Le gouvernement français a annulé sa venue aux commémorations, lundi 7 avril, du vingtième anniversaire du génocide des Tutsis. Cette brusque décision est motivée par les déclarations du président du Rwanda, Paul Kagamé, sur « le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même ». Satisfaisant l’injonction d’Alain Juppé de « défendre l’honneur de la France », ce choix marque plutôt son déshonneur. Parti pris.
Dimanche 6 avril 2014, le président du Parlement européen, Martin Schulz, et la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, tous deux socialistes, étaient côte à côte devant la Maison d’Izieu (Ain) où, il y a précisément soixante-dix ans, quarante-quatre enfants juifs et sept éducateurs qui y étaient réfugiés furent arrêtés par la Gestapo pour être déportés vers les camps de la mort.
Cette commémoration officielle, comme bien d’autres, rappelle à la France d’aujourd’hui et de demain que le génocide planifié par le nazisme, cette extermination d’une part de notre humanité parce qu’elle était née juive, fut aussi commis sur son territoire. Et qu’il le fut avec la complicité, aussi bien active que passive, des autorités de l’époque, cet État français que le suicide de la République à Vichy avait mis en place dès juillet 1940 dans la déchéance de la Collaboration.
Ces commémorations nous disent que la grandeur d’une nation se juge à sa capacité de reconnaître ses fautes et ses erreurs. À regarder en face la vérité d’une histoire douloureuse, de façon à en apaiser les mémoires blessées. À ne plus s’aveugler dans la démesure d’une infaillibilité, mais à admettre ses fragilités. Et à transformer ainsi un passé douloureux ou honteux en gage d’un avenir plus lucide, plus vigilant et plus précautionneux.
Mais, loin de s’imposer d’évidence, cette démarche consciente, d’élévation collective et de hauteur nationale, fut le fruit d’un combat politique. Après avoir dû batailler sans relâche contre un président de la République, François Mitterrand, dont cet aveu dérangeait aussi bien l’itinéraire biographique que l’intime conviction, il fallut attendre un discours de son successeur, Jacques Chirac, pour que la France officielle, enfin, regarde sans ciller cette part maudite de son histoire.
« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays », déclara, au nom de la République, son président le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle dite du Vel d’Hiv de milliers de juifs parisiens (le texte intégral du discours ici). « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions, ajoutait Jacques Chirac. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. » Mots bienvenus mais prononcés si tardivement : cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Faudra-t-il donc attendre un demi-siècle pour que la République française prononce, par la voix de son plus haut représentant, les mots qu’elle doit au peuple rwandais ? Mots d’excuse, mots de pardon, mots de vérité. Dire, tout simplement, ce fait d’histoire : la France, c’est-à-dire sa présidence, son gouvernement, son État et son armée, fut complice du génocide au Rwanda. Parce qu’elle a longtemps soutenu et armé le pouvoir qui l’a planifié, parce qu’elle a formé les civils et les militaires qui l’ont exécuté, parce qu’elle a épousé l’idéologie raciste dite hamitique qui l’animait, parce qu’elle n’est pas intervenue pour l’empêcher, parce qu’elle a laissé sans défense des populations qui lui demandaient protection, parce qu’elle a même facilité la fuite des génocideurs vers le Congo voisin.
Parfois, les nations qui se savent petites, lucides parce que fragiles, en remontrent à celles qui se croient grandes, aveuglées par leur désir de puissance. Il en va ainsi de la Belgique, puissance coloniale au Rwanda après l’Allemagne, qui a demandé pardon aux Rwandais à deux reprises depuis le génocide de 1994, non seulement lors de son dixième anniversaire (c’est à écouter ici) en 2004, mais dès 2000 par la voix de son premier ministre d’alors, Guy Verhofstadt.
Six ans à peine après le génocide, un responsable politique européen n’hésitait pas à faire sobrement cet acte de contrition auquel la France se refuse toujours : « Un dramatique cortège de négligences, d’insouciances, d’incompétences, d’hésitations et d’erreurs, a créé les conditions d’une tragédie sans nom. Et donc j’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges, et au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon pour ça. »
Un racisme aux racines coloniales et missionnaires
Que l’ambassadeur de France à Kigali assiste néanmoins aux cérémonies du vingtième anniversaire (les autorités rwandaises l’en ont finalement empêché) ne change rien à l’affaire : gauche et droite réunies, la France officielle a décidé de ne pas honorer les victimes du génocide et, ce faisant, de déshonorer notre peuple. Pourtant visée elle aussi par les déclarations de Paul Kagamé, la Belgique n’a rien changé à sa délégation, ce qui n’a pas empêché son ministre des affaires étrangères, qui la conduit, de critiquer les propos du président rwandais (lire ici). Mais il est vrai que l’on peut se parler d’autant plus franchement que l’on s’est reconnu et accepté, dans un respect mutuel qui, en l’espèce, suppose d’avoir admis l’aveuglement qui a précédé le génocide et l’indifférence qui l’a ensuite redoublé.
