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Le pardon dans le judaïsme
dimanche, 11-Mar-2012
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Wolff
Marc-Alain Wolf est psychiatre à l'Institut Douglas et professeur au Département de psychiatrie de l'Université McGill. Il s'intéresse particulièrement au judaïsme, sa religion, et au pardon. Il a publié plusieurs livres, notamment un sur le mysticisme juif et un autre où il propose une lecture psychologique de la Bible. Il a aussi écrit un roman intitulé Kippour, publié en 2006 aux Éditions Triptyque.
 
 

Le Pardon dans le Judaïsme

Éléments d'introduction
http://centreculturelchretiendemontreal.org/valeurs/Pardon.html

D'entrée de jeu, Marc-Alain Wolf souligne que le pardon dans le judaïsme prend ses origines dans la Bible. La fête de Kippour, qui est la fête du pardon, le célèbre comme il est écrit dans le Lévitique : « En ce jour, Dieu vous accordera le pardon afin de vous purifier. » Aujourd'hui, la prière dans les synagogues lors de cette fête commence ainsi : « Oui, j'en prends la résolution, je pardonne à ceux qui m'ont causé du tort, qu'ils l'aient fait sous la contrainte ou de plein gré, par inadvertance ou délibérément, qu'ils m'aient nui par leurs propos ou par leurs actes, à tous, quels qu'ils soient, je pardonne. Que personne ne subisse Ta rigueur à cause de moi. »

Il y a dans le judaïsme, comme le relève ce panéliste, deux aspects indissociables qu'il faut toujours considérer : l'aspect individuel et l'aspect communautaire. Ainsi, le pardon accordé au cours de la fête de Kippour est à la fois personnel et collectif. Pour faire l'expérience des deux types de pardon, l'individu doit répondre à deux obligations : pour obtenir le pardon individuel, il doit se repentir, reconnaître ses péchés, ressentir du regret, vouloir changer; pour pouvoir partager le pardon collectif, il doit se sentir lié à la communauté, et plus ce lien est fort, plus l'absolution obtenue par la médiation de la communauté est importante.

La question du pardon est double : il y a le pardon que l'on cherche à obtenir, puis celui que l'on donne. Dans le judaïsme, affirme Marc-Alain Wolf, on insiste beaucoup sur le pardon que l'on demande, et moins sur celui que l'on donne.

On insiste sur le repentir, la transformation de soi, sur ce qui est appelé en hébreu la techouva. Le pardon est donc un cheminement, il faut s'engager pleinement dans le pardon. C'est pour cette raison qu'il n'y a pas d'hommes dans la religion juive dont le rôle est d'accorder le pardon, du moins de nos jours, car à l'époque biblique, le prêtre pouvait donner une « parole de pardon » qui se résumait à ces quelques mots : « Tu es pur, tu peux revenir dans la communauté. » Ces mots prononcés par le prêtre suffisaient alors pour être pardonné.
Il y a aussi dans les rituels qui entourent la mort, une place qui est faite au pardon et qui souligne l'importance qui lui est accordée dans le judaïsme. Les proches entourant le mourant doivent lui pardonner, mais aussi l'aider à demander pardon à Dieu.
Et plus tard, lorsque le mort est dans son cercueil, chacun doit, à tour de rôle, s'approcher et lui demander pardon.

Comment distinguer les fautes à l'égard de Dieu des fautes à l'égard de l'homme? De prime abord, cette distinction semble assez simple : tout ce qui porte préjudice matériel ou moral à mon prochain, de même que toute offense verbale qui lui est faite, constituent une faute à l'égard de l'homme; les transgressions des interdits et des commandements rituels, l'idolâtrie et le désespoir appartiennent aux fautes commises à l'égard de l'Éternel. Ne pas respecter le Sabbat et les lois alimentaires, ou encore ne pas croire dans le triomphe du bien et ne rien placer au-dessus de l'argent et même de l'art constituent des offenses à Dieu, des fautes qu'efface le Jour du Pardon si l'individu se repent.

Moïse Maïmonide (1138-1204) sur le pardon
Une fois données les grandes lignes de la conception juive du pardon, le psychiatre Marc-Alain Wolf s'attarde aux propos de Moïse Maïmonide sur cette question afin de l'approfondir davantage. Médecin, philosophe, Maïmonide est un personnage majeur du judaïsme. Il est reconnu pour avoir étudié toute la tradition orale juive afin de fixer les règles de la pratique de cette religion. Encore aujourd'hui, ses écrits dans ce domaine forment le socle de la loi rabbinique. Maïmonide rappelle que tous ceux qui, par leurs actes, méritent d'être condamnés à mort ou encore à la flagellation par le Grand Tribunal, ne seront pardonnés ni par la mort, ni par la flagellation, mais bien par la contrition et le repentir. Maïmonide souligne ainsi toute l'importance de la repentance, de la techouva; on ne pardonne qu'à ceux qui en manifestent sincèrement le souhait et qui réparent leurs torts. Le repentir permet le pardon de presque tous les péchés. D'ailleurs, il est interdit de rappeler la méchanceté d'un méchant qui, à la fin de son existence, s'est repenti.

