Né en 1918 au sein d’une famille bantoue cultivée et influente, Nelson Mandela entreprend des études de droit. Conscient très vite de la ségrégation raciale à l’encontre des noirs en Afrique du Sud et influencé par Walter Sisulu, il intègre l’African National Congress (ANC). Très vite, il devient l’un de ses principaux leaders, notamment avec la création de la Ligue de la jeunesse. Fondateur du premier cabinet d’avocats noirs d’Afrique du Sud, il mène des campagnes non-violentes jusqu’au massacre de Sharpeville, en 1960. Lors de cette journée du 21 mars 1960, des manifestations sont organisées pour protester contre le port obligatoire du passeport. Le drame se produit lorsque la police ouvre le feu. On dénombre plus de 60 morts.
Une radicalisation des idées
Le gouvernement ayant interdit l’ANC à la suite du drame, Mandela décide de poursuivre la lutte clandestinement et de prendre les armes. Il met en place des actions de sabotages et de grève générale, afin d’entretenir la guérilla. Mais dès 1962, il est arrêté puis condamné à la prison à vie en 1964. Ses 27 ans d’incarcération à Robben Island, puis à Pollsmoor, n’ont jamais entaché sa popularité.
La fin de l'apartheid en Afrique du Sud
À sa libération, il devient président de l’ANC puis négocie avec Frederik de Klerk sur le sort du pays. Afin d’honorer les efforts de Nelson Mandela et De Klerk pour mettre fin à l’apartheid, les deux hommes reçoivent le prix Nobel de la Paix en 1993. Puis, ils s’accordent sur un gouvernement multiracial et les premières élections présidentielles donnent le pouvoir à Mandela. Il devient le premier président noir de l’Afrique du Sud le 27 avril 1994. Il met alors en œuvre une politique de réconciliation difficile avant de laisser la place à Thabo Mbeki, en 1999. Après un seul mandat présidentiel, Nelson Mandela se retire de la vie politique. Mais il ne cesse jamais de soutenir l’ANC.
Une vie au service des autres
Durant les années 2000, il s’engage cette fois dans la lutte contre la pauvreté et le sida, véritable fléau, longtemps négligé en Afrique du Sud. Mais sa santé décline, après un cancer de la prostate, il souffre d’une infection pulmonaire chronique probablement liée à ses nombreuses d’emprisonnement. Son 90ème anniversaire en 2008 est fêté comme une fête nationale.
Nelson Mandela est décédé le 5 décembre 2013 à l’âge de 95 ans.
L'Afrique du Sud déçue de l'absence de Netanyahou
L’ambassadeur Sud-africain en Israël évoque sur i24news "certains points communs avec les Palestiniens"
L'ambassadeur d'Afrique du Sud en Israël, M. Sisa Ngombane s'est dit "déçu" de la non-venue de Benyamin Netanyahou à l'enterrement de Nelson Mandela, lors d'une interview sur le plateau d'i24news lundi soir, à la veille de la cérémonie en hommage à Madiba, qui aura lieu dans le stade mythique de Soccer City à Soweto.
Le bureau du Premier ministre israélien a annoncé plus tôt lundi que Netanyahou ne se rendrait pas en Afrique du Sud en raison du coût élevé du voyage, lié au dispositif de sécurité.
Interrogé sur les relations entre Israël et l'Afrique du Sud, M. l'ambassadeur a déclaré à i24news: "Oui nous avons des divergences mais en temps de deuil, ce n'est pas le moment d'en parler", a-t-il dit, ajoutant que Netanyahou était le"bienvenu" et que "tous les chefs d'Etat recevront une sécurité absolue, dans une zone bouclée" pour l'occasion par la police.
M. Ngombane s'est ensuite exprimé sur le tremblement de terre international provoqué par la mort du héros de la lutte anti-apartheid, et a évoqué l’époque où Mandela était incarcéré et où son influence dépassait déjà les frontières de l’Afrique du Sud.
"Quand Mandela était en prison, le monde entier a appelé à sa libération", a-t-il dit, expliquant que l’œuvre de Madiba n’appartient pas uniquement à l’Afrique du Sud, mais au monde entier.
"J’ai eu la chance de travailler de très près avec l’ANC (Congrès national africain, le parti politique au pouvoir en Afrique du Sud et le symbole de la lutte anti-apartheid, ndlr) et en sortant de prison, ils nous ont dit que nous devions accepter que Mandela ne serait plus seulement à l’ANC mais au monde entier", a-t-il ajouté.
"Il laisse un très grand vide derrière lui"
L’ambassadeur Sud-africain s’est ensuite exprimé sur l'ère post-Mandela déjà en Afrique du Sud, et sur les conséquences de la mort du leader pour le pays.
Il a qualifié sa disparition de "grande perte" mais a néanmoins insisté sur la sagesse de Mandela qui "nous a préparé le plus tôt possible au fait qu’il ne serait pas éternel et nous l’avons accepté pas à pas".
Cependant, il explique que seule sa présence rassurait le pays et qu'elle aidait dans les moments de crise. "Nous savions que Mandela était là", dit-il et que "sa sagesse vaincrait".
La nation "arc-en-ciel" : un rêve devenu réalité ?
A la question : "diriez-vous que le rêve de Mandela s’est réalisé?", l’ambassadeur Ngombane a répondu de manière mitigée, en saluant l’unité du peuple sud-africain en ces jours de deuil national.
"La combinaison du deuil de tous les Africains du sud, jeunes, noirs, blancs", explique l’ambassadeur, illustre le rêve de Mandela, "même s’il y a encore des problèmes".
Il a par ailleurs rappelé le caractère symbolique de Soweto, où se tiendra la cérémonie en hommage à Mandela mardi.
"Soweto est un monument du combat sud-africain et à chaque occasion, lorsque l’ANC doit parler au peuple, nous le faisons à Soweto", a-t-il indiqué, ajoutant que la maison de Mandela se trouvait juste à côté, avant qu’il n’aille en prison.
"Tous les souvenirs sont là, on y sent l’énergie", s’est-il ému.
Les relations Israël-Afrique du Sud
Interrogé sur la position de l’Afrique du Sud souvent qualifiée de "pro-palestinienne", en raison d’une analogie faite entre la lutte des Palestiniens et la lutte contre l’apartheid, l’ambassadeur a répondu qu'il existait des "points communs".
Il a ensuite expliqué que les relations entre Israël et l'Afrique du Sud tendaient à s'améliorer.
"Nous venons d’une position où on nous a volé nos vies", explique M. Ngombane, "nous avons pu voir les autres peuples qui ressentaient le même type de souffrance", ajoute-t-il.
Il évoque ainsi "certains points communs avec les Palestiniens à la recherche de la liberté", en indiquant que les relations entre Israël et l’Afrique du Sud s’amélioreraient certainement si la question palestinienne était réglée.
"Tous les peuples sont égaux : l’Etat d’Israël et un Etat palestinien doivent être égaux", a-t-il affirmé.
M. Ngombane a ensuite tenu a salué les échanges commerciaux entre Israël et l’Afrique du Sud et a indiqué que la population sud-africaine en Israël, estimée à 70.000, était un lien indéniable entre les deux pays, qui ne pouvait qu’être renforcé.
Il est parfaitement établi que l’indépendance de l’Afrique du Sud et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela avaient mis fin à une idylle de plusieurs décennies avec Israël. L’isolement politique imposé par les pays arabes avait contraint Israël à rechercher des alliances tout azimut pour trouver des débouchés économiques à son industrie. Jusqu’alors florissantes, les relations étaient devenues quasi inexistantes.
Isolement d’Israël
La ministre des Affaires étrangères sud-africaine, Maite Nkoana-Mashabane et Lieberman
Il a fallu attendre la tournée du ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en septembre 2009, pour voir la diplomatie israélienne tenter de reprendre pied dans le pays et contrer le rapprochement entre l'Iran et l'Afrique. Le ministre comptait sur le développement des relations économiques dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, de l’irrigation, des infrastructures et de la sécurité.
Au-delà de la communauté de destin avec l’Afrique du Sud, Israël avait mené son propre combat diplomatique pour rompre une situation d’isolement. Au milieu des années 1960, Israël était farouchement hostile au régime d’apartheid sud-africain dès lors où il entretenait des relations diplomatiques avec plus de trente pays africains qui bénéficiaient d’experts israéliens, de formation d’unités d’élite et d’aide militaire.
Les relations ont commencé à se dégrader à partir de la Guerre de Six-jours de 1967 puis ont été rompues, au lendemain de la Guerre de Kippour de 1973, avec tous les pays africains à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland. Israël s’était alors rapproché de l’Afrique du Sud entrainant le vote, le 10 novembre 1975, de la résolution 3379 des Nations unies assimilant sionisme et racisme. Israël a été amené, en 1987, à condamner explicitement l’apartheid pour voir les Nations-unies annuler en 1991 cette résolution.
Relations discrètes
Don Krausz
Israël était resté longtemps discret sur ses relations avec l’Afrique du Sud car il pouvait difficilement expliquer comment un pays né des persécutions nazies avait pu s’allier à un régime raciste et se compromettre avec les Afrikaners. Don Krausz, qui présidait l’Association des Survivants de l’Holocauste, était arrivé en Afrique du Sud en 1946, après être passé par les camps de concentration de Ravensbrück et Sachsenhausen et avoir perdu une grande partie de sa famille dans le génocide. Il avait lancé une mise en garde : «Les nationalistes avaient un programme électoral fortement antisémite en 1948. La presse Afrikaans était méchamment anti-juive; on pourrait la comparer à ce qu’était le Stürmer dans l’Allemagne d’Hitler. Quand on était juif, à l’époque, on avait peur de l’Afrikaner».
