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Lettre à Nicolas Sarkozy de Mohamed Sifaoui


Monsieur Le Président, publié :
http://www.huffingtonpost.fr/mohamed-sifaoui/ma-lettre-ouverte-au-pres_b_1375397.html

L'Union des Organisation Islamiques de France (UOIF) organise, du 6 au 9 avril 2012, ses "rencontres annuelles" au parc des expositions du Bourget. Nous sommes nombreux à nous insurger, depuis de longues années, contre les agissements de cette association qui prétend, de surcroît, s'exprimer au nom des "musulmans de France" et qui n'hésite pas à offrir des tribunes à des idéologues intégristes connus pour leurs positions extrémistes.

L'UOIF qui siège au sein du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) est une association qui défend et propage sur le territoire de la République, et ce, depuis sa création dans les années 1980, une idéologie qui instrumentalise l'islam à des fins politiques directement inspirée de la pensée des Frères musulmans égyptiens.

Sans esprit de polémique et sans rappeler que vous êtes de ceux, alors que vous étiez ministre de l'Intérieur, qui ont tenu à accorder, probablement par méconnaissance, une "respectabilité" à l'UOIF en exigeant leur incorporation au sein du CFCM, je souhaite vous alerter, en prenant à témoin l'opinion publique, sur la dangerosité de banaliser les idées prêchées par les Frères musulmans qui continuent de provoquer des ravages dans les sociétés maghrébines et, au-delà, dans les pays faisant partie de la sphère "arabo-musulmane".

Probablement, vos conseillers ne vous ont-ils pas suffisamment alerté sur les réalités de la pensée des Frères musulmans, sur leur parcours et sur l'itinéraire des fondateurs historiques de l'UOIF, organisation intégriste s'il en est, dont les leaders se sont toujours distingués par un double discours connu de la plupart des spécialistes et chercheurs ayant travaillé sur la question relative à l'islam politique en général et à l'UOIF en particulier.

Les organisateurs des prochaines "rencontres annuelles" de l'UOIF ont décidé cette année d'inviter, ce n'est d'ailleurs pas la première fois, des idéologues intégristes parmi lesquels le tristement célèbre prédicateur égyptien Youssouf Al-Qaradhaoui. J'ai appris que ce dernier a pu bénéficier d'un visa qui l'autorise à fouler le sol de la République et la patrie des Droits de l'homme. Ce qui est, à tout le moins scandaleux. C'est d'autant plus scandaleux que cet extrémiste vient en France, dans ce contexte particulier de tragédie nationale, alors que l'opinion publique constate les ravages que peut provoquer l'extrémisme religieux en général dans des esprits fragiles ou fragilisés.

Il y a de cela quelques années, Youssouf Al-Qaradhaoui s'était illustré par des propos d'une rare violence antisémite. Il annonçait en effet : "Tout au long de l'histoire, Allah a imposé aux [Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu'il leur a fait - et bien qu'ils [les Juifs] aient exagéré les faits -, il a réussi à les remettre à leur place. C'était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants [musulmans]". Je vous laisse apprécier la teneur particulièrement abjecte de ces propos qui ne reflètent, en aucun cas, l'esprit de la religion musulmane. Je vous laisse, par ailleurs, apprécier le fait que vos "protégés" de l'UOIF n'aient jamais condamné ces propos. Pire, ils offrent une tribune à leur auteur qui n'est en réalité autre que l'une de leurs références idéologiques et l'un de leurs maîtres à penser.

Les services spécialisées et les institutions de la République compétentes en la matière vous fourniraient de plus amples informations sur le personnage, mais également à propos des autres invités comme le "cheikh" Mahmoud El-Masri par exemple, connu pour des positions tout aussi extrémistes.

Par conséquent, je vous demande, M. le Président, d'intervenir personnellement pour faire annuler toutes les autorisations d'entrée sur le territoire français de ceux, parmi les invités de l'UOIF, qui sont connus pour leurs positions extrémistes, leur discours antisémite, sexiste ou homophobe et de tous ceux qui appellent à la violence à partir de certaines chaînes satellitaires ou de sites internet.

