Mivy décoiffe, car il est fait par un chauve

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Dernière mise à jour 15-Sep-2025
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Peuple de l'interprétation du livre

"Les racines de l'Occident sont bibliques, c'est-à-dire d'abord juives : c'est en effet la Torah qui, à travers le christianisme, lui a fourni ses principales valeurs. Dans cette synthèse de l'Univers hébraïque, Armand Abécassis remet en cause la conception du progrès linéaire et dialectique de l'histoire intellectuelle de l'Occident, selon laquelle le judaïsme aurait dépassé le polythéisme, le christianisme aurait absorbé et transcendé le judaïsme, la crise du christianisme aurait donné naissance à l'humanisme, et ainsi de suite.

À partir du monothéisme biblique, il s'attache à montrer, au contraire, que ce qui se manifeste à la fin est toujours donné à l'origine. Sur le plan de l'interprétation des textes bibliques et sur le plan du contenu et des idées, le dialogue entre la spiritualité hébraïque et l'histoire païenne n'a jamais cessé.

Habité par sa tradition et fasciné par le regard que les autres ont porté sur elle, Armand Abécassis se montre avant tout soucieux, au long de cette ample réflexion, de mettre de l'ordre dans le savoir et de ramener l'ensemble de la culture occidentale vers le Livre."

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https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/talmudiques/le-peuple-de-l-interpretation-du-livre-3726566

Interview d'Armand Abécassis

Armand Abécassis, né au Maroc en 1933, est écrivain et professeur émérite de philosophie générale et comparée à l'Université Michel de Montaigne, Bordeaux III. Docteur d'Etat, certifié en langues sémitiques ainsi qu’en langue arabe, il a reçu le prix de l'Académie des sciences morales et politiques pour son œuvre sur La Pensée juive (4 volumes). Ses écrits et ses enseignements cherchent à établir un dialogue entre le judaïsme, la philosophie, l'histoire et les sciences humaines, de même qu'entre judaïsme et christianisme. Titulaire des Palmes académiques, il a reçu le Prix de l’Amitié judéo-chrétienne en 2009. Il est directeur des études juives de l'AIU.

Présentation par Marc Alain Ouaknin

Si la majorité des chercheurs s'accordent aujourd'hui pour dire que la phrase de Malraux « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas » est une phrase apocryphe, nous assistons cependant sans aucun doute à un retour d'un besoin de religieux ou de manière peut-être plus juste d'un besoin d'imaginaire et de transcendance.

Mais la transcendance, c'est quelque chose qui nous dépasse et qui permet aussi de nous dépasser, c'est un concept et une réalité complexe et fragile qui peut tomber dans les pièges de dérive, torsion, détournement, voir de perversion. Il faut beaucoup de patience, d'études et de recherches pour déjouer ces pièges.

Le rôle des enseignants, des philosophes, des penseurs et des romanciers n'est-il pas dès lors de nous conduire dans les méandres subtils des mots et des concepts, de leur histoire et de leurs références ? « Référence » est sans doute le terme essentiel, car tous ces concepts sont souvent exhibés au nom de tel ou tel livre dit sacré ou révélé, référence faisant office de preuve, acceptée comme vérité suffisante, alors que les dits ouvrages n'ont jamais été lus ou très peu par ceux qui s'en prévalent.

Le retour du religieux doit ainsi s'accompagner d'un retour au livre, à la lecture et aux outils de lecture permettant une compréhension critique des textes, des faits, des idéologies violentes et mortifères dont nous connaissons que trop malheureusement les effets dévastateurs. C'est cette question de la lecture que le judaïsme a mis au cœur de ses préoccupations et qui constitue peut-être le cœur et le socle métaphysique de sa culture

Nous sommes dans un temps étonnant, où il n'y a plus besoin d'autodafé pour que les livres ne soient pas lus, et où d'autres livres, qui par leur toxicité ne devraient plus être proposés à la lecture, sont réédités sous le label « édition critique », comme si des notes en bas de page atténuaient la haine portée par les mots pris en otage du mal et de ceux qui le propagent. Nous avons l'effrayante responsabilité d'une lecture bien faite, d'une lecture honnête, écrivait Peggy, citée par George Steiner, qui commentait « en dépend la survie de la littérature ». Et je pense ne pas me tromper en disant que l'on peut ajouter « en dépend la survie même de notre monde ».