Mais si le gouvernement sud-africain adopta effectivement de dures lois raciales, les Juifs en furent exonérés car la seule discrimination imposée était la discrimination par la couleur, noirs-blancs. Les Juifs et les Afrikaners avaient cependant des raisons objectives de s'entendre ; ils ont partagé à l’époque la même haine envers la puissance coloniale britannique qui s’opposait à l’immigration des Juifs en Palestine. Ils ont partagé les mêmes camps anglais. Ils ont partagé une même croyance politico-religieuse consistant à affirmer que la terre leur appartenait parce que Dieu l'avait donnée. Ils ont partagé les mêmes risques d’une communauté isolée, entourée de peuples et de pays hostiles, et le dos à la mer. Ainsi Israël et l’Afrique du Sud ont entretenu, dans les années 1970 et 1980, d’intenses relations commerciales et militaires.
Vorster avec Rabin, Dayan et Begin
Après la guerre de Kippour de 1973 qui avait entrainé une rupture avec la totalité des pays africains, Jérusalem commença à avoir des contacts de plus en plus rapprochés avec Johannesburg. En 1976, le premier ministre John Vorster, que certains accusaient d’être un ancien nazi, était officiellement invité par Israël. Yitzhak Rabin avait recommandé le silence sur le comportement de Vorster pendant la deuxième guerre mondiale, à fortiori lors de la visite mémorial de Yad Vashem et du dîner d’État. Yitzhak Rabin porta un toast «aux idéaux communs à Israël et à l’Afrique du Sud». L’Afrique du Sud, tout comme Israël, se définissaient en tant qu’enclaves de la civilisation démocratique, aux avant-postes pour la défense des valeurs du monde occidental.
Collaboration économique
Véhicules anti-emeutes bet alfa
La visite de Vorster jeta les bases d’une étroite collaboration entre les deux pays. Israël apportait son savoir-faire et ses brevets, tandis que l'Afrique du Sud apportait son argent. La coopération militaire se traduisit par la fabrication en commun de matériel, en particulier la fabrication de véhicules anti-émeutes au kibboutz Beit Alfa, et par l'échange de conseillers. Israël n'a jamais publiquement soutenu le régime d'apartheid, mais il lui a permis de survivre économiquement en contournant l'embargo de l'ONU. Israël était attiré par l’armée sud-africaine qui disposait d’un budget illimité tandis que ses besoins d’armement militaire souffraient du régime de sanctions qui lui était appliqué.
L’Afrique du Sud a aidé à Israël de sortir du marasme économique et de sauver son industrie militaire. Les Américains refusaient d’aider au développement de la production d’avions militaires israéliens qui pouvaient faire concurrence à ses propres chasseurs. Ils avaient d’ailleurs imposé en 1987 l’abandon du projet de construction du prototype du chasseur Lavi. Dans les années 1980, l'industrie aéronautique manquait de fonds pour son développement et elle a été sauvée par un miraculeux contrat secret concernant la vente de 60 chasseurs-bombardiers Kfir, rebaptisés Atlas Cheetah, pour un montant de 1,7 milliard de dollars.
Kfir
Les projets communs de développement de systèmes à technologie avancée redonnèrent un souffle nouveau aux industries israéliennes. Les Sud-Africains avaient besoin de consolider leur armée face au danger d’une intervention russe en Angola voisine. Les États-Unis avaient tenté de s’opposer à cette transaction sous prétexte que le Kfir comportait des moteurs américains. Les Israéliens ont alors contourné le problème en l’équipant de moteurs français, dérivés du Mirage.
L’Afrique du Sud a ensuite participé au financement de la construction du premier satellite de reconnaissance israélien Ofek. Mais la pression américaine a été suffisamment forte pour limiter, pendant quelques années, l’exportation de missiles destinés à la force aérienne de l'Afrique du Sud.
Soupçons de collaboration nucléaire
Sasha Polakow-Suransky avait révélé dans son livre sorti en mai 2010 The Unspoken Alliancequ’Israël aurait proposé de vendre des armes nucléaires à l’Afrique du Sud, du temps où Shimon Peres était ministre de la défense et architecte du programme nucléaire militaire du site de Dimona, le premier centre de recherche atomique du pays. Le président israélien a démenti fermement ces allégations. Il a affirmé n’avoir«jamais négocié un échange d’armes nucléaires avec l’Afrique du Sud». The Guardian avait, le 24 mai 2010, accusé Israël d’avoir tenté de vendre des missiles nucléaires Jericho au régime sud-africain de l’apartheid en 1975. Il s’était fondé sur un mémorandum du chef d’État-major de l’armée sud-africaine, le général Armstrong, qui avait détaillé les avantages pour son pays de détenir de tels missiles seulement s’ils étaient équipés d’arme atomique.
Mais aucune livraison de matériel n’est cependant intervenue. Shimon Peres avait démenti ces informations : «Il n'y a aucun fondement réel aux allégations publiées ce matin par le Guardian selon lesquelles Israël avait négocié en 1975 un échange d'armes nucléaires avec l'Afrique du Sud. Israël n'a jamais négocié un échange d'armes nucléaires avec l'Afrique du Sud. Il n'existe aucun document ou signature israélienne prouvant que de telles négociations ont eu lieu».
Ces accusations venaient en fait à point nommé pour affaiblir la position d’Israël qui faisait pression pour que la communauté internationale empêche l’Iran de poursuivre son programme nucléaire. En août 1977, l’agence soviétique Tas avait publié une dépêche selon laquelle l’Afrique du Sud s’apprêtait à procéder à un essai nucléaire sur son site expérimental au cœur du désert de Kalahari. Cette nouvelle, confirmée par les services secrets en Occident, avait entrainé une inquiétude diplomatique en Occident qui mit en garde le régime du premier ministre Vorster quant aux conséquences néfastes qui pourraient découler d’une telle initiative sur le plan de la politique internationale. C’était une position de jésuite car nombreux étaient ceux qui prétendaient que «les États-Unis, Israël, l’Allemagne de l’Ouest, la France et la Grande-Bretagne ont tous aidé l’Afrique du Sud par la fourniture d’équipements divers, de matière fissile, de technologie de pointe et d’aides financières qui lui ont permis de fabriquer une bombe atomique».
L’indépendance de l’Afrique du Sud et l’arrivée de Nelson Mandela au pouvoir mit fin à une collaboration qui s’était développée pendant plusieurs année. Cette rupture, accompagnée par un rapprochement de l’Afrique du Sud avec les Palestiniens, avait suffi à qualifier Mandela d’antisioniste.
S’exprimant en direct depuis la Jordanie, où il participait à une rencontre d’une ONG vouée au «journalisme d’investigation», Edwy Plenel a consacré un billet, diffusé le 11 décembre 2013 dans «Les Matins de France Culture», à Nelson Mandela[1]. Il a longuement cité une lettre adressée en 2001 par Nelson Mandela au journaliste américain Tom Friedman, dans laquelle le dirigeant sud-africain condamnait sévèrement l’attitude d’Israël envers les Palestiniens.
Le problème est que cette lettre est un faux. Son véritable auteur, un journaliste palestinien vivant aux Pays-Bas nommé Arjan el-Fassed, ne s’en est d’ailleurs jamais caché: il entendait utiliser le genre littéraire de la fausse lettre, afin d’accuser Israël de pratiquer envers les Palestiniens une forme d’apartheid.
Cependant, la prétendue «lettre à Friedman» a circulé sur des forums Internet militants où elle a été présentée comme une parole authentique de Mandela. Jusqu’à ce qu’en 2002 les journalistes du quotidien israélien Haaretz s’adressent à la présidence sud-africaine, et découvrent le pot aux roses [2]. Tout le monde sait aujourd’hui que, non seulement cette «lettre» n’a pas été écrite par Nelson Mandela, mais elle ne représente en rien les positions du dirigeant sud-africain sur le conflit israélo-palestinien [3].
Julien Salingue, l’un des principaux porte-parole de la «cause palestinienne» en France, résume bien les choses quand il écrit sur son blog, le 6 décembre 2013: «Il ne s’agit pas ici de transformer Mandela en héraut du combat pour les droits nationaux des Palestiniens, même s’il n’a jamais fait mystère de son soutien à la lutte contre l’occupation israélienne. Mandela a toujours été, sur ce terrain, beaucoup plus en retrait que l’archevêque Desmond Tutu, qui depuis de longues années soutient la campagne internationale de boycott de l’État d’Israël, qu’il qualifie, à l’instar d’autres dirigeants sud-africains, d’État d’apartheid. Tel n’est pas le cas de Mandela, contrairement à ce que croient ceux qui ont pris pour argent comptant un “Mémo de Nelson Mandela à Thomas Friedman” dénonçant “l’apartheid israélien”, qui est en réalité un exercice de style rédigé par Arjan el-Fassed» [4].
Edwy Plenel figure donc parmi «ceux qui ont pris pour argent comptant» la prétendue «lettre de Mandela». Plus de dix ans après que la fausseté de celle-ci a été démontrée par les journalistes israéliens, il continue de la citer comme parole d’Evangile. Or non seulement le document auquel il se réfère est un faux, mais son contenu ne représente pas – comme le souligne le militant pro-palestinien Julien Salingue – les positions véritables de Mandela sur le sujet [5].
Edwy Plenel, participant en Jordanie à une conférence vouée au «journalisme d’investigation», aurait là un bon sujet d’étude sur la valeur de l’investigation en matière journalistique: comment ne pas s’appuyer sur des faux documents, comment distinguer – chez les autres, et éventuellement chez soi-même – l’analyse des faits et la passion militante[6]. Bref, une réflexion sur un thème qui devrait être cher au cœur des journalistes: la vérité.
