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Rwanda et francophonie
Revue de Presse

Les Rwandais ont changé de langue après le génocide

https://www.la-croix.com

Au Rwanda, depuis dix ans, le français n’est plus que la deuxième langue internationale, utilisée après l’anglais. Les enseignants ont dû, du jour au lendemain, basculer d’une langue à l’autre. Deuxième volet de notre série « Les parlers français d’ailleurs ».

Pierre Cochez, envoyé spécial à Kigali, Butare,  e 30/07/2019 à 11:16

En l’espace de quinze ans, à l’aéroport de Kigali, le « bienvenue » de la police des frontières s’est transformé en « welcome » ; au menu du restaurant Chez Lando, le « potage » est devenu « soup » et le poulet « ­chicken ». Les Rwandais auraient-ils « switché » du français vers l’anglais ? La réponse à la question est toujours la même. « Non, nous n’avons pas changé de langue. Nous en avons ajouté une nouvelle, l’anglais. »

Les Rwandais ont décidé de parler kinyarwanda, français et également anglais. Depuis son enfance, chaque Rwandais parle en famille et avec ses amis le kinyarwanda. Alors, ici, nul besoin d’emprunter aux anciens colonisateurs – en l’occurrence les Belges – leur langue pour se comprendre. C’est cette nécessité qui pousse, dans d’autres pays d’Afrique, les Mozambicains à parler le portugais, les Congolais à manier le français, les Zimbabwéens à utiliser l’anglais.

Dans ce petit pays enclavé, qui revendique une histoire millénaire et glorieuse, pas non plus besoin d’une autre langue pour se haïr. On assure que le français n’a pas été gommé par l’anglais pour oublier le souvenir du génocide des Tutsis. « Nous ne nous sommes pas massacrés en français, mais bien en kinyarwanda », souligne Moussa, dirigeant d’une start-up de Kigali. Il n’était pas né en 1994, mais il sait que « pour comprendre l’histoire de notre pays, analyser les mécanismes qui ont mené à cette tragédie, il est nécessaire de connaître le français. Tout était consigné par écrit dans cette langue

« J’ai appris à raisonner en français »

À Butare, le bureau du père André de l’Université catholique croule sous les livres pratiquement tous écrits en français. Ce cinquantenaire a effectué toute sa scolarité et son grand séminaire dans cette langue. « Même à la récréation, nous devions parler en français. » Depuis lors, chaque jour, il écoute Radio France international (RFI), rédige ses textos en français et publie ses travaux de recherche dans cette langue. « C’est comme cela que j’ai appris à raisonner », résume-t‑il.

Plus loin encore de la capitale rwandaise, à Gikongoro, le père Anicet revient de neuf années passées comme vicaire à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Il en garde un excellent souvenir. « Je servais trois communautés bien distinctes : celle des Français de l’Hexagone, qui étaient à cheval sur l’heure et voulaient de l’orgue, celle des Antillais, qui ne commençaient jamais à l’heure mais dont la ferveur était communicative, et celle des Africains de l’Ouest, qui tenaient à leur orchestre de percussions. » Le père Anicet a aussi rencontré des paroissiens portugais ou polonais, qui n’avaient pas peur de parler le français « sans verbe ou sans accords des temps ». Il enviait leur absence de timidité. « Nous, les Rwandais, nous sommes très fort dans l’écriture de la langue, pas dans son parler. À l’école, si je faisais une erreur en français, on me frappait. Du coup, je me demande tout le temps si j’emploie la bonne tournure. »

Au Rwanda, le français était la langue pour comprendre l’Européen de passage ou pour lire les circulaires émises par l’administration et l’Église. Maintenant, les ministères rédigent leurs textes en anglais et tout Européen sera abordé dans cette langue, surtout si son interlocuteur rwandais est jeune. On peut trouver une explication à ce glissement linguistique dans l’histoire. Les Tutsis, qui ont formé l’armée du FPR conduite par Paul Kagame, avaient trouvé refuge dès les premiers massacres en 1959 en Ouganda ou en Afrique du Sud, deux pays anglophones.