Manifestement, la présidence de François Hollande n’était pas prête à faire ce pas qu’avait juste ébauché, en 2010, son prédécesseur Nicolas Sarkozy (lire là). Officiellement invité par son homologue rwandais, François Hollande pourtant peu avare de déplacements à l’étranger avait préféré déléguer sa garde des Sceaux, Christiane Taubira. Ce choix est en lui-même bavard quand la logique institutionnelle aurait dû privilégier, faute de président, le premier ministre ou le ministre des affaires étrangères quitte à ce que la ministre de la justice les accompagne. Fallait-il comprendre que seule la haute figure noire du gouvernement était adéquate à cette commémoration, inconsciente façon de reléguer cet ultime génocide du XXe siècle à des ténèbres africaines ?
Il n’en est rien : loin des vulgates sur des « guerres interethniques » où bourreaux et victimes seraient échangeables et réductibles à une violence intrinsèquement africaine, le génocide rwandais parle autant sinon d’abord de nous, de la France et de l’Europe, de notre héritage colonial, de nos idéologies meurtrières, de nos humanités criminelles. Et nous ne pouvons pas prétendre l’ignorer, malgré cette insistance négationniste qui empuantit le débat français sur le Rwanda, et ce d’autant plus que notre classe politique la cautionne par ses rodomontades ou ses silences. Des historiens, aussi bien spécialistes des massacres de masse européens que de la région des Grands Lacs, s’entêtent à nous le rappeler, notamment les travaux menés ou impulsés par Jean-Pierre Chrétien, Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas (lire ici et là nos articles, par Joseph Confavreux).
Les deux derniers historiens, dans un exceptionnel numérode la revue Vingtième Siècle, font la pédagogie de cet événement majeur « dont nos sociétés n’ont sans doute pas (pas encore ?) pris pleinement conscience », ce génocide des Tutsis rwandais qui, en l’espace de trois mois, s’achève sur un bilan de 800 000 à un million de tués, avec seulement 300 000 survivants. « Le génocide fut le produit du racisme, écrivent Audoin-Rouzeau et Dumas. Un racisme aux racines coloniales et missionnaires, issu d’une Europe obsédée de hiérarchie raciale. (…) Partout, jusqu’aux échelles les plus réduites, les Tutsis sont exterminés sous le regard passif de la communauté internationale qui, le 21 avril 1994, en plein massacre, retire la majorité des troupes des forces onusiennes alors sur place. (…) Le génocide a été planifié, préparé et exécuté par un État disposant de relais locaux de pouvoir au plan politique et administratif, et de moyens militaires et paramilitaires qui en furent les instruments. »
Or la France fut l’alliée indéfectible de cet État génocidaire. La France présidée par le socialiste François Mitterrand lequel, en 1994, cohabitait avec un gouvernement de droite, celui d’Édouard Balladur dont Alain Juppé était le ministre des affaires étrangères. Dans le même numéro deVingtième Siècle, Jean-Pierre Chrétien rappelle avec pudeur combien ses alarmes, dès 1993, sur le génocide à venir tout comme sa dénonciation, dès 1991, de l’anti-hamitisme, cette idéologie qui inspirait les tenants de l’ethno-nationalisme hutu, semblable à l’antisémitisme nazi, étaient inaudibles auprès d’un pouvoir exécutif français qui épousait les mêmes représentations ethniques au point d’entretenir des relations cordiales avec le plus extrémiste des partis rwandais, la CDR, au programme explicitement raciste. Alertes prophétiques dont témoigne un journal télévisé de janvier 1993 où intervient le président de Survie, de retour d’une mission au Rwanda (voir sous l’onglet "Prolonger").
Tel est le contexte dans lequel Paul Kagamé, le président rwandais qui symbolise la victoire contre les génocideurs et incarne le réveil du Rwanda, a prononcé pour Jeune Afrique (numéro du 6 au 13 avril, voir ici) ces mots qui ont fâché la France, d’Alain Juppé à Laurent Fabius. Certes, comme tout pouvoir personnel qui tient sa souveraineté d’une revanche sur les anciennes puissances coloniales ou néocoloniales, il exploite sans précaution diplomatique un filon inépuisable en politique intérieure afin de faire taire critiques et oppositions (lire ici notre éclairant portrait, par Thomas Cantaloube). Mais, pour autant, dit-il faux, dans cet entretien réalisé le 27 mars ?
