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Premières réactions sur Facebook 6 octobre 2020
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L'Académie suédoise a mis fin au suspense annuel, ce jeudi 6 octobre 2022, en décernant le Prix Nobel de littérature à Annie Ernaux. L'autrice française devient la 17e femme à recevoir la prestigieuse récompense.
Les premières réactions sont très positives : les français sont heureux d'avoir un prix nobel de plus, voici les réactions sur Facebook
Parmi les signataires, on me trouve, car j'ai éprouvé de la satisfaction sans connaître l'auteure. Il y a une nette majorité fémine, aussi bien parmi ceux qui approuvent que parmi ceux qui n'ont pas aimé. Les noms de famille sont européens pour la plupart.
Françoise, Clara, Claudine, Sheila, Josiane, Thibaud, Ma rue par Achbé: (+) Elle le mérite, j'ai adhéré, excellent écrivain, merci Madame (16)
Elle est légitimement l'une des plus grandes écrivaines françaises...lu notamment La place, Mémoire de fille, Passion simple, toujours entre autofiction, poésie et sociologie, toujours pertinent, touchant...et universel. Le Nobel est bien mérité, au contraire !
Emma : Vous avez peut être simplement raté Annie Ernaux (14) (à l'adresse des critiques)
Colette : Vu la tonne de haine qui est déversée sur la lady writter, surtout des ext droite et aussi de l’ext droite israélienne, tout ne doit pas être à jeter chez elle. Hier, j’ai lu un de ses excellents articles sur un fachoïde qui a eu le courage de vanter Breivik.
Karine, Colette, Michel : (=) Il y avait de meilleurs écrivains
* Annie Ernaux, je n'aime pas tous ses livres, mais elle donnera p-ê au monde une idée de la France plus simple et plus réaliste que les intellectuels conceptuels qui nous représentent toujours, à tort. (A part ça je n'imagine pas que Joyce Carole Oates ne l'aie jamais.).
* Un prix nobel de littérature pour Annie Ernaux.... c'est trop, beaucoup trop pour cet auteur sans grand talent.....enfin à mon avis...aucun éblouissement de ma part...
* Elle est dans les/ses lignes au niveau d'Agatha Christie.
Bernard, Claude-Henri : (-) A écarté de Gallimard Richard Millet
* Cette gentille dame nobélisée manque singulièrement de noblesse. C'est elle qui est à l'origine de la fatwa publiée dans Le Monde en 2012 qui a écarté de Gallimard Richard Millet, auteur remarquable et membre du comité de lecture, le condamnant à végéter. C'était la première fois que des écrivains, menés par Annie Ernaux, exigeaient l'élimination du monde littéraire d'un autre écrivain, important en France les pratiques de l'URSS des années 1930 à 1960. Jusqu'alors, les écrivains français se mobilisaient pour défendre leurs camarades en écriture
* Le prix Nobel de littérature est devenu aujourd'hui un prix des vertus d'aujourd'hui. Celles qui exsudent la veulerie et la délation. Il était naturel que le prix soit décerné à ce bas-bleu qui a obtenu la tête d'un vrai écrivain qu'est Richard Millet.
Loïc, Philipp, Francine : (8) (-) sa plume ne mérite pas le nobel , un style aussi riche qu'un formulaire de Cerfa
Alain : (-) Livres ennuyeux, a des idées antisémites
Thiago, Chantal : (-) Choix politique pour le jury du Nobel, fumisterie
Nathalie, Cathy : (-) Quelle honte (16)
Jacques, Agnès, Haïm, Eva, Myriam: (-) Elle est antisémite (+3) (contesté par Françoise qui la déclare simplement pro palestinienne)
Je ne lirai pas une seule ligne de celle qui vient d'être récompensée du prix Nobel de littérature, la romancière Annie Ernaux. Comment est-il possible de lire une romancière dont la haine de l'Etat d'Israël est si viscérale ? Je reste fidèle au principe que l'on m'a enseigné : Ce n'est pas l'œuvre qui rend belle la personne mais la personne qui rend belle l'œuvre! Quand le prix Nobel n'est plus synonyme de Noblesse...!
Annie Duchesne dite Ernaux lauréate du prix Nobel de littérature ce jour, est la plus antisémite et militante antsioniste forcenée qui puisse se trouver dans les lettres françaises , thuriféraire de Houria Bouteldja raciste anti-Blanc fondatrice des "indigènes de la république"..écrivaine dont le best-seller est "les Blancs, les juifs et nous "..et c’est cette femme que la nouvelle prix Nobel soutient..
Islamo-gauchiste de la première heure, grande admiratrice de Mélenchon, Annie Ernaux représente tout ce que la France est en train de devenir, un cloaque.. Quelle cécité de la part des Nobel, ils ont jugé son œuvre sans juger la militante fossoyeuse de notre civilisation..
Simon : Ils ne sont que des islamos gauchos antisemites
Pascale : Ses valeurs sont anti-chrétienne
Ses valeurs féministes ne sont pas nos valeurs à nous les croyants en Jésus-Christ..ce sont les valeurs d'un monde qui s'éloigne de Dieu ..jusqu'à son Jugement par Dieu (Esaïe 13 - Bible du Semeur)
Pascal, Sergio : (-) Soutien au wokisme (10)
Gédéon : (-) Woke Mélenchon et Antisémite (4)
Dumé, Francine : (-) C'est un non événement, sans intérêt (7)
Michel, Zoé, Richard, Mireille : Insultes
Carine : (+ - )Un grand talent, et des idées racistes, décoloniales indigéniste etc...
Ernaux est récemment passée à la télévison sur France 5, où elle était le principal centre d’intérêt.
Indépendamment de sa belle plume, on a pu découvrir la dérive morale et intellectuelle de cette femme de lettres par ailleurs si brillante.
Annie Ernaux, en 2016. (Emmanuel Bovet/Libération)
par LIBERATION et AFPCela faisait plusieurs années qu’elle faisait partie des noms cités avec insistance par les bookmakers de la planète livres. Ce jeudi, les pronostics sont devenus réalité : l’écrivaine française Annie Ernaux, 82 ans, a été honorée du prix Nobel de littérature. Elle succède à Patrick Modiano, dernier Français récompensé par l’Académie suédoise, en 2014.
En choisissant la Française, figure du féminisme, le jury a voulu récompenser «le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle». L’Académie couronne une écrivaine qui «examine constamment et sous différents angles des vies marquées par les disparités, à savoir : le genre, la langue et la classe sociale».
