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Cultiver son jardin
par Marc-Alain Ouaknin, rabbin
À la racine du mot « travail ››
Faire, accomplir, garder, travailler...
Si l'homme est ontologiquement lié au travail (c'est par ce
qu'il ne peut se passer d'être un « homme de culture ››, c'est à-dire un « homme cultivé ››.
Comme l'enseigne le Maharal de
Prague, l'homme est fait de terre, pour l'inviter à se considérer lui-
même comme une terre à cultiver.
En français, « travail ›› est un
mot qui nous vient du latin tripalíum, instrument de torture forme
de trois pieds qui servait sans doute
a écarteler. Cette signification a
donné au << travail ›› toute une
charge négative que les rumeurs et
préjugés en tous genres ont largement contribué a diffuser. Certains
penseurs, et des plus aguerris sont
ainsi tombés dans le piège des formules et les vulgates, sans vérification et sans esprit critique.
Il semble que la Bible ne soit pas étrangère à cette orientation. En
effet, le << Tu mangeras à la sueur de
ton Front ›› de la Genèse, qui n'est pas
un « tu travailleras à la sueur de ton
front ››, compris comme une malédiction, a fait croire que le travail était ontologiquement négatif et
que, quelle que soit l'évoluti0n de la
société et de sa spiritualité, l'homme était condamné à la peine et à la
punition !
Une relecture du texte biblique et
une étude du lexique du << travail ››
nous permettront sans doute d'offrir
quelques pistes de réflexion différentes.
Il existe en hébreu deux mots
pour dire le << travail ››: avoda עבודה et melakha מלאחה. Et s'il existe pour
le premier un verbe dérivé, laavod לעבוד, il niexiste par contre aucun
verbe dérivé de melakha. On utilise
alors les verbes laassot לעשות« faire ››, ou lekayem לקים, « accomplir ››.
Le verbe "Laavod" apparaît très tôt
dans le texte biblique de la Genèse,
dès le second chapitre de la Création
dans les versets qui précèdent immédiatement la seconde création de
l'hornrne et neuf versets apres. Le
contexte de ces deux versets précise
très clairement le sens de ce verbe qui
s'avère signifier « cultiver ››.
« Lorsque l'Éternel Dieu fit une
terre et cles cieux, aucun arbustre, aucun
champs n'était encore sur la terre, et
aucune herbe des champs ne germait encore: car l'Éternel l'Eternel
n'avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n”y avait point d'homme pour
cultiver le sol (laavod èt-Adama) לעבוד את הדאדמה. Mais une
vapeur s'éleva de la terre, et arrosa
toute la surface du sol. L'Éternel-Dieu forma l'homme de la poussière
de la terre, il souffla dans ses narines
un souffle de vie et l'homme devint
un être vivant. Puis l`Éternel Dieu
planta un jardin en Éden, du côté de
l`Orient, et il y mit l'homme
avait formé. l'éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèces
agréables à voir et bons à manger et
l'arbre de la vie au milieu du jardin
et l'arbre de la connaissance du bien
et du mal l...] L'Éternel Dieu pris l'homme, et le plaça dans le jardin
d'Éden pour le cultiver et pour le
garder
(leovda ou l'chomra . ›› לעבוה ולשומרה
«Culture» est le mot
M a r c - Alain
OUAKNIN
est rabbin, philosophe et écrivain.
Il conduit au MJLF un atelier mensuel de traduction biblique Targoun
Renseignements :
atelier.targoum@orange.fr |
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« Cultiver ›› implique un nombre
considérable d'actions: la préparation, le retournement de la terre, les
semailles, un autre retournement de la terre, la patience de la montée de
la sève, la patience du bourgeon, de
la fleur et du fruit; le temps de la
récolte : faucher, lier, transporter et
engranger, toute une philosophie du
temps, cle la provision alliée à la prévision. |
« Cultiver» c'est aussi la
nécessité de prendre en compte un
ensemble de facteurs complexes
comme les connaissances des vents,
des nuages et des pluies, de l`ombre
et de l'ensoleillement, de la nature
des sols, des especes différentes des
plantes, des fruits et des céréales, de
l'importance des insectes, de la polénisation par exemple, si incontournable que le mot « abeille » a donné
en hébreu le mot « parole ››.
Sans
oublier les animaux qui seront
convoqués pour ce travail, et sans
oublier la créativité sollicitée pour
inventer des outils divers pour faciliter cette culture.
« Culture ›› justement est le mot.
Car si l'homme est ontologiquement lié au travail c'est parce qu'il
ne peut se passer d'être un homme
de culture ››, c'est à-dire un «homme cultivé» . l'hébreu aura
retenu la leçon en appelant l'ignorant "Bour" בור qui signifie précisément le champ en friche ››. Et on se souviendra de ce célèbre adage de Ben
Bag Bag dans les Pirke Avot (5,22) à
propos de l`étude de la Torah: "hafokh ba ve hafokh ba dekoula ba" הפוך בה והפוך בה דכולא בה elle est comme une terre qu”on
laboure, « tourne-la et retourne-la
car tout est en elle ››.
La Avoda est alors une façon, non
seulement de cultiver la terre, mais
de se cultiver soi-même, de cultiver
l'homme fait cle cette même terre.
En ce sens on comprendra pourquoi
le mot Avoda peut être employé en
différents sens, à la fois physique et
métaphysique, matériel et spirituel,
intellectuel et psychologique. האדם העובד על עצמו
«haadam ha'ovèd al atsmoaioz «l`homme qui travaille sur lui-même ›› diront les livres
de moussar (éthique), ou encore האדם העובד את השם Adam haovèd et hachem,
littéralement
« l'homme qui sert Dieu ››, c'est à
dire l'homme qui cultive son rapport à Dieu. Mais cela peut être aussi
le culte rendu à une idole: (Vé'avadetem élohim ah'érim vehishtakhavitem lahem (Deutéronome 11).
