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Derière mise à jour
07-Déc-2024
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Sur l’heure même, on convoqua les secrétaires du roi, c’était dans le troisième mois, qui est le mois de Sivan, le vingt-troisième jour du mois et on écrivit, tout comme Mardochée l’ordonna, aux Juifs, aux satrapes, aux gouverneurs et aux préfets des provinces qui s’étendaient de l’Inde à l’Ethiopie cent vingt-sept provinces en s’adressant à chaque province suivant son système d’écriture et à chaque peuple suivant son idiome, de même aux Juifs selon leur écriture et selon leur langue.
Livre d'Esther (8 ; 9)
L'histoire des Juifs en Asie Centrale remonte au VIè siècle avant notre ère depuis la destruction du Premier Temple et la déportation vers Babylone. A la chute de l'Empire babylonien et à partir de leur émancipation promulguée par le souverain perse Cyrus II, ce dernier aura permis à 40 000 Juifs de retourner dans leur pays mais beaucoup d'entre eux se sont installés dans les villes de l'Empire perse.
C'est ainsi que le Talmud dit « de Babylone » a été écrit dans cet immense territoire. Les Israélites ont vécu dans les grandes villes d'Asie Centrale et plus particulièrement dans l'actuel Ouzbékistan à Boukhara, Samarcande et Tachkent...
Aussi le Livre d'Esther témoigne-t-il de cette implantation.
L'originalité de leurs traditions, coutumes, rituels s'est conservée jusqu'à nos jours, mêlant à la fois la croyance en un Dieu unique aux lois locales. Ainsi les Juifs d'Ouzbékistan ont été désignés par une appellation générique, les « Juifs de Boukhara »
La visite de l'Ouzbékistan était pour mon épouse et moi-même, un projet de longue date. Nous connaissions plutôt bien le continent indien où nous nous rendons régulièrement mais notre souhait était d'aller voir un peu l'autre terre qui a vu naître le premier Empereur moghol de l'Inde, Bâber, un descendant de Timur (Tamerlan).
Notre voyage s'est déroulé pendant les trois premières semaines du mois d'août 2023 de la capitale Tachkent en passant par Samarcande et Boukhara jusqu'à Termez, à l’extrême sud du pays afin de nous rendre à Kara Tepe et Fayaz Tepe, rares sites paléo-bouddhiques d’Asie centrale, à quelque centaines de mètres seulement des barbelés de la frontière afghane. Nos déplacements se sont faits en train, en matchrouki (minibus) et en taxi, sans compter la marche avec parfois plus d’une quinzaine de kilomètres par jour. Quant à l’hébergement, selon le hasard de la réservation, nous avons pu expérimenter toutes les catégories depuis la pire des chambres jusqu’au palace mais la plupart du temps, pour un prix modique, les hôtels étaient fort convenables et leurs petits déjeuners très copieux.
Le nom de Samarcande est devenu célèbre grâce au roman éponyme de l'écrivain Amin Maalouf. A Samarcande, lorsqu'on prend le sentier touristique qui relie les monuments principaux, on arrive à cette cité mythique mais également historique, connue sous le nom d'Afrosyab, du nom d'un roi légendaire que le poète persan Ferdowsi cite dans son épopée, le « Shâhnâmeh » ou « Livre des Rois ». Sur le côté droit du sentier, face au mausolée d'Islam Karimov, le père de l'Ouzbékistan indépendant, mort en 2016, s'étend l'immense cimetière juif de la ville très bien entretenu où chaque stèle funéraire ancienne a été conservée et scellée sur un socle en béton. C'est à partir de ce point que va débuter notre recherche.
Après avoir admiré la centaine de beautés architecturales de la ville, nous avons poursuivi notre prospection à la découverte des différents sites et quartiers pouvant témoigner de la présence de la communauté juive. Contrairement à l'étendue d'une nécropole qui, de ce fait demeure très visible, on peut dire que tout ce qui a rapport à cette communauté reste bien discret. Pourtant, les différents sites israélites sont bien mentionnés dans les guides et les cartes des villes. Mais nous nous sommes aperçu que le plan de Samarcande que nous possédions n'était pas fiable car incomplet et, de plus, il n'était pas à jour, le nom de certaines rues ayant changé depuis.