Les Rwandais restés dans leur pays partageaient la langue française avec le Congo. C’est dans ce pays voisin, la République démocratique du Congo, que des génocidaires ont trouvé refuge après 1994. Aujourd’hui, dans son développement économique, le Rwanda regarde vers d’autres pays anglophones comme le Kenya, l’Éthiopie, la Tanzanie ou l’Ouganda.

Ovation pour la nouvelle secrétaire générale de la francophonie

Le français ne s’est pas forcément éteint au Rwanda. Le 7 avril 2019, au commencement des commémorations du génocide, 1 500 personnes étaient invitées au Centre de convention de Kigali. Le premier ministre belge, Charles Michel, rappela, en français, les excuses présentées par son prédécesseur Guy Verhof­stadt pour « un cortège d’erreurs et de fautes, d’incompétences et de négligences » des Belges. Le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, témoigna, en anglais, de son expérience, « en 1995, de jeune casque bleu du contingent éthiopien, où il a découvert la dévastation causée par l’intolérance ».

Lorsque le président Kagame introduisit un à un ses invités, c’est la récente secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, Louise Mushikiwabo, qui reçut – de loin – les applaudissements les plus nourris. L’accession de leur ancienne ministre des affaires étrangères à la direction d’un organisme international nourrit la fierté des Rwandais. La romancière francophone Scholastique Mukasonga y voit le signe d’« une francophonie de cohabitation, d’accueil et de création ».

En termes de logistique, l’entrée décrétée de l’anglais dans le système scolaire et universitaire rwandais n’a pas été sans mal. Cyprien Rwabigwi a fondé avec son épouse en 2006 Les petits poussins de la Dame (comprendre la Vierge Marie) dans un quartier résidentiel de Kigali. « Ma femme est allée spécialement à Montréal pendant deux ans pour passer son baccalauréat. Nous sommes francophones. Et puis, en 2008, le Rwanda a basculé dans le Commonwealth. »

Le programme du ministère est devenu anglophone du jour au lendemain. Les professeurs qui enseignaient depuis parfois plusieurs décennies en français ont dû changer de langue, non sans de sérieux problèmes d’adaptation et bien souvent sans les manuels scolaires en anglais, qui ont mis du temps à arriver. « Nous avons dû chercher des professeurs anglophones en Ouganda et au Kenya, et une Franco-Slovène qui avait fait ses études au Royaume-Uni est venue diriger l’école. » Les petits poussins de la Dame sont donc devenus Mother Mary School. La scolarité de l’école de Cyprien est désormais certifiée « Cambridge » et peut ainsi attirer des parents prêts à payer pour assurer à leurs enfants un enseignement de qualité.

Le français est plus difficile à apprendre que l’anglais

Trois ans après, l’État a assoupli sa position. La ­Mother Mary school propose la maternelle en français. Ensuite les trois premières classes du primaire s’enseignent en kinyarwanda, avant de poursuivre en anglais, mais avec le support de cinq heures de cours hebdomadaires en français. Cyprien Rwabigwi a demandé l’appui des enseignants bénévoles à la retraite de l’ONG française Agirabcd. Et il espère bien obtenir l’homologation de son école par l’éducation nationale française. Mais tous ceux qui luttent pour une présence francophone au Rwanda le constatent : « Le français est une langue beaucoup plus difficile à apprendre que l’anglais. »

Joseph Bitega, le directeur du Cecydar, un centre pour les enfants des rues, est convaincu des vertus des langues étrangères pour permettre aux Rwandais de s’ouvrir au monde. Sur les neuf enfants de sa fratrie encore en vie, l’une habite à Lorient où elle est médecin depuis trente ans, deux sont en Belgique, un au Royaume-Uni et un au Burundi. Avant même le génocide, il avait senti la menace pour lui, tutsi. « J’avais lu cinq fois le livre français Au nom de tous les miens écrit par Martin Gray, un rescapé du camp de concentration de Treblinka. Je m’identifiais au peuple juif. Cela m’a aidé. »