L'homme, la prière et la pluie
Comme l'enseigne le Maharal
Prague, l'homme est fait de terre
pour l'inviter à se considérer lui
même comme une terre à cultiver.
Métaphore précieuse qui implique
un ensemble d'actions, dont
quelques unes que nous avons évoquées plus haut, et des modalités
d'être particulières quant au rapport
au temps, à l'espace, aux animaux et
autres hommes.
Le nombre de paramètres enjeu dans la culture de la terre est absolument extraordinaire et chacun de ces
paramètres peut prendre un sens
métaphorique dans la vie de
l'homme et sa manière de s`inscrire
dans la société. ll est intéressant et
important de noter que la première
des six parties du Talmud se nomme Zéraïm זרעים, c'est-à-dire « les
semences » et est consacrée à un
ensemble de lois qui concernent la
culture des champs. Lois de la terre
qui sont précédées par un traité,
Berakhot, consacré a la prière et aux
bénédictions, et plus particulièrement a la prière du Shema Yísrael, ou
il est question d'enseignement, d'étude, de lecture et de rites mémoriels; mais aussi, et peut-être l'oublie
t-on trop souvent, de pluie et de
récolte...
« Le pays que vous allez posséder
est un pays de montagnes et de vallées, et qui boit les eaux de la pluie
du ciel; c'est un pays dont l'Eternel,
ton Dieu, prend soin, et sur lequel
l'Éternel, ton Dieu, a continuellement les yeux, du commencement à
la fin de l'année.
Si vous obéissez a mes commandements que je vous prescris
aujourd'hui, si vous aimez l'Éternel,
votre Dieu, et si vous le servez de
tout votre coeur et de toute votre âme, je donnerai à votre pays la pluie
en son temps, la pluie de la premiere
et de l'arrière-saison, et tu recueilleras
ton blé, ton moût et ton huile; je
mettrai aussi dans tes champs de
l'herbe pour ton bétail, et tu mangeras et te rassasieras. [...]
Mettez dans votre coeur et dans votre âme ces paroles que je vous dis. Vous
les lierez comme un signe sur vos
mains, et elles seront comme des
fronteaux entre vos yeux. Vous les
enseignerez a vos enfants, et vous
leur en parlerez quand tu seras dans
ta maison, quand tu iras en voyage,
quand tu te coucheras et quand tu te
lèveras. Tu les écriras sur les poteaux
de ta maison et sur tes portes... ››
Deutéronome 1 1.»
Ce rapport entre culture de la
terre et culture de l'homme a été très
bien perçu, rappelé, formulé et transmis par Hannah Arendt dans La crise de la culture:
« La culture, mot et concept, est
d'origine romaine. Le mot « culture »
dérive de colère- cultiver, demeurer,
prendre soin, entretenir, préserver
et renvoie primitivement au commerce de l”homme avec la nature,
au sens de culture et d'entretien de la
nature en vue de la rendre propre à
l'habitation humaine. En tant que
tel, il indique une attitude de tendre
souci, et se tient en contraste marqué
avec tous les efforts pour soumettre
la nature à la domination de
l'homme. C'est pourquoi il ne s'applique pas seulement à l'agriculture
mais peut aussi désigner le « culte »
des dieux, le soin donné à ce qui
leur appartient en propre. Il semble
que le premier à utiliser le mot pour
les choses de l'esprit et de l'intelligence soit Cicéron. Il parle de excolere animum , de cultiver l'esprit, et
de cultura aními au sens où nous
parlons aujourd'hui encore d'un
esprit cultivé, avec cette différence
que nous avons oublié le contenu
complètement métaphorique de cet
usage. Car, pour les Romains, le
point essentiel fut toujours la
connexion de la culture avec la
nature ; culture signifiant originelle
ment agriculture, laquelle était hautement considérée à Rome, au
contraire des arts poétiques et de
fabrication (...) Ce fut au milieu
d'un peuple essentiellement agricol
que le concept de culture fit son
apparition, et les connotations artistiques qui peuvent avoir été attachées à cette culture concernaient la
relation incomparablement étroite
du peuple latin à la nature, la création du célèbre paysage italien. Selon
les Romains, l'art devait naître aussi
naturellement que la campagne; il
devait être de la nature cultivée; et la
source de toute poésie était vue dans le chant que les feuilles se chantent à elles-mêmes dans la verte solitude
des bois »
« Tendre souci ››
Une vingtaine de pages d'Arendt commentent cette remarque. Il faut
les lire pour ne pas dénaturer sa pensée et comprendre le sens qu'elle
donne ensuite de façon plus précise à « l'hornme cultivé».
Dès lors cette traduction de "Avoda" comme « attention à » , « soin
donné», « soin accordé» à la terre,
aux dieux, à Dieu, aux hommes ou à
toute réalité, donne au « travail »
une autre tonalité. Ce n'est pas la
souffrance et la pénibilité mais une
forme de « tendre souci» qui permet à soi-même et à liautre, aux relations
entre les choses et les hommes, et
les dieux, de trouver le chemin de
leur croissance et de leur élévation.
Et dans le cadre d'un univers « religieux », il s'agit de prendre soin,
et d'avoir ce tendre souci pour Dieu
lui-même. Cela me rappelle une
anecdote, que me rapporta récemment Aldo Naouri, d'un homme qui
demandait a un philosophe si Dieu
existait et qui lui répondit: « Pas
encore! ».