Les événements tragiques de ces derniers jours et la vive émotion qui continue de traverser la société après les assassinats barbares perpétrés contre trois soldats français d'origine maghrébine et quatre Français de confession juive, dont trois enfants, ne peut nous permettre d'accepter que des tribunes soient offertes, en France, aux tenants de la haine. Des idéologues de la trempe d'Al-Qaradhaoui mettent à mal le "vivre-ensemble" et favorisent, outre la violence, le communautarisme et le repli sur soi.

D'un autre côté, si vous décidez enfin, à juste titre, de criminaliser les sites internet qui prônent le salafisme djihadiste et les idées extrémistes, il est nécessaire, d'agir avec cohérence, à l'égard de personnages comme Youssef Al-Qaradhaoui, car il vous incombe aussi de mettre à l'abri les jeunes français de confession musulmane, dont les esprits sont déjà fragilisés par des conditions socio-économiques difficiles, des stigmatisations et des discriminations qu'ils subissent au quotidien, et qui seraient tentés d'accorder du crédit aux propos haineux de certains idéologues ou encore d'être perméables aux discours extrémistes que la morale républicaine réprouve.

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Merah, "un monstre issu de la maladie de l'islam"

25 mars 2012

Abdennour Bidar

Depuis que le tueur de Toulouse et Montauban a été identifié comme "salafiste djihadiste", c'est-à-dire comme fondamentaliste islamiste, le discours des dignitaires de l'islam de France a été de prévenir tout "amalgame" entre cette radicalité d'un individu et la "communauté" pacifique des musulmans de France.

Cet appel au jugement différencié est nécessaire lors d'un événement comme celui-ci, parce qu'il suscite une vague d'émotion et d'indignation si puissante qu'elle risque d'abolir, dans un certain nombre d'esprits fragiles, toute capacité rationnelle à distinguer entre islam et islamisme, islam et violence, etc. Les dignitaires qui se sont exprimés ont donc assumé là une responsabilité indispensable pour la paix sociale, et nous pouvons espérer que leur parole contribue à éviter une aggravation de la défiance et des stigmatisations dont les musulmans de France restent souvent victimes.

Mais tout le mérite de cette réaction immédiate, responsable et nécessaire, ne suffit pas à éluder une question plus grave. La religion islam dans son ensemble peut-elle être dédouanée de ce type d'action radicale ? Autrement dit, quelle que soit la distance considérable et infranchissable qui sépare ce tueur fou de la masse des musulmans, pacifiques et tolérants, n'y a-t-il pas tout de même dans ce geste l'expression extrême d'une maladie de l'islam lui-même ?

Depuis des années, j'analyse dans mes travaux ce que j'ai désigné à plusieurs reprises comme une dégénérescence multiforme de cette religion : ritualisme, formalisme, dogmatisme, sexisme, antisémitisme, intolérance, inculture ou "sous-culture" religieuse sont des maux qui la gangrènent. Cette médiocrité profonde dans laquelle sombre l'islam s'observe certes à des degrés très divers selon les individus, de telle sorte qu'il se trouve toujours des musulmans moralement, socialement, spirituellement éclairés par leur foi, et de sorte aussi qu'on ne peut pas dire que "l'islam est par essence intolérant" ni que "les musulmans sont antisémites". Ce sont là des essentialisations et des généralités fausses, dont certains usent pour propager l'islamophobie.

Néanmoins, tous ces maux que je viens d'énumérer altèrent la santé de la culture islamique, en France et ailleurs. Il s'agirait par conséquent, pour l'islam, d'avoir dans des circonstances pareilles un courage tout à fait particulier : celui de reconnaître que ce type de geste, tout en étant étranger à sa spiritualité et à sa culture, est pourtant le symptôme le plus grave, le plus exceptionnel, de la profonde crise que celles-ci traversent. Mais qui aura ce courage ? Qui en prendra le risque ? Comme je l'ai souligné aussi à de très nombreuses reprises, la culture islamique est depuis plusieurs siècles enfermée dans ses certitudes, enfermée dans la conviction mortifère de sa "vérité".