3. Sur ce que Nelson Mandela pensait d’Israël, nous disposons du témoignage d’Abe Foxman, qui participa à la rencontre entre Mandela et les dirigeants juifs américains, à Genève en 1990 (Mandela avait été libéré de prison peu de temps auparavant, et entamait le processus qui devait conduire à la fin de l'apartheid): «Lors de notre rencontre, Mandela exprima non seulement son soutien sans équivoque au droit d’Israël à exister mais aussi son profond respect pour ses dirigeants, parmi lesquels David Ben-Gourion, Golda Meïr et Menahem Begin. Il nous assura également qu’il soutenait le droit d’Israël à la sécurité et son droit de se protéger contre le terrorisme.» http://blogs.timesofisrael.com/how-mandela-won-over-the-jewish-community
En octobre 1999, Nelson Mandela, qui avait quitté quelques mois plus tôt la présidence de l'Afrique du Sud, visita les pays du Proche-Orient. Lors de son séjour en Israël, il déclara au terme d'une longue rencontre avec le ministre des affaires étrangères David Lévy: «Selon moi, les discours sur la paix restent creux tant qu’Israël continue d’occuper des territoires arabes. (…) Je ne peux pas imaginer qu’Israël se retire si les Etats arabes ne reconnaissent pas Israël à l’intérieur de frontières sûres.» http://www.washingtonpost.com/wp-srv/aponline/19991019/aponline113258_000.htm
5. Le journal en ligne (activement anti-israélien) MondoWeiss défend la thèse bizarre selon laquelle ce sont les pro-israéliens inconditionnels qui diffusent la thèse selon laquelle Nelson Mandela aurait accusé Israël de pratiquer l’apartheid, et ce afin de porter atteinte à l’image de Nelson Mandela: http://mondoweiss.net/2013/12/apologists-discredit-apartheid.html
6. La réapparition de cette prétendue «lettre», au lendemain de la mort de Nelson Mandela, est significative de l'état d’esprit régnant dans certains milieux où l'activisme anti-israélien va de pair avec l'ignorance des faits. Voir, par exemple, ici:
J’ai commis une erreur, dans ma dernière chronique audio, en attribuant faussement à Nelson Mandela un document sur le conflit israélo-palestinien. Cette faute, par absence de vérification, ne souffre pas d’excuse. Reste toutefois la question de fond : la solidarité des combattants sud-africains anti-apartheid avec la lutte du peuple palestinien.
A la fin de ma dernière chronique en partenariat avec France Culture (à écouter ici sur le site de la radio publique ou là sur Mediapart), en hommage à Nelson Mandela, j’ai attribué à ce dernier un texte qui n’est pas de lui. Ou plutôt qui est présenté faussement comme étant une réflexion du leader de la lutte anti-apartheid sur le sort fait aux Palestiniens par l’Etat d’Israël. Cette fausse lettre de Nelson Mandela au journaliste américain Thomas Friedman est en fait l’œuvre de Arjan el-Fassed, un journaliste et activiste, engagé dans le soutien à la Palestine, vivant aux Pays-Bas.
J’ai commis cette erreur par absence de vérification, prenant pour argent comptant ce texte tel qu’il circule sur Internet sans mention de son auteur véritable (par exemple ici sur le blog d’un abonné de Mediapart). Le b.a.ba de notre métier étant de vérifier, d’autant plus quand il s’agit de liens ou de références circulant sur le Net, c’est un manquement à une discipline élémentaire que je ne me pardonne évidemment pas. Et c’est aussi un cas d’école, à mon détriment, pour ce que je professe moi-même dans mon dernier livre, Le droit de savoir, rappelant cette maxime de Friedrich Nietzsche : « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges ». Mais la grande vertu du numérique, c’est qu’il permet de corriger et de rectifier des erreurs avec autant de célérité qu’il en diffuse : à peine ma chronique mise en ligne, divers billets, ironiques ou virulents, relevaient ma faute, avec moult relais sur les réseaux sociaux (lire ici l’un d’entre eux, repris sur le blog d’une abonnée de Mediapart).
Toutefois, contrairement à ce que laissent entendre certains de ceux qui exploitent mon faux pas – et c’est de bonne guerre, tant mieux vaut ne jamais trébucher –, ce document n’a rien d’un secret sulfureux, et encore moins d’un texte antisémite. Comme le raconte sur son blog son véritable auteur (c’est à découvrir ici en anglais), l’assumant publiquement dès l’origine avant que cela ne lui échappe, il s’agit d’une tribune libre qu’Arjan el-Fassed a écrit en 2001 pour répondre aux positions défendues sur le conflit israélo-palestinien par le célèbre éditorialiste américain Thomas Friedman. Une tribune libre écrite à la manière du journaliste américain.
Car Friedman avait lui-même eu recours le premier à cet artifice littéraire du « mock memo », en l’occurrence d’une opinion défendue sous la forme d’une note attribuée à un autre. Son article paru le 27 mars 2001 dans le New York Times se présentait comme un « memo » du président George W. Bush à Yasser Arafat, invitant ce dernier à passer par pertes et profits les premières injustices faites aux Palestiniens lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948 (lire ici). En réaction, Arjan el-Fassed adressa, le 30 mars 2001, une proposition de tribune au quotidien américain, rédigée sous la même forme d’un « memo », mais cette fois de Nelson Mandela à Thomas Friedman, tout en parodiant les figures de style du supposé « memo » de Bush à Arafat (lire là). Comme il l’explique en détail sur son blog, c’est ensuite que la confusion s’est installée, son texte circulant sur Internet sans mention de son auteur véritable et, dès lors, faussement présenté comme un écrit de Mandela – ce qui ne fut jamais son intention initiale.
Sur le fond, ce qui évidemment fait polémique dans cette tribune, c’est la résonance recherchée entre l’apartheid sud-africain et la« séparation » – c’est le terme employé par Arjan el-Fassed – imposée aux Palestiniens par la colonisation israélienne. De fait, le mot afrikaans « apartheid » signifie « séparation, mise à part », et recouvrait en Afrique-du-Sud une politique violemment raciste euphémisée sous la formule du « développement séparé ». Mais, comme le rappelle sur son blog l’universitaire et militant Julien Salingue (lire son billet ici), Arjan el-Fassed met sous la fausse plume de Nelson Mandela des affirmations qui vont au-delà de ses déclarations publiques sur Israël, lesquelles ont toujours été plus en retrait que celles de son ami l’archevêque Desmond Tutu qui« depuis de longues années soutient la campagne internationale de boycott de l'État d'Israël, qu'il qualifie, à l'instar d'autres dirigeants sud-africains, d’État d'apartheid ».
Mon erreur permet évidemment à mes détracteurs d’évacuer sans débat cette résonance aussi dérangeante que provocante autour de cette notion de« séparation », autrement dit de mise à distance d’une population (la palestinienne) au profit d’une autre (l’israélienne). Elle est pourtant évoquée en Israël même par les tenants d’une paix juste face à la droite nationaliste et à l’extrême droite raciste. Dans sa remarquable enquête sur la construction du « mur de séparation », comme l’appellent les Palestiniens (les autorités israéliennes le nommant« barrière de sécurité »), Un mur en Palestine (Folio, 2009), notre confrère René Backmann cite par exemple Menahem Klein qui fut conseiller du ministre des affaires étrangères Shlomo Ben-Ami et du premier ministre Ehoud Barak. Critiquant le fait que « la stratégie de 1967 [celle de la conquête et de l’occupation] a été poursuivie par tous les gouvernements [israéliens] qui se sont succédé depuis près de quarante ans », Menahem Klein n’hésite pas à affirmer ceci : « Le nom le plus approprié pour cette politique pourrait être “Spartheid” : l’apartheid réalisé par les moyens de Sparte ! »
Un autre confrère, interviewé par Mediapart en avril dernier (lire ici), Michel Bôle-Richard, qui fut correspondant duMonde en Afrique du Sud, puis en Israël, n’hésite pas à assumer la comparaison dans son récent livre, Israël, le nouvel apartheid(Les liens qui libèrent, 2013). Point de vue qu’il a, de nouveau argumenté, sur lemonde.fr cette semaine, à l’occasion des obsèques de Mandela (lire là). Sa réflexion eut pour point de départ, en 2008, alors qu’il était correspondant à Jérusalem, la visite en Israël d’une délégation sud-africaine comptant des élus notables de l’ANC, le parti de Mandela, dont plusieurs juifs sud-africains engagés dans le combat anti-apartheid. Son article raconte leur surprise, voire leur colère, devant une politique injuste de discrimination et de séparation envers les Palestiniens dont ils s’étonnaient qu’elle puisse se faire« au nom du judaïsme » (lire ici ce reportage ainsi titré : « Des militants anti-apartheid juifs sud-africains "choqués" par leur visite en Cisjordanie occupée »)
Tout comme ces militants de son organisation le répétaient sur place en même temps qu’ils exprimaient leur réprobation de la politique de colonisation, Mandela a toujours défendu le droit de l’Etat d’Israël à exister, dans des frontières sûres et reconnues. Mais, en même temps, il n’a jamais transigé sur son soutien à la cause nationale des Palestiniens, lesquels, dans cette histoire dramatique dont l’origine est le génocide européen contre les Juifs, ne sont pas les agresseurs, mais bien plutôt les opprimés. En 1999, comme je le rappelais dans ma chronique, il affirma dans sa déclaration devant le Parlement palestinien : « Tout discours sur la paix restera creux tant qu’Israël continuera à occuper un territoire arabe ».
En 1990, peu de temps après sa libération, il revendiqua sans concession aucune son soutien à l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) et à Yasser Arafat lors de sa première visite aux Etats-Unis, durant un débat public à New York dont le modérateur était le célèbre journaliste d’ABC Ted Koppel. Cela se passait au City College of New York, et plusieurs interpellations et relances portèrent sur sa solidarité sans failles avec les Palestiniens (voir aux minutes 22, puis 26 et 30 de la première vidéo, ainsi qu’à partir de la minute 9 et jusqu’à la minute 19 de la seconde). On entend notamment Nelson Mandela dire sans ambages : « We identify with the PLO because, just like ourselves, they are fighting for their right of self determination ».