Maïmonide rappelle que la tradition juive ne repose pas seulement sur la Bible; elle repose aussi sur la tradition orale consignée dans le Talmud. Il est intéressant de noter que dans le Pentateuque, soit les cinq livres de Moïse, il est bien écrit que l'on doit pardonner lors du jour de Kippour, mais le devoir de se repentir n'est quant à lui inscrit nulle part.

Cette condition du pardon a donc été introduite par la tradition orale.
Maïmonide propose aussi une démarche pour ceux qui ont péché contre autrui et qui désirent obtenir le pardon. Pour cet auteur du Moyen Âge, quelqu'un qui a blessé ou volé son ami ne sera pas pardonné tant qu'il n'aura pas rendu à son ami ce qu'il lui doit et tant que ce dernier ne lui aura pas pardonné. Et même si le fautif n'a fait que maltraiter son ami par la parole, il doit quand même aller lui demander son pardon et essayer de le toucher. Si son ami refuse de lui pardonner, il doit alors lui envoyer trois hommes qui sont capables de demander le pardon à sa place. Si le pardon est toujours refusé, le fautif doit à nouveau envoyer trois hommes, puis encore trois autres advenant un autre refus. Si le pardon est refusé pour une troisième fois, le fautif cesse alors de le demander, car par ce nouveau refus, l'offensé s'est lui-même installé dans la position du pécheur.

Sur la dimension collective du pardon, Maïmonide rappelle que le sacrifice du bouc lors de la fête de Kippour, soit le bouc émissaire qui était chargé des péchés d'Israël par le Grand Prêtre à l'époque du Temple, permet le pardon de tout le peuple juif, par opposition au rituel particulier, au pardon individuel que les fautifs doivent obtenir auprès de la personne lésée. Ce sacrifice devait permettre le pardon de tous les péchés de la Torah, qu'ils soient graves ou légers, conscients ou inconscients, mais ceci, précise Maïmonide, à condition que le peuple se repentisse.


Emmanuel Lévinas (1906-1995) sur le pardon

Emmanuel Lévinas, est un philosophe français d'origine lituanienne qui fut l'élève d'Husserl et de Heidegger et qui a notamment écrit sur le Talmud.
Lévinas a produit au début des années 1960 une lecture talmudique sur la question du pardon qui fut publiée aux Éditions de Minuit dans le livre Quatre lectures talmudiques et dont le panéliste a exposé les grandes lignes.
« Les fautes de l'homme envers Dieu sont pardonnées lors du Jour du Pardon; les fautes de l'homme envers autrui ne lui sont pas pardonnées lors du Jour du Pardon, à moins que, au préalable, il n'ait apaisé autrui… » Lévinas débute sa lecture par cette citation du Talmud sur le pardon, pour ensuite en donner son interprétation. Selon Lévinas, le Jour du Pardon ne permet pas d'obtenir le pardon pour les fautes commises envers Dieu de façon magique, le Jour du Pardon n'apporte pas le pardon par sa vertu propre; il ne peut être séparé de la contrition, de la pénitence, de l'abstinence, de jeûnes, bref, d'un engagement intérieur. Cet engagement intérieur passe aussi par la prière, prière collective ou rituelle, donc par des formes objectives, extérieures, comme l'étaient les sacrifices pratiqués à l'époque du Temple; il y a interdépendance de l'intérieur et de l'extérieur.
Selon ces enseignements de la tradition orale juive, mes fautes commises à l'égard de l'Éternel seront donc pardonnées le jour de Kippour si je m'engage intérieurement et extérieurement à changer, si je m'engage pour le Mieux.
On pourrait donc dire, remarque Lévinas, que mes fautes à l'égard de Dieu sont pardonnées sans que je dépende de Sa bonne volonté. Dieu est en un sens l'Autre par excellence, l'absolument Autre, et néanmoins, son pardon ne dépend que de moi : l'instrument du pardon est entre mes mains.
Par contre, dit Lévinas, le prochain, mon frère, l'homme, le « petit autre » est, en un certain sens, plus autre que Dieu, car pour obtenir son pardon le Jour du Kippour, je dois au préalable obtenir qu'il s'apaise. Je dépends donc de cet autre qui pourrait désobéir à la tradition juive et me laisser à tout jamais impardonné.