Interrogée dans la foulée par la télévision suédoise, la romancière a parlé d’un «très grand honneur» et d’une «responsabilité» que cette distinction lui imposait : «C’est-à-dire de témoigner […] d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde.»
Native de Seine-Maritime, celle qui a grandi dans le café-épicerie de ses parents à Yvetot a produit une œuvre largement autobiographique. Depuis les années 70, elle raconte le monde qui l’entoure au travers de sa propre expérience de «fille, s’étant heurtée au mépris social et à la domination masculine».
Devenue professeure de littérature à l’université de Cergy-Pontoise, elle est surtout l’une des références du féminisme français et son œuvre, presque clinique, a inspiré de nombreux travaux universitaires.
Annie Ernaux a écrit une vingtaine de récits dans lesquels elle dissèque le poids de la domination de classes et la passion amoureuse, deux thèmes ayant marqué son itinéraire de femme déchirée par ses origines populaires.
Avec la poétesse américaine Louise Glück en 2020 et le romancier britannico-tanzanien Abdulrazak Gurnah, l’Académie suédoise chargée de décerner le plus célèbre des prix littéraires avait coup sur coup choisi d’éclairer des auteurs peu traduits et très peu connus, y compris des cercles de l’édition.
L’Académie se remet d’une longue crise, après un scandale #MeToo en 2018 et l’attribution l’année suivante d’un Nobel controversé à l’écrivain autrichien Peter Handke aux positions pro-Milosevic. Critiquée pour son manque de diversité dans le choix de ses lauréats, l’instance s’est dotée en 2020 d’un nouveau groupe externe d’experts en différentes zones linguistiques.
Après 2018, le cénacle suédois a donc sacré trois femmes : Ernaux, Louise Glück et la Polonaise Olga Tokarczuk, pour un seul homme. Depuis la création du prix, un total de 17 femmes se sont désormais vu décerner le prestigieux prix littéraire, la première étant l’écrivaine suédoise Selma Lagerlöf en 1909.
https://www.huffingtonpost.fr/
Le sacre de l’écrivaine française, dont les récits autobiographiques et féministes ont marqué l’histoire de notre littérature, résonne avec l’actualité.
LITTÉRATURE - Un choix évident. Alors même que le nom d’Annie Ernaux a souvent été cité parmi les favoris des bookmakers, l’écrivaine de 82 ans a (enfin) reçu le prix Nobel de littérature, ce jeudi 6 octobre à Stockholm, devenant par là même la première femme de lettres française à décrocher la prestigieuse distinction.
Prix Renaudot en 1984 pour La Place et finaliste du Booker Prize en 2019, la professeure de littérature à l’Université de Cergy Pontoise est connue en France, mais aussi dans le monde entier, pour ses récits autobiographiques dans lesquels elle dissèque aussi bien le poids de la domination de classe ou du patriarcat que ses passions amoureuses.
L’autrice, dont le dernier roman em>Le jeune homme est paru au mois de mai dernier, « croit en la force libératrice de l’écriture, note l’Académie du Nobel. Son travail est sans compromis et écrit dans un langage simple, épuré. Avec beaucoup de courage et une grande acuité (...) elle a réalisé quelque chose d’admirable et de durable. »
Même si le jury répète à tout va que son prix n’est pas politique, ni même soumis à des règles de parité ou de diversité ethnique, et que seule la qualité des lettres prévaut, l’attribution du prix Nobel à Annie Ernaux, cette année, tombe à point nommé. Elle intervient trois ans après la refonte de l’Académie suédoise, entamée en 2019 à la suite d’un scandale.
Dix-huit femmes ont, en 2018, accusé le Français Jean-Claude Arnault, personnalité influente de la scène culturelle suédoise, de viols et d’agressions sexuelles survenus entre 1996 et 2017. Époux de la poétesse et académicienne suédoise Katarina Frostenson, il recevait de généreuses subventions de l’Académie, se vantait d’en être le « 19e membre » et, selon des témoins, soufflait le nom des futurs lauréats à ses amis.
Une enquête préliminaire avait été ouverte, mais rapidement classée sans suite, poussant six des sages, dont la secrétaire perpétuelle en exercice Sara Danius, à quitter leur fauteuil. Le temps a passé et, en décembre 2018, la justice suédoise a finalement condamné Arnault en appel à deux ans et demi de prison ferme avec amende pour le viol à deux reprises d’une des signataires de la tribune en 2011.
En 2019, un nouveau secrétaire perpétuel a été élu. Il s’agit de Mats Malm, un professeur de lettres de 54 ans. De nouveaux membres ont aussi fait leur entrée, tandis que cinq consultants externes indépendants chargés d’apporter de nouvelles perspectives ont été engagés.
Longtemps critiquée pour ses choix masculins et eurocentrés, l’Académie semble avoir changé son fusil d’épaule. Elle est désormais « évidemment soucieuse de son image en ce qui concerne la diversité et la représentation des genres d’une tout autre façon qu’avant le scandale », souffle à l’AFP, en ce mois d’octobre, le chef du service culturel du quotidien suédois Dagens Nyheter.
Pour certains, le sacre, en 2021, d’Abdulrazak Gurnah, un auteur originaire de Tanzanie dont les romans (comme Paradis et Adieu Zanzibar) évoquent avec poigne l’exil des réfugiés et l’anticolonialisme, peut en témoigner. Celui d’Annie Ernaux, en 2022, aussi. L’autrice, qui affirmait en 2022 se « sentir un peu illégitime dans le champ littéraire », est une référence pour toute une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels qui voient en elle une icône féministe.
Celle qui se définit comme « une femme qui écrit » parle depuis 1974, date à laquelle elle a publié Les armoires vides, des événements qui ont traversé sa vie. Dans La femme gelée, outre la nation de charge mentale en filigrane, c’est l’échec de son mariage. Dans Mémoire de fille, c’est le viol dont elle a été victime adolescente. Avec Passion simple et L’occupation, elle décrit l’aliénation amoureuse.
Depuis 2021, son travail a pris une nouvelle dimension avec l’adaptation au cinéma, par Audrey Diwan, de L’Événement. Le film, qui a valu à sa réalisatrice le prestigieux Lion d’or lors de la Mostra de Venise en 2021, suit de manière fidèle le texte original, paru en 2000. C’est l’histoire du parcours du combattant d’Annie Ernaux, alors étudiante en lettres, pour avorter au début des années 1960.