Ainsi, nous avons besoin, pour nous éclairer sur le chemin de la vie, non de maîtres à penser, mais de maîtres de lecture. Et c'est l'un de ces maîtres que j'ai le plaisir et l'honneur de recevoir aujourd'hui dans Talmudiques.

Armand Abécassis, bonjour. Auteur d'une œuvre considérable qui porte sur la Bible, le Midrash, le Talmud, la mystique et la philosophie, vous êtes aussi très engagé dans le dialogue fécond entre judaïsme et christianisme qui vous a valu le prix des amitiés judéo-chrétiennes en 2009.

C'est bien la question de la lecture qui est au centre de votre œuvre, et je crois que pour l'aborder plus en détail, nous pourrions commencer par une distinction que vous faites, et qui poursuit une réflexion déjà entamée par Lévinas, la distinction entre sacré et sainteté.

Armand Abécassis

Distinction entre sacré et sainteté.

Oui, c'est une distinction fondamentale. La notion de sacré, je l'ai dit très rapidement, mais il faut l'expliciter, la notion de sacré appartient à un univers qui est l'univers païen. Or, l'univers que connaît la Torah, c'est l'univers païen. Elle ne connaît pas les univers que nous connaissons aujourd'hui. Il faut la replacer dans son contexte, et donc, tout ce qui est écrit dans la Torah ne peut être compris que comme une réaction à des mœurs, des coutumes, des visions du monde, des rituels qui sont païens.

Donc, si on ne connaît pas cela, on réduit la Torah à des questions de petite morale à quatre sous. Je m'excuse de le dire comme cela, c'est parce que c'est la réalité.

Et donc le sacré, est aux antipodes du principe fondamental de ce qu'on appelle la révélation, c'est-à-dire la transcendance. Le païen ne connaît pas la transcendance.

Que veut dire ne pas connaître la transcendance ?

À partir du moment où je me pose la question de savoir quel sens je vais donner à ma destinée, alors disons le en langage moral, éthique :

Et je n'ai pas le choix, ou plutôt le seul choix, la seule alternative que j'ai, c'est soit demander au monde qu'il me dise ce qu'il faut que je fasse, soit alors demander ailleurs. Alors le problème, c'est cet ailleurs.

Mais peu importe, avant de répondre à la question de c'est ailleurs, savoir qu'il faut sortir du paganisme. Le païen demande au monde ce qu'il faut qu'il fasse, et puis l'homme est un être du monde, comme le dit le premier chapitre de la Torah, Dieu n'a pas pris la poussière de la terre.

Si vous voulez, il a attendu que le monde lui prépare un corps bien développé, avec tout ce système nerveux, digestif, etc., pour souffler son âme, c'est-à-dire ce qui distingue l'homme de l'animal et du monde.

C'est-à-dire finalement la transcendance de nouveau.

Eh bien, le païen, en demandant à ce qui est ce qu'il doit être, ne comprend pas que ce qui doit être ne peut pas être tiré de ce qui est. Et pourtant, l'homme a un corps et ce qu'il y a, c'est qu'il faut que je digère, qu'il faut que je me repose, qu'il faut que je travaille, qu'il faut que je respire, qu'il faut que je vois, qu'il faut que j'entende, etc.

Mais le problème, c'est le sens qu'il faut donner à cela.

Par exemple, je dirais que le marxisme est un paganisme puisqu'il demande à ce qui est. Ce qui doit être, mais seulement pour lui, ce qui est, c'est l'histoire, c'est le système économique, tous les problèmes de l'homme viennent du système digestif, et comment l'organiser ?

Eh bien, je dis que le marxisme est du paganisme, puisqu'il demande à ce qui est, même si c'est l'histoire, aussi par exemple sur le plan de la biologie, me dire que je suis déterminé, pas conditionné, mais déterminé par mon programme génétique, je suis païen.

On peut aller même jusqu'à une certaine forme de psychanalyse, et dire que je suis déterminé par cet autre qui est en moi et qui travaille selon ses structures et ses visées et qu'il me vole ma bouche, mes yeux, mon regard, mon sentiment, ma parole pour me faire porter ce qu'il veut que je porte.