On pourrait s'en tenir là, dit Lévinas. On pourrait en conclure, un peu hâtivement, que le judaïsme place la moralité sociale plus haut que les pratiques rituelles. Cependant, le fait que le pardon des fautes rituelles, des fautes envers Dieu, ne dépendent que de la pénitence, et par conséquent exclusivement de moi, projette peut-être un jour nouveau sur la signification des pratiques religieuses dans le judaïsme. Peut-être que les maux qui doivent se guérir à l'intérieur de l'âme, sans le secours d'autrui, sont précisément les maux les plus profonds. La transgression rituelle, la faute envers Dieu, serait celle dont le pardon requiert toute ma personnalité, œuvre de techouva, de repentir, de retour, œuvre à laquelle personne ne peut se substituer. Être devant Dieu, affirme Lévinas, équivaudrait à une mobilisation totale de soi. La transgression rituelle me détruirait plus profondément que l'offense faite à autrui; qu'un mal exige une réparation de soi par soi, cela mesure la profondeur de la lésion. L'effort que fait la conscience morale pour se rétablir comme conscience morale, la techouva, relève à la fois de la relation avec Dieu et d'un événement absolument intérieur.

 

Tu aimeras ton ennemi…


Rivon Krygier (29/07/03)

http://www.adathshalom.org/RK/Aime_ton_ennemi.pdf

L’esprit de vengeance envers l’ennemi, avec pour corollaire l’incapacité à pardonner, a été
comme on le sait un de ces mauvais procès que les théologiens chrétiens ont longtemps intenté à l’encontre du judaïsme. Encore trop souvent la ritournelle met en opposition le « Dieu vengeur de l’Ancien Testament » au « Dieu d’amour du Nouveau Testament ». Au point que certains juifs euxmêmes ont fini par en accepter le verdict. Il n’est pas jusqu’à Hanna Arendt qui ne déclare que « La découverte du rôle du pardon dans le domaine des affaires humaines fut l'oeuvre de Jésus de Nazareth » 1. Notre propos n’est pas d’instruire à notre tour le procès de l’anti-judaïsme chrétien, ce que l’Église a entrepris d’elle-même avec grandeur depuis une cinquantaine d’années, mais de mettre en évidence certains enseignements bibliques, rabbiniques mais aussi chrétiens qui offrent un tableau considérablement nuancé de la question. Par la même occasion, les apologètes juifs verront sûrement certains préjugés à l’égard de l’éthique chrétienne se démentir.

En quelle situation peut-on parler de vengeance et de la volonté de rendre la pareille à l’ennemi ou celui qui a porté préjudice ?
Un solide présupposé traverse l’ensemble des sources juives : la réparation requise par un individu lésé est considérée comme justice et non comme vengeance, au sens étroit et mesquin. La plainte et l’action menée en justice ou dans tout cadre approprié pour recouvrer ses droits sont parfaitement légitimes.
Ce qui ne signifie nullement qu’une telle démarche soit forcément obligatoire.

Renoncer à réclamer justice risque d’encourager le mal et de dissuader le fauteur de se repentir.

Ainsi, certaines personnes en raison de leur charge éminente, dirigeants mais aussi Sages de la Tora, n’ont pas le droit de « renoncer à leur dignité » en dédaignant la réparation car ce laxisme porterait préjudice au bon exercice de leur magistère.
C’est qu’ils n’ont pas à défendre leur dignité personnelle seulement mais aussi celle de leur fonction. Il en va de même, face à l’agressivité d’un ennemi, où le moindre signe de faiblesse ou de mansuétude excessive risque d’être exploité sans scrupules par lui.
Défendre son honneur, c’est accroître la dissuasion :
Celui qui se fait mouton, le loup le dévore (Midrach Minha hadacha 4:2).
Rabbi Yehouda enseigne au nom de Rav : Pourquoi le roi Saül a-t-il été puni (destitué) ? Car il avait renoncé à sa dignité, ainsi qu’il est dit : « Mais (lorsque Saül fut choisi comme roi) des vauriens dirent :
‘‘Comment celui-là assurerait-il notre salut ?’’
Ils le méprisèrent et ne lui offrirent pas de présent.
Mais lui s’y montra indifférent » (I S 10,27). Et aussitôt : « Nahach [Serpent] l'Ammonite vint dresser son camp contre la ville de Yavèch en Galaad » (I S 11,1). Rabbi Yohanan enseigne au nom de Rabbi Chimôn ben Yehotsadak : Tout disciple des Sages qui ni ne se venge, ni ne porte rancune, comme un serpent, n’est pas digne d’être un disciple des Sages (Yoma 22b-23a).