Elle est incapable d'autocritique. Elle considère de façon paranoïaque que toute remise en cause de ses dogmes est un sacrilège. Coran, Prophète, ramadan, halal, etc. : même chez des individus éduqués, cultivés, par ailleurs prêts au dialogue sur tout le reste, la moindre tentative de remise en cause sur ces totems de l'islam se heurte à une fin de non-recevoir. La plupart des consciences musulmanes se refusent et refusent encore à quiconque le droit de discuter ce qu'une tradition figée dans un sacré intouchable a institué depuis des millénaires : des rites, des principes, des moeurs qui pourtant ne correspondent plus du tout aux besoins spirituels du temps présent... et dont les musulmans ne se rendent pas compte eux-mêmes, le plus souvent, à quel point leur revendication a changé de nature parce qu'elle se fait au nom de valeurs tout à fait profanes (droit à la différence, tolérance, liberté de conscience).

Comment s'étonner que dans ce climat général de civilisation, figé et schizophrène, quelques esprits malades transforment et radicalisent cette fermeture collective en fanatisme meurtrier ? On dit d'un tel fanatisme de quelques-uns que "c'est l'arbre qui cache la forêt d'un islam pacifique". Mais quel est l'état réel de la forêt dans laquelle un tel arbre peut prendre racine ? Une culture saine et une véritable éducation spirituelle auraient-elles pu accoucher d'un tel monstre ? Certains musulmans ont l'intuition que ce type de question a été trop longtemps ajourné.

La conscience commence à se faire jour chez eux qu'il deviendra toujours plus difficile de vouloir déresponsabiliser l'islam de ses fanatiques, et de faire comme s'il suffisait d'en appeler à distinguer islam et islamisme radical. Mais il doit devenir évident pour beaucoup plus de musulmans encore que désormais les racines de l'arbre du mal sont trop enfoncées et trop nombreuses dans cette culture religieuse pour que celle-ci persiste à croire qu'elle peut se contenter de dénoncer ses brebis galeuses. L'islam doit accepter le principe de sa complète refondation, ou sans doute même de son intégration à un humanisme plus vaste qui le conduise à dépasser enfin ses propres frontières et son propre horizon. Mais acceptera-t-il de mourir ainsi pour que renaisse de son héritage une nouvelle forme de vie spirituelle ? Et où chercher l'inspiration de ce dépassement ?

En tant que spécialiste des pensées les plus profondes de l'islam, ces pensées philosophiques et mystiques d'Averroès (1126-1198) et d'Ibn Arabi (1165-1241), je vois à quel point leur sagesse a été perdue - la plupart des musulmans ne connaissent même pas leurs noms. Il ne s'agit pourtant pas de les ressusciter, ni de les répéter. Il est bien trop tard pour cela. Il s'agit de trouver leur équivalent pour notre temps. A cet égard, il ne suffit donc même pas d'être prêt à admettre enfin qu'il y a une "maladie générale de l'islam", et qu'il faudrait revenir à ces sagesses du passé. Le défi est beaucoup plus important.

Il faut que l'islam arrive à cette lucidité tout à fait nouvelle de comprendre qu'il doit se réinventer une culture spirituelle sur les décombres du matériau mort de ses traditions.

Mais, autre difficulté redoutable, il ne pourra pas le faire seul et pour lui seul : rien ne servirait aujourd'hui de vouloir instituer un "humanisme islamique" à côté d'un "humanisme occidental" ou d'un "humanisme bouddhiste". Si demain le XXIe siècle est spirituel, ce ne sera pas de façon séparée entre les différentes religions et visions du monde, mais sur la base d'une foi commune en l'homme. A trouver ensemble.

Abdennour Bidar
professeur de philosophie à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes) Le Monde, 23 mars 2012
  http://www.upjf.org/fr/4874-tuerie-de-toulouse-:-la-gauche-en-flagrant-delit-de-desinformation-obscene-alexandre-del-valle.html
 

Bernard Squarcini : "Nous ne pouvions pas aller plus vite"

LE MONDE | 23.03.2012 à 11h13 • Mis à jour le 23.03.2012 à 12h52

Par Laurent Borredon et Jacques Follorou Le Monde

Le directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, assiste à la conférence de presse le 17 janvier 2012 à Paris, pour la remise du rapport sur les chiffres de la criminalité pour l'année 2011. Il répond aux interrogations sur la surveillance de Mohamed Merah.

Jeudi, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a affirmé : "Je comprends qu'on puisse se poser la question de savoir s'il y a eu une faille ou pas." C'est une mise en cause de vos services ?

