Mon arrière grand père, Léopold s'est installé comme ébéniste à Troyes dans les années 1880, il achetait des meubles d'occasion, il les remettait en état, et à ses heures fabriquait une table, une chaise ou un matelas. Il vendait ce qu'il pouvait. Ses affaires marchant plutôt bien, il a quitté sa boutique, Rue de la Cité pour s'installer dans un grand magasin rue Thiers, près de la gare, qu'il a appelé «Les Galeries du Mobilier». On lui disait, ce n'est pas un bon endroit, il n'y a pas de passage, «On se déplace, pour des meubles» disait-il. Nul doute qu'il aurait été le premier à s'installer dans les zones commerciales de périphérie s'il était né un siècle plus tard.
Commentl a maison fut acquise
La famille habitait dans l'arrière boutique, au rez-de-chaussée, dans un logement sans lumière ni confort. J'ai eu le bonheur d'en éprouver les toilettes qui étaient la preuve indiscutable de l'influence turque sur la société française. Je me souviens de ce misérable logement, au plafond très bas, à l'époque où il était envahi par des meubles en instance de réfection. C'est là que Gaston a vécu, de là qu'il est parti à la guerre de 1914, et qu'il est rentré en 1917, ruiné physiquement et financièrement. Sorti soldat de seconde classe avec la médaille du mérite, et les poumons un peu abimés par les gaz asphyxiants.
En quelques années, il s'est rétabli en tous les sens du terme, et la grande crise est arrivée. Il a eu alors une opportunité extraordinaire, un maçon venait de se faire construire un grande maison à Sainte Savine, et n'avait plus les moyens de la payer.
C'était une grande et belle maison, une maison de maçon ! avec une grande cave, une chambre de bonne, des greniers, deux logements de trois pièces cuisine, et un jardin où il s'est dépêché de faire construire un garage pour le camion du magasin, et deux bureaux dans un petit bâtiment annexe. Cette maison était la fierté de mon grand père. L'entrée était peinte en faux marbre, et la porte était ornée par des vitraux.
Pourquoi la maison fut aménagée
Avant de se marier, juste avant guerre, mon père, Roger, a fait visiter le «château» à sa fiancée et à sa future belle mère. Ce fut la douche froide ! enfin si on peut dire, le problème était justement un problème d'eau... ou plutôt d'absence d'eau. Catégoriquement, ma future grand mère lui annonça qu'il n'était pas question que sa fille vive dans un logement aussi inconfortable !
Le maçon avait tout simplement oublié de prévoir la salle de bain et les wc. On se lavait dans la cuisine, et pour aller au petit coin, il fallait descendre dans la cour, où au fond de la buanderie, il y avait un cabinet de toilette, avec un siège (l'influence turque commençait à s'estomper). Les productions quotidiennes tombaient dans une fosse d'aisance, dont l'odeur était encore acceptable lorsque la cuve n'était pas trop pleine. Des papiers journaux accochés à un fil de fer permettaient de s'essuyer avec des textes et des photos publiées sur Le Petit Troyen dont probablement la photo du Fuhrer des allemands. (Il y a de petits plaisir qu'on ne se refusait pas ! )
Gaston pris alors la décision, de moderniser le premier étage, pour en faire un nid douillet pour son fils chéri. Il créa une salle de bain entre la chambre et la salle à manger, et une verrière panoramique surplombant la buanderie au bout de quelle il installa la salle du trône. Puis se rappelant de sa cohabitation difficile avec sa mère qui en faisait voir de toutes les couleurs à sa femme, il déclara : «Les jeunes avec les jeunes, les vieux avec les vieux». Il se réserva le rez de chaussé, refusant de monter au premier étage, et il continua tout le reste de sa vie à se laver dans sa cuisine, et à utiliser assidument le pot de chambre. Afin de se montrer plus discret encore, il partait le plus souvent possible en vacances à Sens où il séjournait à l'Hôtel du Nord.
La maison dans les tempêtes
Au début de la guerre, mon père fut mobilisé, avec la débâcle, son officier dit à ses hommes, «Nous allons tous être fait prisonnier, il vaut mieux que chacun d'entre vous cherche à regagner ses foyers, et se tienne prêt pour une prochaine mobilisation quand les circonstances le permettront». Mon père pris un vélo et rentra à Sainte Savine, mais la roue tournait, Pétain gouvernait, des mesures anti-juives étaient officialisées, l'État dans un premier temps se contentait de voler en attendant de tuer.
La famille pris la route de l'Algérie, en abandonnat sa maison qui de toute façon serait pillée. Un accident à Castelnaudary bloqua toute la petite famille qui passa la guerre dans le midi toulousain et en Suisse, mais ceci est une autre histoire.
