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Derière mise à jour
07-Déc-2024
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Un homme de l'ombre, un homme des services secrets du Quai d'Orsay, confident de Casimir Perier, président de la République en 1894, collaborateur direct d'Hanotaux ministre des affaires étrangères à l'époque. Maurice Paléologue, puisqu'il faut quand même donner son nom, fut chargé de 1894 à 1898 d'informer le ministre des affaires étrangères des développements de l'Affaire, et en 1899 de présenter le dossier diplomatique de l'Affaire à la cour de cassation et au juges du second conseil de guerre de Rennes.
Dès la page trois, on apprends que l'affaire aurait pu se tasser de suite, sans l'antisémitisme forcené de certains généraux. En effet, le ministre des affaires étrangères, Hanoteaux, informé de l'affaire par le Général Mercier, et avant même de connaître le nom de Dreyfus s'était offusqué, «Si vous n'avez pas d'autres preuves que cette lettre-missive et une ressemblance d'écriture, je m'oppose à toute poursuite judiciaires et même à toute enquête. Il y va de l'intérêt national» . Le ministre craignait une mise en cause injuste de l'ambassade d'Allemagne ou (et) de l'Italie. Il craignait les réactions ombrageuses de Guillaume, et des dommages importants dans les relations franco-allemandes.
Le 26 octobre 1894, le colonel Sandherr, chef des services de renseignements, rend visite à Maurice Paléologue :
« Sous le sceau du secret, il me confie que l'officier inculpé de trahison est un Juif, le capitaine Alfred Dreyfus, qui vient de terminer un long stage dans les divers bureaux de l'état-major général. C'est ainsi qu'il a pu se documenter copieusement. D'ailleurs, sa curiosité indiscrète, ses furetages continuels, ses allures mystérieuses, enfin son caractère sournois et vaniteux "où l'on reconnait tout l'orgueil et toute l'ignominie de sa race" le rendaient suspect depuis longtemps. Il a été incarcéré à la prison du cherche midi, le 15 de ce mois. L'enquête qui se poursuit ne laisse aucun doute sur sa culpabilité. » il me prie de rechercher dans nos renseignements secrets des années 1893 et 1894 des éléments pour étayer le dossier. Mais mes recherches furent infructueuses, j'ai étalé ma maigre récolte devant le commandant Henry, qui pas plus que moi ne trouve rien à glaner.
Le premier novembre 1894, l'affaire commence vraiment, Le Figaro publie une note discrète sur une affaire de trahison, mais le journal de Drumont, le moniteur de l'antisémitisme, la Libre Parole, imprime en caractère énorme : "HAUTE TRAHISON ! Arrestation d'un officier juif ! le Capitaine Dreyfus"
Cet article fait l'effet d'une bombe ! Poincaré alors ministre des Finances demande une réunion du conseil des ministre le jour même ! Malgré l'opposition d'Hanotaux, le conseil a décidé d'une instruction judiciaire contre le capitaine Dreyfuss.
Le Général Saussier gouverneur de la place de Paris, donne alors l'ordre d'enquêter sur le crime de Dreyfus, les services secrets s'activent, ils s'acharnent à décoder de mystérieux messages de l'ambassade d'Italie, le 10 novembre le code est cassé, et on lit un message du deux novembre « Si le capitaine Dreyfus n'a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l'ambassadeur de publier un démenti officiel pour éviter les commentaires de la presse » Le code d'ailleurs a permis plus tard de comprendre bien des messages, très charmants et très peu politiques !
Durant tout le mois de novembre, l'état major militaire cherche des preuves, et n'en trouve pas. Le colonel Sandherr n'a rien à proposer à l'état major. Le Général Gonse, son supérieur hiérarchique, met en doute la traduction du message italien, Paléologue reste ferme, et sûr de ses décodeurs, cela ne fait rien Gonse s'emporte :
« - La trahison de Dreyfus est démontrée. Quand à la manière dont il opérait, si quelques doutes subsistent encore, le rapporteur du Conseil de guerre est en train de les éclaircir.
D'une voix ferme Gonze reprend :
- La trahison de Dreyfus est démontrée, Nous en trouvons chaque jour une preuve nouvelle... N'est-ce pas Sandherr ? »
L'opinion s'impatiente, et ne comprends pas « que le juif ne soit pas déjà condamné, puis que sa culpabilité n'est pas douteuse, puisque les preuves de sa félonies sont "éclatantes, criantes" » Évidemment, ses coreligionnaires travaillent à le sauver... Mais alors pourquoi le ministre de la Guerre ne les démasque-t-il pas ? S'il n'est pas leur dupe, il est donc leur complice »
Pour calmer l'opinion, le Général Mercier publie un article dans le Figaro, dans laquelle il affirme avec la certitude absolue que depuis trois ans Dreyfus trahissait au profit d'un pays qui n'est ni l'Italie, ni l'Autriche.
L'ambassadeur d'Allemagne est outré, il demande à Hanotaux de publier le communiqué suivant : " Certains journaux persistent à mettre en cause pour une affaire d'espionnage les ambassades étrangères accréditées à Paris. Nous sommes autorisés à déclarer que les allégations qui les concernent sont dénuées de tout fondement."
Hanoteau pense avoir fait son devoir, et décide de se désintéresser de cette affaire qui est hors de ses compétences, et il conseille à Paléologue d'avoir la plus grande prudence avec l'état major. "Abstenez vous de toute démarchen je dirai même de toute interrogation sans que je vais y aie autorisé" .