Le sens de sa phrase a été dénaturé. Des personnes, dont des enfants, sont morts d'une façon particulièrement cruelle, et nous nous posons forcément la question: est-ce qu'on aurait pu faire différemment? Est-ce qu'on a raté quelque chose? Est-ce qu'on a été assez vite? Mais il était impossible de dire dimanche soir : "C'est Merah, il faut aller l'attraper." Lui-même n'avait d'ailleurs pas prévu d'attaquer l'école juive lundi matin. Selon ses déclarations lors du siège par le RAID, il voulait tuer un autre militaire, mais il est arrivé trop tard. Et comme il connaît bien le quartier, il a improvisé et a attaqué le collège-lycée Ozar-Hatorah.

Mohamed Merah vous a parlé pendant le siège du RAID ?

Il a souhaité parler avec le policier de la direction régionale du renseignement intérieur (DRRI) de Toulouse qui l'avait rencontré en novembre 2011. Il est intervenu au cours des négociations. Mohamed Merah semblait avoir un rapport de confiance avec lui. Il s'est confié, il a coopéré. Il nous a dit où était le scooter ou les deux voitures. Le courant passait bien. Non sans cynisme. Il a même dit à ce policier: "De toute façon, je devais t'appeler pour te dire que j'avais des tuyaux à te donner, mais en fait, j'allais te fumer." C'est un Janus, quelqu'un qui a une double face.

Il faut remonter à la cassure de son enfance et à ses troubles psychiatriques. Pour avoir fait ce qu'il a fait, cela relève davantage d'un problème médical et de fanatisme que d'un simple parcours djihadiste. Selon le policier de la DRRI, c'est sa deuxième personnalité qui a parlé, mercredi. Il lui a raconté la deuxième tranche de vie qu'il n'a pas voulu lui évoquer en novembre. Il a fini leur entretien, en quelque sorte.

Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a fait le lien entre Mohamed Merah et des salafistes arrêtés en 2007, à Toulouse et en Ariège, dans une affaire de filière djihadiste irakienne. Etait-il sous surveillance à ce moment-là ?

Il n'y a pas de lien, en dehors de mandats qu'il a envoyés à l'un des condamnés en prison, ce qui peut être une simple solidarité de cité. Il a à peine 18 ans à l'époque des faits. Il ne peut pas apparaître comme un activiste chevronné. Il était plutôt un petit délinquant déjà connu pour plusieurs faits : vols avec violences, vols à l'arme blanche. C'est une conduite sans permis qui le fait basculer, et emprisonner dix-huit mois, puisque ses sursis tombent à la fin de sa majorité pénale. Il trouve injuste la sanction qui lui est infligée et il part en rébellion contre les institutions.

Selon les déclarations qu'il a faites lors du siège par le RAID, il s'est autoradicalisé en prison, tout seul, en lisant le Coran. C'est un acte volontaire, spontané, isolé. Et il dit que de toute façon, dans le Coran, il y a tout. Donc, il n'y a aucune appartenance à un réseau.

Il n'a pas été victime d'une filière de radicalisation en prison ?

Il semble s'être radicalisé seul.

C'est un profil particulier, donc ?

Il n'a pas les attributs extérieurs du fondamentaliste. Lors de ses condamnations par le tribunal pour enfants, une fragilité psychologique est détectée. Il a mal supporté le divorce de ses parents, et son père est retourné en Algérie. Il noue une relation particulière avec sa mère. Il vit de petits boulots, qu'il garde un mois, un mois et demi. En fait c'est sa mère qui subvient à ses besoins logistiques. Et puis il nous dira à travers la porte, mercredi, que c'est son business et ses petits larcins qui lui permettent d'accumuler de l'argent et d'acheter des armes.

Quand est-il apparu sur vos radars ?

Après un simple contrôle routier à Kandahar, en Afghanistan, en novembre 2010, qui est effectué par la police afghane. Ils le remettent aux Américains qui l'ont forcé à remonter dans l'avion pour rentrer à Kaboul. La direction de la sécurité et de la protection de la défense (DPSD), un des services de renseignement des armées, nous a signalé l'incident.

Qu'a-t-il fait pendant ce premier voyage ?