Pour nombre de Rwandais, le français reste lié à une histoire douloureuse. Pas pour Moussa, qui communique en français sur Facebook avec des amis congolais et burkinabés. Il aime cette langue avec laquelle « on essaie de ne jamais utiliser deux fois le même mot. Quand on parle de quelqu’un, on va recourir à diverses expressions pour montrer toute la richesse de cette langue. C’est une langue qui me rend intelligent ».

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Le français reste une langue officielle

Avant le génocide des Tutsis qui a fait plus de 800 000 morts en trois mois en 1994, le kinyarwanda et le français avaient le statut de langue officielle.

Après le génocide, au retour d’anciens réfugiés et exilés, pour la plupart accueillis dans des pays anglophones et swahilophones, l’anglais s’est imposé comme 3e langue officielle.

L’article 5 de la Constitution stipule que le Rwanda utilise trois langues : le kinyarwanda, le français et l’anglais.

En 2008, Kigali a remplacé le français par l’anglais comme langue d’enseignement obligatoire dans l’enseignement public.

En 2016, une heure de cours de français par semaine a été réintroduite à partir de la quatrième année de primaire.

En 2017, l’assemblée nationale a adopté une loi visant à faire du swahili la 4e langue officielle, pour honorer un engagement pris lors de l’entrée du Rwanda au sein de la communauté d’Afrique de l’Est en 2007.

Louise Mushikiwabo, nouvelle présidente de la Francophonie

https://www.livreshebdo.fr/article/louise-mushikiwabo-nouvelle-presidente-de-la-francophonie

Par Vincy Thomas,  avec AFP,  Créé le 12.10.2018 à 13h18,

Malgré les critiques sur le régime rwandais, Louise Mushikiwabo l'emporte sur la sortante, Michaëlle Jean, lâchée par la France, l'Afrique, le Canada et le Québec. Quatre nouveaux membres ont été acceptés à l'Organisation internationale de la Francophonie, dont la Louisiane.


L'Organisation internationale de la francophonie (OIF) a élu comme secrétaire générale ce vendredi 12 octobre à Erevan (Arménie) la Rwandaise Louise Mushikiwabo face à la sortante canadienne, Michaëlle Jean. Cette dernière, contestée pour des dépenses somptuaires et des nominations maladroites, avait été abandonnée par la France, la plupart des pays africains, et ses deux "pays", le Canada et le Québec. La victoire de Louise Mushikiwabo n'est pas exempte de critiques, puisque certains pointent du doigt le peu de cas que le Rwanda ferait de la défense des droits fondamentaux et du français, langue officielle mais secondaire dans le pays.

Son élection ne faisait plus aucun doute depuis que sa rivale, la sortante canadienne, Michaëlle Jean, avait perdu ses deux plus importants soutiens, le Canada et le Québec. Ces deux piliers de la francophonie, qui en sont, à eux deux, le deuxième bailleur de fonds, ont été contraints de renoncer face à la multiplication des pays se ralliant au Rwanda.

Une sortante contestée, une entrante controversée

La France d'abord, premier bailleur de fonds de l'OIF, où la candidature de Mme Mushikiwabo a été annoncée lors d'une conférence conjointe entre le président rwandais, Paul Kagame, et le président français, Emmanuel Macron, à tel point que beaucoup y ont vu un dossier téléguidé par Paris. L'Afrique, ensuite, après le soutien de l'Union africaine, il est vrai présidée cette année par le même Paul Kagame. 