La culture, écrit Guy Museux
dans Question: de culture générale, « contribue au développement de
notre intelligence et à l'affinement de
notre sensibilité. Elle aiguise plus
finement notre sens critique - et plus
encore autocritique -, et nous ouvre
ainsi à une conscience de soi toujours plus aiguë, à une générosité
morale, à une disponibilité d'esprit,
qui rendent considérablement plus
aisées et plus fructueuses les relations
avec autrui, c'est-à-dire - en définitive - avec soi-même.
Être cultivé, c'est donc moins
connaître beaucoup de choses que de
savoir lesquelles ont le plus d'
portance, que vivre plus intelligemment. C'est se régler sur des formules plus interrogatives que
resolutives, afin d'épouser mieu son
temps, et de tenter de penser positivement l'avenir. [...] C'est aussi être
intellectuellement plus défiant, avoir
toujours l`esprit en alerte, la puce à
l'oreille, afin d'éviter que n'importe
qui nous raconte n'importe quoi
n'importe comment. [...] C'est encore et surtout, quand il l
Il faut être capable de résister à cette affirmation non argumentée que nous
acceptons sans contrôle, par admiration ou par respect ou par affection
pour la personne qui la profere - et
en politique plus encore que dans
tout autre domaine - ce qui, on en
conviendra , n'est pas une mince
affaire. ››
Conséquences politiques
Les conséquences politiques de
la compréhension de ce terme avoda dans ce sens de << culture ›› sont nombreuses. Et même si je ne pense
que le parti politique Avoda,
le parti travailliste israélien a pensé à toute cette recherche philosophique, et bien que je ne pense
pas non plus que tous les politicien
du parti Avoda aient lu Hanna
Arendt pour découvrir le sens du
mot « culture ››, le terme Avoda, en
lui-même, porte son histoire et sa
richesse.
Mais on aura compris que tout
parti politique qui s'honore, qu'il se
nomme avoda ou autre, qu`il soit de
droite, de gauche ou du centre, laïque
ou religieux, a le devoir de promouvoir cette dynamique de la avoda
c'est-a-dire du « tendre souci ›› de
grandir et de la liberté de soi et de
l`autre et, selon les mots de Gaston
Berger dans L'homme moderne et son éducation, cette dynamique de « l'effort des hommes vers plus de bonheur, ce qui passe sans doute d'abord
par plus de justice ››.
Marc Alain Ouaknin
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Notes prises sur le site Leava, exposé oral de Ron Chaya
Ron Chaya
Im ein Kemah ein Thora => s'il n'y a p as de farine, pas de thora
Réponse :
Séparer l'accessoire et l'essentiel l'accessoire existe !
Nous ne sommes pas venus sur terrre pour manger, construire des maisons, amener des enfants, et finir un m sous terre. L'essentiel est ailleurs, notre finalité est la construction de nous même.
Il y a un véhicule, il faut s'en occuper, si non on tombe en panne. Mais l'essentiel est le conducteur, et la voiture est là pour le servir L'esentiel c'est moi et ma spiritualité.
C'est à la sueur de ton front que tu gagnera ta vie, une malédiction car on a pécher.
L'humanité a tellement bien compris le message que le travail était une malédiction qu'ils l'ont mis sur la porte d'Auschwitz. ARBEIT MACHT FREI ;
Les camps ont été supprimés, mais l'aliénation n'a pas été supprimé, pour tout le monde, le travail c'est la santé, c'est le sens de la vie. Le travail est une malédiction, ce n'est pas ma fatalité.
Le travail, est-il le sens de la vie ? non, c'est une malédiction.
Le travail n'est pas la finalité. La finalité c'est moi.
Ne vit pas comme un fou, vivre de tomates et d'eau fraiche peut suffir.
Il faut se nourrir, il faut s'occuper du corps, mais ce n'est qu'un véhicule, ansi vivent le monde des bné thora.
Si on a pas dans un peuple une minorité qui exprime le sens, le peuple disparait, pour cela ceux qui étudient la thora et conservent les connaissances sont indispensables.
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Notes prises sur Academ Yeshaya Dalsace : " le travail et le loisir dans la vision du judaïsme"
L'homme est un individu qui passe son temps à travailler pour avoir le temps d'avoir des loisirs.
doit-on opposer travail et loisir, comme s'il s'agissait deux notions de temps ?
L'homme peut il gérer son temps ? quel usage avons nous de la liberté ?
La nature du temps ? le temps est-il un objectif et immuable ou dépendant de notre subjectivité ?
Un temps en vaut-il un autre ?
Moïse commence mission libératrice "
cha 16 de l'exode : la manne avant le don de la thora.
le chabbat est la rupture dès cette époque, en effet avant le don de la Thora, il ne fallait pas ramasser de manne le Shabbat.
Le temps a-t-il du goût ? la manne est liée au temps, le chabbat est un temps hors du temps.
l'idée d'arrêt hebdomadaire du repli sur le cocon familial ou communautaire a été considéré par les peuples comme anormal depuis l'époque romaine ex : Sénéque pensent que les juifs perdent un septième de leur vie ! la notion de loisir était ignoré dans les sociétés anciennes.
Le shabbat permet de vivre au ralenti autour de sa famille, et le ressourcement sprirituel, quelque soit e statut social de l'individu.
Le monde n'existerait pas sans travail
Yehuda Hanassi => six jours tu travaillera aussi obligatoire que le shabbat :
choisit la vie, donc un métier
Tout homme est tenu d'enseigner à son fils un métier, celui qui ne le fait pas lui enseigne le métier de voleur.
Le travail n'est pas qu'une nécessité, c'est une valeur morale.