Il a passé du temps chez son frère au Caire après avoir voyagé au Proche-Orient : Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, et même Israël. A Jérusalem, la police découvre un canif dans son sac puis le relâche. Ensuite, il se rend en Afghanistan en passant par le Tadjikistan. Il prend des parcours qui sont inhabituels et n'apparaît pas sur nos radars, ni sur ceux des services extérieurs français, américains et locaux. Il arrive le 13 novembre à Kaboul, il est contrôlé le 22 novembre à Kandahar et il rentre en France le 5 décembre 2010.

Que se passe-t-il ensuite ?

Nous faisons une enquête pour voir ce qu'il vaut. Mais il n'y a rien. Pas d'activisme idéologique, pas de fréquentation de la mosquée.

Pourquoi l'avez-vous convoqué à l'automne 2011 ?

Parce que nous voulons recueillir des explications sur son voyage en Afghanistan. C'est un entretien administratif sans contrainte, puisque nous n'étions pas dans un cadre judiciaire.

Il s'y soumet sans problème ?

Le fonctionnaire qui l'a reçu n'a pas senti une volonté d'esquiver, au contraire. Mohamed Merah l'appelle le 13 octobre 2011 car il n'est pas en France à ce moment-là, il est au Pakistan. "Dès que je rentre, je vous contacte", a-t-il dit. Le 3 novembre, il rappelle de l'hôpital Purpan, à Toulouse, ou il est hospitalisé pour une hépatite. "Dès que je sors, je viens vous voir", assure-t-il. Il fait preuve d'une excellente coopération, d'éducation, et de courtoisie.

Il vient à l'entretien avec sa clé USB qui contient ses photos de voyages. Il demande à s'allonger sur la table pour pouvoir discuter parce qu'il est malade, dit-il. Il explique en photos tout le parcours touristique qu'il a réalisé au Proche-Orient, en Afghanistan et au Pakistan.

Son deuxième voyage au Pakistan ne vous a pas inquiété ?

Il n'est resté que deux mois au Pakistan. Il dit alors que c'était pour chercher une épouse. Lors du siège par le RAID, il nous a dit qu'il était allé au Waziristan et qu'il y avait encore là-bas d'autres Français comme lui. Mais à l'époque, ni les services pakistanais, ni les Américains, ni la DGSE ne nous ont alertés.

Où a-t-il appris à combattre ?

Il a déclaré au RAID qu'il avait bénéficié d'un entraînement particulier au Waziristan par une seule personne. Et pas dans les centres de formation, où il aurait pu se faire repérer puisqu'il parlait français.

Pourquoi les Américains l'ont-ils inscrit sur leur liste d'exclusion aérienne, et sur celle du FBI pour lien avec Al-Qaida ?

Probablement parce qu'il a été contrôlé à Kandahar.

Son frère n'était pas surveillé ?

Ce n'est pas le même type de personnalité. Le frère et la sœur sont partis en juillet 2010 dans une école coranique en Egypte. Ils n'ont pas la même formation. Il nous l'a dit : "Moi je n'ai pas confiance en mon frère, je ne lui ai jamais dit ce que je faisais. Ni à ma mère."

Après l'entretien de novembre 2011, que se passe-t-il ?

Des dispositions ont été prises, la DCRI l'a notamment inscrit au fichier des personnes recherchées pour être informé en cas de contrôle et de déplacements.

Quand avez-vous commencé à travailler sur le meurtre des militaires, le 15 mars ?

La DCRI a commencé à échanger avec la police judiciaire dès le vendredi 16 mars. Le samedi au soir, ils nous ont transmis des données à cribler dans notre documentation. Le service a travaillé tout le week-end sur les propriétaires de T-Max, de 11.43, les habitués des stands de tir, les noms liés aux adresses IP qui se sont connectées à l'annonce du premier militaire, 24 000 données au total. On s'interroge encore à ce moment-là sur la piste de l'ultradroite, du djihad ou d'un fou.

Vos recherches isolent alors le nom de la mère de Mohamed Merah, qui correspond à l'une des adresses IP ?

Oui, mais, le dimanche soir, il n'y a pas que ce nom-là. Nous donnons les réponses aux criblages à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, et on demande à ceux de nos services qui ont émis les dossiers sur ces noms d'approfondir la recherche.

Donc, le nom de Merah ne déclenche pas de processus d'alerte ?