Dans ce sens-là, ce n'est pas exactement ça la psychanalyse, mais il y en a qui la comprennent comme cela. Je dis alors dans ce moment-là, cette forme de psychanalyse, c'est du paganisme. Ça veut dire que le paganisme, on n'en sortira jamais 7'23

Et le problème, c'est comment lutter contre l'aspect naturel, l'aspect, comme nous disons nous les philosophes, l'aspect de l'être, pour lui ajouter quelque chose qu'il ne peut pas produire par lui-même et qu'il ne peut pas me donner ?

Le monde du sacré n'est pas celui de la sainteté, du divin

On n'est plus dans le monde du sacré de l'être, on passe dans le monde de ce qui doit être, ce que nous appelons nous, les juifs, les chrétiens aussi, les musulmans, le monde non pas du sacré, mais le monde du divin, c'est-à-dire le monde de la sanctification.

Quand on parle de Kedusha, sanctification, il s'agit de l'univers éthique, pas de l'univers de ce qui est. Donc il ne faut plus dire que Kedusha c'est sacré, mais beaucoup le disent. Mais c'est la sainteté et la sainteté, concrètement, cela signifie le monde divin, et pour nous, le monde divin, ça signifie l'univers des valeurs morales.

Marc-Alain Ouaknin

L'univers des valeurs morales, mais aussi l'univers du livre. Parce que si, comme vous le dites, le sacré païen est immanent à l'homme lui-même, il le trouve en lui-même.

La transcendance, il va la trouver ailleurs. Et cet ailleurs premier, c'est le livre et vous écrivez « Le peuple juif » n'est pas le peuple du livre mais le peuple des interprétations du livre et le Talmud est le lieu de la mise en jeu de ces interprétations. Cette phrase l'une de vos préférées et que je cite très souvent en votre nom insiste sur le fait que lire c'est déjà interpréter, interpréter qui ne consiste pas, ajoutez-vous à chercher le sens mais à produire du sens et essentiellement peut-être grâce à la langue hébraïque.Mais en même temps, quand je suis en train de dire cela, je me pose une question par rapport à ce que vous venez de dire précédemment, parce que si interpréter, c'est produire du sens, mais c'est le produire à partir de lui-même, il y aurait une forme païenne de l'interprétation.Alors, quelle est la forme transcendante de l'interprétation, Armand Abécassis ?

Armand Abécassis

Que veut-dire Transmettre ?

Oui, il faut que ce sens, lui, soit absolument nouveau. Il y a un danger, je le dis aussi, parce qu'il faut le dire aujourd'hui dans l'état du judaïsme et de la manière dont on comprend la transmission, en respectant ceux qui transmettent.

Le problème, c'est que ceux qui transmettent doivent comprendre ce que veut dire transmettre, et surtout, qu'est-ce qu'on transmet concrètement ?

J'enseigne le thème de mathématiques aux élèves, je ne sais pas comment ça se passe aujourd'hui, quatrième, cinquième, etc. Bon, est-ce que simplement pour qu'ils apprennent à démontrer le thème de Pythagore ? Ou ce n'est qu'un prétexte pour moi de former une forme de pensée ?

Et donc le professeur de mathématiques ne transmet pas les mathématiques. Il transmet une manière de penser qui permet la relation à l'autre, la clarté, la lucidité, la rigueur. De même pour le professeur d'histoire, de même pour le professeur de toutes les matières.

C'est en cela que consiste la transmission. Donc il faut comprendre ce principe fondamental que l'univers de l'homme, c'est Ankelos, la première traduction araméenne de la Torah qui se demande comment définir l'homme et puis il emprunte la formule au grec parce qu'elle existe déjà mais l'emprunt n'est pas interdit, c'est l'esprit dans lequel on fait l'emprunt qui en quoi consiste précisément la création du sens il faut perdre un certain nombre de préjugés, de poncifs aussi, parce qu'ils y reviennent dans tous les enseignements, que le sens n'est pas dans le texte.

Oui, le sens n'est pas dans la Torah, pas explicitement.

Il n'y a qu'à lire simplement ceux qui ont l'habitude des midrashim, des interprétations, et du Talmud, ou de tout texte, tout commentaire, quel qu'il soit jusqu'à aujourd'hui, il n'y a qu'à voir comment, quand le Talmud prend un verset de la Bible, il ne le comprend jamais dans le contexte que chercherait l'historien. Et ça ne veut pas dire que l'historien ne fait pas son travail, il faut le respecter sinon, on va raconter du texte n'importe quoi.(11:10)

Qu'est-ce que l'objectivité ?