Dès la libération, la famille Lévy rentra dans la maison familiale, enfin, presque toute la famille, ma mère ne se voyait plus terminer ses jours ici, avec cet homme, elle a entamé une autre vie indépendante. J'en ai donc profité pour avoir foyers, deux éducations, et deux cadeaux pour mes anniversaires. Nous revenions, mes frères et soeurs pour les vacances scolaires goûter auprès de mon papa les joies des boites de petits pois et des autres merveilles de la conserve, jusqu'au jour où il s'est remarié, sans le savoir avec une cousine très éloignée de ma maman. C'était son destin !
C'est dans cette maison que sont morts mes grands parents, Alice d'abord, sa chambre devint le bureau, puis Gaston. Le rez de chaussé devint un désert. J'ai habité au premier étage de la maison quelques années, le second comprenait un grenier, une chambre de bonne utilisée par la suite par les infirmières qui soignaient mes grands parents, et une chambre d'ami qui servait de salle de jeu.
Un camp de réfugiés provisoire
En été 1962, nous vîmes arriver à Troyes des "rapatriés", l'exode des français d'Algérie s'est fait de façon administrative. Les familles arrivaient là où elles avaient des attaches, mais les autres étaient envoyées partout dans le territoire national. Mon père était un pilier de la communauté de Troyes, et il voyait dans cet exode une bonne occasion pour revigorer une communauté vieillissante. Le rabbin Samoun, arrivé du Maroc dans les années 50 faisait l'impossible pour accueillir ces nouveaux venus. Il y avait une coordination entre l'évéché et la synagogue, et chaque fois qu'une famille arrivait, selon la religion on se «renvoyait» les clients. Arrivés à la gare, nous n'avions pas de mal à les reconnaître, des familles entières hagards, au milieu d'une masse de bagages, des gens venus de Constantine, d'Oran ou d'ailleurs qui n'avaient aucune famille ni connaissance en France et qu'on «rapatriait» dans un pays où ils n'avaient jamais mis les pieds.
Le rabbin nous demanda si nous pouvions rendre service en prêtant le rez de chaussée de notre maison, et mon père a accepté sans hésiter.
Ainsi, nous avons recueilli une famille particulièrement éprouvée par la guerre. Le père, receveur rural d'un petit bureau de poste avait été traumatisé par une balle assassine qui avait frôlée son cerveau. La mère se désolait toute la journée, car les arabes lui avaient tout pris, on a su par la suite, qu'ils ne lui avaient pas pris grand-chose vu qu'elle n'avait rien sinon une cariole à bras qui lui servait à vendre des fruits au marché. Tout ce petit monde était très bruyant, les scènes de ménage fréquentes. La maison était si bien isolée que nous pouvions suivre tous les épisodes de la saga familiale depuis le premier étage.
Troyes était sur le Qui-vive, une branche troyenne de l'OAS envoyait des lettres de menace au Préfet. (J'espérais à l'époque que l'OAS ferait sauter le théâtre, qui était trop petit et qu'ainsi on aurait un tout neuf, mais hélas, il n'y a pas eu d'attentats). La police a fini par découvrir le coupable, et une ambulance de l'hôpital psychiatrique est venu chez nous, chercher notre invité ! ! l'appartement devint subitement calme... après un séjour à l'hôpital, il a été muté dans un tout petit village, avec interdiction de séjourner en ville.
Puis nous avons hébergé un jeune couple de professeurs venus d'Alger, et curieusement, l'isolation phonique de la maison nous a semblé bien meilleure ! ! Heureusement pour tout le monde, nos hôte ont pu trouver des logements plus décents, et la maison est redevenu vide, très vide, et encore plus vide quand j'ai quitté Troyes pour faire des études à Besançon puis à Dijon.
Alors mon père, sur les conseils d'une agence immobilière a décidé de faire des travaux minimum et de louer en studio et appartement cette grande maison. A la mort de mon père j'en ai hérité et j'ai pu éprouver toutes les joies et bonheurs d'un propriétaire bailleur.
Les joies du propriétaire bailleur
Depuis cette date, la maison est louée à des gens modestes qui profitent d'un loyer relativement bas. Année après année, les logements sont remis aux normes, mais pendant la phase intermédiaire, il m'est arrivé d'avoir deux mauvais payeurs, un pauvre homme et une fripouille.