Non. Mais nous savons dimanche soir que Mme Aziri est la mère de Mohamed et Abdelkader Merah. Son nom apparaît dans la liste des gens qui ont consulté une annonce de vente de moto sur Leboncoin. fr. Mais elle a cinq enfants, cela fait six personnes qui auraient pu se connecter. Cela ne fait pas encore d'elle et de ses deux fils des suspects. De plus, il n'y a pas d'éléments qui montrent de contact direct entre le vendeur de la moto et un membre de la famille Merah.

Est-ce que le profil des militaires tués, d'origines maghrébine et antillaise, vous a fait perdre du temps ?

Non, à ce moment-là, tout le monde est dans le brouillard. Il n'y a pas de piste privilégiée. Le lundi, c'est l'attaque du collège Ozar-Hatorah. Le parquet de Paris se saisit de l'affaire, et nous nous trouvons en cosaisine. Là, avec l'école juive, la façon dont il a ciblé, l'hypothèse djihadiste reprend du poids. Nous gardons encore à l'esprit celle de l'ultradroite.

Est-ce que les deux méthodes de travail, PJ et renseignement, ne se sont pas percutées ?

Au contraire, nous avons gagné du temps. Le renseignement débroussaille, et évite que l'enquête de la PJ soit polluée. Avec la tuerie de l'école, on se retrouve face à une trajectoire criminelle bizarre. Il n'y a pas de revendication, il n'y a qu'un lien géographique.

Le lundi soir, la liste de suspects potentiels s'est réduite ?

Notre direction régionale nous donne une liste de six noms d'islamistes radicaux et six noms de membres de l'ultradroite. Ils ont un profil qui peut laisser penser qu'ils ont pu basculer.

Dans la liste des islamistes, il y a les Merah ?

Seulement Mohamed.

Comment quelqu'un jugé inoffensif en novembre devient un tueur potentiel en mars ?

C'est quelque chose d'atypique, d'irrationnel et de violent. Mohamed Merah, c'est quelqu'un qui a un comportement violent dès sa petite enfance, qu'on ne peut rattacher à aucune typologie.

Le mardi 20 mars, vous vous concentrez sur Mohamed Merah.

Lors de réunions sur la stratégie de l'enquête, les services ont souligné qu'il pouvait correspondre au profil, mais qu'il était indispensable d'interpeller en même temps la mère, Abdelkader, et Mohamed. Il faut alors des éléments pour convaincre un juge des libertés et de la détention d'autoriser des perquisitions de nuit. Comme ce sont des islamistes présumés, il fallait intervenir avant l'heure de la première prière.

Vous pensiez encore que cela pouvait ne pas être lui ?

Oui, cela pouvait être une de ses relations. On n'a pas de certitude à cette heure-là.

Est-ce que ce dossier change votre grille de lecture du phénomène islamiste ?

C'est évident qu'il peut y avoir d'autres solitaires comme lui. C'est la crainte de tous les services de renseignements mais cela ne change pas fondamentalement notre grille de lecture du phénomène terroriste.

Ne craignez-vous pas une exploitation politique de cette affaire ?

Ces problèmes-là ne sont ni de droite, ni de gauche. Ce sont des problèmes techniques. Nous sommes soulagés de l'avoir trouvé. Malheureusement, il y a eu des victimes innocentes, mais il y aurait pu en avoir plus. Nous ne pouvions pas aller plus vite. Nous aurions bien aimé.

Laurent Borredon et Jacques Folloro

   
 


Portrait de Mohamed Merah : de la délinquance à l’islamisme meurtrier


jeudi 22.03.2012, 19:30 - La Voix du Nord


Des captures TV du journal télévisé de France 2 hier -

Avant de devenir un « moudjahid » filmant ses assassinats, le tueur au scooter Mohamed Merah, tué jeudi à 23 ans par le Raid, a été un jeune délinquant violent et a séjourné deux ans en prison où il a « commencé à se radicaliser » dans ses convictions islamistes.

Mohamed Merah naît le 10 octobre 1988 à Toulouse, de parents d'origine algérienne. Son père « a disparu à sa naissance et ne s'est jamais occupé de l'enfant », explique une source policière, selon laquelle il a au moins une soeur et un frère, ainsi qu'un demi-frère. Sa mère, placée en garde à vue, a assuré avoir perdu toute « influence » sur son fils.

