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Dernière mise à jour
03-Aoû-2025
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Je rentre de quinze jours à Ostheim, où nous avions loué un appartement avenue de la Gare. Ostheim est un bourg de la grande banlieue de Colmar. C'est un village de plaine, peu touristique car il a été détruit pendant la seconde guerre mondiale, mais tout près de Ribeauvillé, tout près des Vosges et du vignoble.
Je connais bien l'Alsace, c'est le pays de mes ancêtres, et surtout, j'y ai habité dans mon enfance, et j'y suis retourné souvent pendant mon adolescence. Et la région a bien changé depuis cette époque.
Le plus frappant, c'est la transformation des villes et villages du vignoble en petits musées. Eguisheim, Turckheim, Kaysersberg, Colmar. Les vieilles maisons à colombage étaient crépies, sans couleur, et aujourd'hui, on a l'impression parfois de se promener dans un Disneyland.
Ce qui m'a beaucoup marqué, cette année, c'est la multiplication des cigognes, on en trouve sur bien des bâtiments, y compris sur le château d'eau d'Ostheim.
Nous avons passé une journée à l'Écomusée d'Alsace entre Mulhouse et Colmar, il s'agit d'un village reconstitué à partir de maisons alsaciennes démontées poutre par poutre et remontées à l'identique. Il y a l'épicerie, l'école où des musiciens jouaient une rengaine soporifique, et même la maison juive. Dans cette maison on a exposé divers objets familiers, dont cette "mappa", bande de tissus cousus les uns aux autres. La mappa était généralement brodée, ici elle a été peinte. Les garçons âgés de trois ans apportaient leur « Mappa » pour entourer les rouleaux de la torah. Ainsi la famille remerciait le ciel pour avoir permis au bambin de vivre pendant ses trois premières années. A l'époque la mortalité infantile était redoutable. Ce tissu était le lange du petit lors de sa circoncision, que l'on nomme "Brith Milah" en hébreu => alliance de la circoncision. Il y a un symbole, entre l'alliance du peuple Juif avec la torah, et l'alliance avec Dieu avec la circoncision. En hébreu, sur la mappa, il et écrit " Torah, 'Houpah "=> La Loi et le dais nuptial.
Ici, vous avez l'école, et deux musiciens nous ont accueilli avec leur accordéon, reconnaissons qu'avec une musique aussi rythmée, il est probable, que les petits écoliers ont pu profiter d'une sieste bien méritée.
Sur cette grande maison de l'Écomusée, vous remarquerez sur le toit, à gauche, une cigogne.
Les enseigne devant les vitrines étaient très importantes dans les siècles passés, les plus anciennes remontent au XVI ou au XVIIème siècle. Mais la plupart que nous voyons sont contemporaines. Les plus gaies ont souvent été réalisées par Hansi, qui à l'époque allemande, a été un illustrateur patriote français.
Cette enseigne de Riquewihr montre un joyeux buveur de vin, et une étoile à six branches. La même étoile figure sur la bouteille. Hansi se serait-il trompé, aurait-il oublié la kippa sur la tête du buveur ?
Et bien non ! ! l'étoile à six branches était le symbole des brasseurs. Or notre brave homme ne semble pas boire de la bière, mais du bon vin. Toutefois, cette enseigne fait honneur à la Bourgogne, en effet on peut y trouver quatre escargots très dynamiques. Saurez-vous les trouver ?
Nous avons vu la bibliothèque humaniste de Sélestat, un beau monument, et une bibliothèque extraordinaire du XVIème siècle, avec beaucoup d'incunables. Nous espérions y voir des enluminures, mais là ce fut la déception, on nous a montré beaucoup de livres vénérables écrits en allemand. Avec plein d'explications sur les divers écritures, la Caroline écriture chérie de Charlemagne, qui a été utilisée pendant des siècles, avant que le gothique nous impose un alphabet que les ignares comme moi ont un mal de chien à déchiffrer.
J'y ai vu un ouvrage de droit canon datant de 1471 écrit en latin. On peut remarquer que cette présentation est classique dans les ouvrages du Talmud, où le texte essentiel est au milieu de la page, et les commentaires tout autour.
Mais ce qui m'a choqué à Sélestat, c'est autre chose, la ville était pavoisée d'un étrange drapeau :
Il ne s'agit pas du drapeau polonais, car le rouge est en haut, mais d'un drapeau alsacien, totalement inexistant lors de mon enfance. La ville était pavoisée officiellement le 15 juillet, probablement à l'occasion de la fête du 14 juillet. J'y ai vu une provocation des régionalistes alsaciens.
Le Conseil Régional a refusé de voir le blason "Grand Est" sur les plaque d'immatriculation, et a fait figurer son logo, qui évoque le coeur, le A d'Alsace, et le Bretzel. A noter, c'est écrit en français et en alsacien.
Les noms des villages et bourgs d'Alsace sur les panneaux sont écrits en français et en alsacien. Hommage à une langue en voie de disparition. Très peu de personnes s'expriment quotidiennement en alsacien aujourd'hui, alors qu'ils étaient la majorité, dans mon enfance quand j'habitais Colmar.
Turckheim est une petite ville de la banlieue de Colmar, et c'est à Turckheim que le Général Turenne, sous Louis XIV a culbuté les soldats germaniques, ce qui a permis la conquête de l'Alsace.
