 euros. Personne ne les utilise pour aller faire ses courses ; les hommes de l’ombre les utilisent pour leurs combines.
Pour empêcher que ces éléments criminels ne convertissent leurs devises dans une autre monnaie, il a précisé que «ce serait mieux si l’eurozone, les USA, la Grande-Bretagne et la Suisse abandonnaient le liquide en même temps».
Et puis, il devait lâcher la vraie raison d’abolir l’argent liquide, de façon coordonnée, sur une large échelle :
«Il serait ainsi plus facile pour les banques centrales d’imposer leurs politiques monétaires. A ce jour, elles ne peuvent pas déterminer des taux d’intérêts peu ou prou négatifs sans que les épargnants ne se précipitent à la banque et n’amassent des devises sous leurs matelas. Sans billets ni pièces, la frontière du taux zéro est vaincue.»Aussi, considérant que cela implique un effort multilatéral au niveau planétaire, est-ce que le gouvernement allemand est prêt à jouer de son influence sur la scène internationale pour que l’argent liquide disparaisse de nos portefeuilles ?
«Ce sera assurément un bon sujet de discussion au sommet du G7», a-t-il confié, lequel se tient les 7 et 8 juin en Bavière.
Mais le soutien à cette proposition n’est pas unanime au sein du conseil allemand des experts en économie. Lars Feld, un des Cinq sages, l’a littéralement cloué au pilori dans le journal Frankfurter Allgemeine, en paraphrasant de jolie manière la fameuse maxime de Fyodor Dostoevsky, «L’argent, c’est la liberté gravée dans le métal», et Feld de la détourner: «Le billet de banque, c’est de la liberté dans la poche.»
Feld devait aussi critiquer Bofinger pour avoir apparemment négligé les aspects constitutionnels de cette proposition. Non pas que les cours et tribunaux pourraient rejeter une telle législation, mais à ce jour, la Constitution – et pas seulement en Allemagne – constituerait un obstacle sévère.
Et il y a un autre problème : l’argent liquide permet aux citoyens d’échapper à l’emprise de l’État quand leurs comportements sont illégaux, comme dans le cas du travail au noir, qui constitue une sorte d’évasion fiscale, rappelle-t-il. «Mais le travail au noir est parfois pour certains la seule manière de gagner décemment leur vie.»
Et on va même les priver de ça ?
L’argent liquide est un des rares outils à notre disposition pour échapper, un court instant, aux multiples bras de cette pieuvre qu’est devenue progressivement notre société, sans espaces de liberté, sous surveillance illimitée. Et il incarne un des derniers verrous, quand bien même dérisoire, contre l’absolu pouvoir de la banque centrale. Et pour ça, il représente un aspect de notre liberté, comme le rappelle Feld. La guerre contre l’argent liquide a commencé : ses ennemis veulent le voir disparaître…
Un scénario dérangeant se joue pour les gens qui se tracassent au sujet de l’instabilité financière et il est écrit en jargon de Banque Centrale. Acheteurs, faites gaffe : le marché fonctionne à l’envers.
Traduit par Geoffrey, relu par jj pour le Saker Francophone