Le D ieu créateur agit, le mot travail se dit Avoda, => travail au sens propre, service du temple, service sprituel, Avoda chel ba lev = prière cela représente ce que l'homme a de meilleur, cela sert à la construction sociale le travail sert de modèle à la vie spirituelle
Maimonide Celui qui pense qu'il s'adonnera à la thora
sans travailler, méprise la thora.
Psaume Voir la bonté de l'éternel dans la terre des vivants
Avoda gashmiout => tous nos gestes quotidiens, en apparence anodins sont liés au monde spirituel et peuvent avoir une valeur spirituelle. Le cordonier dit une formule, je le fais au nom de l'unité du Saint Beni soit-il
Le mouvement sioniste va avoir toute une mystique du travail, importance du retour à la terre, comme lieu du travail où on produuit ce qu'on mange. Le travail physique est promu comme une sorte de libération.
Il y a une autre dimention l Avoda veut aussi dire esclavage ce qui est négatif.
malediction de la bible...eden.
Notion d'opression, les égyptiens rendirent la vie amère... avec dureté, un dur servage qui brise le corps et le met en pièces.
Le peuple juif n'existe que par cequ'il a brisé le cercle infernal de l'esclavage, D
ieu lui même est le libérateur.
Fête de la liberté Pessah ! ! Ni le travail ni le loisir ne sont dus, c'est le moyen d'amener l'homme vers le sens, elle passe par tous les moments de la vie. Investissant le temps. L'Etre humain est responsasble de son temps, il en est le bâtisseur.
Ne pas gaspiller le temps pour devenir l'être que je suis.
Le progrès technique rapproche l'homme du paradis voir le parallèle avec l'accouchement sans douleur.
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Quelques citations
« Quiconque se met en l’esprit qu’il va s’occuper de la loi sans exercer de profession et en subsistant de la charité publique, celui-là profane le Nom (de D’ieu) méprise la loi, éteint le luminaire de la foi et s’exclut du monde futur……toute étude de la loi qui n’est pas accompagné d’une profession finit par être stérile et conduit au péché, car celui qui la pratique est amener à voler son prochain » Le livre de la connaissance, Devoir d’étudier la loi 3,8 Rambam voir aussi Traité des Pères chap.2 mishna 2
2. Rabban Gamliel, fils de Rabbi Yehouda ha Nassi, disait : « Il est beau d’allier étude de la Tora et œuvre de civisme, car le labeur des deux révoque la perversion. Toute consécration à l’étude religieuse qui n’est pas accompagnée d’un travail est stérile et conduit au péché. Ceux qui œuvrent en faveur de la collectivité et travaillent avec ses responsables pour la gloire du Nom céleste (divin, et non pour des considérations bassement intéressées) seront soutenus dans leur tâche par le mérite de leurs ancêtres, et le souvenir de leur équité perdurera à jamais. Quant à vous, grande serait votre récompense comme si vous aviez vous-mêmes agi. »
Exemples :
« N’opprime pas ton prochain, ne le vole point : que le salaire du journalier ne passe pas la nuit avec toi jusqu’au matin » (Lev. 19.13) ; « Tu n’opprimeras pas le journalier, pauvre et indigent, qu’il soit de tes frères ou un étranger, qui est dans ton pays, dans tes portes. Le jour même tu lui donneras son salaire, avant que le soleil se couche ; car il est pauvre et pour ce salaire il s’est donné tout entier » (Dt.24.14-15) |
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L'oeuvre de Dieu, et l'action des hommes
Hervé Elie Bokobza
Si le monde était limité à l'œuvre divine, telle q'u”elle est dans
son état initial, ce projet resterait vain. C'est l'homme qui,
par son action de faire vivre la planète, permet que le monde
perdure.
La contribution de Dieu et celle
des hommes sont nécessaires à la réalisation de l'oeuvre divine.
Dieu apporte les ingrédients, qui
ne peuvent se suffire tels quels,
charge à l'homme de s'engager
dans une reelle responsabilité
de les faire vivre.
S`il convient de célébrer l'oeuvre
de Dieu: << ›› (Psaume Que tes œuvres sont
grandes, ô Eternel! Toutes, tu les as
faites avec sagesse; la terre est remplie
de tes créations.(psaume 104:23),
sans l'action de l'homme qui la prolonge, toute Sa création resterait inachevée. L’œvre
C'est ainsi que, des la conclusion
du récit de la creation, Adam à peine
créé, le voilà déjà investi d`une mission essentielle, celle de réaliser l'oeuvre divine: <<l'Éternel bénit le
septième jour et le sanctifia, car en ce
jour il s'arrêta de tout son travail que
Dieu créa pour faire ›› (Genèse 215).
«Pour faire » renvoie à l'idée de réparation et de parachèvement, comme
si la création n'était pas finie et qu'il
appartenait à l'homme de la parfaire.
Le Midrash raconte qu'un Païen,
du nom de Turnus Rufus, demanda a
Rabbi Akiba lesquelles d'entre les œuvres
de Dieu et celles des hommes étaient
les plus belles?
- Ce sont celles des hommes qui sont
les plus belles, lui répondit R. Akiba.
- Pourtant, répliqua Turnus Rufiis, le
ciel et la terre, l'homme a-t-il les
moyens d'en créer de semblables ?
- Ne me parle pas de choses qui se
situent au-dela des créatures, et qui
ne peuvent être rnaîtrisées par
l'homme, parle-moi plutôt de ce qui
lui est accessible. [. . .]