Comme le roman autobiographique dont il est inspiré, le long-métrage aborde un pan de problématiques transversales, comme la liberté des femmes à disposer de leur corps ou la volonté de s’affranchir du déterminisme social, une constante dans l’œuvre de l’écrivaine française.
En France, l’IVG est autorisée depuis la promulgation de la loi Veil du 17 janvier 1975. Dans de nombreux pays à l’étranger, il est interdit. Dans d’autres, il est remis en question. En Pologne, par exemple, le gouvernement durcit depuis plusieurs années ses lois en matière d’accès à l’avortement, au point où il est quasiment interdit en 2022.
Radio France par Chloé Leprince Publié le mardi 11 octobre 2022
Le prix Nobel de littérature à Annie Ernaux a déclenché un torrent d'attaques contre l'écrivaine. Trop plate, triviale, et à peine littéraire à en croire certains. En 1985, un autre Nobel français, Claude Simon, s'était vu étriller pour son style maniéré... et ses phrases sans virgules ni point.
Après l’annonce du prix Nobel de littérature à Annie Ernaux, ce jeudi 6 octobre 2022, de nombreuses critiques ont essaimé d’une traînée de poudre aigre sur les réseaux sociaux ou du côté des éditorialistes, déplorant le choix de l’académie suédoise. Certains s'étonneraient ainsi que la surface internationale d’Annie Ernaux lui ait valu une distinction d’une telle ampleur. Or elle est étudiée dans le monde universitaire anglo-saxon dès le début des années 1990, et plus largement lue depuis la traduction de son livre Les Années, à partir de 2018, qui lui vaudra une place de finaliste au Man Booker Prize, achevant de la rendre célèbre. Tandis que d’autres refont carrément le match, à mi-chemin entre café du commerce (tout près du comptoir), et débat de voltige esthétique, jugeant pour la plupart, et en substance, à peine croyable qu’une œuvre pareille soit canonisée. Une hérésie, pour ainsi dire, incarnée par… une sorcière.
Trop peu littéraire pour les uns, la littérature d’Annie Ernaux serait ainsi ravalable à une forme de chronique ordinaire de la société - trop quelconque, et surtout trop féminine pour bien des autres, même si la critique avance souvent masquée : n’est-ce pas le livre de 2000, L’Evénement, d’une écrivaine publiée chez Gallimard depuis sa première ligne (Les Armoires vides, en 1964), qui revient sur l’avortement clandestin vécu par son autrice en 1964 ? Parmi les critiques, certaines feignent encore de croire que dans ses livres, Annie Ernaux se bornerait grosso modo à raconter sa vie, entre auto-apitoiement sur la petite fille d’Yvetot et auto-consécration nimbée de fausse modestie d’une transfuge de classe, grande lectrice de Pierre Bourdieu, qui met depuis longtemps sa notoriété au service de la lutte contre le mépris de classe. Or son «Je» porte précisément parce qu’il est à la fois un «Je» et, bien davantage encore, une écriture universelle - bien que ses détracteurs voient en elle l’apôtre du communautarisme, voire l’exonératrice coupable de l’islamisme.
Ce sont autant de défauts politiques qui se retrouveraient au plus près de sa prose, encastrés jusque dans ses mots, et ce style, qui manquerait tellement de noblesse qu’Ernaux, éternelle profane, ne serait pas éligible au Nobel.
Si c’est d’abord l’écriture “plate”, c’est-à-dire à peine de la littérature, qu’étrille cette chronique de la déploration irriguée de misogynie, un autre écrivain français avait, lui aussi, été contesté après avoir reçu le Nobel de littérature : Claude Simon. C’était il y a trente-sept ans, et à l’époque, ce n’est évidemment ni une écriture de bonne femme, et pas non plus la platitude d’un style modeste qui avait nourri l’adversité. Et pour cause : loin des procès en trivialité, Claude Simon a au contraire la réputation d’être ce qu’on appelle facilement un auteur “difficile”. Pourtant, au-delà de voisiner souvent sur les étagères des mêmes bibliothèques dont les contours évidemment se dilatent, Ernaux et Simon partagent le fait de s’être vus reprocher leur illégitimité au Nobel. Non nobélisable, c’est plutôt par la rupture que le Nouveau roman aura créé dans son œuvre, que Claude Simon l’aurait été. Quand ce n’est pas sa maîtrise de la syntaxe que ses détracteurs jugent incompatible avec les honneurs.
Prononcée quelques mois après l’annonce comme le veut la coutume, c’est la conférence de Claude Simon à la réception de son prix qu’il faut relire pour prendre la mesure des critiques qui furent adressées à l’auteur de La Route des Flandres (en 1960, aux Editions de Minuit). Il les avait en effet prises en considération, dans ce discours que l’on peut retrouver dans les archives en ligne de l’Académie Nobel, formidable bibliothèque d’un rendez-vous médiatique plus épais et plus intéressant qu’il n’y paraît. Dans cette allocution prononcée à Stockholm devant une presse internationale nombreuse, et encore davantage de journalistes suédois, Claude Simon rappelait comment “à l’annonce de l’attribution de ce dernier Nobel, le New York Times interrogeait en vain les critiques américains et que les médias de [son] pays couraient fébrilement à la recherche de renseignements sur cet auteur pratiquement inconnu, la presse à grande diffusion publiant, à défaut d’analyses critiques de [ses] ouvrages, les nouvelles les plus fantaisistes sur mes activités d’écrivain ou ma vie — quand ce n’a pas été pour déplorer votre décision comme une catastrophe nationale pour la France”. Ou encore qu’un journaliste français s’était étranglé devant cette distinction, au point de dénoncer le noyautage de l’Académie des Nobel par le KGB soviétique - on était en 1985.
De sa réputation d’auteur difficile d’accès, Claude Simon avait répliqué ainsi : “Laissons de côté les griefs qui m’ont été faits d’être un auteur « difficile », « ennuyeux », « illisible » ou « confus » en rappelant simplement que les mêmes reproches ont été formulés à l’égard de tout artiste dérangeant un tant soit peu les habitudes acquises et l’ordre établi, et admirons que les petits-enfants de ceux qui ne voyaient dans les peintures impressionnistes que d’informes (c’est-à-dire d’illisibles) barbouillages stationnent maintenant en interminables files d’attente pour aller « admirer » ( ?) dans les expositions ou les musées les œuvres de ces mêmes barbouilleurs.”