La notion de vengeance se trouve aussi dans les écrits chrétiens

Sans parler de vengeance au sens strict, divers textes rabbiniques autorisent dans des situations similaires – notamment, de danger – de faire montre de fermeté :
Celui qui vient avec l’intention de te tuer, lève-toi avant lui pour le tuer (Berakhot 58a).
Rabbi Eliezer enseigne : Envers un homme dépourvu de discernement (de conscience morale), il ne faut manifester aucun égard, ainsi qu’il est dit : « Or ce peuple est sans discernement, aussi son Créateur n'aura pas pitié de lui, Celui qui l'a modelé ne lui fera pas grâce » (Is 27,11) (Sanhédrin 92a).
Dans la Bible, Dieu aussi « Se venge », et même, un nombre incalculable de fois. Mais c’est en
tant que justicier quand il s’agit de défendre des valeurs ainsi que les justes qui les appliquent.
Suprême garant d’une juste rétribution, Il est si l’on peut dire de Son devoir de venger et de Se
venger quand les chances de repentir sont épuisées. Les victimes en appellent alors à la vindicte
divine, comme dans l’exemple suivant

Jusqu’à quand, Éternel, garderas-Tu Ton irritation, Ta rancoeur brûlera-t-elle comme brûle le feu ? Déverse Ta colère contre les peuples qui ne T'ont pas reconnu et sur les familles de la terre qui n'ont pas invoqué Ton nom, car ils ont dévoré Jacob, dévasté, anéanti et ruiné ses foyers (Ps 79,5-7 // Jr 10,25).
Les présents versets gagnent d’autant plus à être cités qu’ils ont une histoire. Ils surgissent dans
les Haggadot de Pessah, en pays achkénaze, vers le XII-XIIIe siècle, suite au ressentiment provoqué par les Croisades, dévastatrices pour les communautés juives du Bas-Rhin. Pris souvent pour exemple de l’esprit revanchard qui « caractérise » le judaïsme, ils sont à comparer aux supplications de l’Apocalypse de Jean, qui de toute évidence en sont la transposition :
Jusqu’à quand, Maître saint et vrai (loyal), tarderas-tu à faire justice et à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre ? (Ap 6,10).

Faut-il tout pardonner ?

Cette conception de la vengeance n’est donc pas moins absente des sources chrétiennes. On la retrouve encore sur un plan personnel, chez l’apôtre Paul. Le même Paul qui a dit : « Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez-les et ne les maudissez point » (Rm 12,14) a dit également : Alexandre le forgeron m’a causé beaucoup de tort : le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres (II Tm 4,14).
C’est lui encore qui assigne au pouvoir politique le devoir religieux de sévir contre les
malfaiteurs :
Ce n’est pas en vain que l’autorité porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour faire justice, manifester sa colère envers le malfaiteur (Rm 13,4).

St Thomas d’Aquin (1225-1274) théorisera le droit chrétien de vengeance :
En sens contraire, on ne doit attendre de Dieu rien que de bon et de licite. Mais on doit attendre de Lui la vengeance sur nos ennemis, car il est dit : « Et Dieu ne vengerait-Il pas Ses élus qui crient vers Lui jour et nuit ? » (Luc 18,7), ce qui revient à dire : « Au contraire, Il le fera. »
Donc, la vengeance n'est pas par elle-même mauvaise et illicite […] Et ce n'est pas une excuse que de vouloir du mal à celui qui nous en a causé injustement, de même qu'on n'est pas excusé de haïr ceux qui nous haïssent.
Un homme ne doit jamais pécher contre un autre sous prétexte que celui-ci a commencé de pécher contre lui, car c'est là se laisser vaincre par le mal, ce que l'Apôtre nous interdit : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais triomphe du mal en faisant le bien » (Rm 12,21). Mais si l'intention, dans la vengeance, se porte principalement sur un bien que doit procurer le châtiment du pécheur, par exemple son amendement, ou du moins sa répression, la quiétude des autres, le maintien de la justice et l'honneur de Dieu, la vengeance peut être licite, en observant les autres circonstances requises (ST, IIa, Question 108:1).

De même, pour les sources juives, la vengeance n’est vraiment blâmable que lorsqu’elle ignore toute alternative, se déploie sans juste mesure, avec sévérité et cruauté, ce qui est précisément le contraire de la posture adoptée par Dieu, telle qu’elle se trouve formulée dans un Psaume qui aura marqué profondément la liturgie juive :
Dieu est clément, Il préfère l'expiation de la faute au châtiment, Il contient longtemps Sa colère et, [quand Il doit sévir,] Il n'éveille jamais tout Son courroux (Ps 78,38).
Cette attitude de retenue vaut pour l’homme. La renonciation à l’aiguillon de la vengeance est un
impératif moral, dans la mesure du possible.

Le Talmud n’est pas sans exprimer une certaine admiration pour ceux qui se font humilier et n’humilient pas à leur tour, se font insulter et ne répliquent pas, agissent avec amour et restent joyeux dans la souffrance. À leur sujet, l’Écriture dit : « et ceux qui T'aiment, qu'ils soient comme le soleil quand il se lève dans son éclat ! » (Jg 5,31) (Yoma 23a).
La recommandation n’est pas loin de celle professée par Jésus, dans le fameux Sermon sur la
Montagne :

Vous avez entendu qu’il a été dit : « OEil pour oeil et dent pour dent. » Mais moi, je vous dis de ne pas vous opposer au mauvais. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te faire un procès pour te prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton vêtement (Mt 5,38-40, cf. Lc 6,29).
En fait Jésus ne récuse pas ici le bien fondé d’une réparation judiciaire sur le principe d’équivalence, ainsi que la règle du Talion a pu être interprétée par les maîtres du Talmud, pas plus qu’il ne s’en prend au châtiment corporel pour sa cruauté !
Son propos est autre : il commande une éthique du pardon systématique, c’est-à-dire l’abandon de toute revendication, de toute poursuite judiciaire comme une posture morale radicale liée à sa vision eschatologique.