Il faut que l'historien comprenne qu'on est dans un domaine de l'interprétation qui n'a plus rien à faire avec la méthode historique qui veut chercher l'objectivité.

L'objectivité, n'est pas celle de la science dans la Torah, pour des tas de raisons. L'objectivité dans la science, c'est quand on trouve une théorie scientifique et on détermine la nature d'un objet étudié, le sujet qui étudie cela n'a rien à faire avec cela, il est entièrement en dehors.

Chez nous, c'est le contraire. Dans la lecture, l'objectivité, c'est la subjectivité, sous le double sens du terme. On ne saura jamais comment on est sorti d'Égypte. Et ça ne m'intéresse pas. Ça intéresse l'historien, ce n'est pas mon problème, mais l'historien doit faire son travail. Dire combien il y avait de tribus en Égypte, ou s'ils sont vraiment sortis d'Égypte, s'il n'y a pas de traces, dire que les Hébreux n'ont jamais été en Égypte, c'est son problème, il faut le respecter, c'est sa méthode. Et puis il ne raconte pas n'importe quoi.

Il a une méthode plus ou moins scientifique et il veille à sa rigueur.

Mais ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment les hébreux ont raconté les événement, comme la sortie d'Égypte, le Sinaï, la manne, l'eau, et tout ce que raconte, la Torah. (12:38). Et c'est ça l'objectivité.

L'objectivité, c'est l'objectivité du récit. La manière dont ils choisissent de raconter pour justement ne pas être immanents à l'histoire elle-même. Parce qu'il y aurait peut-être ce côté un peu païen dans l'histoire qui ne se réfère qu'à elle-même.

Pour aller dans une transcendance qu'on pourrait rapprocher ou dire une transcendance littéraire. C'est-à-dire que la littérature est une manière tout à fait singulière de raconter et c'est peut-être dans cette manière singulière de la littérature qu'il y a une transcendance. Et qu'est l'objectivité.

La transmission du sens c'est l'essentiel.

Alors vous parlez de trois lectures, une lecture immédiate, une lecture littérale et une lecture significative. Comment vous les situez ces trois lectures par rapport à ce que vous venez de dire, Armand Abécassis ?

Donc la création du sens implique nécessairement que le sens n'est pas dans le texte comme un trésor dans la forêt, et qu'il faut apprendre la psychologie, passer par les obstacles du chemin qui me conduit vers ce trésor, et puis ce trésor, je ne finirai pas à le trouver.

Cela, ça fait, je le dis en tout respect pour les frères chrétiens, ça c'est déjà dans le chemin du christianisme qu'un jour l'homme possèdera le sens, la vérité, la perfection. Ça, ça n'existe pas, ça n'a jamais existé. Abraham n'est qu'Abraham, Moïse n'est que Moïse. Rabbi Akiba n'est que Rabbi Akiba, oui.

Mais seulement, voilà, ce qui n'était pas Rabbi Akiba, c'est pourquoi ils étaient aptes, parfaitement compétents, à transmettre.

Celui qui transmet doit s'effacer derrière ce qu'il transmet, c'est la méthode pour donner le courage à l'autre (14:23) pour qu'il puisse recevoir ce qu'il reçoit, mais pas à la manière dont celui qui lui donne l'a reçu.

Et celui qui transmet doit précisément transmettre de telle manière que l'autre puisse trouver la fenêtre à travers ses multiples interprétations, la fenêtre par où il va entrer dans le texte et l'assumer. Le sens est à créer.

Le sens que Rabbi Akiba trouve dans le texte n'était pas dans le texte, disons-le, n'était pas dans l'esprit de Moïse, n'était pas dans l'esprit de Dieu. Ça choque, Oui, mais c'est ça le judaïsme.

Plusieurs fois, le Talmud dit dans le Midrash que Moïse a appris quelque chose à Dieu. Ça veut dire que notre Dieu à nous a besoin d'apprendre un certain nombre de choses.

Ça remet en question absolument les conceptions que nous avons de celui qu'on appelle Dieu.

Donc, quand j'aborde le texte, j'aborde le transfert d'une expérience qui m'échappera toujours et qui a peut-être échappé même à ce qui était en train de faire l'expérience.