Cette offensive diplomatique a eu raison des sévères critiques que la candidature du Rwanda avait suscitées, d'abord sur les droits de l'homme. Paul Kagame, qui en est déjà à son troisième mandat, remporté avec un score mobutesque de 98%, a fait changer la Constitution pour rester au pouvoir jusqu'en 2034. Sur la langue ensuite: le Rwanda a remplacé en 2008 le français par l'anglais en tant que langue obligatoire à l'école, avant de rejoindre le Commonwealth, pendant anglophone de l'OIF, un an plus tard. C'est d'ailleurs en anglais que Paul Kagame avait annoncé la candidature de sa ministre.

Le Rwanda "mène depuis des années une politique hostile à la langue française", accuse auprès de l'AFP Pierre-André Wiltzer, ancien ministre français de la Coopération et de la francophonie (2002-2004). "Proposer maintenant une ministre du Rwanda pour diriger l'Organisation de la francophonie est un message très négatif pour tous les francophones de la planète", ajoute-t-il, insistant: "Le Rwanda est loin d'avoir un régime politique respectueux des libertés individuelles et politiques, alors que la Charte de la francophonie place ces principes en tête de ses valeurs fondamentales".  

 L'épicentre de la langue française, de nos langues françaises, est sans doute dans le bassin du fleuve Congo ou quelque part dans la région.
 Emmanuel Macron

Dans un discours jugé brutal prononcé jeudi 11 octobre, Michaëlle Jean a ainsi dénoncé "les petits arrangements entre Etats", sans citer l'OIF.

"Sommes-nous prêts à accepter que les organisations internationales soient utilisées à des fins partisanes?" s'est-elle interrogée dans une allusion à peine voilée.

L'intronisation de Mme Mushikiwabo consacre le "retour" de l'Afrique à la tête de l'OIF, qui avait toujours été dirigée par des Africains avant Mme Jean, et sa consécration en tant que locomotive de la francophonie. 

En vertu de son explosion démographique, l'Afrique, continent sur lequel se trouvent 27 des 54 membres de l'OIF ayant droit de vote, représentera 85% des francophones en 2050, sur un total de 700 millions, contre 274 aujourd'hui, selon l'OIF. 

"L'épicentre de la langue française, de nos langues françaises, est sans doute dans le bassin du fleuve Congo ou quelque part dans la région", a ainsi répété Emmanuel Macron, fidèle à ce qui est devenu un mantra chez lui.
La France compte sur la nouvelle secrétaire générale pour "provoquer une sorte d'électrochoc" au sein d'une OIF "considérée comme très lointaine" de la jeunesse africaine, "la principale cible de la francophonie", souligne-t-on dans l'entourage du président de la République. 

La victoire du Rwanda, pays plurilingue, consacre la stratégie inclusive d'Emmanuel Macron, qui entend défendre le français sans l'opposer aux autres langues. Le "combat fondamental pour notre langue est un combat pour le plurilinguisme […]. Le français est devenu une langue monde, il n'écrase pas les autres langues mais s'en nourrit", a-t-il répété dans son discours au sommet jeudi.
 

Quatre nouveaux membres

L'Irlande, Malte, la Gambie et la Louisiane ont été acceptés jeudi en tant qu'observateurs, donc sans droit de vote, de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), a indiqué son porte-parole, peu après le retrait de la candidature de l'Arabie saoudite, très contestée sur les droits de l'homme.

L'Irlande et Malte comptent respectivement 12% et 13% de francophones, selon l'OIF, tandis que la Gambie, petit pays largement anglophone, est entouré de pays francophones. 

L'Etat américain de Louisiane, qui porte le nom de l'immense colonie française qui s'étendait des Etats-Unis au Canada, compte 200000 francophones, selon un recensement de l'an 2000, sur 4,7 millions d'habitants. Il s'agit majoritairement de "Cajuns" ou "Cadiens", ces descendants des Acadiens, colons français de l'est du Canada qui avaient été chassés par les Anglais en 1755 lors du "Grand Dérangement".