Il s’agit d’enrayer toute spirale de la violence, en prenant l’agresseur à contrepied, l’invitant à sortir du rapport de force et entrer dans une logique de pardon fraternel en vue de l’accueil du Royaume de Dieu. Sans aller jusqu’à systématiser cette attitude radicale, les rabbins professent également qu’il est malséant et moralement prohibé de chercher à infliger le même mauvais traitement subi lorsque opportunité se présente de rendre l’humiliation, même en toute légalité. Il est immoral de commettre une injustice pour en réparer une autre ou de rendre le mal pour le mal.

En voici l’injonction biblique, et son illustration talmudique :
« Tu ne te vengeras pas, ni ne garderas rancune » (Lv 19,18). Quelle différence existe-t-il entre la vengeance et la rancune ? La vengeance, c’est comme celui qui demande à son voisin : « Tu me prêtes ta faucille ? » Il lui répond : « non. » Le lendemain, le voisin lui demande : « Tu me prêtes ta hache ? » Et lui, de répondre : « Je ne te la prêterai pas car tu n’as rien voulu me prêter. » Telle est la vengeance. La rancune, c’est comme celui qui demande à son voisin : « Tu me prêtes ta hache ? » Il lui répond : « non. » Le lendemain, le voisin lui demande : « Tu me prêtes ton manteau ? » Et lui, de répondre : « Le voici. Je ne suis pas comme toi qui n’as rien voulu me prêter ! » Telle est la rancune (Yoma 23b).

Désamorcer les conflits

En clair, en tout contentieux, l’attitude du plaignant peut varier et de ce fait influer
considérablement sur la nature des relations qui doivent se rétablir. On peut chercher à durcir les
conditions du règlement ou au contraire à les adoucir, à favoriser la réconciliation par une attitude humble et bienveillante. C’est ainsi qu’il existe dans les sources juives les plus autorisées et les plus anciennes, l’idée qu’il faut autant que possible être capable de désamorcer un conflit par une certaine mansuétude qualifiée de « lifnim mi-chourat ha-din », en amont de la règle établie (Berakhot 7a).
Ainsi en va-t-il du pardon. Le devoir moral n’est pas seulement d’implorer le pardon mais aussi
de l’accorder à quiconque le solliciterait. Or, au sens strict, il n’existe guère d’obligation de
pardonner. Nous ne pouvons en effet jamais être assurés de la sincérité du repentir de celui qui nous sollicite. Et parfois, il convient de ne pas se réconcilier promptement, car il ne faut pas rompre le « travail » de réhabilitation qu’opère le repentant. Au demeurant, c’est une grande vertu d’être a priori enclin à pardonner.

Il y a comme une forme d’orgueil et même de « cruauté » à refuser d’accorder le pardon

Ainsi peut-on lire dans les premiers instants de la liturgie de Kippour :
«Oui, j'en prends la résolution, je pardonne à ceux qui m'ont causé du tort, qu'ils l'aient fait sous la contrainte ou de plein gré, par inadvertance ou délibérément, qu'ils m'aient nui par leurs propos ou par leurs actes, à tous, quels qu'ils soient, je pardonne. Que personne ne subisse Ta rigueur à cause de moi.»
Il y a comme une forme d’orgueil et même de « cruauté » à refuser d’accorder le pardon (cf. Michna, Baba Qama 8:7). Au bout de trois requêtes, sauf exception, il est plus que raisonnable d’acquiescer. Rabbi Yossi bar Hanina enseigne :
Toute personne qui invoque le pardon à son prochain, ne devra pas le requérir plus de trois fois… (Yoma 87a).

Selon le Talmud (Yevamot 79a), trois traits de caractère doivent prévaloir dans le comportement
de tout juif : « compassion, pondération, bienveillance. »
Maïmonide (Hil. issouré bia 12:24 ; 19:17) écrit qu’en cas de demande de conversion, l’absence de l’une ou l’autre de ces qualités révèle que le candidat est indigne de s'adjoindre au peuple d'Israël. C’est pourquoi : Il ne convient pas de se montrer cruel en refusant la réconciliation. Il faut au contraire être enclin à apaiser sa colère et ne pas se montrer irascible. Et lorsque celui qui a lésé son prochain demande sincèrement et ardemment à être pardonné, même s’il lui a causé grand tort et nombreux ennuis, il ne 4 faudra pas chercher à se venger ou garder rancune, car telle est la conduite digne du peuple d’Israël (Hil. techouva 2:10).