Au passage, on peut admirer l’énergie, la fermeté et la clarté du lutteur que fut Madiba, sans oublier l’élégance de son humour…
Réaction du B’nai B’rith France à l’article paru dans Le Monde.fr le 12.12.2013 à 13h50 «Nelson Mandela est mort mais l'apartheid est toujours vivant » Par Michel Bôle-Richard
Mercredi 18 Décembre 2013
Lettre à
Mme Natalie Nougayrède
Rédactrice de la Publication
Le Monde
75707 Paris Cedex 13
Paris le 17 Décembre 2013
Objet :
Réaction du B’nai B’rith France à l’article paru dans Le Monde.fr le 12.12.2013 à 13h50 «Nelson Mandela est mort mais l'apartheid est toujours vivant » Par Michel Bôle-Richard
Madame la Directrice de Publication,
Vous avez fait de choix d'ouvrir vos colonnes, le 12 décembre dernier, au brûlot de l'un de vos anciens collaborateurs, M. Bôle-Richard, intitulé : "Nelson Mandela est mort mais l'apartheid est toujours vivant".
Cette très regrettable décision justifie notre indignation de citoyens épris de vérité et d'équité.
Indignation pour la diffamation haineuse qui imprègne ce texte, pour sa contribution au malheur arabe, et pour ses effets d'incitation à la violence antisémite dans notre pays.
Si l'on croit M. Bôle-Richard, Israël n'est pas seulement la terre d'élection contemporaine de l'apartheid et la matrice de sa diffusion.
C'est aussi un pays où l'on organise la pauvreté des Arabes, où on les cloisonne et on les cantonne, où les Juifs tuent couramment ces hommes et femmes, et même leurs enfants, par exemple en leur tirant dans le dos.
C'est le pays des "colons", avec toute la charge accusatrice de ce terme, qui "occupent" même le Neguev.
Pourquoi pas Tel Aviv, Haïfa et Beer-Shev'a? M
. Bôle-Richard estime si on le comprend bien qu'Israël tout entier est une colonie.
On ne peut bâtir des divagations aussi scandaleuses qu'aux dépens de la pensée et de la réalité. L'apartheid nous dit l'auteur, vit toujours "sous une forme non codifiée, non légalisée, mais bien réelle."
C'est là une perversion de sens: l'apartheid, c'est justement et uniquement la traduction de l'inégalité dans la loi.
Et malgré une allusion non documentée à des lois-cadres discriminantes évoquées par Adalah, M. Bôle-Richard est contraint d'inventer un apartheid sans lois raciales au prix d'un tour de passe-passe: l'apartheid est réduit à la domination d'un groupe racial sur un ou plusieurs autres groupes raciaux.
Si l'apartheid se résume à cela, il est d'une extraordinaire banalité, en particulier dans le monde arabo-musulman.
Pensons au calvaire des chrétiens du Pakistan ou d'Irak, à celui des Coptes d'Égypte ou des Juifs d'Iran, et pourquoi pas aux chrétiens de Bethléem ou de Naplouse qui fuient éperdument les terres de leur antique présence, pour se réfugier parfois en Israël.
Mais laissons-là cette liste cauchemardesque et parlons des Arabes israéliens.
N'ont-ils pas depuis des décennies des droits qu'ils ne pourraient imaginer dans aucun pays arabe?
Les femmes arabes ne votent-elles pas depuis la création de l'état juif? La représentation politique des Arabes français en France est-elle aussi favorable en fonction leur poids démographique qu'elle ne l'est en Israël?
Les Arabes israéliens ne bénéficient-ils massivement pas d'un système de soins et d'un accès à l'éducation de la maternelle à l'université qui serait un rêve pour leurs homologues du monde arabe?
Israël n'abrite-t-il à l'hôpital Hadassah la seule base de données au monde sur la moelle osseuse permettant de traiter des maladies congénitales qui frappent exclusivement des Arabes?
Quant aux Arabes palestiniens, M. Bôle-Richard ignore-t-il la grande enquête de l'Unicef de novembre 2009 et les statistiques des institutions internationales qui montrent qu'ils bénéficient des meilleurs indices sanitaires du monde arabe (en matière de malnutrition infantile, de fécondité, de moralité infantile, d'espérance de vie, etc.)?
Ignore-t-il que les Palestiniens de Jérusalem se déclarent très majoritairement désireux de demeurer sous la loi israélienne en cas de nouvelle partition de la ville sainte?
C'est que l'ancien journaliste est frappé de cette hémiplégie singulière qui consiste d'un coté à inventer des horreurs à la charge de l'état juif tout en dissimulant ses extraordinaires réussites, et de l'autre à rester aveugle devant la barbarie de ses adversaires.
Pourquoi ne dit-il rien de l'assassinat au poignard en mars 2011 de cinq membres de la famille Fogel, la tête de l'un des bébés frappés ayant été séparée du corps?
Rien non plus du soutien maintenu par le clan Awad d'Awarta aux auteurs de ces crimes, Hakim Mazen Awad, et Amjad Mahmad Awad.
Rien du culte officiel de Ramallah aux plus abominables des terroristes palestiniens comme Dalal Mughrabi (37 morts), Abdallah Barghouti (67 morts), ou Raed Al-Houtari (22 adolescents tués).
Rien des injonctions, lors du grand rassemblement public du 9 janvier 2012, de Muhammad Hussein, mufti de Jérusalem, qui déclamait une recommandation sacrée: "L'heure de la Résurrection n'arrivera pas tant que vous ne combattrez pas les Juifs. Les Juifs se cacheront derrière des pierres et des arbres Alors ces pierres et ces arbres diront: Oh Musulman, esclave d'Allah, il y a un Juif derrière moi, viens et tue-le."
Les passions aveugles de M. Bôle-Rochard ciblent maladivement l'état d'Israël.
Outre le tort causé à ce pays ami quand vous lui ouvrez vos pages, elles contribuent à enchaîner les peuples arabes à l'idéologie antisémite qui les détourne de leurs vrais problèmes et de leurs vrais adversaires, les confinant dans une consternante arriération.
Dans leurs premières lueurs libératrices, les printemps arabes avaient rompu avec cette mortelle obsession.
Des personnages comme M; Bôle-Richard s'attachent à refermer sur ces peuples la chape de plomb du bouc émissaire étranger.
Écoutons le journaliste saoudien, M. Fahd Amer Hamadi (janvier 2011) :
"Israël est supérieur à tous les pays arabes et musulmans en matière de démocratie et d'intégrité politique (ce qui est prouvé par les rapports annuels de nombreuses organisations internationales)."
Écoutons la journaliste turque, Mme Sinem Tezyapar, (septembre 2013)
" Cette frénésie qui fait porter toutes les fautes sur les sionistes, et sur Israël en général, est une attitude réflexe, sans base rationnelle... Ce style féroce et venimeux, c'est ce qui déchire le monde islamique... Nous autres musulmans, cessons de pointer les autres du doigt quand il s'agit de nos problèmes. "
Écoutons enfin, longuement, un autre journaliste saoudien, ancien militaire, M. Abdulateef Al-Mulhim (octobre 2012) :
" En définitive, si de nombreux états arabes sont dans une telle confusion, est-ce vraiment à cause de l'ennemi juré des Arabes (Israël) ? Aujourd'hui Israël a les institutions de recherche les plus avancées, des universités d'élite et des infrastructures performantes. Beaucoup d'Arabes ne savent pas que l'espérance de vie des Palestiniens qui vivent en Israël est beaucoup plus grande que celle de nombreux états arabes, et qu'ils jouissent de plus de libertés politiques et sociales que la plupart de leurs frères arabes. Même les Palestiniens qui vivent sous occupation israélienne sur la rive occidentale du Jourdain et dans la
bande de Gaza bénéficient de plus de droits politiques et sociaux que ceux qui existent dans de nombreux endroits du monde arabe. L'un des juges qui ont envoyé un ancien président israélien en prison n'était-il pas un israélo-palestinien ? Le printemps arabe à montré au monde que les Palestiniens sont plus heureux et dans une situation meilleure que leurs frères arabes qui combattent pour les libérer de la férule israélienne. À présent, il est temps d'en finir avec la haine et les guerres. Il est temps de préparer une vie meilleure pour les nouvelles générations arabes."
Que disent ces Arabes et ces musulmans?
Que la diabolisation d'Israël et des Juifs est le premier obstacle à leur lucidité et à leur élan vers la modernité.
Que fait M. Bôle-Richard?
Il les confine dans ces haines antisémites archaïques qui servent si bien les régimes arriérés, fanatiques ou voyous qui les étranglent.
Un libelle comme celui que vous publiez, qui diffuse le mythe de Palestiniens et d'Arabes appauvris, humiliés, torturés et tués par une férule israélienne coloniale, est porteur de division et de violence en France même.
Ce document hallucinant est une providence pour qui veut radicaliser une frange de la minorité arabo-musulmane de France, en mal d'intégration et de reconnaissance dans sa société d'accueil.
Et cela donne des Merah qui tuent des enfants juifs pour venger la mort des enfants palestiniens.
Et là, il n'y a rien d'un mythe.
J’espère Madame que le droit de réponse du B’nai B’rith France recevra le même traitement que l’article de Monsieur Bôle-Richard
En devenant le premier président noir d'Afrique du Sud le 9 mai 1994, Nelson Mandela a soulevé une vague d'espoir dans le monde entier. Enfin, le pays de l'apartheid allait être cette « nation arc-en-ciel » dont il avait tant rêvé pendant ses 27 années d'emprisonnement. STEPHEN SMITH raconte comment le crépuscule d'une icône, disparu le 5 décembre à 95 ans, se confond avec celui d'un idéal, dans un pays ravagé par la corruption, la criminalité et le sida.