Dans le quartier populaire des Izards où il grandit, l'enfant présente très tôt des « troubles du comportement », selon le procureur de Paris François Molins. Redoublement, sanctions, exclusions marquent sa scolarité. Et « à quinze reprises », il est condamné par le tribunal pour enfants de Toulouse, dont « quatre ou cinq » fois pour des faits de violence.

Il quitte le système scolaire à 16 ans, pour un apprentissage en carrosserie ; au moins un de ses employeurs le considère comme « un très bon ouvrier ». Mais les petits délits, vols, violences, outrages s'enchaînent et le vol à l'arraché d'un sac à main lui vaut 21 mois de prison entre décembre 2007 et septembre 2009.

C'est à 19-20 ans, en prison, qu'il « commence à se radicaliser » dans ses convictions islamistes, selon le procureur Molins. « Cela ne veut pas dire que c'est à cause de la prison. Cela veut dire que c'est au cours de ses séjours en prison qu'il s'est adonné à une lecture plus assidue du Coran ». « Aucune évolution ni aucune dérive de nature intégriste n'ont été notées dans son comportement. Par contre, il a continué à présenter les troubles du comportement qui avaient été notés. Il s'était montré violent avec des codétenus et il avait fait une tentative de suicide », a précisé le magistrat.

Sorti de prison, il tente à l'été 2010 de s'engager dans l'armée. Une après-midi de juillet, il se présente au point d'information de la Légion étrangère à Toulouse et y passe une nuit, sans pour autant participer aux tests de sélection. « Dès le lendemain, il est parti de son propre chef », selon le ministère de la Défense.

Autoradicalisation salafiste atypique

Ces dernières années, il affichait des ressources modestes, tout en louant des voitures au mois et en ayant plusieurs logements, selon les enquêteurs... Il a cependant lui-même expliqué au négociateur que l'acquisition des très nombreuses armes amassées chez lui a été financée avec ses « casses » et « cambriolages ».

Le procureur évoque un « profil d'autoradicalisation salafiste atypique ». Car c'est « par ses propres moyens » que le Toulousain aurait séjourné en 2010 en Afghanistan, puis, pendant deux mois de 2011, au Pakistan, où il a affirmé avoir « été formé par Al-Qaïda ». Cependant, l'Afghanistan et les forces américaines et de l'Otan dans ce pays, mais aussi le Pakistan assurent n'avoir aucune trace de ces séjours.

Mohamed Merah était capable de « rester enfermé longtemps chez lui » à regarder des vidéos sur internet, notamment « des scènes de décapitation », a relevé le procureur. Un ami le décrit comme « passionné de jeux de vidéo de guerre » et « d'armes », montrant volontiers des vidéos choquantes du conflit israélo-palestinien.

Une mère de famille toulousaine avait d'ailleurs porté plainte contre lui, en juin 2010. Merah avait alors fait regarder à son fils de 15 ans « des vidéos d'Al-Qaïda » avec des scènes « insoutenables », notamment des femmes exécutées d'une balle dans la tête et des hommes égorgés. Il avait aussi frappé l'adolescent et sa soeur.

Fin 2011, Merah avait été « convoqué par le service régional du renseignement intérieur » de Toulouse afin de s'expliquer sur ses séjours en Afghanistan et au Pakistan, a dit le ministre de l'Intérieur Claude Guéant : il « avait alors expliqué, force photos à l'appui, qu'il avait fait un voyage touristique ».

Moins de cinq mois plus tard, les 11, 15 et 19 mars, il tuait froidement un parachutiste à Toulouse, puis deux à Montauban, puis trois enfants juifs et un professeur de religion à Toulouse.

L'avocat Christian Etelin, qui le défendait depuis l'adolescence, s'est dit « bouleversé » à la fois « par ce qu'il a fait, et par sa mort ». Il aurait voulu le revoir vivant, pour « comprendre comment il avait pu s'engager dans un tel processus de déshumanisation ».

L’assassin « monstre psychopathe », une explication faussement rassurante

Le tueur au scooter : un psychopathe ? un monstre paranoïaque ? Face à ces questions, les psychiatres en sont réduits à esquisser des hypothèses et mettent en garde contre la tentation de ranger hâtivement un criminel dans une « case » pour « l'éloigner » du commun des mortels.
La psychiatrie ne peut pas résoudre tout, mettent en garde les spécialistes car tous les assassins ne sont pas des fous et l'on ne peut pas tout ramener à la psychopathologie. « On fait appel aux psychiatres parce qu'on espère une réponse rassurante, qui fasse rentrer le criminel dans une case - un psychopathe, un monstre -,qui l'éloigne de nous », qui montre qu'il est « différent de nous », relève le psychanalyste et psychiatre Samuel Lepastier.