Le pauvre homme était célibataire et sympathique, et son père se portait caution, j'avais accepté de lui louer l'appartement malgré les réserves de l'agence immobilière. Seulement, je n'avais pas deviné qu'il était maniaco-dépressif. Ce monsieur a eu des phases d'hyper activité, il voulait tout remodeler dans l'appartement, supprimer des couloirs, chager la salle de bain de direction etc... il commençait à tout casser, puis de longues périodes de dépression le paralysait totalement. Il a perdu son emploi, et ne pouvait plus rien réaliser. Au bout d'un an de loyers impayé, l'huissier lui a donné un ordre de partir, et ce pauvre homme s'est retrouvé seul, malade, à la rue et sans revenu. Aucun organisme social ne lui est venu en aide, malgré mes appels au secours en sa faveur.
La fripouille, a eu l'intelligence de se mettre en ménage et d'avoir un enfant. Inexpulsable grâce au bébé, payant un mois de loyer de temps en temps pour faire patienter.
Comme ils me devaient plus d'un an de loyer de retard, je m'étais arrangé pour qu'ils soient suivi par une assistante sociale, qu'une commission de sur-endettement trouve une solution, mais ces coquins se moquaient des institutions comme de leur propriétaire.
Ils ont eu alors l'idée d'appeler la DDASS, en affirmant que le logement était insalubre et que leur refus de payer le loyer était légitime. La Direction de l'Action sanitaire et sociale est venue et a constatée qu'il y avait de la peinture au plomb dans le logement, elle m'a donné un délai de quinze jours pour faire les travaux en me suggérant de demander une subvention à l'ANAH. (organisme dépendant de la direction de l'équipement). Toute la plomberie était saccagée, l'humidité suintait de tous côtés, le ménage n'était pas fait depuis des mois et le syndic de l'immeuble a affirmé n'avoir jamais vu un logement dans un tel état.
J'ai donc entrepris de demander une subvention à l'ANAH afin de mettre le logement aux normes, cette demande a mis six mois pour être acceptée. Pendant ce temps, il était interdit d'entreprendre des travaux.
L'appartement a été déclaré en état d'indécense. Suite à cette décision, il n'était plus éligible aux allocations logement. Donc les allocations familiales ont versé cette allocation aux locataires et non au propriétaire indigne. Mon "locataire", touchait l'allocation logement et ne payait pas le loyer. Il ne pouvait pas non plus être expulsé, car la DASS devait obligatoirement le reloger vu qu'il avait un enfant. Or étant un mauvais payeur et un mauvais coucheur reconnu, personne n'en voulait.
Il est très surprenant de constater qu'une personne qui vole du pain dans une boulangerie, qui consomme sans payer dans un hôtel restaurant est punissable du déli de "grivellerie", alors que le locataire qui refuse de payer son loyer, même s'il en a les moyens n'est aucunement pénalisable. L'expérience à montré
L'ANAH est-elle une aide rendue volontairement inefficace ?
Les aides à la rénovation de logement proposées par l'ANAH sont une vaste supercherie. L'administration interdit de commencer les travaux avant son accord qui peut prendre de longs mois.
Elle prétend subventionner à 70 % les mises en conformité en cas de peinture au plomb. Or elle ne subventionne que les façades où du plom a été trouvé. Par exemple, le mur Est de la chambre 1, la porte du placard de la chambre 2 etc.. le propriétaire lui doit prendre à sa charge le reste, si bien que l'aide véritable n'est que de 20 % environ.
L'aide est débloquée une fois que tous les travaux sont finis, et qu'un locataire a été trouvé. Autrement dit, la subvention est une aubaine pour ceux qui n'en ont pas besoin vu qu'ils ont pu financer les travaux sans aide.
On peut parrier qu'un fonctionnaire en mal d'économie va prochainement découvrir que cette aide ne sert à rien, qu'on paie des gens inutilement, et qu'il serait plus économique de la supprimer et de virer des fonctionnaires inutiles. Il aurait raison. Cet homme suivrait le même raisonnement que les pontes de la SNCF. Ils gèraient des trains très lents aux horaires impossibles et déclaraient que la ligne n'était pas rentable et qu'il fallait la supprimer. L'expérience contraire aurait pu prouver qu'en changeant les horaires et la rapidité, la ligne aurait pu devenir rentable.
Il semble que certains dirigeants pensent faire des économies, en rendant les subventions difficiles à obtenir, accessibles à ceux qui n'en ont pas besoin, on pourra la supprimer sans état d'âme.
si on pense que l'État doit continuer à aider les propriétaires qui doivent mettre au norme des logements anciens et qui n'en ont pas les moyens, alors il faut modifier les procédures. Ne pas retarder les travaux, verser l'aide directement aux entreprises etc...
Voilà un beau sujet de réflexion pour nos chers députés qui s'ennuient !
Michel Lévy
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