Le grand cabaliste Mochè Cordovéro (1522-1570) écrit dans le même état d’esprit :
Ceux qui, de stature (morale) moyenne se montrent incapables de se conduire en amont de la règle établie sont appelés ‘‘Jacob’’ (et non Israël, titre d’une plus grande dignité) (Le Palmier de Débora, 1:10).
Et dans la même veine, la ligne de conduite qui consiste à ne rendre justice qu’au sens d’une
équivalence « arithmétique », selon la fameuse règle dite du Talion prise au sens caricatural « oeil pour oeil, dent pour dent » 2, est explicitement décriée par le livre des Proverbes :
Ne dis pas : Comme il m’a traité, je le traiterai, je rends à chacun selon ses oeuvres (Pr 24,29).
Le thème se retrouve dans le Siracide 3 (IIe siècle avant l'ère commune) :
Celui qui se venge éprouvera la vengeance de l’Éternel qui tient un compte rigoureux des péchés. Pardonne à ton prochain ses torts, alors, à ta prière, tes péchés te seront remis. Si un homme nourrit de la colère contre un autre, comment peut-il demander à Dieu la guérison ? (Si 28,1-3).

Et le Talmud d’abonder dans ce sens :
Celui qui renonce à ses récriminations, Dieu agira avec lui selon la même mesure de mansuétude (Yoma 23a, 87b) 4. En somme, le principe de justice dite « commutative », d’effet équivalent à la cause, est ici parfaitement respecté sauf qu’au lieu de procéder d’une logique de rétribution et de vengeance, il déploie une logique de conciliation et de pardon !

L'attitude vis à vis de celui qui nous veut du mal

Qu’en est-il de l’attitude requise envers celui qui nous veut du mal ? Le judaïsme exclut-il
l’amour de l’ennemi ? On connaît les récriminations de Jésus à l’endroit du légalisme aride desdits
« scribes et pharisiens » : Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain mais tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs ! (Mt 5,43-44).

L’opposition classique entre judaïsme et christianisme doit être ici considérablement nuancée. À en juger par l’ensemble des sources néo-testamentaires et de la littérature patristique, le moins qu’on puisse dire est que cette injonction est loin d’avoir été suivie à la lettre.
Dans l’Apocalypse de Jean, le Christ céleste loue l’Église d’Éphèse car « elle hait les oeuvres des Nicolaïtes que je hais aussi » (Ap 2,6). Particulièrement, le ressentiment envers les juifs, même s’il n’est jamais formulé comme un ordre formel, ressort de nombreux textes. Du côté juif, si l’injonction « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » figure bien dans les Écritures hébraïques (Lv 19,18) – adjointe d’ailleurs à celle de ne pas se venger ni garder rancune –, celle de haïr son ennemi ne s’y trouve aucunement !

Grâce à la découverte moderne des manuscrits de la mer Morte, nous savons désormais que c’est la secte de Qoumran (probablement essénienne) qui tenait doctement ce type de discours : Il est ordonné d’aimer tous les fils de lumière, chacun selon son lot dans le conseil de Dieu, et de haïr tous les fils de ténèbres (Règle de la communauté 1,9-10 ; 9,21-22). 2

Un tel impératif aux accents manichéens ne fut en aucune façon adopté dans les sources
rabbiniques même si dès la Bible hébraïque, il est admis que la haine peut être rendue, voire
considérée comme requise envers ceux qui sont haineux de Dieu : Comment ne détesterais-je pas ceux qui Te haïssent, n’aurais-je pas en horreur ceux qui se dressent contre Toi ? Oui, je leur voue une haine sans limite, j’en fais mes propres ennemis (Ps 139,21-22).

Il n’empêche que dès la Bible hébraïque aussi, on trouve a contrario, sous diverses formes, une
forte incitation à enrayer le cercle vicieux de la haine :
Si tu vois l'âne de ton ennemi qui ploie sous sa charge, t’abstiendrais-tu de lui venir en aide ? Tu viendras à son aide (Ex 23,5). Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il succombe, que ton coeur ne jubile pas (Pr 24,17).