Et je passe dans le monde de l'univers, l'univers de la parole

Alors là, j'entre, je sors de ce qui est ou de ce que je crois avoir été, et j'entre dans le monde du sens, la parole. Et quand j'entre dans le monde du sens, le sens ultime est impossible, donc interdit, si on l'interdit, c'est parce que c'est impossible.

Ce n'est pas de l'arbitraire.

C'est parce que c'est impossible que c'est interdit. Et donc j'entre dans le monde de la parole, c'est-à-dire je change d'univers. C'est absolument un autre univers que l'univers de la parole.

Il y a une réalité physique, matérielle, historique.

Et cette parole, elle est déposée dans le texte.

Ce qu'on me demande dans la lecture du texte, c'est créer du sens, ajouter du sens au texte, savoir ce que ce texte dit pour moi, ou comme le disait Lévinas, solliciter le texte, solliciter le texte, c'est-à-dire le texte ne dit pas ce que je voudrais qu'il dise.

Or, je veux qu'ils disent ce que je voudrais qu'ils disent. Bien sûr, à travers une méthode, à travers un esprit, à travers une fidélité. Donc, il y a une première lecture qui est la lecture fondamentaliste.

Lecture fondamentaliste

La lecture fondamentaliste, puisque nous ne parlons sincèrement pas, et en juif adulte, conscient et responsable, la lecture fondamentaliste, c'est l'idolâtrie du texte.

Il y a une idolâtrie de la Torah. Elle existe, pas simplement chez les autres. Elle existe chez nous aussi.

Il y a un fameux, pour ceux qui s'y intéressent, ils peuvent voir la page de la guemara Sanhedrin, qui parle de la justice et du tribunal en général, aussi réservée à cela. Dans la page à peu près, mais ils vérifieront autour de la page 99,

 

Oui, il y a Rabbi Ishmael ben Elisha, le grand Rabbi Ishmael, l'opposé et l'ami intime de Rabbi Akiva, mais opposé, mais ça ne les empêchait pas d'aller manger les assais des autres et donner leur fille et leur garçon à se marier aussi. Bien sûr, c'était des maîtres, ils savaient ce que cela signifiait, que la transmission ou l'amitié aussi, et Rabbi Ishmael qui dit... avec un verset biblique qui dit qu'"ils ont méprisé ma parole". Et Rabbi Ishmael va nous dire que c'est la lecture fondamentaliste. Et il dit, c'est Avoda zarim.

Il nous enseigne ces choses formidables, Rabbi Ishmael, c'est pas n'importe qui, Rabbi Ishmael, qui a une idolâtrie du texte. C'est l'arbre d'hasard, c'est lire le texte comme il est écrit et croire que c'est cela que je co

comprends de lui qui est dans le texte.

C'est la pire des idolâtries, c'est l'idolâtrie de la Torah.

Deuxième lecture, la lecture littérale.

C'est déjà un premier niveau d'interprétation. La lecture littérale, c'est-à-dire cette manière de lire en restant dans la présence. Par exemple, je trouve un mot là, je ne comprends pas dans le contexte, où il a son contexte. Je vais chercher ailleurs un autre, le même mot dans un autre contexte. Et puis, je vais faire ce qu'on appelle faussement l'analogie.

Et puis, je vais revenir au premier contexte et je vais lui donner le sens qu'il avait dans le premier contexte. Mais je travaille dans la présence. Ça, c'est la lecture littérale.

Donc, ce n'est pas la lecture fondamentaliste

Le pchat, la lecture littérale, c'est déjà une interprétation.

Marc Alain Ouaknin (18:52)

On va y venir. Et donc la troisième lecture, qui est la lecture significative, que vous évoquez ?

Armand Abécassis

Je travaille dans l'absence la plus totale. Ce que je fais dire au texte n'est pas dans le texte. Et c'est ça le judaïsme.

J'aime beaucoup un midrash, mais dans la dernière étape du midrash, je n'arrive pas à trouver et à me rappeler ce que mon rabbin au Maroc me disait.

Il me dit, c'était la préparation de ma bar mitza, il disait, tu vois Noé, la Torah dit qu'il marchait avec Dieu. Tu vois, c'est une religion comme cela, il attend que Dieu fasse un pas et puis il va à côté. Tandis qu'Abraham, il marchait devant Dieu. Il m'a dit, c'est plus courageux.