L’écrivain avait préféré, ce jour-là, s’attarder sur ce qu’il envisageait comme sa “littérature vivante”. Disant par exemple ceci, pour mieux retourner le stigmate : “Je reviendrai sur le reproche fait à mes romans de n’avoir « ni commencement ni fin », ce qui, en un sens, est tout à fait exact, mais tout de suite je me plais à retenir deux adjectifs considérés comme infamants, naturellement ou, pourrait-on dire, corollairement associés, et qui montrent bien d’emblée où se trouve le problème : ce sont ceux qui dénoncent dans mes ouvrages le produit d’un travail « laborieux », et donc forcément « artificiel ».”
Le 9 décembre 1985, une seule journaliste française avait fait le déplacement à la remise du prix Nobel de littérature. Consternation à Stockholm : la nouvelle n’avait pas été reçue au diapason en France et en Suède, c’est peu de le dire. Et de cette sidération qui avait accueilli l’annonce, Claude Simon lui-même se moquera en évoquant avec ironie sa nobélisation comme une malédiction : cette consécration allait obliger les journalistes à découvrir ses livres, dont il doutait qu’ils fussent en pile sur leurs tables de nuit.
A l’opposé des critiques adressées à l’œuvre d’Annie Ernaux, trop modeste et pas assez monumentale comme le soulignera avec acuité dans une tribune sur le site Diakritik Johan Faerber, justement l’auteur d’un essai bienvenu sur le mythe français du “Grand écrivain”, grande névrose nationale, c’est notamment pour s’être fait connaître comme un auteur trop maniéré qu’on écornera Claude Simon à l’annonce de son Nobel. En France. Car en Suède, on avait pu lire, dès 1962, à propos de l'œuvre du Français qu’il “mériterait d’avoir le Nobel”. La Route des Flandres, son livre immense, avait paru cinq ans plus tôt, peu avant Le Palace - tous deux aux Editions de Minuit. Mais Histoire (1967, futur prix Médicis), Leçon de choses (1975) ou Les Géorgiques (1981) ne verront le jour que des années après cette déclaration, prophétique mais surtout très précoce.
Vingt-trois ans s’écouleront entre cette fulgurance visionnaire et la décision de l’Académie des Nobel de couronner Claude Simon, qui, à la réception, achèvera son discours sur ces mots : “A sa recherche, l’écrivain progresse laborieusement, tâtonne en aveugle, s’engage dans des impasses, s’embourbe, repart — et, si l’on veut à tout prix tirer un enseignement de sa démarche, on dira que nous avançons toujours sur des sables mouvants.” Entre-temps, Simon aura été traduit à l’étranger, et aura bénéficié en particulier, en Suède, d’un allié à la portée considérable : son traducteur. C’est lui, Carl Gustaf Bjurstrom, qui aura très largement façonné pour Claude Simon, auprès de l’opinion publique suédoise, une carrure de nobélisable.
Sans Bjurstrom, l'œuvre de Claude Simon n’aurait pas été la même en langue suédoise… ou en Suède (tout court). Lorsque la presse suédoise avait joint l’écrivain français après l’annonce, dans l’après-midi du 17 octobre 1985, c’est justement lui “qui a si bien fait connaître ses livres en Suède”, qu’avait commencé par évoquer Claude Simon, en interview au téléphone. Figure centrale des lettres suédoises, Bjurstrom était non seulement le traducteur qui prendra en charge toutes les œuvres de Claude Simon à une seule exception, mais aussi un critique littéraire de renom. Il se révélera finalement l’entrepreneur de l’œuvre de Claude Simon à la faveur de très nombreux articles, souvent fouillés, qui étaient loin de s’en tenir à une recension d’actualité, pour révéler au contraire une connaissance profonde, fine et intime de l’œuvre de celui dont il aura finalement pavé la voie vers le Nobel de bien des manières.
Dès 1958, et L’Herbe, et jusqu’au-delà du Nobel, C.J. Bjurstrom ne cessera de le faire connaître : c’est encore lui que l’on retrouve en face-à-face avec son auteur, mais cette fois en position d’intervieweur, dans l’émission que la télévision suédoise consacrera au lauréat de l’année, en décembre 1985, depuis sa maison des Pyrénées-Orientales, à Salses-le-Château (désormais visitable, après la mort de l’auteur en 2005). C’est finalement en le suivant, lui, interprète aux casquettes multiples et à l’envergure opportune, qu’on comprend mieux la série de ricochets qui auront mené Claude Simon jusqu’à la récompense.
Car se voir consacrer par l’Académie suppose encore non seulement d’avoir emporté le morceau, mais aussi d’avoir été proposé. Donc considéré comme un potentiel lauréat. Si seulement seize Françaises et Français l’ont emporté, en comptant Simon et Ernaux, c’est aussi qu’ils sont moins souvent proposés parmi les vœux portés par le collège habilité à proposer un candidat : les membres de l’Académie Nobel (critiques ou écrivains pour l’essentiel) sont loin d’être les seuls à pouvoir avancer un nom. Des dizaines d’autres personnes peuvent faire de même, issus d’académies du même ordre en Suède comme à l’étranger, ou encore professeurs de littérature ou de langue, et même des associations dédiées à la promotion d’écrivains, ou encore les précédents lauréats peuvent aussi défendre un candidat.
Sans parler suédois, difficile bien sûr de se faire une idée juste des débats qui ont eu lieu autour de l’idée de nobéliser Claude Simon. Mais Karin Holter, dans la revue Les Cahiers Claude Simon, a analysé le contexte qui a permis au nom de l’écrivain français de s’imposer à l’issue de ce qui se dévoile comme une véritable campagne. Bjurstrom, le traducteur, n’était pas la seule figure des lettres suédoises à suivre de près, et à valoriser Claude Simon. Et c’est sous la plume d’un académicien du nom de Artur Lundkvist (telle que nous la restitue Karin Holter) qu’on comprend qu’il s’est bien agi de faire coïncider l’œuvre du Français avec les critères de l’Académie : faisant de lui l’héritier d’un Faulkner, Lundkvist a par exemple mis en avant des termes comme “idéalité” et “excellence”... dont le public suédois avait parfaitement connaissance.
Car ce qu’on oublie souvent en pleine tempête critique après l’annonce du choix de l’année, c’est que l’Académie s’inscrit dans une série de critères issus de l’interprétation du testament d’Alfred Nobel. Où l’on peut lire, en suédois dans le texte, que l'œuvre consacrée doit “faire preuve d’un puissant idéal”.