S’il est vrai que dans la Bible et la littérature talmudique, Dieu « Se venge » en ce sens qu’en l’absence de repentance, Il ne laisse pas le crime impuni 5, nombreuses sont les scènes qui
représentent Dieu comme contrit à l’idée de devoir sévir contre Ses créatures :
Et l’Éternel regretta d’avoir créé l’homme sur la terre, et Il S’affligea en Lui-même (Gn 6,6). Le Saint béni soit-Il ne Se réjouit pas de la chute du méchant. […] Les anges de Service voulurent entonner un chant (au passage de la mer Rouge) mais le Saint béni soit-Il leur dit : « Mes créatures (lesÉgyptiens) se noient dans la mer et vous voulez chanter devant Moi ? » (Meguila 10b).
Il existe bien quelques sources qui présentent l’image sarcastique d’un Dieu qui se complait
voire s’esclaffe au spectacle de la perdition des méchants. Mais l’image apparaît toujours en revers, en miroir d’une malveillance affirmée, des ruses ou sarcasmes de personnages croyant pouvoir duper le Créateur et triompher de Lui :
Alors, autant l’Éternel Se plaisait à vous rendre heureux et à vous multiplier, autant Il se plaira à
consommer votre perte et à vous détruire. Vous serez arrachés à ce sol dont vous allez prendre possession (Dt 28,63).
Les rois de la terre se soulèvent, les princes se liguent ensemble contre l’Éternel et Son oint. […] Celui qui réside dans le ciel en rit, l’Éternel Se raille d’eux. Puis, Il les apostrophe dans Sa colère… (Ps 2,2-5).
R. Yitshak a dit : (Après avoir démasqué une fausse auto-réhabilitation des idolâtres, à la fin des temps,) Le Saint béni soit-Il n'aura jamais autant ri, si ce n'est ce jour-là (Avoda zara 3b).

Dieu exècre la soif de vengeance :

Autre texte rabbinique faisant entendre que Dieu exècre la soif de vengeance :
Regarde combien grande est la valeur de la paix : Lorsqu’un être de chair et de sang subit la hargne d’un ennemi, il cherche le moyen de lui rendre la monnaie de sa pièce, en stipendiant au besoin un homme plus puissant que lui pour nuire à son ennemi. Mais le Saint béni soit-Il n’agit pas de la sorte. Ne voit-on pas les idolâtres irriter Dieu par leur conduite, et pourtant lorsqu’ils s’endorment, toutes leurs âmes remontentà Lui, ainsi qu’il est dit : « Lui qui a donné le souffle au peuple qui l'habite » (Is 42,5).
Autre enseignement : Lorsqu’un être de chair et de sang cause du tort à son prochain, celui-ci en conserve toujours de la rancoeur. Mais il n’en va guère ainsi chez le Saint béni soit-Il. Alors que le peuple d’Israël fut opprimé en Égypte, asservi aux travaux du ciment et des pierres, et malgré tout le mal que lesÉgyptiens leur infligèrent, le texte biblique exprime encore de la pitié à leur égard : « Tu ne mépriseras pas l’Égyptien car tu as été étranger dans son pays » (Dt 23,8). Aussi, vous aussi, « cherchez la paix et poursuivez-la » ! (Ps 34,15) (DtR 5:15).

Certes, ici encore, il est possible de faire valoir des injonctions bibliques contradictoires qui expriment un ressentiment perpétuel impliquant un traitement impitoyable :
L’Éternel dit alors à Moïse : Écris cela dans un livre pour en garder le souvenir, et déclare à Josué que J'effacerai la mémoire d'Amalek de dessous les cieux. Puis Moïse bâtit un autel qu'il nomma Éternel-Nissi car, dit-il : La bannière de l’Éternel est en main ! L’Éternel est en guerre contre Amalek, de génération en génération (Ex 17,14-16).
L'Ammonite et le Moavite ne seront pas admis à l'assemblée de l’Éternel ; même leurs descendants à la dixième génération n’y seront pas admis, et cela pour toujours ; parce qu'ils ne sont pas venus à votre rencontre avec le pain et l'eau quand vous étiez en route lors de la sortie d'Égypte, et parce qu'ils ont stipendié Balaam fils de Béor pour te maudire, de Pétor en Aram Naharayim. Mais l’Éternel ton Dieu ne consentit pas à écouter Balaam, et Il changea pour toi la malédiction en bénédiction car Il t'avait pris en affection. Jamais, tant que tu vivras, tu ne rechercheras leur prospérité et leur bonheur (Dt 23,4-7).

On observera toutefois à nouveau que l’intransigeance divine n’a d’égale que la détermination farouche avec laquelle ces peuplades ont voulu combattre Israël : Amalek, parce qu’il fut le premier peuple après la sortie d’Égypte, à chercher à l’anéantir, s’attaquant aux plus faibles (cf. Dt 25,18) ; Moav (et Amon qui lui était attaché), parce qu’il chercha à maudire Israël, à l’atteindre spirituellement. Du reste, ceux-là font figure d’exception tant la règle générale consiste à ne jamais fermer la porte de la réconciliation et, a contrario, de « poursuivre la paix. » Plus encore, le droit talmudique finira, à partir de diverses considérations, par lever les interdits d’adjoindre les descendants de ces peuplades au peuple d’Israël 6.