Oui, mais seulement Abraham, il avançait et il se retournait pour voir si Dieu suivait.

Il me dit, mais Moïse est autre chose. Il avançait et Dieu n'avait pas le choix, il était obligé de suivre.

Marc Alain Ouaknin (21:52)

Armand Bécassis, nous sommes en train d'entendre la petite fugue de Bach que j'ai choisie dans la version de Stokowski 1969, dans un concert présenté par Léonard Weinstein. On y entend les voix qui entrent les unes après les autres et que je sens comme différentes lectures et comme différents niveaux de lecture.

Je pense à ce que la tradition kabbaliste, au-delà des trois lectures que vous venez de nous présenter, appelle le pardes, mot qui signifie paradis et qui est aussi l'acrostige de pshat, remez, drach, sod, sens littéral, allusif, interprétatif et secret ou mystique.

Alors ce qui est intéressant, c'est que chaque commentateur en donne une interprétation différente de ce pardes.

Vous avez écrit des pages remarquables et importantes sur cette question. Quelle est votre interprétation de ce pardesse Armand Abécassis ?

Armand Abécassis :

Oui, c'est les quatre niveaux qu'on vient de dire. Il y a une première lecture, on a dit le pchate, l'autre le remèze, c'est-à-dire par allusion, mais toujours.

Dans la présence ici, pas allusion, mais quand même dans le deuxième niveau, il y a une dimension d'absence, puisque je vais ailleurs par rapport au texte.

Mais quand même, je vais ailleurs, et c'est ailleurs, c'est un lieu, c'est ce texte-là dont j'ai tiré ce mot.

Et puis il y a le drache, l'interprétation, là il y a de l'absence, c'est-à-dire qu'il y a un texte. Et puis j'essaie de voir quel sens je peux inscrire dans ce texte, dans le drache, et puis je vais interpréter, c'est-à-dire je vais m'arranger, voyez la dimension d'absence, pour lire le verset d'une autre manière. Celui qui le dit n'avait pas du tout conscience pour que je puisse précisément créer le sens qui me permet d'entrer dans le texte, dans le verset, dans le mot, par la porte qui me concerne, moi, parce que c'est un problème existentiel.

Ce n'est pas un problème rationnel ou mathématique ou purement philosophique et conceptuel. C'est un problème d'existence.

Il ne faut comprendre. Ce n'est pas parce que j'ai compris par la raison que j'ai compris. C'est ça aussi que les enseignants oublient, une fois qu'on a montré la cohérence d'un enseignement, mais de quoi ça parle ?

Ça parle pour moi, c'est-à-dire en tant que du point de vue existentiel, qu'est-ce que cela signifie pour moi ? Dans un exemple, je prends le monothéisme, Dieu est un, que veut dire que Dieu est un ?

Alors on me dit, sur le plan rationnel, Dieu a créé le monde et puis il a fixé la loi de la nature, c'est très bien ça, je comprends. Et puis il est revenu plus tard au Sinaï, et puis il a dit à l'homme, la loi de la conduite, c'est pas la loi de la nature, c'est la loi transcendante, la loi de la morale, et puis je te charge d'avoir un pied là et un pied là.

C'est très très bien. Mais alors qu'est-ce que ça veut dire cela ? Je veux voir concrètement...

Et bien concrètement, je vois tous les actes du juif monothéiste ou du chrétien monothéiste ou du musulman, pas conceptuellement, concrètement, je suis obligé de répondre aux problèmes économiques des excitations de mon estomac par la soif, par la faim. Je suis obligé de manger. Bon, je mange.

Est-ce que je fais la même chose que quand, avec la voiture, je m'arrête devant une station pour mettre l'essence, pour avoir de l'énergie ? Sûrement, il n'y a pas de problème là. Mais est-ce que c'est ça le sens ?

Non.

Le sens que je vais donner, je vais pouvoir imposer à l'ordre économique la loi transcendante de la morale. Et bien voilà le monothéisme. Mais c'est ça le monothéisme. Il n'y a rien d'autre dans le monothéisme.

Ce n'est plus conceptuel, c'est concret. Je suis en train de faire entrer dans ce qui est, ce qui n'est pas. Et le miracle, c'est que je peux y faire entrer. Mais c'est vrai en transpirant.

Mais je peux y faire entrer.