En 1985, la consécration de Claude Simon n’avait finalement pas grand-chose d’une surprise qui aurait pris de court le petit monde des lettres suédoises. Sans que l’adoubement n'ait été unanime pour autant : là-bas aussi, Simon passait au moment de son prix pour l'auteur d'un lectorat initié. Au point que, y compris parmi la critique suédoise, certains avait également déploré qu’un écrivain aussi “illisible” soit auréolé. Une voix iconoclaste avait par exemple grincé qu’il regardait plutôt Simon comme “un écrivain qu’on ne recommande pas à son meilleur ami, plutôt à son ennemi”, nous révèle encore Karin Holter dans Les Cahiers Claude Simon ; tandis qu’un autre feignait de s’étonner qu’on récompense tant d’incompétence en matière de points et virgules tant les phrases de l’écrivain lui semblaient interminables.
Depuis ces coups de griffe, trois autres écrivains français, dont Gao Xingjian, de langue chinoise mais naturalisé en 1998, deux ans avant son Nobel, ont été consacrés avant Annie Ernaux. A elle, la récompense prestigieuse vaut un torrent de critiques à la fois plus sévères que pour Patrick Modiano ou J. M. G. Le Clézio qui succéderont à leur tour en 2008 et 2014 à Claude Simon, et aussi parfaitement orthogonales à celles qui furent adressées à Claude Simon. Mais c’est justement pour des raisons opposées qu’en 1985, le Nobel à Claude Simon avait suscité la consternation du critique du Washington Times dont les mots féroces sont restés célèbres : “Il a écrit des livres ne se préoccupant ni d’action, ni de personnages, ni de l’intérêt du lecteur. Ses livres sont des exercices de fatuité, prétentieux et dépourvus d’humour. [...] Le comité du prix indique e chemin de l’effondrement de la culture ; il est mou, corrompu et futile.”
Trente-deux ans plus tard, en 2017, l’écrivain Serge Volle et un ami avaient adressé un extrait de cinquante pages tirées du Palace de Claude Simon (1962). Leur objectif : prendre le pari qu’aucune maison d’édition à présent ne publierait le Nobel de 1985, notamment du fait de ce style. Le canular, abondamment commenté en 2017, aura fait du bruit : de fait, aucun des éditeurs approchés (dix-neuf, tout de même, dont sept n’avaient tout simplement pas donné suite au bout de six mois) n’aura jugé opportun de retenir le texte… ni d’ailleurs de le reconnaître. L’un des éditeurs approchés avait notamment accompagné son refus de ce retour : “Les phrases sont sans fin, faisant perdre totalement le fil au lecteur. Le récit ne permet pas l’élaboration d’une véritable intrigue avec des personnages bien dessinés.”
De la dénonciation de l’humilité de l’écriture d’Annie Ernaux, écrivaine indigne de ce fait, jusqu’à ce canular, c’est finalement la même petite musique qui se fait entendre : celle d’un très réactionnaire “c’était mieux avant”. Que finalement la phrase soit trop courte et trop plate ou… interminable. Et toujours sans grand rapport, dans les deux cas, avec une œuvre qu’il apparaît décidément compliqué de réduire à des phrases, courtes ou longues, indépendamment de leur contexte - dans l’œuvre, ou dans ce qu’elle représente d’un travail de l’époque.
Dans l’océan de tragédies qui baigne notre quotidien, l’attribution du Nobel de littérature à Annie Ernaux nous a fait l’effet d’un puissant et bénéfique éclair de lumière.
De quoi recharger les batteries pour l’hiver et au-delà, de quoi nourrir la flamme de tous ceux et toutes celles qui se battent contre les injustices, quelles qu’elles soient, et il en sub- siste un sacré paquet à travers le monde. Car, avec Annie Ernaux, c’est non seulement la littérature qui est récompensée, mais aussi l’engagement.
Qu’on l’apprécie ou pas, on ne peut lui nier un engagement qui ne s’est jamais relâché et qui est même allé croissant avec les années. Engagement pour les femmes, engagement pour la gauche, engagement contre la ségrégation de classe. C’est donc un prix éminemment politique et courageux qu’a décerné jeudi l’Académie suédoise, qui résonne incroyablement à l’heure où les Iraniennes se battent au péril de leur vie contre l’obscurantisme des mollahs, à l’heure où les Etats-Unis restreignent le droit à l’avortement, à l’heure où l’on célèbre les cinq ans du mouve- ment #MeToo qui a libéré la parole des femmes, à l’heure où un ancien ouvrier brésilien se bat pour débarrasser le Brésil de celui qui piétine non seulement ses habitants mais aussi la planète, à l’heure où un homme ivre de son pouvoir et symbole de virilité exacerbée jusqu’à la caricature menace le monde de l’arme nucléaire, à l’heure où l’extrême droite grignote peu à peu du terrain en Europe.
Annie Ernaux est une femme et une écrivaine indignée et il y a dans cette indignation une force qui irrigue les indignations de nombreux jeunes pour qui, à 82 ans, elle est devenue une icône, mot qu’elle déteste certainement.
Annie Ernaux est une écrivaine ancrée dans le réel et c’est ce qui parle à beaucoup ; sa vie, ses drames intimes, ses hontes et ses passions décrites au scalpel ont quelque chose d’universel, d’où son succès par-delà les frontières de l’Hexagone. Et c’est une écrivaine qui l’ouvre, au risque de se faire des ennemis. Qui ose. Nous faisons partie de celles et ceux, nombreux, qui ont pris un jour le chemin de Cergy pour la rencontrer dans sa maison peuplée de livres avec vue sur un lac. Elle nous avait cité cette phrase en affirmant y souscrire totalement : «Quiconque a le pouvoir de se faire entendre a le devoir de parler.» Avec le Nobel, ce pouvoir est désormais démultiplié. Comme le voulait Alfred Nobel qui avait demandé à récompenser une œuvre «à l’idéal puissant».
LE PORTRAIT QUI FÂCHE
La star des lettres sera à Cannes avec son fils David pour leur film Les années super 8. Son autobiographie, L’événement, vient d'être adaptée au cinéma. Dommage que la citoyenne se drape dans des postures politiques aussi radicales.