L'OIF réunit 84 Etats et gouvernements "ayant le français en partage" mais qui comptent parfois peu de francophones, comme la Moldavie (2% de francophones), l'Egypte ou la Bulgarie (3% chacune), selon les derniers chiffres de l'OIF. L'Ukraine ou l'Uruguay ne comptent eux que 0,1% de locuteurs français chacun mais ils ne sont que pays "observateurs". Actuellement, seul un tiers des pays de l'organisation reconnaissent dans leur Constitution le français.

Parmi ses 84 Etats et gouvernements – certains n'étant que des "territoires" comme la Wallonie ou la province canadienne de l'Ontario –, figurent 26 observateurs et quatre "membres associés", un stade supérieur qui permet de participer à davantage de réunions mais sans cependant octroyer de droit de vote.

L'Arabie saoudite avait également déposé une candidature mais a finalement jeté les gants, demandant à ce que l'étude de sa demande soit "reportée", selon le porte-parole du secrétariat de l'OIF.  Cette demande d'adhésion avait suscité de vives critiques au sein de la Francophonie, visant le rapport lointain qu'entretient le pays avec la langue française mais également ses violations répétées des droits de l'homme, selon des ONG. Les Emirats arabes unis sont déjà un observateur de l'OIF, tandis que le Qatar est membre associé.

France-Rwanda : « Le rapport Duclert représente une avancée vers la vérité » après le génocide des Tutsi

Le gouvernement rwandais et des associations de rescapés attendent des actes de la France après la remise du texte à Emmanuel Macron, le 26 mars.

Par Laure Broulard(Kigali, correspondance) et Pierre Lepidi

Publié le 29 mars 2021 à 10h59 - Mis à jour le 29 mars 2021 à 18h45 

Temps deLecture 3 min.

Une survivante du génocide près des cercueils qui contiennent des restes de victimes au Mémorial de Nyanza, avant un enterrement collectif à Kigali, le 2 mai 2019. YASUYOSHI CHIBA / AFP

Le rapport de la commission Duclert est arrivé par surprise, en pleine préparation des commémorations du génocide des Tutsi, qui commencent le 7 avril. « C’est un moment où la sensibilité des rescapés est à fleur de peau, confie au Monde Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka France, la principale association de rescapés et de victimes. Ce rapport représente une avancée vers la vérité, même si le terme de “complicité” [de la France] est écarté. Maintenant, nous attendons des discours, des actes. »

« Puisque le rapport conclut à un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes pour l’Etat français, j’attends des excuses, lâche Jeanne Allaire, membre de l’association. Il y a eu un million de morts et, parmi eux, mon père, ma sœur et trente autres membres de ma famille qui ont été massacrés. »

Lire aussi  France-Rwanda : un pas décisif vers la vérité

A Kigali, pas de coup de tonnerre. La classe politique est restée relativement silencieuse ce week-end, tandis que la presse locale s’est contentée d’articles factuels relayant la réaction officielle du gouvernement rwandais. Dans un bref tweet publié vendredi soir 26 mars, celui-ci salue « un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France » et annonce la publication prochaine « d’un autre rapport d’enquête, commissionné en 2017 par le gouvernement rwandais et dont les conclusions viendront compléter et enrichir celles de la commission Duclert ».

Jusqu’ici, les autorités se montrent discrètes sur cette nouvelle enquête. Plusieurs sources proches du gouvernement assurent simplement qu’elle devrait « apporter des éléments nouveaux ». En 2008, Kigali avait déjà publié un rapport très controversé sur le rôle de la France dans le génocide : le rapport de la commission Mucyo. Le texte accusait la France d’avoir participé, dès 1992, à la formation des milices Interahamwe et alléguait que ses soldats avaient pris part à des massacres et des viols.

« On ne s’attendait pas à ça »

La conclusion du rapport Duclert ne correspond pas avec les éléments présentés dans le corps du rapport rwandais, selon Jean-Paul Kimonyo, chercheur et ancien conseiller du président, Paul Kagame. « En utilisant le même matériel, on pourrait arriver à une conclusion assez différente. Le rapport adopte une définition très étroite de la notion de complicité. Or, on peut être complice de génocide sans partager l’intention génocidaire », avance-t-il.