C'est là que nous avons fait une rencontre extraordinaire, en la personne de Guy Untereiner, qui nous a parlé avec un accent inimitable de son amour pour l'Alsace rurale. Il rêvait de retour à la fraternité supposée dans le monde rural ancien entre les juifs qui habitaient tous les villages, et leurs concitoyens catholiques et protestants. Son rêve est de mettre une menorah sous le sapin de Noël. En attendant, il peint à la gouache des motifs alsaciens, il a même réalisé des tissus pour Hermès, et il réalise des tableaux originaux. On lui a commandé la confection d'une "mappa", et l'illustration d'un livre des psaumes en hébreu.
Nous avons aussi beaucoup apprécié Eguisheim, on y voit des tuiles vernissées, comme en Bourgogne, et sur le toit du Château des comtes, et il y a deux nids de cigognes habités.
Dans cette petite ville tout près de Colmar, on a admiré une exposition de tableaux en marqueterie à l'intérieur d'un café.
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Le Samedi matin, je suis allé à la synagogue de Colmar, l'office avait lieu dans l'oratoire, car en juillet, il y avait déjà des gens en vacances. Un beau minian, (Majorité de dix fidèles nécessaire pour célébrer un office public). Il y avait plus de vingt personnes de tous âges, dans une salle magnifique qui pouvait en contenir deux ou trois fois plus.
La prière a été célébrée comme il se doit selon le rite Ashkénaze, (rite allemand) mais ce qui m'a le plus surpris ce fut la prière pour la République. D'abord elle a été récitée avec une ferveur particulière, qui dénotait par rapport aux autres textes. Puis son contenu était original.
Traditionnellement, l'officiant dit "Que les rayons de Ta lumière éclairent ceux qui président aux destinées de l’Etat et qui font régner dans notre pays l’ordre et la justice. " mais à Colmar on change la fin du texte, et on dit « ... Et qui font régner dans notre pays l'ordre et surtout la justice »
D'habitude, on fait une bénédiction à part pour l'État d'Israël qui est une adaptation francophone de la prière qui est récitée en Israël. Mais à Colmar, on a ajouté un paragraphe à la prière pour la République dont j'ai retenu ceci :
« Maître du monde, béni Israël, son peuple, ses rabbins, et ses dirigeants » on remarquera l'ordre d'importance, et la prière se termine par cette formule digne d'un prophète :
« Israël sera sauvé par la justice, et ceux qui reviennent à lui par l'équité » (*)
Après la prière, il y a eu un "kiddouch", comprendre un apéro ! et je me suis entretenu avec des membres de la communauté, on m'a dit que ce texte serait dû au Grand Rabbin Fuchs, qui était en fonction dans mon enfance à Colmar.
Ce texte prémonitoire m'est allé directement au coeur, et j'ai prié de tout coeur pour que ceci arrive bientôt de nos jours.
Michel Lévy et Édith pour la plupart des photos.
Note :
(*) La phrase citée est d'Isaie, chapitre 1 verset 27 qui affirme que le salut viendra de la bonne conduite du peuple .
Tous les samedi matins, à la synagogue, le rabbin lit une fraction des cinq livres de Moïse, c'est ce que nous appelons la "paracha". Dans des temps de persécutions, on avait interdit cette pratique. Les rabbins de l'époque avaient alors fixé un passage d'un autre livre de la bible évoquant la lecture traditionnelle, c'est la haftara, qu'un fidèle cantile après que le rabbin ait lu la paracha.
"Israël sera sauvé par la justice... " est la conclusion de la haftara qui est lue à l'époque du 9 Ab, période de jeune et de tristesse qui évoque la destruction des temples de Jérusalem, selon la tradition, le premier temple a été détruit car les juifs avaient abandonné la torah, et se second en raison de la haine gratuite.
Les traductions de ce passages sont très variées,
.צִיּוֹן בְּמִשְׁפָּט תִּפָּדֶה וְשָׁבֶיהָ בִּצְדָקָה
27 Sion sera rachetée de sa faute par les ceux qui appliquent la justice, et son peuple pénitent sera racheté par ceux de lui qui servent l’intégrité” ». source Habad
27 Sion sera sauvé par la justice, et ses pénitents par la vertu. Traduction du Rabbinat
27 Sion sera sauvée par la droiture, Et ceux qui s'y convertiront seront sauvés par la justice. Bible chrétienne de Louis Segond
27 Sion sera rachetee par le jugement, et les siens qui reviennent, par la justice
bible Darby
Le texte de Colmar remplace Sion par Israël, vision sioniste des choses.
Tipadéh => תִּפָּדֶה veut dire être sauvé ou racheté.
Le mot qui pose le plus de problème est שָׁבֶיהָ chavéa de la racine שוב (chouv) retourner.
Traditionnellement, on dit "faire téchouva" pour dire retourner à la pratique religieuse.
Mais dans le texte de la prière de Colmar, écrite en français, le grand rabbin Fuchs, si c'est bien lui l'auteur, a joué volontairement sur l'ambiguïté du mot. Ceux qui retournent à Sion, peuvent être les émigrants, ceux qui font leur Alya, et aussi aussi ceux qui retournent à l'âme d'Israël, celle du juif qui est en lui.
Je pense à la phrase de la litturgie si importante dans le judaïsme : "Écoute Israël" . La traduction de Colmar actualise le soucis moral, et le place dans un monde contemporain.
Je ne partage pas la traduction de Louis Segond, la techouva peut être une pénitence, vu qu'il y a retour vers le mieux, mais pas une conversion. On ne change pas, on redevient ce qu'on aurait jamais du cesser d'être. Par contre je pense qu'il a raison de traduire "tsedaka" par justice, en hébreu courant tsedaka veut dire bienfaisance, charité, mais la racine est bien tsédek, juste. C'est justice de faire la tsedaka. Le mot équité de la prière de Colmar n'est pas mauvais non plus.