Annie Ernaux ne décolère pas. Elle se dit «toujours révoltée ». « Je ne peux pas me taire », reconnaissait-elle encore l’année dernière. « Dans un de mes carnets, il y a cette phrase : “ J'écrirai pour venger ma race ” », sociale bien sûr. Dans son œuvre hybride que certains ont qualifié d’« auto-socio-biographie », le « je » s’efface devant l’exigence toujours aussi tyrannique d’un « nous » collectif, très fortement marqué par la sociologie bourdieusienne et la guerre des classes. Elle ne se pardonne pas ce changement de classe qu’elle vit toujours, à plus de 80 ans, comme une trahison.
Fille d’ouvriers devenus petits commerçants, elle n’aura pas eu à prolétariser ses origines comme le font nombre de people de façon souvent risible, à l’image de Kev Adams qui a dû grandir « à cinq dans un 90 m2 » à… Neuilly, ou de Chris (ex-Christine and the Queens) qui, malgré un père prof d’université, prétend avoir conservé dans son corps la « mémoire des muscles de la classe ouvrière ». Non, Annie Ernaux est issue d'un milieu social modeste. Première de sa famille à avoir fait des études supérieures, elle est devenue professeure agrégée, écrivain. Rien d’étonnant alors à ce qu’Édouard Louis y ait vu sa marraine littéraire.
D’Annie Ernaux, on connaît ses livres et cette approche singulière de l’autobiographie. Deux sortent encore ces jours-ci : Le Jeune homme et un Cahier de L’Herne tandis qu’elle présentera à Cannes Les Années Super 8.
Depuis quelques années, on découvre aussi ses tribunes et ses prises de position politiques radicales, toujours plus fréquentes et déroutantes. Elle distribue les coups de gueule et les mises en garde. Celle qui lors de la campagne présidentielle dit : « J’aurais pu hésiter entre Mélenchon et Sandrine Rousseau » embrasse aujourd’hui à peu près toutes les lubies de l’extrême gauche identitaire : wokisme, néoféminisme, indigénisme, intersectionnalité… Et « qu’est-ce qu’ils reprochent à une prise de conscience d’injustices ? ». Car pour elle, le woke n’est rien d’autre, c’est l’« éveil à tout ce qui est humainement injuste, des conditions faites aux femmes ou encore aux personnes racisées », explique celle que son talent n’immunise pas contre le jargon racialiste.
Le 19 juin 2017, elle signe même une tribune ahurissante – en soutien à l’égérie du Parti des indigènes de la République (PIR) – « contre la calomnie et la diffamation, en soutien à Houria Bouteldja et à l’antiracisme politique ». Le texte réagit à un article publié quelques jours plus tôt de Jean Birnbaum (« la gauche déchirée par le “ racisme antiraciste ” ») dans lequel il dénonce la fracture et la substitution à gauche d’une lutte des races à une guerre des classes, incarnée notamment par le PIR de Houria Bouteldja, auteure du pamphlet racialiste « Les Blancs, les Juifs et nous ». Ainsi, avec Christine Delphy, Éric Hazan et quelques autres intellectuels de gauche, Ernaux venait au secours de celle qui a pu écrire « Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui », soulignant leur même condition de « sujets postcoloniaux ». La féministe Ernaux soutiendrait-elle aussi les permis de violer distribués par Bouteldja qui recommande aux femmes noires violées par des Noirs de se taire par solidarité communautaire ?
En 2019, Annie Ernaux en appelait aussi à la « sororité », consacrant une tribune de Libération, « Soror Lila », au secours du hijab de Decathlon. Gommant toute dimension politique du voile, elle le décrivait comme « la fierté des humiliés » soulignant leur même condition de sujets postcoloniaux".
La féministe Ernaux soutiendrait-elle aussi les permis de violer distribués par Bouteldja qui recommande aux femmes noires violées par des Noirs de se taire par solidarité communautaire ?
En 2019, Annie Ernaux en appelait aussi à la « sororité », consacrant une tribune de Libération, « Soror Lila », au secours du hijab de Decathlon. Gommant toute dimension politique du voile, elle le décrivait comme « la fierté des humiliés ». Houria Bouteldja ou la vice-présidente de l’Unef, Maryam Pougetoux, citée dans le texte, seraient ainsi ses sœurs de combat.
Quelques semaines après le début du confinement, elle écrira même une lettre affétée à Emmanuel Macron qu’Augustin Trapenard lira avec gravité, sur France Inter, la Gnossienne n° 1 d’Erik Satie en fond sonore. « Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie… » Durant la campagne présidentielle, elle multiplie les tribunes, à Libé, au Monde, pour dire sa détestation du président Macron « créé par les puissances de l’argent », « son mépris de classe ».
Hormis Jean-Luc Mélenchon pour qui elle a voté pour la troisième fois et dont elle a rejoint le « Parlement de l’Union Populaire », aucun candidat de gauche ne trouve grâce à ses yeux. « Yannick Jadot, je ne lui pardonnerai pas de s’être rendu à cette manifestation de policiers factieux devant l’Assemblée nationale. » Quant à Fabien Roussel, il « est communiste comme moi je suis religieuse ». Il est vrai que les déclarations du candidat communiste en faveur de la gastronomie française, et sans doute son hommage appuyé à Charlie, lui avaient valu par cette gauche totalement perdue le qualificatif de « suprémaciste blanc ». En 2002, Annie Ernaux votait Arlette Laguiller. Au second tour de 2017, elle refusait de faire barrage au FN, ce qu’elle fit cinq ans plus tard, non sans hésiter. « J’estime que c’est un devoir de prendre position », écrivait-elle dans Libération en mars dernier. « Même si je peux me tromper, j’ai envie de témoigner. » C’est précisément parce qu’elle est un grand écrivain qu’on voudrait qu’elle se trompe un peu moins.
Le Figaro Par Nicolas Ungemuth publié le 18 octobre 2022
CRITIQUE -
La papesse de l'autofiction a reçu la récompense suprême pour une vie entière passée à écrire sur elle-même. Pour autant, le concerto de louanges qui a résonné après ce prix ne saura convaincre tout le monde: ces vessies sont loin d'être des lanternes.
Dimanche, elle défilait aux côtés de Jean-Luc Mélenchon « contre la vie chère et l'inaction climatique » auréolée de son Prix Nobel de littérature. Lorsque les jurés, il y a quinze jours ont dévoilé le nom de la lauréate, partout, ce fut un déluge de dithyrambes. Normal, trouver la lauréate médiocre et le dire revient à être misogyne.