Puis R. Akiba lui apporta des épis de
blés accompagnés de petits pains. Et
lui dit:
- Voici d'un côté l'oeuvre de Dieu et
de l'autre celle des hommes; tu ne
trouves pas ceux-ci (les petits pains)
plus beaux que ceux-là (les épis de
blés)? (TanhoumaTazria 5)
L'homme a donc pour mission de
réaliser le monde créé par Dieu en y
introduisant la dimension d'action
qui le fait vivre. « Tout ce qui fut crée
lors des six iours du commencement
nécessite une action [complémentaire] ll faut par exemple adoucir la
moutarde ainsi que le lupin, le blé
doit etre moulu. et l'homme lui
mème doit se parfaire. ›› (Genèse Rahba 11,6)
On comprend que l'un ne va pas
sans l'autre. La contribution de
Dieu et celle des hommes sont
nécessaires à la réalisation de l”oeuvre divine. Dieu apporte les ingrédients, qui ne peuvent se suffire tels
quels, charge à l'homme de s'engager dans une réelle responsabilité de
les faire vivre; « La volonté divine
impose à l'homme de bâtir la planète ›› (Avat de Rabbi. Nathan 11). Cest
alors qu'il sera possible de faire de ce
monde une demeure pour la divinité, non settlement pour le bien de
llhumanité présente mais aussi et
surtout pour celle qui suivra.
Hervé Élie Bokobza
est enseignant, confé rencier, et auteur
notamment de quatre
ouvrages consacrés au Talmud et aux
Sages d'lsraël. |
« Le témoignage de l)Éternel est
authentique ›› (Psaumes 19:8): ce
verset renvoie à l'ordre des plantations.« Semer c'est témoigner de sa
foi en la vie éternelle. ›› (Midrash des
Psaumes 19). Cest donc par le fait
d'agir pour la survie de la nature et
de la continuité de la vie sur terre
qu'on participe à l'oeuvre divine.
« Ainsi a dit R. Yohanan:
“Jacob
notre père n'est pas rnort”. Pourtant
- se demande le Talmud - ce n'était
pas pour rien que l'on a mené son
deuil, qu'on l`a embaumé et enterré !
C'est à partir diun verset que je le
déduis: “Et toi mon serviteur Jacob,
ne crains pas, dit l'Éternel. Ne t'effraie pas, Israël ! Car, je te délivrerai
de la terre lointaine, je délivrerai ta
postérité du pays ou elle est captive”
(Jérémíe 50:10 et 46:27). Jacob est
identifié à sa postérité: puisque sa
postérité est vivante, il (Jacob) est lui
aussi en vie ›› (Taanit 5,b). |
La descendance de ]acob suffit à donner au patriarche Un caractère
d'éternité. Ainsi, en parachevant
l'oeuvre de Dieu, l'homme a-t-il les
capacités d'investir dans les limites éphémères du monde une réalité éternelle.
C'est pourquoi nous disons que
la contribution de l'homme dans le
monde crée est plus grande que celle
de Dieu. Si le monde restait limité à
l'oeuvre divine, telle qu'elle est dans
son état initial, tout cet effort resterait inutile. C'est l`homme qui, par
son action de faire vivre la planète,
permet que le monde perdure. Dieu
lui-même serait insignifiant au
monde si l'homme n`était pas là pour
lui faire une place.
L'homme est créateur
Même s'il nous faut distinguer
l`oeuvre de Dieu de celle de l'homme,
en ce sens que, pour Dieu, nous
disons que Sa pensée constitue dejà
un acte, alors que chez l'être humain,
pensé et action se distinguent, il n'en
demeure as moins que la pensée de
l'homme contient déjà en germe son
action à venir. Suivant l'adage: « la
fin de l'acte est au début dans la pensée ›› (repris dans le célèbre chant
Lekha dodí, cantique d'accueil du
Shabbat). Cest donc en associant
pensée et action que l”homme peut à
son tour devenir créateur. Nos sages
disent, en effet: « Le Saint, béni soit-Il, inspira à Adam un savoir semblable à celui du Très Haut: Adam frotta
deux pierres l`une contre l'autre et enfit jaillir le feu; il prit deux animaux
et les accoupla, inventant ainsi le
mulet. ›› (Pessahím 54,a).
On comprend maintenant
pourquoi les choses créées par Dieu
dépendent de l'investissement de
l'homme dans sa mission de faire
réaliser l'oeuvre divine en ce
monde.
Le Temple, demeure de Dieu
Cette même idée se retrouve à
propos du Temple, qui symbolise la
demeure de Dieu: « Faites-moi un
sanctuaire et je résiderai parmi eux ››
(Exode 25:8), il dépend lui aussi de la
réalisation humaine de faire de ce
monde une demeure pour Lui
(Midrash Tanhouma, Nombres 16).
Cest là encore par l'oeuvre des
justes que le Temple est réalisé: « Les œuvres des justes, afiirment les sages,
sont plus importantes que celle de
créer les cieux et la terre, car il est dit
`a propos de la création “Ma main a
fondé la terre, ma droite a étendu les
cieux” (Isaïe 18:13), [il siagit donc
d'une seule main]. Et à propos de
l'oeuvre des justes il est dit: “Au lieu
que tu as préparé pour ta demeure, ô
Eternel, au sanctuaire du Seigneur
que tes mains ont fondé” (Exode
15:17). l'oeuvre des justes, symbolise
les deux mains du créateur ›› (Ketoubot 5,a).
Il en est de même des temps messianiques qui symbolisent l'apogée de
la création où tout sera paix pour
l'universalité du genre humain.
La
paix n'est que potentielle, dans le
projet divin, elle va dépendre elle
aussi de l'action, ainsi que de la
bonne volonté des êtres humains de
rendre ce monde plus harmonieux et
plus pacifique pour le bien de la
nature et de la création tout entière.