Marc Alain Ouaknin

Comme exemple, si vous poursuivez l'exemple, quelle est cette morale que vous faites entrer dans l'économie ?

Armand Abécassis :

Voilà l'acte monothéiste.

La longueur des murs, la hauteur de la chambre, les peintures, la qualité des matériaux, elle, elle va porter une morale que les matériaux n'ont pas. Je suis en train, en tant qu'ingénieur, de leur imposer.

Je construis le monde dans ce sens-là, mais je suis monothéiste.

Je suis en train de faire rencontrer, c'est rencontrer la loi de la nature, le premier chapitre de la Torah, et puis la loi du Sinaï.

Pourquoi on fait de cela une religion ? Mais où je vois que c'est religieux ? Que veut dire être athée, être religieux, etc.

C'est une manière de parler qu'on ne connaît pas dans la Torah. La Torah, elle dit voilà ce qu'il doit être. Et puis, il faut dire aux savants quelle est la nature de ce qui est pour que je puisse, comme par exemple la minuterie du vendredi soir, accomplir un acte monothéiste.

Je suis en train d'imposer au monde ce qu'il ne contient pas, ce qu'il ne produit pas, ce qu'il ne pourra jamais produire.

Il y a un tremblement de terre, ça n'arrive pas avec la morale.

Le problème, c'est comment, puisque je sais que c'est grave et que ça tue des hommes, ça détruit des femmes, des enfants, etc., je vais y réagir pour m'arranger que la loi de la nature soit un peu moins violente. Je suis en train d'accomplir un acte monothéiste.

Pourquoi on transmet ça en religion ? Et quand on arrive au kabbalisme, c'est-à-dire au sod, ( Au quatrième niveau d'interprétation, le secret )

Mais les kabbalistes, on peut le critiquer. Ce qu'ils disent n'est pas toujours rigoureux grammaticalement, historiquement, etc. Mais c'est entièrement d'accord. On ne met pas ça en question. La grammaire est une science. L'histoire est une science. Le problème, c'est que je suis dans un autre monde. Le problème qui m'occupe à moi, ce n'est pas la recherche de la vérité. Il faut la laisser aux savants et aux philosophes, etc.

Et encore aux philosophes essentialistes, parce qu'avec l'existentialisme, on a tourné la page sur cette philosophie de l'essence et de la nature des choses, etc. C'est-à-dire l'esprit scientifique ou rationnel. Donc, ce qui m'intéresse à moi, quand on parle de la création du sens, c'est ce que ce texte... dit pour moi, pas pour moi personnellement, individuellement, mais universellement.

Il y a un enjeu humain qui se joue, et le peuple hébreu ne l'a pas inventé. Ces enjeux humains existaient dans le mythe grec, dans le mythe égyptien, partout. On n'a rien inventé comme nouveau problème, la mort, la sexualité, le rapport à l'autre, la maîtrise du monde, la construction du monde, etc.

Mais on n'a rien, la Torah n'a rien inventé du point de vue des problèmes.

C'est qu'elle a repris ses problèmes et elle a montré qu'elle était leur enjeu fondamental pour que quoi ?

Pour que l'aventure humaine n'échoue pas, parce que l'aventure végétale a réussi, l'aventure animale a réussi, puisque Dieu leur a demandé, a emprunté des choses.

Mais nous ne voulons pas, nous les juifs. que l'aventure humaine échoue nous sommes appelés aussi naïfs non pas pour se faire pardonner mais ça les gens connaissaient tout cela ils avaient une conscience morale même en préhistorique même celui qui mangeait les êtres humains il mangeait pas sa femme et ses enfants il y a un minimum de morale quelle que soit la qualité de la morale il y a un minimum de la conscience de ce qui doit être nous quand nous aidons quelqu'un il faut l'aider du point de vue de la morale mais il n'y a pas de différence avec les autres

Mais derrière ce qui fonde davantage cette aide que j'ai faite à celui qui a faim, qui a soif et qui tremble de froid. C'est que là, je m'aperçois, je suis rappelé, interpellé à ma responsabilité depuis le Sinaï, que l'aventure humaine est arrivée dans une impasse en lui.

C'est beaucoup plus simplement l'aider. C'est-à-dire ce que j'appelle moi une métaphysique de la morale ou une spiritualité de la morale. Nous sommes responsables de l'aventure humaine et c'est cela qui nous interpelle.

