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Dernière mise à jour
28-Jan-2025
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Le cyclone intense Chido a traversé l’île de Mayotte, samedi 14 décembre, avec des vents dévastateurs. L’œil du cyclone a abordé le nord de la Grande-Terre vers 11 h, samedi, au niveau de la ville de Bandraboua pour ressortir environ 30 minutes après vers la ville d'Acoua sur la côte nord-ouest. Le mur de l’œil a concerné la Petite-Terre ainsi que les régions nord et centre de la Grande-Terre.
Sur l’ensemble du territoire, les rafales observées ont dépassé les 180 km/h voire plus de 200 km/h dans le mur de l'œil du cyclone. On a relevé dans le mur de l’œil 226 km/h à Pamandzi et 194 km/h avant rupture de la réception des données à Coconi.
Des rafales approchant 250 km/h ont pu être atteintes sur le nord de Petite-Terre et la moitié Nord de Grande-Terre, concernées par le passage du mur de l’œil, qui est la zone théorique des vents maximaux.
Les rafales ont dépassé les :
Cela témoigne de la compacité et de la vitesse de déplacement rapide du cyclone.
Le cumul de pluie le plus élevé sur la durée de l’épisode est de 176,4 mm relevé à la station de Vahibé dans les hauts de Mamoudzou.
Le réseau de mesures de Météo-France a souffert des conditions cycloniques et bon nombre de données n’ont plus été transmises à l’approche du mur de l’œil.
Les cumuls de précipitations sont estimés à 176 mm en 12 heures, les pluviomètres ayant cessé d’envoyer des données.
Une dégradation de l'état de la mer a été observée avec des vagues moyennes de 5 m 30 et des hauteurs maximales de 9 m 30 en dehors du lagon au nord-ouest de l’île.
Une zone de basses pressions a été détectée dans la nuit du 5 au 6 décembre sur l’est du bassin.
Dans la nuit du 9 au 10 décembre, Chido a atteint le stade de tempête tropicale. Profitant d’un environnement océanique favorable avec des températures de surface proches de 30 °C et des eaux chaudes très profondes ainsi que d’un cisaillement en baisse, il s’est alors intensifié rapidement, ravageant l’île d'Agaléga en tant que cyclone tropical intense moins de 48 h plus tard. Chido s’est déplacé rapidement vers l’ouest en suivant une trajectoire peu fréquente et extrêmement défavorable pour Mayotte, qui l’a fait contourner Madagascar par le nord, puis se diriger droit vers l’île aux parfums. Dès les premières heures du 14 décembre, il a abordé Mayotte au stade de cyclone tropical intense.
La trajectoire, la chronologie et l'intensité du cyclone tropical intense Chido ont été conformes aux prévisions établies par Météo-France.
Depuis le lundi 9 décembre, soit 4 jours et demi avant l’arrivée du cyclone, les prévisions de Météo-France, chargé de la surveillance cyclonique sur le bassin, font état d’un passage “dans le secteur” de Mayotte. Le jeudi 12 décembre un peu plus de 54 h avant le passage de l’œil sur Mayotte, toutes les prévisions ont ciblé le nord-ouest de Grande-Terre, ce qui s’est avéré être le scénario final.
Les éléments fournis par Météo-France aux pouvoirs publics ont permis de déclencher la pré-alerte cyclonique le mercredi 11 décembre à 15 heures locales puis l’alerte cyclonique orange à 7 heures le vendredi 13 décembre. L’alerte rouge a été déclenchée à compter de 22 heures. L’alerte cyclonique violette a été déclenchée samedi 14 décembre à 7 heures.
Le cyclone Chido est un épisode exceptionnel pour Mayotte en termes d’impact, bien supérieur à Kamisy (avril 1984) qui était la dernière référence cyclonique à Mayotte. Il faut probablement remonter au cyclone du 18 février 1934 pour retrouver un impact aussi violent sur le département
Le caractère exceptionnel de Chido tient surtout à sa trajectoire d’est en ouest lui permettant de contourner Madagascar par le nord. En termes d’intensité, on observe en moyenne trois phénomènes par an d'intensité équivalente à celle de Chido sur le bassin.