Comme de nombreux observateurs à Kigali, le chercheur assure qu’il y a depuis longtemps un consensus dans le pays quant à l’implication de la France avant et pendant les massacres. « Nous n’attendons pas de la France qu’elle nous dise ce qu’elle a fait. Nous le savons », conclut-il.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Rwanda : la commission Duclert conclut à une faillite militaire et politique de la France de 1990 à 1994

« C’est un pas dans la bonne direction par rapport à l’ancienne position de déni de la France, renchérit John Ruku-Rwabyoma, député du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir. Mais certaines personnes devraient répondre de leurs actes. Il faudrait également explorer la possibilité de compensations. »

En 2010, au cours d’une visite à Kigali, Nicolas Sarkozy avait reconnu « de graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement » de la France face au projet génocidaire. Le discours avait marqué un tournant dans les relations alors tendues entre Paris et Kigali. Mais la réouverture en France, en 2016, de l’enquête sur l’attentat précédant le début des massacres, et dans laquelle des proches de Paul Kagame avaient été visés par des mandats d’arrêt, avait été perçue par Kigali comme un nouvel affront.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Les conclusions du rapport de la commission sur le Rwanda : « Un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes pour la France »

La publication du rapport Duclert intervient dans un contexte de réchauffement diplomatique entre les deux pays. Vu du Rwanda, c’est une nouvelle main tendue du président Macron après son soutien à l’élection de l’ancienne ministre des affaires étrangères de Paul Kagame Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et la désignation du 7 avril comme journée officielle de commémoration du génocide des Tutsi en France.

« La normalisation des relations n’était pas suspendue à la publication de ce rapport, mais cela va bien sûr booster un peu le processus, estime une source proche du gouvernement rwandais. La commission a des mots assez durs envers le gouvernement français de l’époque. Elle ne va pas jusqu’à reconnaître la complicité de génocide mais, très franchement, on ne s’attendait pas à ça. »

Laure Broulard(Kigali, correspondance) et Pierre Lepidi

Enquête sur un génocide

Hérodot.net


Rwanda : Mitterrand coupable ?

31 mars 2021 : il y a un quart de siècle, le président du Rwanda était tué dans un attentat et les extrémistes de la majorité hutu entreprenaient aussitôt de massacrer la minorité tutsie.
Désireux de faire taire les polémiques, le président Emmanuel Macron a demandé à une commission de 13 historiens présidée par Vincent Duclert de clarifier le rôle des autorités françaises, de l'armée et du président François Mitterrand dans ce drame. Après avoir pendant dix-huit mois épluché les archives, les historiens ont pu remettre leur rapport au président de la République le 26 mars 2021. Disons-le d'emblée, malgré ses 1000 pages, le document est remarquable de clarté, de précision et de pondération...

La commission Duclert a pu consulter les archives françaises disponibles et elle a centré son enquête sur l'attitude des autorités françaises dans la genèse du génocide et les événements qui y ont mené, de 1990 à 1994. Elle ne s'est pas souciée de refaire le travail du Tribunal pénal international pour le Rwanda, réuni à Arusha (Tanzanie) de décembre 1994 à décembre 2015 en vue de juger les auteurs du génocide. Il s'ensuit un vrai et beau travail d'historien.

Les maladresses de François Mitterrand

Le rapport commence par une question qui taraude les historiens spécialistes des génocides et reste à ce jour sans réponse, « celle du lien entre une avancée de la démocratie et son anéantissement par un génocide. Cette problématique est connue depuis l’extermination des Arméniens dans l’Empire ottoman. Elle se répète dans l’Allemagne de Weimar avec l’engrenage de l’antisémitisme et la montée en puissance du parti nazi. Elle est présente au Rwanda entre 1990 et 1993. » Dans les trois cas précités, le génocide est en effet survenu alors que l'État entreprenait de se démocratiser, avec les Jeunes-Turcs, la République de Weimar ou la mise en oeuvre du discours de La Baule !