Hanoteau a eu tort de se désintéresser de l'Affaire, car après le verdict, l'ambassadeur d'Allemagne en personne est venu protester, auprès du minstre des affaires étrangères, et devant le silence français, il s'en est plaint à l'Empereur. Guillaume II, en personne, il s'est trouvé outragé, et a menacé Casimir Perier. Le Président de la République a du user de beaucoup de diplomatie pour calmer le kaïser.
Maurice Paléologue est allé rendre visite à Madame Casimir Perier mère, et son fils président de la République est près d'elle, ils parlent de l'Affaire... on lui a présenté Bertillon, l'expert graphologue qui allait convaincre le tribunal que Dreyfus avait bien lui-même écrit le bordereau, unique pièce à conviction.
Casimir Périer me confie en outre que la semaine denière au cours d'une chasse dans les tirés de Marly, le généralissime Saussier lui a dit : "Dreyfus n'est pas coupable. Cet imbécile de Mercier s'est mis encore une fois le doigt dans l'oeil"
J'objecte au président :
- Alors pourquoi le généralissime envoie-t-il Dreyfus devant le conseil de guerre ?
- C'st précisément ce que je lui ai fait observer; mais il m'a répondu : "Le rapport du juge instructeur ne me permettait pas d'agir autrement. D'ailleurs, qu'importe, le Conseil de guerre décidera. »
Le 22 décembre, le verdict tombe, après de longues délibération, le Conseil de guerre prononçait à l'unanimité la culpabilité d'Alfred Dreyfus. Voici la réaction de Casimir Perier qui représente bien celle de tous ceux qui avaient des doutes, car toute la France a approuvé avec enthousiasme la condamnation.
« Eh bien ! c'est donc fini ! Je ne vous cacherai pas que ce verdict unanime me soulage, d'une angoisse très pénible, car enfin les officiers sont de braves gens, des coeur honnêtes, des consciences droites; ils n'auraient certainement pas condamné un de leurs camarades, même juif, s'ils n'avaient pas eu la preuve indubitable de son crime... sur quoi s'est fondé leur preuve ? là je ne sais plus quoi penser, je comprends d'autant moins que, tout à l'heure, pendant que le conseil de guerre délibérait, le préfet de Police est venu me dire qu'il croyait à un acquittement.
- J'ai la même impression que vous M le Président, L'unanimité du verdict prouve la certitude absolue des juges : nous n'avons plus qu'à nous incliner devant leur sentence : ils ont su évidemment des choses que j'ignore »
« Le lendemain, dans toute la presse, c'est la joie tumultueuse, de l'extrême droite à l'extrême gauche, il n'y a qu'une note pour commenter le verdict, c'est l'approbation, le soulagement, le réconfort, la joie, une joie triomphante, vindicative et féroce. »
Seule fausse note, l'ambassade d'Allemagne continue a clamer qu'elle n'a jamais eu la moindre relation avec le capitaine Dreyfus,et que le bordereau ne provient pas de ses services. Les protestations de l'Empereur d'Allemagne, n'y changeront rien.
Maurice Paléologue n'a pas assisté au procès mais il en a été tenu au courant heure par heure par les commandants Henry et Picart, et par le capitaine Lauth, le chef des services de renseignements J. Sandherr lui en a fait un compte rendu complet, dont je tire les extraits suivants :
Sandherr conclut en disant, "vous voyez qu'il a bien présidé mon vieux Maurel ! " Paléologue hasarde avec timidité, «On ne peut pas reprocher à un grand rabbin d'avoir une tête de juif ! Si au lieu d'être israélite, Dreyfus était catholique, vous auriez trouvé tout naturel que l'archevêque de Paris vint apporter son témoignage de moralité.
Sandherr me répond d'un air narquois : «N'empêche que mon vieux Maurel a merveilleusement présidé ! »
Maurice Paléologue et Jean Sandherr assistent tous deux à la dégradation du capitaine Dreyfus, Maurice est ému, et dit : « Comment un homme peut-il acquiescer à une pareille humiliation ? il me semble que si j'étais dans sa peau et que je fusse innocent, je me révolterais, je me débattrais, je hurlerais ! ... » Sandlerr répond avec un rictus féroce : «On voit bien que vous ne connaissez pas les Juifs ! Cette race-là n'a ni patriotisme, ni honneur, ni fierté. Depuis des siècles ils ne font que trahir. Songez donc qu'ils ont livré le Christ»
Mais Maurice traumatisé par la sinistre cérémonie en sort convaincu « Si j'ai eu quelques doutes sur la culpabilité de Dreyfus pendant l'instruction, maintenant je n'en ai plus... Pour s'être prêté aussi docilement.. à un pareil supplice, cet homme ne doit avoir aucune sensibilité morale. Pas un geste, pas un cri d'horreur, pas une larme ! C'est vrai qu'il a clamé plusieurs fois son innocence, mais toutes ses protestations sonnaient faux. »
Le 15 janvier 1895, Casimir Perier démissionne, et on peut lire dans son dernier message :
« Depuis six mois se poursuit une campagne de diffamation et d'injures contre l'armée, la magistrature, le Parlement, le chef irresponsable de l'État, et cette liberté de souffler les haines sociales continue à être appelée liberté de penser.
. Le respect et l'ambition que j'ai pour mon pays, ne me permettent pas d'admettre qu'on puisse insulter chaque jour les meilleurs serviteurs de la patrie et celui qui la représente aux yeux de l'étranger. »
Le 18 janvier Félix Faure a été proclamé président de la République par le congrès de Versailles, Dreyfus est parti dans un train de força pour l'île de Ré, où il s'embarquera pour la Guyanne, à la mi juin le colonel Sandherr, mourant est remplacé par son adjoint, le lieutenant colonel Piquart....
Fin du premier acte....