Les impacts de Chido sont avant tout la conséquence de sa trajectoire et de son passage sur l’île de Mayotte. Il s’agit d’un événement très rare pour Mayotte (dernier événement comparable il y a quatre-vingt-dix ans). L’état actuel des connaissances ne permet pas de conclure que le changement climatique ait rendu ce type de trajectoire plus ou moins fréquente. On ne peut pas non plus affirmer, en l’état actuel des connaissances, que le changement climatique a favorisé cet événement, ni qu’il l’a rendu plus intense.
Les simulations du climat pour le XXIe siècle du sixième rapport du GIEC indiquent que la violence des cyclones augmente sous l’effet du changement climatique. Leur intensité moyenne est attendue d’augmenter de 5 % et la proportion de cyclones très intenses (i.e. le rapport du nombre de cyclones de catégorie 4 et 5 au nombre total de cyclones) devrait augmenter de 14 %. Quant aux pluies cycloniques, une robuste tendance indique une augmentation de près de 12 % pour un réchauffement global de 2 °C.
Publié: 17 décembre 2024, 16:32 CET
sur The Conversation par Clémentine Lehuger Docteure en science politique, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Samedi 14 décembre, un cyclone est passé sur l’île de Mayotte, département français de l’océan Indien. Habitations, bâtiments publics, réseau d’eau, aéroport, hôpital, routes : rien n’a résisté aux vents qui ont dépassé les 200 km/h. Les images de quartiers entièrement détruits font craindre des pertes humaines particulièrement lourdes. Cette crise majeure se déroule sur un territoire qui, bien avant le passage de Chido, accumulait de nombreuses vulnérabilités et de lourdes défaillances de l'État.
À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national et le niveau de vie médian est six fois plus faible qu’en métropole (260 euros par mois). Si la départementalisation (2011) a porté l’espoir d’un développement économique et social pour la population mahoraise, fortement mobilisée pour le maintien de l’île dans le giron français, le département le plus pauvre de France a vu ses attentes déçues.
Depuis une dizaine d’années, Mayotte a connu une succession de crises graves concernant l’eau, l'accès aux soins, la sécurité, les migrations ou encore le logement. Ces crises ont mis en lumière des vulnérabilités qui ne sont pas sans lien avec l'impact matériel et humain provoqué par le cyclone Chido. Ainsi, une importante partie de la population mahoraise n’a pas été en mesure de se protéger - ou n'a pas été protégée - alors que l’événement était parfaitement anticipé par Météo France qui a déclenché une alerte pré-cyclonique plusieurs jours avant l’impact.
La question des logements précaires et de leur gestion par l'État français est au coeur du sujet. À Mayotte, plus d’un quart de la population vit dans des habitations précaires, principalement construites en tôle (appelés localement bangas). Or ces habitats, très peuplés, ont été « entièrement détruits » selon les autorités. Si certaines constructions en dur ont subi de forts dommages, il ne fait aucun doute que les populations des bidonvilles sont les premières victimes de Chido.
Les étrangers sont surreprésentés dans les bidonvilles (65 % de la population des bangas) mais les personnes en situation irrégulière, notamment comoriennes, ne sont pas les seules à y vivre. Des personnes étrangères bénéficiant d’une autorisation de séjour et des familles mahoraises pauvres qui n’ont pas accès à des logements décents y vivent également.
En 2022, 300 000 personnes vivaient à Mayotte dont la moitié étaient des étrangers. Une politique migratoire et sécuritaire de plus en plus répressive a été menée contre les migrants a accentué la précarisation de populations déjà marginalisées. Ainsi, les opérations de « décasages » (destruction des cases) ont poussé les plus pauvres à reconstruire des bidonvilles plus éloignés des centres urbains, sur des terrains toujours plus dangereux, avec des risques accrus.
À lire aussi : L’opération « Wuambushu », symptôme d’un État « bricolé » à Mayotte
On peut mentionner la très médiatique opération Wuambushu, voulue par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin en avril 2023. Présentée comme une politique de lutte contre l’insécurité, l’habitat insalubre et l’immigration clandestine, elle a mobilisé plus de 1 800 agents des forces de l’ordre et abouti à la destruction de 700 habitations en tôle. Selon les autorités, 60 % des familles auraient reçu une proposition de relogement, mais pour une durée de trois mois, et parfois éloigné des habitations d’origine – aboutissant à un grand nombre de refus. De nombreuses expulsions d’étrangers, notamment comoriens, ont accompagné ces destructions – avec 22 000 reconduites à la frontière en 2023.