On connaît pourtant beaucoup de femmes qui trouvent ses livres parfaitement nuls, mais qu'importe, il s'agit de ne pas en dire du mal. Son fameux style plat ? C'est un refus de « faire beau ». Le nombrilisme souligné par les sceptiques ? Un faux constat émis par des lecteurs grossiers, pour ne pas dire rustiques: elle est « l'écrivain de l'intime. »
C'est ça, l'autofiction. Il n'y a pas de mal à parler de soi : Céline et Proust n'ont cessé de le faire, mais ils avaient le talent nécessaire pour romancer leur vie. Le principe d'autofiction est à ce titre un attrape-nigaud : la fiction y est totalement absente. Qu'importe, les jurés du Nobel souhaitent la féliciter pour « le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle. » Un beau programme. Rappelons que le Prix Nobel de littérature récompense « un écrivain ayant rendu de grands services à l'humanité ».
Aux rayons des services rendus, Annie Ernaux aura réussi à faire virer de chez Gallimard l'éditeur Richard Millet accusé de fascisme. Elle a également signé d'innombrables pétitions pour soutenir de nobles causes. Avec Mediapart, elle a signé un appel au boycott de l'Eurovision 2019 à Tel Aviv. Israël, c'est pas son truc. Elle a aussi soutenu Houria Bouteldja, chef du parti des Indigènes de la République, que de méchants esprits auraient taxé de racisme et d'antisémitisme. Quelle drôle d'idée… Reconnaissante, Bouteldja vient de la féliciter pour son prix. On attend les applaudissements de Tariq Ramadan. Mais il ne faut pas confondre l'auteur et l'œuvre, n'est-ce pas.
Augustin Trapenard, ravi de la crèche de « La Grande Librairie » dans un état d'émerveillement permanent quasi-hystérique, la reçoit dans son émission mercredi 19 octobre. Ses yeux seront plus écarquillés que jamais. Pour la promotion de cet événement sensationnel, un mail a été envoyé aux journalistes. Le présentateur est en extase.
D'abord, il énumère les livres aux titres tellement brillants, puis, c'est l'apoplexie :
« La Place, L'Évènement, Passion Simple, Les Années ou Mémoire de fille sont devenus des classiques de la littérature française, et pour certains du cinéma. En mai dernier, Annie Ernaux publiait Le jeune homme, (Gallimard), son 22ème roman. Toujours à part dans le paysage littéraire français, Annie Ernaux n'a cessé, depuis près de 50 ans, d'écrire sur des sujets tus par la société : l'avortement, la honte sociale, la sexualité des femmes en premier lieu... Elle a bouleversé les frontières entre l'autobiographie, la sociologie et la fiction. Son histoire est notre histoire. (…) Notre mémoire, aussi. »
Son histoire est notre histoire. Ah bon ? Pourquoi donc ? « La réponse mon ami, se répand dans le vent », chantait Bob Dylan, qui lui aussi a reçu le prix Nobel de Littérature, ce qui était assez excessif. Autrement dit, il n'y a pas de réponse. Augustin Trapenard évoque son 22e roman : Le jeune homme. Parlons-en. En 27 pages, Annie Ernaux évoque un épisode palpitant de sa vie : elle a eu, à la cinquantaine, une liaison avec un jeune homme qui l'appelait « ma reum » ou « ma meuf ». Merveilleux : ce qu'on appellerait d'habitude un « livre de caisse » se transforme en roman. Le jeune homme se lit en 5 minutes montre en main, pourtant, c'est encore trop long. Pitchié, comme disent les jeunes.
Frédéric Beigbeder, n'est pas de l'avis de Trapenard, même s'il avait prédit le fameux Nobel dès 2016 dans les pages du Figaro Magazine : « Il semble que la célébration de Mme Ernaux soit devenue obligatoire en France. Son dernier livre, Mémoire de fille, est unanimement salué par une critique béate. Le public suit (…) La Pléiade est pour bientôt, le Nobel imminent, l'Académie s'impatiente, et ma fille l'étudie au lycée (…) Récapitulons: en un demi-siècle, Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son amant, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son hypermarché. Cette fois c'est sur son dépucelage raté durant l'été 1958, en colonie de vacances, quand elle s'appelait Annie Duchesne. L'événement est raconté à cinquante ans de distance avec un sérieux inouï. Ce qui est étonnant avec Mme Ernaux, c'est à quel point ses livres, qui ne cessent de revenir sur ses origines modestes, ne le sont pas. C'est l'histoire d'un écrivain qui s'est installé au sommet de la société en passant sa vie à ressasser son injustice sociale. Ce dolorisme des origines révèle en réalité une misère de l'embourgeoisement. C'est comme si elle refusait d'admettre qu'elle s'en est très bien sortie (…). » Puis, Beigbeder résume parfaitement l'œuvre de l'écrivain : « Mme Ernaux invente la plainte qui frime, la lamentation sûre d'elle. »
Monsieur le Président,
Je vous écris au nom du Centre Simon Wiesenthal, une organisation juive internationale de défense des droits de l’homme comptant plus de quatre cent mille familles membres aux États-Unis, en Europe et en Amérique latine. Nous sommes une ONG accrédi6tée auprès des Nations unies, de l’Unesco, de l’OSCE, de l’OEA et du Conseil de l’Europe.
Par le passé, des écrivains renommés tels que Agatha Christie, Ernest Hemingway, Ezra Pound, T.S. Eliot, Roald Dahl, etc. ont ouvertement exprimé leur antisémitisme...
Néanmoins, nos membres sont choqués qu’en 2022, le prix Nobel de littérature soit décerné à Madame Annie Ernaux, une militante d’extrême gauche qui dénonce régulièrement Israël comme « un État d’apartheid. » Elle est connue pour son soutien à la campagne BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) qui cible les produits et entreprises, le sport, l’art et la culture... tout ce qui est israélien et juif. Une réminiscence du ‘‘Kauft nicht bei Juden’’ nazi des années 1930 (‘‘N’achetez pas chez les Juifs’’).
La campagne BDS et ses activités connexes sont répertoriées comme un cas contemporain d’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Pourtant, la Suède a adopté sa définition de l’antisémitisme et, en tant que l’un de ses initiateurs, en 1998, elle tient aujourd’hui le rôle de présidente de l’IHRA, en s’appuyant sur ses travaux des deux décennies passées.