Sur ce fameux plan, vers l'avenue Amir Timur (avenue Tamerlan), l'une des grandes artères de la ville, nous avions bien remarqué l’étoile de David indiquant comme il se doit l'emplacement d'une synagogue. Arrivés approximativement au lieu indiqué, nous nous sommes retrouvés au Musée d'Etudes Régionales, un petit musée vieillot et plein de charme qui dénote lorsqu'on le compare aux grands musées nationaux modernes du pays. Dans la cour, étaient stationnés deux véhicules de l'époque soviétique (un vieux tracteur très rouillé et une automobile des années 50 bien astiquée). Dans ce musée sont conservés des tessons et autres artefacts archéologiques, des animaux naturalisés, une collection de photos, du mobilier traditionnel ouzbèk, des vêtements (habits de derviche et bol à aumône), des instruments de musique ainsi que de la verrerie et de la vaisselle.
Pensant que notre visite était terminée, nous allions repartir lorsque la gardienne nous a invités à nous rendre dans l'autre aile du bâtiment. C'est alors que nous avons compris que nous étions dans une ancienne maison juive. C’était la maison d'Abraham Kolontarov de Boukhara, un riche bienfaiteur et donateur de la communauté. L'intérieur était magnifique et comprenait une petite synagogue privée avec sa tribune à l’étage et ses sculptures en ganch (genre de staff, plâtre polychrome façon ouzbèke) mais qui n'était plus ouverte au culte. C'était en fait un autre musée consacré à l'histoire des Juifs de Samarcande voire d'Ouzbékistan en général. Etaient exposés des vêtements traditionnels, des objets de culte dont des tefillines, des instruments de circoncision, de la vaisselle de shabbat ainsi que plusieurs rouleaux. Chaque salle était équipée d'un énorme poêle russe émaillé.
Pour l'anecdote, Kolontarov aurait bien aimé recevoir le Tsar de Russie dans sa maison mais à la place, on y accueillit plus tard le Comité central du Parti communiste ouzbek de 1925 à 1930...
En repartant, il nous restait à voir la synagogue principale à l'opposé du musée où nous étions. La synagogue Goumbaz, c'est son nom, se faisait encore plus discrète, cachée au coeur de la vieille ville, non loin des fameux monuments (Registan, Chah-i-Zinda, mausolée de Bibi Khanum), en contrebas du cimetière. Cette synagogue a été construite en 1891 par le même Abraham Kolontarov. A l'époque, la communauté comptait de 20 000 à 30 000 membres contre 250 aujourd'hui. Par chance, nous avons profité d'un groupe d'Américains qui visitait l'endroit afin d'y entrer sinon il fallait téléphoner à l’avance pour prendre un rendez-vous, le lieu n’étant pas ouvert en permanence.
Dans ce même quartier, il existe également une curiosité étonnante que l'on peut visiter et qui nous relie assez directement à la présence très ancienne des Juifs au sein l'Empire perse au même titre que le Livre d'Esther. Il s'agit du tombeau du prophète Daniel, le Daniel de la fosse aux lions. Timur (Tamerlan) aurait fait rapporter son corps depuis Suze, la ville du Khûzistân, province de l'Iran actuel où ce personnage serait décédé.
La curiosité de ce tombeau réside dans le fait qu'il mesure 18 mètres de long car le corps du défunt grandirait de 2,5 cm par an ! Aussi la taille du sarcophage doit-elle être réajustée de siècle en siècle. Pourtant, un autre Daniel repose dans une châsse somptueuse au sein d'un mausolée tout aussi somptueux à Suze mais ce dernier, par contre, a terminé une bonne fois pour toutes, sa croissance pour l'éternité... Mais qui est l'avatar de l'autre?
Ce tombeau est vénéré conjointement par les pèlerins des trois religions. Lors de notre visite, sous le préau de la cour, un imam psalmodiait des versets du Coran entouré de quelques fidèles recueillis.