Quelques heures plus tard, sa remarque aurait été de mauvais goût, et elle ne l’aurait sûrement pas prononcée. Mais quand j’ai rencontré Winnie Mandela, le 7 juin dans l’après-midi à Johannesburg, elle ne pouvait pas savoir que son ex-mari allait être hospitalisé d’urgence la nuit même. Aussi, lorsque je me suis soucié de son confort pendant qu’elle prenait la pose pour le photographe, elle m’a taquiné en usant du nom clanique de Nelson : « Mais vous me prenez pour Madiba ?! À 76 ans, je tiens encore debout. » Au fil de la conversation, elle est revenue à la charge dans un éclat de rire : « Je ne suis pas Mandela, je ne sucre pas encore les fraises ! » Sur le moment, ce n’était qu’une irrévérence pour conjurer un fait connu de tous les proches de Mandela : depuis 2010, il peine de plus en plus à reconnaître les siens. Ses moments de lucidité s’espacent. Le caricaturiste vedette Zapiro – Jonathan Shapiro – a été le premier à lever le voile sur cette vérité, au risque de choquer. Son dessin, censuré par son journal mais plébiscité sur Internet, montrait Mandela sur un lit d’hôpital, veillé par une Afrique du Sud inquiète à qui son ancien président murmurait, les paupières fermées : « Je sais que c’est dur mais il va falloir qu’on se sépare. » En apprenant la cinquième hospitalisation de Nelson en un an, Winnie et les autres Mandela savaient que c’était la fin, même s’ils en ignoraient le jour et l’heure
Quand je lui parle de l’Afrique du Sud comme du « pays de Mandela » et l’interroge sur l’avenir après la disparition de -Nelson, Winnie sort de ses gonds : « Ça me rend malade, cette fixation sur un seul individu ! Le nom de Mandela est devenu une meule autour de mon cou. On a quasiment fait de lui Jésus Christ ! Ce sont nos masses qui ont vaincu l’apartheid et les femmes ont été en première ligne. Nos leaders, eux, étaient derrière les barreaux, certes enfermés mais aussi en sécurité. » Elle a raison : l’Afrique du Sud post-apartheid est davantage le « pays de Winnie » que le « pays de Nelson ». Les marques violentes du passé y sont, hélas, plus visibles que les traits exceptionnels du prisonnier devenu président à force de pardon.
Le quotidien sud-africain The Star avait ainsi titré, le 18 juin, un portrait d’Ivor Ichikowitz : « Évitez juste de l’appeler trafiquant d’armes. » À 47 ans, le PDG du Paramount Group, un consortium d’industries d’armement, était montré devant son nouveau chasseur-bombardier et, sur une autre photo, devant un véhicule blindé garni de James Bond girls en petite tenue de combat. Ce proche de l’ANC, le parti de Mandela, me reçoit dans sa lumineuse villa de -Johannesburg, qui ressemble à un musée d’art moderne. Il est l’un des derniers en dehors du cercle familial à avoir rencontré Mandela avant l’enchaînement des hospitalisations. À l’été 2012, il s’est rendu à Qunu, le village où Nelson a grandi. Il apportait un ouvrage sur l’histoire de la communauté juive en Afrique du Sud dont il avait financé la publication. Le début de la rencontre a été pénible – « Mandela n’avait plus de mémoire immédiate. Il se rappelait à peine la phrase que je venais de prononcer » –, mais quand le visiteur a feuilleté pour son hôte les pages du livre, le regard de Mandela s’est rallumé. D’un coup, voyant défiler le passé, il se souvenait de tout et en détail : de l’avocat qui lui avait donné sa chance en 1942 comme clerc dans son étude, Lazar « Laz » Sidelsky, aussi bien que de son premier ami blanc, Nat Bregman. « Vous l’avez fait remonter à la surface, lui avait dit en guise d’adieux Graça Machel, la dernière épouse de Mandela. Ça arrive de moins en moins. »
L’icône Madiba s’est éteinte comme une enseigne lumineuse à éclipses. Le halo avait pris l’ascendant sur la personne en chair et en os depuis le 21 mars 1980. Ce jour-là, le Johannesburg Sunday Post barrait sa « une » d’un « Free Mandela ! », appelant ses lecteurs à signer une pétition pour la libération de tous les prisonniers politiques au pays de l’apartheid. À peine 15 000 personnes avaient osé. Mais un slogan était né, une cause avait été associée à un nom. Huit ans plus tard, pour le 70e anniversaire de Mandela, le grand concert organisé par la BBC au stade de Wembley entérinait la chose à l’échelle planétaire : le mot d’ordre de plomb -« À bas l’apartheid ! » était définitivement transmuté en une formule en or : « Free Nelson Mandela ! »
On revenait de loin. Seulement deux ans après sa condamnation à perpétuité, le prisonnier 446/64 (l’écroué numéro 446 en 1964) avait disparu des colonnes des grands quotidiens internationaux, du New York Times autant que du Monde ou du Times de Londres. En 1970, Jim Hoagland, du Washington Post, découvrait une Afrique du Sud où les dirigeants de l’ANC « étaient vaguement perçus comme appartenant à un autre temps, un passé très lointain ». La révolte de Soweto, en 1976, et le succès parmi les jeunes d’un mouvement concurrent, la Conscience noire, incarné par Steve Biko, devaient les noyer encore un peu plus dans le formol. Il n’y eut alors qu’un seul visage de l’ANC irradiant de beauté radicale : celui de Winnie Mandela. C’est elle qui rappelait au monde son mari et les autres détenus dans des cellules de 5 m2 sur le pénitencier de Robben Island, au large du Cap. Selon le mot du poète allemand Hölderlin, elle fut « l’étincelle que le destin allume au plus profond de la nuit ».
Winnie et Nelson Mandela en 1990.(Mirrorpix / Visual Press Agency )
UN ASTRE MORT POUR SA FEMME
Quoique octogénaire, Bertram « Bertie » Lubner dirige toujours depuis Johannesburg une multinationale familiale de verres de sécurité dont le chiffre d’affaires dépasse 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros) par an. Quarante-huit heures après l’hospitalisation de Nelson Mandela, il me reçoit dans son bureau tapissé de photos souvenirs, de doctorats honoris causa et de témoignages de reconnaissance pour ses œuvres philanthropiques. Au beau milieu de notre conversation, comme frappé par une évidence, il appelle sa secrétaire : « S’il vous plaît, faites le nécessaire pour l’hommage du patronat sud-africain au cas où les choses tourneraient mal pour Madiba. » En 1990, peu après sa sortie triomphale de prison, Mandela est retourné pour la première fois en homme libre à Robben Island. Lubner était du voyage, parmi une quarantaine de personnes. « Nous nous sommes attardés un long moment, en silence, dans le parloir », se souvient-il. Dans ce parloir, Nelson avait revu en 1975, quatorze ans après son arrestation, ses deux filles avec Winnie. La cadette, Zindziswa, dont le prénom signifie « fait accompli », n’avait que dix-huit mois quand son père fut envoyé en prison.
« Au pied du mirador, dans la carrière où les bagnards cassaient du caillou, Mandela nous a confié pourquoi il étudiait en prison l’afrikaans, la langue de ses geôliers, raconte Lubner. Chaque jour, il passait au plus près du surveillant au sommet de la tour, l’un des plus méchants, pour lui souffler : “Il y a plus haut et plus puissant que toi. Dieu te jugera.” Mais il a aussi longuement parlé des gardiens qui avaient enfreint le règlement pour alléger son sort. En poussant la grille de sa cellule, il nous a dit : “Voilà l’endroit où je n’avais pas de liberté de mouvement mais une grande liberté de pensée.” Il était sans amertume. »
Aux yeux de Winnie, l’homme qui sortit de prison n’était plus vraiment humain. « Mandela a vécu vingt-sept ans derrière les barreaux. Pendant ces années-là, il est devenu un mythe. Il a vécu dans ce mythe. Je pense qu’il lui était impossible de s’y soustraire pour remplir son rôle de mari, de père et de grand-père. D’une certaine façon, il a vécu une vie abstraite qui ne lui a plus offert la possibilité de vivre en être humain. »
Ce mythe Mandela, ce soleil qui semblait éclairer le monde entier, était un astre mort pour la femme qui avait contribué plus que quiconque à le faire naître. Nelson, emmuré de son vivant dans sa légende, et Winnie, humaine voire trop humaine, ne s’appartenaient plus. Leur amour, épuisé dans le combat contre l’apartheid, n’a laissé qu’une ombre froide sur la vie de chacun
Quand il a connu Winnie, en 1956, Nelson avait 38 ans. Elle en avait 20. Il avait derrière lui un premier mariage dont étaient issus trois enfants. Winnie était l’une des premières assistantes sociales noires du pays. Éblouissante, elle avait fait la couverture d’un magazine populaire. Sans être politisée, elle avait un fort caractère. Lorsque je fis sa connaissance à la fin des années 1980, trois décennies plus tard, elle n’était plus l’âme de la résistance à Soweto mais la commandante d’un gang de loubards, le Mandela United Football Club. Un ami commun, le père Emmanuel Lafont, alors le curé de l’église Regina Mundi au cœur du plus grand township d’Afrique du Sud, m’a emmené chez elle. Ce soir-là, j’ai découvert la lutte anti-apartheid telle qu’elle était et non pas telle que je l’avais imaginée : dans une maison parsemée de bouteilles vides et de cendriers pleins, de jeunes freedom fighters en survêtement étaient affalés autour des filles Mandela qui ne décrochaient pas les yeux d’un film d’horreur, le volume poussé à fond. « Maman ? Elle doit être en haut, allez-y. »
« Enfin libre », la manchette du Daily News lors de la victoire électorale de Mandela en 1994.