BDS représente un danger pour les Juifs pour tous les Juifs du monde... Pour exemple, Mme Ernaux soutient l’agression de Houria Bouteldja contre une candidate de Miss France, April Benayoum, dont le père est italo-israélien. À l’époque, Mme Bouteldja avait déclaré : ‘‘On ne peut pas être israélien innocemment…’’ Ce commentaire avait déclenché sur les réseaux sociaux une avalanche de menaces de mort contre la jeune candidate.
En outre, compte tenu du militantisme anti-israélien de Mme Ernaux, nous pensons également qu’un prix littéraire de près d’un million de dollars▪︎ pourrait finir par contribuer aux activités violentes d’organisations propalestiniennes qui figurent sur la liste des mouvements terroristes de l’UE. Dans cette perspective, le choix de l’Académie suédoise fait froid dans le dos !
Depuis 6 jours, Une pétition en soutien à la militante indigéniste Houria Bouteldja vous attend sur le site acta.zone.
Intitulé Contre la calomnie et la diffamation, en soutien à Houria Bouteldja, le texte qui l’accompagne s’insurge contre les accusations d’antisémitisme portées contre Houria Bouteldja après sa énième diatribe, publiée puis diligemment retirée de Mediapart, dans laquelle la donzelle, s’étant cru obligée de commenter « l’Affaire d’une prétendante à la couronne de Miss France 2020 alors que son père était italo-israélien », avait affirmé : On ne peut pas être israélien innocemment.
Non, Houria Bouteldja n’est pas antisémite, plaident les signataires en soutien à l’ex-porte-parole du PIR, laquelle serait selon eux une authentique militante décoloniale et non l’antiféministe, homophobe, pro-islamiste et raciste qui signa dès 2016 Les Blancs, les Juifs et nous qualifié par Libé (!) de “logorrhée haineuse” et de “brûlot odieux“, où la militante, salariée de l’IMA, (Institut du Monde Arabe) écrit: ” J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam“, revendique comme “son héros” l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad après qu’il ait nié à la tribune de l’ONU qu’il y avait des homosexuels en Iran, dénonce le traitement de la Shoah dans les écoles françaises, qui “dressent” les enfants à pleurer Anne Frank et abhorrer Hitler, avant que de se perdre dans moult déclarations délirantes parmi lesquelles l’inoubliable “Mohammed Merah c’est moi et moi je suis lui.” ( 6 avril 2012 )
Pour autant, les signataires de ladite pétition, outre qu’ils laissent affirmer sans ciller qu’on ne peut pas être israélien innocemment, estiment encore qu’accuser leur amie d’antisémitisme relève non seulement de la calomnie mais aussi de la diffamation.
Pour Vous qui vous demandez mais Qui a bien pu signer l’invraisemblable pétition, sachez qu’on y retrouve la bande habituelle mixant dans un indigent medley Chercheurs, Compagnons de route des Frères musulmans, et autres Intellectuels qui nous ont déjà -hélas- habitués à leurs errements : Elle est bien là, Annie Ernaux, là aussi la philosophe Isabelle Stengers.
Enfin, donnons la parole à la défense !
Chère Annie,
Permettez-moi de dire Chère Annie, car Annie Ernaux c’est le nom de votre mari d’alors, et Duchesne, votre nom dit de jeune fille, le patronyme – et on y entend le patronage, le patriarcat... Alors je préfère Chère Annie.
Des femmes ayant reçu le prix Nobel de littérature, il y en a – il y a même eu 16 avant vous et de longue date – mais aucune n’a connu comme vous, dans son pays, par ceux qui tiennent la plume et le micro et à travers les réseaux sociaux, un tombereau de méchancetés et de dénigrements envers ce que vous écrivez ou votre façon d’écrire. Pas la première femme donc, mais la première femme française. On aura tout entendu, ces jours-ci. Trahison, imposture, non-sens littéraire.
C’est une certaine idée de la littérature qui s’est dévoilée, qu’on pensait disparue. Votre vie pour sujet, d’accord, mais il fallait au moins la " romancer ", atteindre à l’universel. Or, c’est justement ce qui vous a fait écrire : les livres, écriviez-vous dans Les Armoires vides en 1974 – en soixante-quatorze, si cette lettre doit arriver jusqu’à Paris – " il n’y a rien pour moi là-dedans sur ma situation ", " les bouquins sont muets là-dessus ". Un avortement. Un viol.
Là-dessus, et sur tant d’autres expériences intimes et malheurs de classe. Vous n’alliez quand même pas les raconter dans le style de ceux qui les font subir. Balzac, Hugo, Zola écrivaient sur le peuple mais s’adressaient, dans la forme, aux gens de haute culture. Sublimes, raffinés, spectaculaires. C’était leur façon de chignoler la bonne société.
Vous ne le savez que trop bien, vous qui êtes passée du monde invisibilisé de la province ouvrière à enseignante de lettres modernes. Le langage est piégé. Vous le déjouez et voilà que preuve est faite de ses manigances. On avait juste caché les perruques, on s’avance toujours des chaises. La vraie littérature serait offerte au monde par le Grand écrivain, et c’est d’évidence un homme, et un homme qui a ses lettres par naissance.
Forcément il a fait la grimace, sachant que vous refusez " le parti de l’art " pour rendre compte de la misère, que vous plaidez une " écriture plate ", neutralisée, pour dire par quel langage non seulement on se pense mais on a été pensé, c’est-à-dire assigné. Alors oui, la littérature est une science sociale, comme on disait de celle-ci qu’elle est un sport de combat. Pas littéraire, ce monde où manquent les moyens de dire son âme, où les cultivés abusent avec l’assomption du milieu, où domine la honte de soi et des siens ? Non, pas au sens des mandarins. Mais pour ce que vaut ce sens !
Car, chère Annie, chaque fois que dans ma propre vie j’ai cherché à dire, à comment dire, à rendre compte sans rendre coupable, à témoigner sans malmener, chaque fois, je me suis tourné vers vos livres ramassés, je ne m’en étais jamais rendu compte : La place ou Je ne suis pas sortie de ma nuit pour la perte d’un parent, et d’autres pour le placement historique du Je, les territoires de la mémoire, les silences bruyants.
Vous qui avez souvent écrit par lettres, je vous écris, chère Annie, dans ce français qui n’est pas non plus ma langue maternelle, je veux dire naturelle, mais celle que l’école puis l’université m’ont donnée, enfin qu’il a fallu adopter pour s’en libérer. C’est-à-dire réfléchir à ce que, dans la ligne où nous place la vie, l’écriture requiert de nous.
Avec toute mon affection,
Gil Bartholeyns