En octobre 1990, le Rwanda du président Habyarimana est menacé par les forces tutsies de Kagamé établies dans l'Ouganda voisin (le FPR). Kagamé n'est pas connu pour être plus démocrate que Habyarimana et il a l'inconvénient supplémentaire d'être anglophone et proche des Anglo-Saxons. Sans trop hésiter, le président Mitterrand apporte son aide au dictateur. Il projette de faire du Rwanda « une sorte de laboratoire de l’esprit du discours de La Baule en offrant au président Habyarimana une garantie de protection militaire en échange d’un programme de démocratisation, de respect des droits de l’homme et de négociation avec le FPR. »

Sa décision ne fait pas l'unanimité et « dès la fin de l’année 1990 des voix s’élèvent en France et au Rwanda pour alerter sur les risques d’un tel choix ». Mais gouverner, c'est choisir entre deux maux le moindre, en assumant le risque de se tromper.

L'ambassadeur Georges Martres évoque dès le 15 octobre le risque d'un génocide. Il écrit que les Tutsis « pensent enfin qu’il convient de craindre un génocide si les forces européennes (françaises et belges) se retirent trop tôt et ne l’interdisent pas, ne serait-ce que par leur seule présence ». Mais cette note est noyée au milieu de nombreuses autres de diverses origines et qui se contredisent les unes les autres. Toutes atterrissent à l'Élysée mais toutes ne sont pas lues par le président et son chef d'état-major particulier, l'amiral Jacques Lanxade.

Confrontée dès octobre 1990 à de premières exactions qui visent les Tutsis, « l’armée française ne fait pas cesser les massacres, qu’ils se déroulent dans ou hors de Kigali, ni les viols et autres formes de violence. Elle est présente en dehors de tout mandat spécifique avec comme seule mission officielle la protection des ressortissants français. Le droit international n’autorise pas les opérations de police menées par une armée en territoire étranger. »

Finalement, un cessez-le-feu est signé le 24 octobre et les forces « ougando-tutsies » se replient vers le nord. La France, tranquillisée, rapatrie l'une de ses deux compagnies mais conserve son appui au président Habyarimana. Pour le président Mitterrand et son ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, il n'est pas question qu'il soit renversé par des troupes venues de l'étranger, car alors quel gouvernant africain pourrait encore faire confiance à la France ?

« Un élément surplombe cette politique : le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte, personnelle et directe, avec le chef de l’État rwandais. Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée. De ce fait, même si l’impératif de démocratisation du pays est régulièrement rappelé aux autorités rwandaises comme une condition de l’aide française, dans le même temps, les demandes de protection et de défense du président rwandais sont toujours relayées, entendues et prioritaires, » commente le rapport Duclert. 

La suite des événements confirme cet entêtement. Le président va superviser la crise rwandaise dans le secret de l'Élysée, en étouffant les voix dissonantes, avec, jusqu'au bout, l'illusion d'empêcher tout à la fois le renversement de son protégé, le retour des massacres interethniques et l'accession au pouvoir du chef des forces « ougando-tutsies ». Il croira y être parvenu avec la signature des accords d'Arusha, le 4 août 1993. Huit mois plus tard, l'assassinat de l'un des signataires, Juvénal Habyarimana, donnera le coup d'envoi du génocide. Échec sur toute la ligne.

Les historiens concluent : « Devant une telle tragédie, peut-on s’arrêter au constat historiographique ? La crise rwandaise s’achève en désastre pour le Rwanda, en défaite pour la France. La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’« ougando-tutsi » pour désigner le FPR. Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. »

Une grande leçon d'Histoire

Le rapport Duclert fera date car il offre aux historiens du futur un cas d'école sans guère d'équivalent sur la manière dont un dirigeant peut être amené à prendre ses décisions. Il est à souhaiter que des universitaires et des étudiants aient à coeur d'étudier le rapport et d'en tirer des enseignements pour leurs propres travaux. À quand un semblable travail sur l'intervention américaine en Irak ou sur l'intervention française en Libye ou au Mali ?