(Dennis K. Johnson / Getty Images)
Deux ans, deux mois et deux jours : c’est la seconde vie du couple Mandela. Le 13 avril 1992, Nelson arrange à la hâte une conférence de presse. Nous sommes une trentaine de reporters, pétrifiés en un bloc de gêne, incapables de poser des questions ou de prendre des photos. Ecce homo : voici l’homme qui incarne l’espoir d’une « nation arc-en-ciel », la dignité personnifiée et un magicien de la spontanéité, en train de s’écorcher devant nous. D’une voix hésitante, Mandela lit un texte préparé à l’avance. « Les relations entre ma femme, la camarade Nomzamo Winnie Mandela, et moi sont devenues l’objet de spéculations dans la presse. Je fais cette déclaration pour clarifier la situation et dans l’espoir de mettre fin aux rumeurs. (...) Compte tenu des tensions apparues entre nous au cours des derniers mois, nous nous sommes mis d’accord pour reconnaître qu’une séparation serait la meilleure solution pour chacun de nous. (...) Personnellement, je ne regretterai jamais d’avoir essayé de partager ma vie avec la camarade Nomzamo. Mais des circonstances hors de notre pouvoir en ont décidé autrement. Je me sépare de ma femme sans récriminations. Je la serre dans mes bras avec tout l’amour et toute l’affection que j’ai toujours éprouvés pour elle, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison, depuis la première fois que je l’ai vue. Mesdames et messieurs, j’espère que vous comprendrez ma douleur. »
Quatre ans plus tard, devant le tribunal qu’il a saisi pour obtenir le divorce, le visage de Mandela est un masque de cire. Entre-temps, Winnie a été jugée et condamnée, outre pour détournement de fonds, pour sa présence à des séances de tortures à Soweto ayant entraîné la mort de plusieurs jeunes, de présumés « indics » ou « collabos » victimes de sa garde personnelle déguisée en club de foot. Il y a eu, aussi, trop de voix d’hommes répondant au téléphone dans les chambres d’hôtel où Mandela cherchait à joindre sa femme. « J’ai été l’homme le plus seul qui soit », affirme Nelson, pour qui son épouse n’est plus qu’une « source perpétuelle d’embarras public et personnel ». Winnie ne nie pas l’infidélité – auprès d’un ami, elle ose même cette autodérision : « Que veux-tu ? Je suis “la mère de la nation.” » – mais fait valoir le passé, sa vie d’attente et de solitude, seule avec deux enfants, aux prises avec l’apartheid, sans soutien efficace de l’ANC. Mandela la mouche devant les juges : « Elle n’était pas seule à souffrir ! »
Devant l'hôpital de Pretoria où l'ex-président à été hospitalisé d'urgence à la veille de son 95e anniversaire. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Malgré les apparences de dureté voire de petitesse dans le prétoire – « Je dois être ici alors que je suis attendu pour recevoir des dignitaires étrangers » – Nelson condamne avec Winnie une part de son âme. Durant sa procédure de divorce, un soir de mars 1996, Roelof « Pik » Botha l’appelle au téléphone. « Il a décroché lui-même, donc il devait être seul », se souvient l’inamovible chef de la diplomatie sud-africaine du temps de l’apartheid, entre 1977 et 1994. Tôt favorable à une sortie négociée de la ségrégation, s’étant déclaré en 1986 prêt à « servir sous un président noir », Pik Botha est devenu ministre de l’énergie au sein du gouvernement d’union nationale présidé par Mandela – et, fait moins connu, un allié de Nelson derrière les lignes ennemies. « Ce jour-là, nous n’avons pas parlé politique, témoigne-t-il. Je lui ai exprimé ma sympathie dans des circonstances qui devaient être douloureuses. Il m’a remercié en pleurant. Il n’avait pas honte de ses sentiments. » Un mois après, Mandela rappelle. Botha vient de perdre son épouse, handicapée depuis des années à la suite d’un accident. Il se retire de la vie publique. Deux ans s’écoulent. En 1998, quand Botha se réveille après une intervention chirurgicale, le président est assis à son chevet. « Je suis venu vous dire que nous avons toujours besoin de vous. Reposez-vous bien et remettez-vous pour que nous puissions continuer ensemble. »
Un homme prie devant l'hôpital de Nelson Mandela le 15 juillet 2013.(STRINGER / AFP)
UNE VRAIE NATION « ARC-EN-CIEL » ?
Bertie Lubner reprend un petit gâteau aux raisins secs. Cela fait trois heures que nous parlons. Nous avons improvisé un déjeuner, puis vidé la corbeille de fruits avant d’en arriver aux bocaux. Cependant, plongés dans le passé, nous n’en sommes qu’en 1992, l’an II de la libération. Lubner persuade alors Mandela de participer au sommet de Davos en même temps que le président réformiste Frederik de Klerk et le leader zulu Mangosuthu Buthelezi. Les négociations sur l’avenir du pays de l’apartheid étant engagées, il veut exposer aux débats du Forum économique mondial, en Suisse, les protagonistes de la transition – le futur président de l’Afrique du Sud, le président sortant et, facteur trouble, la « troisième force » que représente le parti zulu. Dans l’avion de Mandela, Lubner prend connaissance du projet de discours que le chef de l’ANC entend prononcer le lendemain. En accord avec la Charte de la liberté, le programme du parti adopté en 1955, puis conservé dans la banquise de la Guerre froide, il y est question de la « nationalisation » des secteurs-clés de l’économie sud-africaine.
Lubner passe la nuit à amender le texte. Quand Mandela monte à la tribune de Davos, après De Klerk, il tient en main un discours abondamment caviardé et, pour tout dire, incohérent. Le mot qui fâche n’y figure plus. Le fuligineux verbe révolutionnaire débouche sur des conclusions insipides, telles que : « Notre gouvernement jouera un rôle plus important dans l’économie au service de la majorité de la population. » Bien entendu, le revirement n’est pas le seul fait d’une amitié naissante. Le mur de Berlin est tombé, l’Union soviétique a volé en éclats et l’économie dirigée est frappée de discrédit. Mais l’homme d’affaires fait pencher la balance à un moment charnière. Pour la petite histoire, il désamorce la Charte de la liberté qu’un autre allié blanc de l’ANC, le communiste Lionel « Rusty » Bernstein, avait rédigée trente-sept ans plus tôt.
De gros bataillons emboîtent le pas au grenadier voltigeur. À Davos, Mandela s’entretient avec le premier ministre indien P. V. Narasimha Rao, le grand vizir de la dynastie Nehru-Gandhi devenu le grand réformateur de l’économie. « Comme vous, nous avions un lourd héritage colonial à surmonter, explique-t-il au leader de l’ANC. Mais ce n’est pas une raison pour recourir aux recettes communistes. » Le vice-président chinois, Wang Zen, membre de la vieille garde sur le plan politique mais libéral sur le plan économique, abonde dans le même sens. « Nous avons infusé les idées communistes dans nos traditions millénaires, dit à Mandela ce proche de Deng Xiaoping. Mais votre passé a été aliéné. Donc, prenez le temps de vous familiariser avec le capitalisme. Cela vaudra mieux. »
La même année 1992, le premier représentant-résident de la Banque mondiale en Afrique du Sud, Isaac Sam, apprend à ses dépens que le nationaliste Mandela a survécu à son défunt camarade Nelson. « Je suis heureux de pouvoir vous dire que nous avons trouvé la meilleure voie économique à suivre pour l’Afrique du Sud », annonce-t-il au leader de l’ANC. Selon Ivor Ichikowitz, présent à l’entretien, Mandela pique une sainte colère. « Comment pouvez-vous oser ?, fulmine-t-il. Retournez à vos études ! Nous vous appellerons quand nous aurons besoin de votre aide pour la mise en œuvre de la politique économique que nous aurons décidé de suivre. » Cette politique était-elle la bonne ? Depuis l’avènement au pouvoir de l’ANC, en 1994, le chômage parmi les Noirs sud-africains n’a cessé d’augmenter, quelque 1,3 million d’emplois ont été supprimés et l’indice du développement humain, agrégé par l’ONU, est en baisse constante. Eût-il mieux valu nationaliser, notamment, l’industrie minière ? La question a été débattue lors d’un conseil des ministres présidé par Mandela. Des voix de l’ANC ont réclamé des « mesures radicales ». Leur collègue de l’énergie, Pik Botha, s’y est déclaré hostile : « Si vous touchez aux investissements étrangers dans nos mines, vous allez casser la colonne vertébrale de l’économie sud-africaine. » Le président a eu ce mot de la fin à l’intention des siens : « Quoi que vous pensiez de Pik Botha et de son passé, vous devez lui reconnaître une expérience internationale qu’aucun d’entre nous, ni vous ni moi-même, ne possédons. Donc, il faut l’écouter. »
Nelson Mandela en 1961, deux ans avant son arrestation, en habit traditionnel.
Siki Mgabadeli avait douze ans quand Mandela a été libéré, seize quand il a été élu président. Aujourd’hui, elle fait partie des visages et des voix les plus connus de la « nouvelle » Afrique du Sud. Diplômée de l’université Rhodes, elle est devenue « la » journaliste financière de la radio-télévision publique sud-africaine, présente à la fois sur le petit écran et au micro de plusieurs radios. « En 1994, la “nation arc-en-ciel” nous a été vendue comme une pub à la télévision, estime-t-elle. Mandela s’est trop soucié d’apaiser la crainte des Blancs et pas assez d’améliorer le sort des Noirs. Je sais bien que ce n’est pas facile de redresser plus de trois siècles de colonialisme en dix-neuf ans. Mais il a été trop frileux.»