« Psychopathe ? - ça veut tout et rien dire. Il y a des maladies mentales bien identifiées (schizophrénie, maladie bipolaire...) et il y a des personnes qui ont des troubles de la personnalité, plus ou moins proches de la norme », relève le Dr Bertrand Garnier.
« Ce gars (Mohamed Merah) a manifestement un trouble de la personnalité, mais on ne peut pas affirmer qu'il avait une maladie mentale (des voix dans la tête...) sans l'avoir examiné », ajoute-t-il. Pour lui, sa démarche individuelle évoque une « fuite en avant ».

La tendance paranoïaque réunit la fausseté du jugement, l'hypertrophie du moi - « J'ai mis la France à genoux » - la psychorigidité de celui qui refuse de remettre en cause son jugement. « Il s'est fixé une mission, il l'a accomplie, c'est la définition de la psychorigidité. Sauf que cette mission est monstrueuse ». Il rappelle « un peu le côté froid et calculateur du tueur d'Oslo (Anders Behring Breivik : 77 morts) », ajoute le Dr Garnier.

« Dans notre jargon, le psychopathe est celui qui fait tout ce qui est interdit : il a envie d'une moto, il la vole, il n'a pas d'éléments pour différer sa décision ».

Dans Libération, on peut lire : Ses volets étaient toujours fermés. Un voisin le dépeint comme «un type assez taciturne qui ne parlait pas beaucoup aux autres». Un homme au parcours «assez solitaire», résume le procureur Molins, capable de «rester longtemps enfermé chez lui, à regarder des scènes de décapitation».

Selon Le Figaro "Mohamed Merah a confirmé qu'il n'avait jamais voulu accepter un attentat ou une mission suicide car il voulait multiplier les attaques «qui ont mis la France à genoux». Ressentant un «plaisir infini» lors de ses équipées meurtrières, le jeune homme de 24 ans avait besoin «de voir, de toucher et de filmer ses victimes» grâce à la caméra qu'il portait sur lui. Il affirme avoir transmis ces vidéos «à des frères» qui les mettront en ligne. Selon le procureur de Paris, elles seraient déjà disponibles mais personne ne sait où.

Le frère, personnage intéressant

Certes, on peut se demander comment « un petit délinquant est passé de l'autre côté ». Beaucoup de jeunes issus de l'immigration sont amenés à jouer la tradition contre leurs parents auxquels ils reprochent de s'être laissés humiliés et de ne pas leur donner de modèle : « ils rejettent les parents qui ont été occidentalisés en se tournant vers des traditions qui relèvent plutôt de l'imaginaire », interprète Samuel Lepastier.

Plutôt que d'affronter une vie ordinaire avec ses aléas, ses difficultés et ses insuffisances, la radicalisation consiste à adopter « un prêt à porter identitaire où il n'y a plus de question à se poser », analyse-t-il. C'est « une forme de secte », dit-il. En quelque sorte « ça lui donne une revanche ». C'est une façon de se venger des humiliations ressenties, de se donner une importance.

Pour être un criminel violent, il faut de fortes pulsions d'agressivité, il les avait et surtout une sorte de narcissisme monstrueux qui conduit à se débarrasser de ceux qui nous gênent, ajoute le Dr Lepastier.

Pour autant, quel a été le facteur déclenchant déterminant (famille, rencontre...), pourquoi est-il passé à l'acte maintenant et pas plus tôt ou plus tard ?
« C'est effectivement une question à laquelle il faudrait pouvoir répondre », poursuit le psychanalyste.

Il relève que l'« on ne dit pas un mot de son père ». « A mon avis, le personnage intéressant serait le frère - on sait que dans une fratrie, il y a souvent un leader et un exécutant », avance le Dr Garnier. Selon le Dr Lepastier, on ne peut écarter la possibilité que le tueur, « mort les armes à la main », incite d'autres à suivre sa voie. « Les conséquences des événements de Toulouse sont encore largement imprévisibles ».