« Les puissances occidentales aimeraient que le Rwanda soit un pays ordinaire, comme si rien ne s’était passé, ce qui présenterait l’avantage de faire oublier leurs propres responsabilités, mais c’est impossible, explique Paul Kagamé. Prenez le cas de la France. Vingt ans après, le seul reproche admissible à ses yeux est celui de ne pas en avoir fait assez pour sauver des vies pendant le génocide. C’est un fait, mais cela masque l’essentiel : le rôle direct de la Belgique et de la France dans la préparation politique du génocide et la participation de cette dernière à son exécution même. Interrogez les rescapés du massacre de Bisesero en juin 1994 et ils vous diront ce que les soldats français de l’opération Turquoise y ont fait. Complices certes, à Bisesero comme dans toute la zone dite “humanitaire sûre”, mais aussi acteurs.»
Les accusations de Paul Kagamé et la réalité du génocide
Dès la diffusion de cette déclaration, l’ancien ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, a sur son blog appelé « le président de la République et le gouvernement français à défendre sans ambiguïté l’honneur de la France, l’honneur de son armée, l’honneur de ses diplomates ». Et d’ajouter que la réconciliation avec le Rwanda ne peut se faire « au prix de la falsification de l’histoire qui ne cesse de se propager à l’encontre de la France, de ses dirigeants politiques, de ses diplomates et de son armée » (retrouver ici le billet intitulé « L’honneur de la France »). C’est peu dire qu’il fut rapidement entendu puisque le porte-parole du Quai d’Orsay s’empressait d’annoncer que, « dans ces conditions », Christiane Taubira ne se rendrait pas à Kigali, ces conditions étant le fait que « la France est surprise par les récentes accusations portées à son encontre par le président du Rwanda » (lire ici le texte intégral).
Or des deux accusations de Paul Kagamé, celle d’un soutien politique au pouvoir génocidaire et celle d’une participation active au génocide, la première ne devrait pas faire discussion vingt ans après les faits. Largement documentée par les travaux, recherches et enquêtes menées depuis, elle était déjà énoncée en 1998 par le rapport de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda dont le socialiste Paul Quilès était le président et l’actuel ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, l’un des deux rapporteurs. Alors même que ce rapport est critiqué pour ses prudences, précautions et euphémismes, la France y est explicitement critiquée pour sa« sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais » (lire ici) et pour « une coopération militaire trop engagée » (lire là).
Quant à la participation active de militaires français, si aucun témoignage indépendant ne va dans ce sens (voir ici, avec un œil critique, la notice Wikipédia), il n’en demeure pas moins que le cas de Bisesero est actuellement au centre d’une information judiciaire menée au pôle génocide du tribunal de Paris. Pour la bonne et simple raison que cet épisode fut le moment où des militaires et des journalistes, qui à ce titre furent l’honneur véritable de la France, prirent conscience des mensonges officiels et de l’inavouable qu’ils recouvraient.
Deux hommes en témoignent, notre confrère Patrick de Saint-Exupéry alors au Figaro, et le sous-officier Thierry Prungnaud, du Commandement des opérations spéciales (COS). Ils furent tous deux témoins, et le second également acteur, du tournant en ce lieu de l’opération Turquoise lancée en juin 1994 par la France sous l’égide des Nations unies, alors même que le génocide est consommé.
Bisesero occupe moins d’une dizaine de lignes du rapport Quilès de 1998, mais leur brièveté témoigne déjà d’un embarras (les lire ici). Six ans plus tard, en 2004, dans un formidable livre en forme de cri d’une conscience révoltée, y compris, s’il le faut, contre les siens, Patrick de Saint-Exupéry raconte comment, à Bisesero, l’armée française a, sur ordre supérieur, abandonné à leur sort fatal, trois jours durant, les derniers Tutsis rescapés du génocide, après avoir pourtant compris, bien tardivement, que ceux qu’elle protégeait jusque-là étaient les auteurs du crime.