Le président Mandela a peut-être commis des erreurs. -
À coup sûr, il a usé son innocence dans l’exercice du pouvoir. Il en était conscient et s’est sagement limité à un seul mandat. Cependant, son indécision face à la montée du sida, puis son silence face au déni de la maladie par son successeur, Thabo Mbeki, ont été jugés « coupables ».
En 1999, quand Mandela quitte le pouvoir, le taux de séropositifs au sein de la population sud-africaine s’élève à 10 %, en l’absence de toute politique de prévention pour enrayer l’épidémie. L’ex-président, qui appartient à une génération mal à l’aise pour parler de sexualité en public, fera amende honorable. Mais, en membre discipliné de l’ANC, il se tait quand Mbeki, choisi par le parti contre son gré, nie la transmission virale du sida pour accréditer la thèse selon laquelle la pauvreté et, en dernier ressort, l’exploitation coloniale seraient la source du mal. Comme vue de l’esprit, ce n’est pas absurde dans un pays où 14 % des Noirs et seulement 0,3 % des Blancs sont porteurs du VIH. Mais la vérité médicale est autre et, tout président qu’il fut, Mbeki n’avait pas compétence pour en juger. En attendant que des médicaments antirétroviraux soient mis à la disposition des patients sud-africains et, notamment, des femmes enceintes, plus de 300 000 morts évitables n’ont pas été évitées – un refus massif d’assistance à personnes en danger.
La vie dans le bidonville à Soweto et l'émergence d'une classe moyenne. (Christian Science Monitor/Getty Images)
LE DESASTRE DE L’ANC
Les dirigeants de l’ANC raflés en 1963 sur une ferme près de Johannesburg sont détenus en secret pendant neuf mois. « Vous allez être pendus », leur répètent les policiers. Plusieurs prisonniers succombent aux tortures. Quand les onze survivants sont autorisés à rencontrer leurs avocats, ceux-ci les préviennent d’emblée : « Il faut vous préparer au pire. » S’ensuit un long procès pour « sabotage », « trahison » et « atteinte à la sûreté de l’État ». Le 23 avril 1964, avant que la cour ne se retire pour délibérer, Mandela a le dernier mot. Pendant quatre heures, il expose son credo d’une « société démocratique offrant l’égalité de chances à tous », avant de conclure : « Cet idéal, j’espère vivre pour le voir advenir mais, s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. » Quand il se rassoit, un non-dit écrase le box des accusés : autant plaider coupable... Nelson cherche à remonter le moral de ses compagnons : « Je n’ai pas envie de mourir mais, si je viens de préparer notre condamnation à mort, la première chose que je ferai au paradis, ou ailleurs, c’est adhérer à la branche locale de l’ANC. » Tous, au moins, sourient. Aujourd’hui, personne ne mourrait moins inquiet avec cette idée en tête.
Dix-neuf ans après la libération de l’Afrique du Sud, l’idéal d’une « nation arc-en-ciel » où il ferait bon vivre pour tous n’est toujours pas une réalité. Les Sud-Africains ne sont pas nombreux à s’en étonner, et moins nombreux encore à s’en plaindre. En revanche, ce qui révolte un nombre croissant d’entre eux est le fait que l’ANC, au lieu d’être le bâtisseur du « Mandelaland », en soit devenu le fossoyeur. Siki Mgabadeli, née sous l’apartheid mais entrée dans la vie active dans la « nouvelle » Afrique du Sud, donne libre cours à sa colère. « L’ANC est un désastre ! L’Afrique du Sud n’est pas le pays pour lequel Mandela s’est battu, s’indigne la journaliste. Depuis quelques années, j’ai honte de me dire sud-africaine quand je voyage à l’étranger. »
Membre du Comité national exécutif, l’instance dirigeante de l’ANC, Winnie Mandela n’est pas moins sévère : « L’année prochaine, nous irons aux élections mais je ne sais pas ce que nous, en tant qu’ANC, pourrons dire au peuple. Nous aurons un bilan qui nous enlèvera toute crédibilité. Quand je pense au degré de corruption dans nos rangs, au nombre de nos cadres aussi incompétents que voleurs. Ce qui se passe contredit totalement ce pourquoi nous nous sommes battus. Maintenant, notre combat porte sur le nombre de voitures au garage et l’épaisseur de notre portefeuille d’actions dans l’industrie minière. »
Le troisième successeur de Mandela, l’actuel président Jacob Zuma, donne l’exemple. Ses forfaitures et ses frasques restent impunies dans ce qui est, de facto, un régime à parti unique tant est écrasante la domination de l’ANC et efficace le verrouillage de la justice. Les abus sont cependant chroniqués au jour le jour par la presse sud-africaine et emplissent, sous la forme d’un réquisitoire accablant, les 320 pages serrées du livre d’enquête d’Adriaan Basson, Zuma Exposed.
Pour le budget sud-africain, le coût du président, de ses six épouses officielles, de ses quatre maîtresses identifiées et de ses vingt-et-un enfants reconnus se chiffrerait, au bas mot, à 150 millions de dollars par an. Or, la canopée des prévarications cache le sous-bois de la décomposition. Dès 2007, Helen Suzman, la seule voix d’opposition parlementaire contre l’apartheid entre 1961 et 1974, a pointé le dysfonctionnement des institutions, à commencer par la représentation du peuple. « Le rôle de l’opposition est beaucoup plus difficile aujourd’hui, estimait-elle. Les interpellations restent sans réponse ou sont déclarées irrecevables. » Pour sa part, la compagne de feu Steve Biko, Mamphela Ramphele, une ancienne directrice de la Banque mondiale et universitaire de renom qui vient de fonder un parti d’opposition pour défier l’ANC aux élections de 2014, juge l’enseignement dispensé dans les écoles sud-africaines « pire que l’éducation bantoue du temps de l’apartheid ». Les diplômes par correspondance que Mandela a obtenus en prison ne sont plus à la portée de la première génération des « nés libres » – « born frees » -– de la « nouvelle » Afrique du Sud.
MARQUE DEPOSEE
En 1998, le téléphone sonne dans l’atelier de -Jonathan Zapiro. « Ici le bureau du président. S’il vous plaît, restez en ligne pour le chef de l’État. » Le dessinateur n’a pas le temps de se remettre de sa surprise qu’il entend déjà la voix grave et la diction hachée de Nelson Mandela. Il croit un instant à un canular, puis commence à s’inquiéter. Qu’est-ce qui peut bien motiver l’appel du président de la République ? « Je venais de changer de journal, raconte -Jonathan Shapiro. J’avais quitté The Sowetan, qui était lié par un accord de syndication à The Cape Argus. De ce fait, Mandela ne voyait plus le matin, au petit déjeuner, mes dessins quand il était au Cap [où siège le parlement sud-africain]. Il appelait tout simplement pour me dire qu’il le regrettait mais qu’il me souhaitait bonne chance au Sunday Times ! » Soulagé, Zapiro laisse percer son inquiétude initiale : « Monsieur le président, depuis que nous nous sommes vus au début de votre mandat, vous avez dû remarquer que mon travail est devenu plus critique à l’égard de l’ANC et de votre gouvernement... – Mais, Jonathan, vous ne faites que votre travail ! » -Zapiro se souvient d’autant mieux de cette réplique que, depuis, il a eu maille à partir avec tous les successeurs de Mandela, qui l’ont pris à partie ou traîné en justice. En novembre 2011, au nom de la « sécurité nationale », la majorité de l’ANC a adopté une nouvelle loi sur la presse que l’opposition et la société civile ont dénoncée, à l’unisson, comme « liberticide ».
En 2005, un an après le retrait de la vie publique de Mandela (« Ne m’appelez plus, je vous appellerai »), les bidonvilles d’Afrique du Sud ont explosé pour la première fois. Des manifestants s’en sont violemment pris aux autorités locales, accusées d’incurie et de corruption. Puis, en 2008, l’année du quadruplement des demandes d’asile politique dû à la crise au Zimbabwe voisin, la chasse aux étrangers s’est soldée par au moins 60 morts, dont un quart était en fait des Sud-Africains, plus de 100 000 foyers ayant été brûlés. Cela faisait dix ans que Nelson Mandela avait épousé Graça Machel, la veuve du premier président (mort dans un crash aérien en 1986) du Mozambique, le pays d’origine du plus gros contingent d’immigrés en Afrique du Sud. Selon les enquêtes d’opinion d’AfroBarometer, la “nation arc-en-ciel” est devenu le pays d’Afrique le plus xénophobe. « Quelle honte !, s’exclame Winnie Mandela, toujours prête à remuer le couteau dans la plaie. Sous l’apartheid, les Anglais, les Italiens et les Portugais ici ne se sont pas affrontés entre eux. Le vrai problème est la misère. Au lieu de la combattre, nous nous attaquons les uns aux autres. »
Aussi, 42 % des Sud-Africains de moins de trente ans n’ont pas d’emploi – un taux de chômage trois fois plus élevé que parmi leurs aînés. Et deux tiers des jeunes Sud-Africains n’ont même jamais eu un travail salarié. «Traversez un jour ouvrable n’importe quel township noir et vous verrez partout des jeunes assis à ne rien faire, en train de fumer de l’herbe, me dit Siki Mgabadeli. La vérité, c’est que, même s’il y avait des emplois, ces gens-là ne seraient pas embauchés, jamais. Ils ne sont bons à rien.» Pour eux, il n’y a que deux voies de promotion sociale, la drogue ou la politique. Pour la deuxième option, la Ligue de la jeunesse de l’ANC sert de fusée d’ascension.