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http://www.alliancefr.com/judaisme/cyberthora/haadad/travail2.html
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Le travail dans tous ses sens
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Par Philippe Haddad Rabbin
- Et à l'homme il dit : " Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c'est avec peine que tu tireras ta nourriture tant que tu vivras. Elle produira des ronces et des épines, et tu mangeras l'herbe des champs. C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, - jusqu'à ce que tu retournes à la terre d'où tu as été tiré : car poussière tu as été, et à la poussière tu retourneras !»
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- Le lecteur rapide de la Genèse verra dans la mise au travail d'Adam, le résultat d'une malédiction pesant sur toutes les générations. Chaque goutte de transpiration dégoulinant sur les corps épuisés, renverrait inévitablement au verdict d'un Dieu sévère et intraitable. Le judaïsme a refusé cette lecture par trop pessimiste.
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En quittant l'Eden, Adam n'est point maudit, (le verbe n'est utilisé que pour la terre et le serpent), il n'a rien perdu de son image divine comme le rappellera l'Éternel quelques générations plus tard à Noé, ses potentialités spirituelles sont restées intactes ; la transgression l'a seulement placé dans un nouveau rapport au monde, non plus fondé sur la gratuité et l'innocence, mais sur la connaissance et l'effort de production.
Adam en s'éloignant du paradis ressemblerait à ce jeune homme quittant père et mère pour construire son existence d'adulte. Partir c'est grandir ! Le Talmud qui aime amplifier les versets pour mieux donner à penser la foi, rapporte ce dialogue significatif.
- "Quand Adam entendit qu'il ne se nourrirait que de l'herbe des champs" (Gn III,18), il s'écria :
"
Point de différence entre mon âne et moi, nous mangerons tous les deux à la même auge ?» Et Dieu de répondre : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front»"
Par la transformation de la nature, l'homo faber se distingue radicalement de l'animal. Le travail n'est plus malédiction mais responsabilisation et élévation.
- Fidèles à cette logique de lecture, les sages d'Israël proposèrent comme idéal de vie pour chaque membre de la collectivité, d'associer un métier à côté de la pratique religieuse.
- Cette harmonie s'exprime de façon éclatante dans la langue hébraïque à travers le mot «avoda» qui désigne à la fois l'activité économique comme nous l'avons vu et le service divin, «Et vous le servirez de tout votre coeur» dit le Deutéronome au chapitre VI.
Ainsi un même terme désigne a priori deux démarches opposées. Avoir les pieds dans la boue ou les mains sur un clavier, paraît antinomique à l'attitude qui consiste à s'isoler pour mieux se concentrer dans la récitation d'un psaume ?
- Eh bien non, dans logique monothéiste, chaque lieu traversé, chaque moment qui s'égrène devient le tremplin d'une rencontre ultime, totale avec la transcendance.
Dieu se trouve aussi bien au-dessus de la tête du dévot dans sa chapelle que dans la mallette d'un cadre se rendant à son rendez-vous professionnel ; la ferveur peut s'exprimer partout, seules les modalités d'expression changent.
- Travail/ production, travail/ prière invitent le croyant à cet effort continu de transformation de la nature, nature extérieure ou intérieure à soi-même.
Certes qui n'a pas ressenti la tristesse du manque, qui ne s'est pas souvenu attendri d'un événement passé aussi doux que la madeleine de Proust, qui n'a pas dit un jour « comme le jardin d'Eden devait être agréable sans les soucis de fin de mois», pourtant entre la nostalgie et l'utopie, l'hébreu optera pour la seconde solution.
- C'est en ce sens que l'homme et la femme furent mis en travail, les filles d'Eve portant la vie, les fils d'Adam faisant pousser le blé. Le bébé et le pain seront alors l'expression d'une bénédiction divine humanisée, l'oeuvre de trois associés : Dieu, le père et la mère.
- Dans une société où le travail/ production n'est plus le lot de tout un chacun, mais où le pain se quémande dans un wagon ou au coin d'une rue, l'on comprend à quel point l'activité économique porte l'honneur de l'homme. Le travail prière loin de nous éloigner du monde devrait être alors source d'engagement. Comme disait mon maître : « Mon problème spirituel est le problème matériel de mon prochain».
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Les enseignements du Shabbat
Jean Halpérin, Genève
Ancien professeur à l’Université de Fribourg
Vieille de plus de
trois mille ans, l’institution
du Shabbat,
loin d'être devenue
archaïque, occupe
encore une place
centrale dans la pensée
juive et, plus
largement, conserve
toute sa signification
pour le monde
d’aujourd'hui.
Donné, selon la Torah, aux hommes et
aux femmes rassemblés au pied du Sinaï,
le Shabbat est proclamé dans le quatrième
commandement du Décalogue (Ex 20,811
et Dt 5,12-15).
Cet événement fondateur
a suscité par la suite une abondante
législation biblique, talmudique et rabbinique,
ainsi que d’innombrables commentaires
et questionnements.
Chacun sait que le Shabbat est le premier
jour de repos hebdomadaire obligatoire
qu’ait connu l'histoire universelle. C’est un
titre de noblesse qui a d’ailleurs valu aux
Juifs, dans l’antiquité grecque et romaine,
les sarcasmes de grands auteurs, scandalisés
de voir des hommes gaspiller un
septième de leur temps et, plus encore,
de celui de leurs esclaves, à ne rien faire
de productif. Cet aspect n’épuise pas, loin
s’en faut, le sens du Shabbat, qui occupe
une place centrale dans la pensée juive.