En soumettant au jugement de l'opinion publique l'action de son prédécesseur, le président Emmanuel Macron prend toutefois le risque d'être à son tour jugé pour l'une ou l'autre de ses défaillances ou maladresses. Ne pratique-t-il pas lui aussi, comme François Mitterrand, la politique du secret, évitant de débattre devant la représentation nationale des enjeux de l'heure, comme la gestion de la pandémie ?

Publié ou mis à jour le : 2021-04-05 09:58:13

Visas pour le Rwanda : Paul Kagame ménage la chèvre anglophone et le chou francophone

22 janvier 2020 à 12h49
Mis à jour le 24 janvier 2020 à 17h30

Par  Damien Glez    Sur Jeune Afrique

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Lors du sommet Royaume-Uni – Afrique, le président rwandais a annoncé qu’il envisageait d’exempter de visa les ressortissants des États membres du Commonwealth, de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l’Union africaine. Une manière de jouer la carte de l’intégration africaine, tout en ménageant les puissances française et britannique.

Ce n’est pas parce que le flamand rose somnole parfois sur une patte qu’il en oublie la seconde. Ce n’est pas parce que le Rwanda a fourni à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sa secrétaire générale, en la personne de Louise Mushikiwabo, qu’il en oublie de soigner ses relations avec l’anglophonie politique. En juin prochain, le Rwanda accueillera d’ailleurs la 26e réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (Chogm). Et c’est dans le pays d’Elizabeth II, reine de l’organisation intergouvernementale, que Paul Kagame a décidé de ménager, une fois de plus, la chèvre anglophone et le chou francophone.

Présent à Londres pour un sommet Afrique-Royaume Uni focalisé sur les conséquences internationales du Brexit, le président rwandais est intervenu, ce 21 janvier, à l’International School for Government du King’s College. Au cœur d’un discours très diplomatique sur la « communauté de valeurs » ou l’opportunité de « réinventer les accords commerciaux et d’investissement mondiaux », le chef de l’État a marqué les esprits en évoquant son souhait d’exempter du paiement des frais de visa les citoyens du Commonwealth, de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ainsi que de l’Union africaine (UA).

Urgence, unité et autonomie

Avec quatre langues officielles – l’anglais, le français, le swahili et le kinyarwanda –, le Rwanda joue tout à la fois la carte de l’intégration africaine et de l’équidistance des puissances britannique et française avec lesquelles il a partagé des expériences historiques bien différentes.

Même si, selon l’OIF, le français n’était parlé que par 6 % de la population rwandaise en 2014, le pays est membre de l’Organisation depuis 1970. Et c’est en 2009 qu’il a décidé d’adhérer, en parallèle, au Commonwealth.

POUR LA PREMIÈRE FOIS, LES AFRICAINS PEUVENT VOYAGER, EN MOYENNE, VERS PLUS DE 27 PAYS SANS VISA PRÉALABLE

Paul Kagame a compris que son « pays sans littoral » ne survivrait qu’en facilitant la coopération avec les pays de la région et du continent, en pleine gestation de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). En facilitant l’accès des hommes d’affaires, des investisseurs, des étudiants ou des touristes au Rwanda, il s’inscrit dans le sens de l’Histoire.

Le Rapport 2019 sur l’« Indice d’ouverture sur les visas » notait, en novembre dernier, des progrès sans précédents sur le continent. Pour la première fois, les Africains peuvent voyager, en moyenne, vers plus de 27 pays sans visa préalable, soit plus de la moitié du continent.

En élargissant les facilités à des pays non-africains du Commonwealth ou de l’OIF, le gouvernement rwandais entend fluidifier les échanges économiques, en conformité avec le triptyque vanté par son président : urgence, unité et autonomie.