Du 2 au 11 décembre 2024, quelques semaines avant l’arrivée du cyclone, une nouvelle opération de destruction d’habitations précaires menée par l’État visait à démanteler le bidonville de Mavadzani, à Koungou. La plupart des habitants sont demeurés sans solution de relogement et beaucoup sont allés grossir les rangs d’autres quartiers précaires. Ainsi, sur 2 000 habitants, 236 familles ont reçu une proposition de relogement des services sociaux pour trois mois. Or seules 52 familles, en situation régulière, ont accepté. « La plupart refusent ces propositions car le nouveau logement, disponible pour trois mois maximum la plupart du temps, se trouve trop loin de l’école. Cela les oblige à déscolariser les enfants, c’est inconcevable pour eux », expliquait alors un responsable de la Ligue des Droits de l’Homme.
Aujourd’hui, on peut faire l’hypothèse que la politique de lutte contre les clandestins a contribué à fragiliser une partie de la population en l’excluant des dispositifs de mise à l’abri prévus avant le passage de Chido. En effet, si le déclenchement de l’alerte cyclonique s’est accompagné d'une mise à disposition de lieux sûrs, la crainte d’une arrestation et d’une reconduite à la frontière a probablement dissuadé les migrants sans titres de séjour d’accéder à ces centres. Les autorités locales ont recensé 10 000 personnes réfugiées dans les hébergements d’urgence mais on peut se demander où sont passées les 90 000 personnes qui vivaient dans des bidonvilles désormais réduits à néant ?
Mes recherches en cours sur la gestion du Covid et la crise de l’eau à Mayotte avaient déjà permis de relever ces mécanismes d’exclusion des précaires des dispositifs d’urgence. Plusieurs acteurs associatifs et membres de services sanitaires avaient alors fait part de leurs difficultés à mettre en oeuvre une gestion de crise sur un territoire où une grande partie de la population craignait les autorités publiques.
L’idée selon laquelle les populations les plus précaires seraient injustement favorisées par l’État durant les crises est tenace à Mayotte : elle suscite des tensions croissantes au sein de la société mahoraise. Ces dernières années, la montée des discours anti-migrants, notamment politiques, a été spectaculaire, tout comme la progression du Rassemblement national. Marine Le Pen a recueilli 42,68 % des suffrages en 2022 alors qu’elle ne recueillait que 2,77 % en 2012. Cette évolution est à mettre en perspective avec les difficultés d’accès aux services publics qui alimentent les discours stigmatisants envers l’immigration.
En 2023, la crise de l’eau (avec un arrêt de la distribution d’eau potable pendant plusieurs jours consécutifs) avait réactivé ces tensions. Lors de mon enquête, les acteurs associatifs et les autorités sanitaires m’avaient rapporté une polémique autour de l’installation des rampes d’eau qui illustre bien la problématique de l’exclusion des populations immigrées des services publics. Alors que plus de 60 % des personnes vivant dans des maisons en tôle n’ont pas d’accès à l’eau potable, les autorités sanitaires avaient préconisé l’installation de points d’eau aux abords des bidonvilles afin de limiter la propagation du virus. Dans un contexte de rareté des ressources naturelles et étatiques, cette décision avait soulevé le mécontentement d’une partie de la population mahoraise, entraînant le refus des maires d'installer ces dispositifs.
Aujourd’hui, dans l’hexagone, des voix s’élèvent sur les réseaux sociaux et dans les médias pour pointer du doigt les migrants à Mayotte, comme si les migrants étaient, au fond, responsables du drame dont ils sont les premières victimes. À grand renfort de raccourcis, des « experts » autoproclamés véhiculent des représentations stéréotypées d’un territoire mal connu, projeté sous les feux médiatiques par une immense tragédie. Cette instrumentalisation occulte les problèmes posés par des années de politiques publiques défaillantes, et en premier lieu, par les opérations de délogement qui ont fragilisé les populations les plus vulnérables.