Interdiction et obligation
Comme le fait remarquer Georges Hansel dans Le Shabbat sous l'oeil du Talmud
: « La distinction entre les aspects interdiction
et obligation des lois du Shabbat
est signalée par Maïmonide dès le début
du traité qu’il leur consacre. Il y indique
qu’il ne faut pas confondre deux versets à
première vue semblables :
- Exode 20,10 : "Le septième jour est un Shabbat pour
l'Eternel ton Dieu, tu n’y feras aucun travail"
- Exode 34,21 : " Six jours tu travailleras, et le septième jour tu cesseras".
En dépit de leur similitude, ces deux versets
doivent être distingués. Le premier
est exprimé sous forme négative et énonce
un interdit, celui d’effectuer un travail
le Shabbat. Le second, au contraire, est
exprimé sous forme positive et introduit
une obligation dont le contenu reste à
définir. » (1)
Suivons d’abord Georges Hansel dans
sa démarche : développer la définition
et les caractéristiques de l’interdit, puis
celles de l’obligation.
De l’analyse des
lois extrêmement précises et détaillées
relatives au travail, il apparaît que l’interdiction
shabbatique concerne le travail
créatif, intentionnel, réfléchi, et réalisé
selon la technique habituelle. Ainsi « le
Shabbat est le temps où l ’homme renonce à son pouvoir de transformation
du monde. Par la mise en oeuvre de sa
pensée, l’homme sait créer, fabriquer,
transformer, et cette activité est un élément
de sa vocation, presque une obligation.
Mais la Torah fixe à l’homme une
limite à sa puissance. Le Shabbat se définit
comme le moment où il est prescrit
de renoncer à un pouvoir. Il est d’abord
une ascèse : "Tu n’y feras aucun travail."
L’homme (...) modifie le monde d’en bas à sa guise et le soumet à sa domination.
La Torah assigne une limite temporelle à
cette souveraineté.
Quant à la sainteté, au caractère sacré
du Shabbat, ils le distinguent du reste de
la semaine, profane. Temps "profane"
dont persévérance dans l’être, extension,
conquête, domination de la nature
(et malheureusement aussi des hommes),
impératif d’action et de réalisation
croissante, accroissement infini de la richesse
et de la puissance sont les catégories.
"Remplissez la terre et conquérez
la", dit la Genèse, phrase qui peut
se comprendre tout à la fois comme un
ordre et une bénédiction. Armé de sa
pensée, l’homme façonne le monde à
sa convenance, convertit la pierre en résidence,
la graine brute en nourriture
raffinée et étoffe chatoyante, l’arbre du
champ en meuble précieux. Arrive le
Shabbat avec sa sainteté, coup d'arrêt
périodique à cet impérialisme. (...)
Sainteté qui se produit non pas dans une
quelconque extase mystique mais primordialement
comme renonciation au
pouvoir sur le monde. »
Ce qui, souligne Georges Hansel, est
bien différent d’un repos hebdomadaire
qui viserait à recouvrer ses forces pour
poursuivre un même but, au lieu de constituer
un moment où le jeu de l’être est
surmonté. « Le judaïsme a décidé que
tel est le modèle à réaliser : un homme
puissant et créateur, mais aussi capable
de mettre un frein à sa puissance et à
ses créations. »
Quant à l’obligation, « Maïmonide et Nahmanide montrent que le contenu essentiel
de ce commandement positif est la constitution
du Shabbat en jour de menouha, מְנוּחָה "repos" s’avérant une traduction impropre,
plutôt "calme", "stabilité" ou "tranquillité".
"Six jours tu travailleras, et le
septième tu cesseras" implique non pas
une idée de repos après le travail, de récupération
des fatigues de la semaine,
mais un retour ou un accès au calme
après l’activité ou éventuellement l’agitation
qui a pu régner pendant six jours. (...)
Dans notre mentalité, les notions de stabilité
et de calme sont essentiellement négatives.
Le calme s’interprète comme absence
d’activité, la stabilité est absence
de mouvement. Au contraire, il apparaît
ici que, pour le Talmud, il y a une positivité
de la menouha, l’affairement matériel
s’interprétant comme perte de l’état de
menouha et non pas celui-ci comme absence
d’activité. »
Il existe donc deux commandements
essentiels concernant le Shabbat :
- un
commandement négatif, une interdiction,
celle de tout travail réfléchi,
- un
commandement positif, une obligation,
la constitution du Shabbat en jour de
calme.
Création et libération
Que semblent viser ces commandements,
que produisent leur pratique et
leur étude, quels enseignements peut-on en tirer aujourd'hui ?
Partons de la locution, en apparence énigmatique, qui clôt le récit de la Création
du monde et du Shabbat : « Dieu se
reposa de toute son oeuvre qu’il avait
créée, pour agir (Gn 2,3). Tel qu’il avait été
créé, le monde restait inachevé, à charge
pour l’homme de le parfaire.
Dès le huitième
jour, l'homme (et la femme) deviennent
associés à Dieu dans l’oeuvre de
création continue. Comme le dit Prosper
Weil : « C’est ainsi que s’est ancrée
dans la pensée juive l’idée du progrès.
L’expérience montre toutefois que ce
progrès ne peut se réaliser qu’au prix de
tensions et de conflits continus : contre la
nature, qui nous environne, que nous devons
dominer mais que nous abîmons ;
contre la société humaine au sein de la religions
quelle se créent des rapports de domination ; mais surtout à l'intérieur de chacun
de nous. » (2)
Pourquoi est-ce au moment où la Torah
interdit le travail créatif et commande le
calme, qu’elle introduit la question de
l’« agir », de l’association de l’homme à
l’oeuvre de la création ?