Le judaïsme ne va pas jusqu’à prescrire « l’amour de l’ennemi »

Pour autant, le judaïsme ne va pas jusqu’à prescrire indifféremment et globalement « l’amour de l’ennemi ». Mais l’idée de prier pour ses persécuteurs qui suit chez Matthieu l’injonction de Jésus d’aimer ses ennemis, est présente dans le judaïsme rabbinique, comme en témoigne ce midrach :
« Il y avait des gens vils dans le voisinage de Rabbi Méir qui lui causaient grand tort. Rabbi Méir voulut implorer la pitié divine, pour que Dieu les fasse périr. Brouria, sa femme, à qui il fit part de ses intentions, lui dit : As-tu seulement compris le sens du verset : « Que les péchés disparaissent de la terre ! » (Ps 104,35) ? Est-il demandé que les « pécheurs » disparaissent ou que les « péchés » disparaissent ? Les péchés ! Observe à présent la suite du verset, que dit-il ? – « et de méchants, il n’y en a plus. » En effet, puisqu’il n’y aura plus de péché, il n’y aura plus non plus de pécheur ! Invoque plutôt la pitié divine pour que ces hommes se repentent devant Dieu, et alors, de méchants, il n’y en aura plus !
Rabbi Méir implora la pitié divine pour que ces hommes s’amendent de leurs méfaits et ils revinrent à Dieu (Berakhot 10a).

Le thème abonde dans la liturgie de Kippour :
« Le malveillant abandonnera sa voie, le pervers ses pensées, et ils reviendront à l'Éternel et Lui les accueillera dans Sa clémence ; ils reviendront à Dieu car Il se montrera prompt à pardonner » (Is 55,7).
En effet, Tu ne désires pas la mort du pécheur, Tu veux au contraire qu'il vive en se repentant. Même jusqu'au jour de sa mort, Tu attends encore qu’il parvienne à résipiscence. Et s'il revenait alors à Toi, Tu l'accueillerais aussitôt.
L’espérance déborde de son cadre « tribal » puisqu’elle devra concerner l’humanité tout entière :
Que se prosternent, devant Toi, toutes les créatures et qu'elles ne forment plus qu'un seul faisceau pour accomplir Ta volonté, d'un coeur sans partage ! […] Alors les justes qui contempleront cela se réjouiront, les hommes intègres seront dans l'allégresse et les fidèles feront éclater leur émotion. Le vice sera réduit au silence et toute la méchanceté humaine se dissipera en fumée, car Tu auras fait disparaître la puissance du mal de la terre (ibid.).

Au fond, on a toujours d’excellentes raisons de haïr son ennemi ; la liste des griefs est souvent longue et leur justesse, aux yeux du plaignant, parfaitement avérée ! La vertu de réconciliation, de paix, exige de « l’héroïsme », un dépassement de soi, pour ramener dans l’ombre les aspects négatifs et mettre en lumière les aspects positifs. Ou selon la belle formule du Rabbi Yossef Bekhor Chor (XIIe s.) :
Le Saint béni soit-Il dit à l’homme : Que l’amour que tu éprouves pour Moi vainque la haine que tu éprouves pour lui (ton ennemi) et viens-lui en aide, au nom de Mon amour (Commentaire sur Ex 23,5).
Mochè Cordovéro développe :
C’est là une mesure/vertu qu’il sied à l’homme d’adopter à l’égard de son prochain. Même s’il est en droit de réprouver son prochain ou ses enfants, en leur faisant endurer des épreuves, et qu’ils les subissent, ce n’est pas une raison pour amplifier sa remontrance et prolonger sa colère, même s’il s’est déjà mis dans cet état. Il devra la résorber et ne pas la prolonger, même lorsque la colère est permise comme on peut le voir dans l’exemple cité par les rabbins : « Quand tu verras l’âne de ton ennemi ployer sous sa charge… »
(Ex 23,5), commenté ainsi : Quelle est cette inimitié ? Celle que peut ressentir celui qui a vu quelqu’un commettre une transgression dont il est le seul à pouvoir témoigner, et qui éprouve de l’aversion à son endroit pour cette faute. Même en pareille circonstance, la Tora enseigne : « Tu devras l’aider », c’est-àdire abandonner le courroux qui dévore ton coeur. Au contraire, c’est un commandement que de le rapprocher avec amour, peut-être parviendra-t-il par cette voie à se redresser (Le Palmier de Débora, 1:5).
Une des tournures les plus marquantes du patrimoine juif reste sans aucun doute celle du traité
Avot de-rabbi Natan, d’époque talmudique :
Qui est le véritable héros ? Celui qui fait de son ennemi un ami (ARN A:23).
On voit ici que le judaïsme, loin d’avoir déconsidéré le devoir moral envers l’ennemi, le pervers
ou le païen, exhorte au dépassement du ressentiment et de la haine. Mais il est vrai qu’il subordonne généralement cet amour au repentir. Sur un plan doctrinal, il refuse donc l’état de grâce absolue, l’absolution gratuite comme but premier et ultime de l’amour, notamment car ce serait le plus souvent ne rendre service ni à l’offenseur, ni à celui qui a été offensé. Le christianisme lui-même ne s’en est pas tenu à prêcher indistinctement le pardon mais incite moralement, comme le judaïsme, à enrayer autant que possible le cercle vicieux de la haine.

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