La banlieue aisée du Cap. (ANTOINE LORGNIER / ONLY WORLD / AFP)
Au début des années 1940, Nelson Mandela faisait partie des « jeunes Turcs » de son parti, qui réclamaient la création d’une Ligue de Jeunesse de l’ANC. En 1950, il en devint le président. Il n’était alors pas encore le « sage » qui, quarante ans plus tard, devait sortir de prison. Sur le plan politique, il estimait que les Noirs n’allaient pouvoir se libérer qu’en rejetant toute alliance avec des progressistes blancs et que l’ANC devait se transformer en mouvement clandestin de lutte armé. En 1953, son discours intitulé « No Easy Walk to Freedom » visait à promouvoir ce projet connu sous le nom de « plan M », comme Mandela. Devenu le chef de la branche armée de l’ANC, il a organisé et revendiqué, le 16 décembre 1961, la première série d’attentats à la bombe en Afrique du Sud – 57 en un seul jour, ciblant exclusivement des infrastructures.
Sur le plan personnel, Mandela était tout aussi conquérant mais moins courageux. En 1954, sa première femme, Evelyn Mase, avait quitté le foyer conjugal avec leurs enfants ne supportant plus les infidélités de son mari dont la mère, d’accord avec sa belle-fille, était rentrée de Johannesburg au village en désavouant son fils. Quatre ans plus tard, quand Mandela cherche le divorce pour pouvoir épouser Winnie, il ne dit mot à Evelyn qui apprend la requête engagée dans le journal. Elle repart alors à son tour au village et se réfugie dans la foi, résolument apolitique, des témoins de Jéhovah.
Si le jeune Nelson Mandela ressemble à Julius Malema, le président de la Ligue de Jeunesse qui vient d’être expulsé de l’ANC, l’inverse n’est cependant pas vrai. Certes, Malema a touché au tabou de son temps, à savoir la nationalisation de l’industrie minière. Mais à la différence de Nelson, qui s’était résigné à concevoir la lutte armée uniquement comme continuation de sa politique par d’autres moyens, son lointain successeur est un pompier-pyromane à la recherche de flambées populistes. Plusieurs fois condamné pour « incitation à la haine raciale » en raison de ses appels au meurtre des Blancs, mis en examen pour « détournement de fonds » et « blanchiment d’argent », Malema – le « futur leader de l’Afrique du Sud » salué par le président Zuma du temps de leur alliance – suit la logique des seigneurs de guerre : il fait son fiel de revendications légitimes pour multiplier ses « prises » et justifier sa prédation.
Shaka Sisulu, 33 ans, en est à son cinquième thé au miel. Ce petit-fils de Walter Sisulu, qui fut le mentor politique et le meilleur ami du jeune Mandela, puis son codétenu, est l’héritier de la plus prestigieuse dynastie au sein de l’ANC. Son père préside le parlement, sa tante est l’actuelle ministre des services publics et de l’administration. Shaka, lui, s’avoue « speed » depuis que le parti l’a chargé, au sein d’un comité, de recoller les morceaux de sa Ligue de jeunesse, de facto dissoute après la mise à pied de son président. Il plonge dans le monde des jeunes sans avenir qu’il ignorait totalement avant de créer, en 2007, une ONG pour bâtir des maisons dans les « quartiers » – en fait des bidonvilles. Avec des fonds levés de l’ordre de 3 000 euros par an, cela ne va pas bien loin. « L’essentiel n’est pas l’impact mais l’engagement et le plaisir de servir de catalyseur, soutient-il. C’est une façon de s’approprier la réalité sociale. » C’est aussi une mesure de la distance qui sépare l’ANC de sa base. « L’Afrique du Sud grouille de Mandela en attente », croit Shaka.
L’éditorial du quotidien sud-africain The Citizen concluait, le 1er juillet : « La grâce et la dignité ne sont pas héréditaires. » La famille de Mandela – ses quatre enfants toujours en vie, ses dix-sept petits-enfants et quatorze arrière-petits-enfants – venait d’apporter la preuve que les qualités de Nelson ne se transmettaient pas de génération en génération. Ils se disputaient en justice les corps des trois enfants décédés de Mandela auprès desquels ce dernier a souhaité être enterré. L’héritier mâle le plus âgé, un petit-fils de 39 ans, avait exhumé ces corps dès 2011, littéralement sous la fenêtre de son grand-père de moins en moins lucide. Seize autres Mandela, emmenés par la fille aînée du premier mariage, ont réclamé et finalement obtenu leur retour à Qunu, quitte à forcer le trait sur l’état de santé de Mandela qu’ils ont présenté, dans un document soumis au tribunal, le 28 juin, comme « cliniquement mort ». L’enjeu de la bataille était l’emplacement de sa tombe, que son petit-fils voulait transformer sur ses terres en un lieu de mémoire lucratif, entouré d’hôtels, d’un musée et d’un « centre culturel de la réconciliation ».
Depuis quinze ans, « Nelson Mandela » est une marque déposéedont les droits sont gérés par une fondation éponyme qui a pour but d’empêcher une commercialisation abusive ou une récupération politique du nom le plus vendeur au monde. Par ailleurs, Nelson a cherché un moyen de sécuriser, sur le plan matériel et par-delà la mort, une famille étendue dont certains membres ne sont pas fortunés, et d’autres insatiables. À cette fin ont été créées deux holdings, dont l’une fut baptisée Harmony Investment. Hélas, les fidéicommissaires de ces fonds, parmi lesquels deux avocats amis de longue date de Mandela, George Bizos et Ismail Ayoub, rivalisent depuis 2004 d’arguties et d’intrigues pour se dessaisir mutuellement, chacun avec le soutien d’une partie des ayants droit. La vente d’aquarelles censées avoir été peintes et signées par Mandela, ainsi que d’affiches portant l’empreinte de sa main avec, à l’intérieur de la paume, le contour du continent africain, a été suspendue par un tribunal sud-africain. L’enjeu du contentieux se chiffre en millions de dollars. Cependant, aucune des parties n’a jamais voulu citer à la barre Mandela, a priori le mieux placé pour savoir à qui il avait confié le trésor mais, en réalité, depuis des années sans souvenir précis. L’agonie de Madiba ayant relancé la guerre des droits, Zapiro a tiré un trait cruel sur l’affaire en jouant sur l’assonance entre scrabble et squabble, la « querelle » vaine et bruyante. En juillet, l’un de ses dessins montrait les Mandela autour d’un jeu de société, avec cette légende : « Squabble, (Querelle) the Mandela family game. »
Le monde serait mal placé pour faire la morale à la famille de Mandela au sujet d’une « appropriation » dont il a eu le quasi-monopole. C’est d’ailleurs tout le problème pour les parents de l’homme-icône, qui n’ont guère connu le prisonnier politique, puis peu profité d’un Madiba accaparé comme patrimoine mondial. Même Winnie n’a vécu que cinq ans aux côtés de Nelson – trois avant et deux après son emprisonnement – et, encore, avec la politique comme co-épouse jalouse. Seule Graça Machel a partagé le quotidien de Mandela – progressivement diminué –pendant quinze ans.
À l’arrivée, le paradoxe est là : l’homme le plus connu de la terre manque de témoins de sa vie dans la durée. Également en raison de son grand âge, Nelson Mandela n’a vraiment été un familier que pour une poignée de ses camarades devenus ses codétenus, en premier lieu Walter Sisulu, Andrew Mlangeni, Denis Goldberg, Raymond Mhlaba et Ahmed Kathrada. Pour ma part, de ce que j’ai vu et entendu au fil des années, je retiens surtout le poème préféré de Mandela et son refus obstiné d’une humanité sans visage. Invictus, aussi direct, classique et en même temps populaire que Nelson lui-même, a fait le tour du monde avec le film de Clint Eastwood. Son auteur, l’Anglais William Ernest Henley, l’écrivit en 1875 sur son lit d’hôpital pour résister à la douleur consécutive à son amputation du pied.
« Aussi droit que soit le chemin
Aussi lourd le châtiment infâme
Je suis le maître de mon destin
Le capitaine de mon âme. » La résilience de Mandela tient en ces lignes.
Mille histoires m’ont été racontées. Elles disent toutes la même chose. Voici celle que j’ai moi-même vécue, le 15 juin 1994. Ce jour-là s’achève, à Tunis, le premier sommet panafricain auquel participe l’Afrique du Sud, enfin débarrassée de la ségrégation raciale. Faiseur d’un « miracle » au pays de l’apartheid, Mandela y est vu par ses pairs comme un thaumaturge capable de mettre fin au génocide en cours au Rwanda. Durant trois jours, les chefs d’État passent et repassent entre nous, la presse alignée devant leur salle de réunion, la mine renfermée, sans un mot. La cohue de nos interpellations reste vaine. Mais à la dernière sortie, après la conclusion de leurs travaux, Mandela, le plus entouré de tous, s’arrête net devant une consœur d’une radio internationale. C’était son premier sommet africain, elle ne connaissait personne et, toute petite avec les douze kilos d’un Nagra (le magnétophone de l’époque) sur l’épaule, elle paraissait perdue. « Il me semble que, depuis trois jours, vous voulez me poser une question?», lui dit-il dans un grand sourire encourageant. Il l’avait repérée et avait décidé de l’aider en lui accordant une interview, quelques mots au passage.
Ce n’était rien par rapport aux enjeux du sommet. Mais c’était tout pour elle. Dans sa vie, Nelson Mandela n’a cessé de remarquer des personnes, tel ou tel gardien « pas comme les autres » à Robben Island, l’Afrikaner Pik Botha, l’homme d’affaires Bertie Lubner, le marchand d’armes Ivor Ichikowitz, le dessinateur Zapiro et tant d’autres. Il les a tous remarqués, en fait élus, parce qu’il était sans préjugés. Il savait, comme l’a écrit Scott Fitzgerald, que « réserver son jugement est un signe d’espoir infini ». Mandela a partagé cet espoir, contre toute attente.
Cette enquête a été publiée dans le numéro 3 de Vanity Fair, daté de septembre 2013.