Et c'est de ce problème que s'occupent les kabbalistes dans ce qu'ils appellent la lecture du Sod.

Alors qu'est-ce qu'ils ont lu dans la Torah ? Ils se sont aperçus qu'il y avait dix noms différents divins dans la Torah. Alors ils disaient donc que les juifs ne connaissent que dix relations à celui qu'on appelle Dieu.

Les musulmans sont plus riches, ils ont 99... C'est vrai qu'ils disent que la centième personne le connaît, là on se rejoint en tant que monothéiste.

Donc il y a dix noms, donc il y a dix formes de relation avec Dieu.

Donc on ne connaît que dix noms de la relation avec celui qu'on appelle l'infini, et encore c'est Ein-soph, mais Ein-soph, (l'infini) ce n'est pas Dieu.

Ein-soph, c'est sa volonté infinie.

Et je ne connais de celui qu'on appelle Dieu que Ein-soph, c'est sa volonté infinie. Mais quand je suis en relation avec En-soph, cette volonté infinie, c'est à travers tel nom et tel nom et tel nom, il y en a dix, et chaque nom incarne une valeur.

Par exemple, j'ai un rapport de justice, j'ai un rapport d'amour, j'ai un rapport de vérité, j'ai un rapport d'éternité, victoire sur le temps, Moïse, etc., avec le patriarche. J'ai un rapport avec l'institution, je ne peux pas me passer de l'institution.

C'est Aaron, et Aaron, il peut faire le veau d'or.

C'est cette lecture-là que les kabbalistes... Vous voyez comment les kabbalistes inventent un univers, nous font entrer dans un univers que ni Moïse, ni peut-être Dieu ne connaissait.

Marc-Alain Ouaknin

Alors merci Armand Abbécassis pour cette belle leçon de lecture qui ouvre de grandes perspectives, d'études et de recherches. J'étais là, vous racontez la Kabbalah comme une histoire. J'étais en train de vous écouter comme un enfant qui écoute un conte.

C'est merveilleux.

J'aurais beaucoup de questions sur ce que vous dites parce que j'aurais voulu comprendre comment le kabbaliste qui voit cette impasse de l'humain, le risque... de l'impasse de l'humain dans l'autre et qui va peut-être l'aider à ouvrir de nouvelles fenêtres

Mais je vous propose de nous retrouver la semaine prochaine pour évoquer la figure de Moïse et aborder plus précisément la question de la transmission.

Le titre de l'ouvrage sur lequel je me suis particulièrement appuyé aujourd'hui

s'intitule « L'univers hébraïque, du monde païen à l'humanisme biblique ».

Le sous-titre dit très bien ce dont vous avez parlé, paru aux éditions Alain Michel en 2003.

Merci encore.

31:44

C'était Talmudiques, une émission de Marc-Alain Ouaknin, préparée avec Françoise-Anne Ménager, à la prise de son, aujourd'hui, Stéphane Desmonts.

à la réalisation d'Dany Journo.

 

Coltouv, Leïtra Hot, au revoir, bon dimanche à tous et à la semaine prochaine.

 

L'Univers Hébraïque : Du monde païen à l'humanisme biblique Broché – 3 novembre 2003

de Armand Abécassis (Auteur)
Les racines de l'Occident sont bibliques, c'est-à-dire d'abord juives : c'est en effet la Torah qui, à travers le christianisme, lui a fourni ses principales valeurs. Dans cette synthèse de l'Univers hébraïque, Armand Abécassis remet en cause la conception du progrès linéaire et dialectique de l'histoire intellectuelle de l'Occident, selon laquelle le judaïsme aurait dépassé le polythéisme, le christianisme aurait absorbé et transcendé le judaïsme, la crise du christianisme aurait donné naissance à l'humanisme, et ainsi de suite. À partir du monothéisme biblique, il s'attache à montrer, au contraire, que ce qui se manifeste à la fin est toujours donné à l'origine.
Sur le plan de l'interprétation des textes bibliques et sur le plan du contenu et des idées, le dialogue entre la spiritualité hébraïque et l'histoire païenne n'a jamais cessé.
Habité par sa tradition et fasciné par le regard que les autres ont porté sur elle, Armand Abécassis se montre avant tout soucieux, au long de cette ample réflexion, de mettre de l'ordre dans le savoir et de ramener l'ensemble de la culture occidentale vers le Livre.