Comme s’il fallait
en passer par ce retrait, le septième jour,
pour donner à l’action, à partir du huitième,
une dimension de liberté, de responsabilité
et d’éthique : l’ambition des
Juifs n'est pas de judaïser le monde,
mais de l’humaniser, de le rendre meilleur,
plus juste, plus harmonieux. Le Shabbat,
comme modèle, peut y contribuer.
« Observe le jour du Shabbat pour le
sanctifier, comme te l’a prescrit l’Eternel
ton Dieu. Durant six jours, tu travailleras
et t’occuperas de toutes tes affaires,
mais le septième jour est la trêve de
l’Eternel ton Dieu ; tu n’y feras aucun
travail, toi, ton fils ni ta fille, ton esclave,
homme ou femme, ton boeuf, ton âne, ni tes autres bêtes, non plus que l’étranger
qui est dans tes portes ; car ton serviteur
et ta servante doivent se reposer
comme toi. Et tu te souviendras que tu
fus esclave au pays d’Egypte, et que
l’Eternel ton Dieu t’en a fait sortir d’une
main puissante et d’un bras étendu.
C’est pourquoi l’Eternel ton Dieu t’a
prescrit d’observer le jour du Shabbat »
(Dt 5,2-15). (3)
Ainsi, le Shabbat est placé à la fois sous
le signe du souvenir de la Création du
monde et de celui de la Libération (comme
le montre également la lecture en parallèle
des versions presque identiques du Deutéronome,
citée ci-dessus, et de l’Exode
20,15-18).
En effet, le Shabbat est un appel
aux plus hautes exigences de dignité
humaine et d’égalité sociale. Il y a là une
vision d'harmonie entre les hommes par
le refus de toutes les aliénations et de
tous les déterminismes économiques, sociaux
et politiques.
S’y ajoute le respect absolu de la vie :
comme le précisent les textes rabbiniques,« le Shabbat a été donné aux
hommes, et non pas les hommes au
Shabbat » (Mekhilta, 31,13).
Rien de
plus important, selon la Torah, que de
préserver la vie humaine.
S’il existe le
moindre danger qu’une vie humaine
puisse se trouver en jeu, on doit transgresser
les interdictions prescrites par
les lois du Shabbat (Genèse Rabba,
19,31).
Ainsi, plus qu’un jour de repos à proprement
parler, le Shabbat est un jour
de calme, de sérénité, d’harmonie et
d’épanouissement. Quiconque n’a pas
goûté sa saveur et n’a pas respiré son
air ne peut se rendre compte vraiment
de son essence et de sa grandeur.
Supplément d’âme
L’éthique fondamentale du Shabbat, qui élimine toute différence entre le faible et
le fort, qui abat les barrières entre le
riche et le pauvre, l’employeur et le salarié,
voilà qui donne tout son poids et
toute sa lumière à chaque Shabbat nouveau.
D’où l’atmosphère particulière qui
l’imprègne et la richesse poétique qui en émane. Il est accueilli comme une reine
par la communauté, le vendredi soir avant
la tombée de la nuit, et accompagné par
les « anges de la paix » jusqu’à sa sortie
samedi soir, quand les premières étoiles
apparaissent dans le ciel.
Supplément d’âme, le Shabbat apporte à l’individu et à la communauté une victoire
hebdomadaire sur toutes les contraintes.
Il interrompt le deuil, la tristesse,
les soucis matériels, les préoccupations
professionnelles, la hâte et l’agitation du
quotidien. Un jour par semaine, en mettant
ses plus beaux habits, en éclairant
son foyer, en participant à un repas de
fête, en accueillant à sa table des étrangers
ou des déshérités, chaque Juif devient
un prince, quel que puisse être son
rang, son statut ou sa situation économique
et sociale. De ce fait, sont rompus,
ce jour-là, les liens de dépendance.
Il y a là une expérience hebdomadaire de
liberté plénière. Un jour effectivement vécu,
chaque semaine, ici et maintenant, et non pas dans l’espoir d’un monde à
venir... ou plutôt comme un avant-goût
de celui-ci...
Comme le dit Abraham Heschel,
(4) « le travail
est un métier, mais le parfait non-agir
est un art. (...) Pour y exceller, il faut en
accepter la discipline. Le septième jour
est un palais dans le temps que nous-mêmes bâtissons. (...) L’esprit du Shabbat
doit toujours se traduire dans des faits
réels, dans des actes bien définis, à accomplir
ou à éviter. »
Le Shabbat doit être source de joie et d’intériorité. Pour y
accéder, il faut savoir le pratiquer. Plus
qu’institution, il est expérience vécue.
Sous l’effet du progrès technique, y compris l’informatique, nous vivons dans un
monde perturbé par les excès de la
vitesse et de la précipitation, nous agissons
dans l’immédiateté plus que dans
la durée, ce qui conduit à un déficit de
réflexion et à une banalisation du temps
vécu. Loin d’être une évasion hors du
temps, le Shabbat lui donne tout son
sens en empêchant sa banalisation.
C’est en s’abstenant de créer, un jour
sur sept, que l’homme affirme sa liberté
face à la nature, au pouvoir et aux choses,
en même temps qu’il affirme sa fraternité
face aux autres hommes. Aussi
peut-on comprendre qu’un sociologue
comme Georges Friedmann, qui a consacré
la majeure partie de son oeuvre
aux problèmes du travail, ait pu voir « une sorte de génie prophétique dans
l’institution du Shabbat » qu’il jugeait
indispensable pour lutter contre la déshumanisation
de la civilisation technicienne
d'aujourd'hui.
Jean Halperin .
juillet-août 2005 choisir
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