Huit ans plus tard, en 2012, avec l’aide de notre consœur de France Culture Laure de Vulpian, l’ancienne figure du GIGN Thierry Prungnaud confirmait ce récit journalistique par son témoignage militaire. Et, de surcroît, démontait avec méticulosité la lettre de son supérieur,Marin Gillier, qui, dans le rapport Quilès, sert d’argument pour balayer sans plus de curiosité l’épisode Bisesero. Lequel supérieur est, depuis l’été 2013, directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère des affaires étrangères…
Ce militaire, ce journaliste sont l’honneur de la France quand la dérobade de ce vingtième anniversaire est son déshonneur. Nulle complaisance ici pour d’inutiles grands mots mais, plus essentiellement, une inquiétude envers ce pays, le nôtre, qui prétend faire la leçon au monde, sauver l’Afrique par les armes au Mali et en Centrafrique, imposer la supériorité de ses valeurs aux populations qui l’ont rejoint dans la fierté de leur diversité, et dont, cependant, les élites dirigeantes refusent avec entêtement de céder à la grandeur de l’humilité et de la fraternité. Auraient-elles oublié ce qui fit l’authentique grandeur de la France, malgré bien des bassesses et nombre de reniements ? Ce que fut son sursaut pour la justice, fût-ce au bénéfice d’un seul, réprouvé, exclu, discriminé, parce que victime de cette haine de l’autre qui est une haine de soi et la perdition de l’humanité ? Oui, son réveil, fût-ce contre une mauvaise part d’elle-même, cette servitude où la grandeur d’une nation s’égare dans l’obéissance au mensonge, à la forfaiture, voire au crime ?
Cette grandeur a un nom devenu universel, celui d’Alfred Dreyfus, cette affaire anticipatrice de la catastrophe européenne où la France républicaine finira par se dresser contre l’honneur dévoyé de sa politique et de son armée pour sauver l’honneur de son peuple. Un dreyfusard, qui n’hésitait pas à se placer du point de vue du « salut éternel de la France », eut alors les mots que la France aurait pu prononcer, en ce 7 avril 2014, à Kigali en demandant pardon aux victimes d’un génocide qu’elle a laissé venir et laissé faire. Il se nommait Charles Péguy, et il disait ceci :« Une seule injustice, un seul crime, une seule illégalité, surtout si elle est officiellement enregistrée, confirmée, une seule injure à l’humanité, une seule injure à la justice, et au droit surtout si elle est universellement, légalement, nationalement, commodément acceptée, un seul crime rompt et suffit à rompre tout le pacte social, tout le contrat social, une seule forfaiture, un seul déshonneur suffit à perdre, d’honneur, à déshonorer tout un peuple. »
Rwanda: "Sans le soutien de Paris au régime Habyarimana, le génocide n'aurait pas eu lieu"
par Karim Ben Said, publié le 05/04/2014 à 13:30, mis à jour le 06/04/2014 à 15:50
A l'occasion du 20ème anniversaire du génocide rwandais, Jean-François Dupaquier, journaliste, écrivain et témoin expert au Tribunal Pénal International pour le Rwanda revient sur l'éventuelle responsabilité de la France dans le drame. Un jugement sévère.
A l'époque des faits, l'exécutif Français était marqué par la cohabitation entre la gauche et la droite (François Mitterrand et Edouard Balladur le 05 janvier 1994 au Palais de l'Elysée.)
AFP/Gérard Fouet
Pourquoi l'éventuelle responsabilité de la France avant le génocide reste-t-elle un sujet tabou dans la classe politique?
La classe politique française n'est pas particulièrement connue pour sa capacité à admettre ses erreurs. Nos politiciens se sentent au dessus de toute repentance. La particularité réside aussi dans le fait que le génocide s'est produit en période de cohabitation entre le gouvernement d'Edouard Balladur et le président François Mitterrand. C'est donc un cas spécial où il n'existe pas de clivage gauche-droite.
Pourtant sans le soutien de Paris au régime du président Juvénal Habyarimana, le génocide n'aurait jamais pu avoir lieu. La France a fourni un parapluie militaire en repoussant les offensives du Front Patriotique Rwandais.Sans cet appui, le régime de l'époque n'aurait jamais eu le temps de préparer la tentative d'extermination de la population Tutsi.
D'un autre coté, les militaires français présents au Rwanda étaient hautement qualifiés, je ne vois pas comment ils n'auraient pas été au courant de ce qui se tramait.
Pour moi la connivence est évidente, les Français savaient qu'il y avait un génocide en préparation.
En accablant la France, Kigali ne cherche-t-il pas à se dédouaner d'une tragédie qui fut avant tout Rwandaise?
Aujourd'hui, Kigali ne cherche plus à accabler la France. Du coté rwandais, on cherche au contraire à tendre la main à la France. L'an dernier l'état-major de l'armée rwandaise a proposé à l'état-major de l'armée française de se rencontrer pour tourner définitivement la page au nom la fraternité d'armes, mais les Français ont refusé.
A Paris, les militaires considèrent toujours qu'ils ont subi une défaite au Rwanda et gardent une volonté de revanche, dommageable pour les relations franco-rwandaises.
La France refuse toujours de déclassifier les documents relatifs au Rwanda.
Faut-il y voir un aveu de culpabilité?
Absolument. D'autant plus que les archives que la France refuse de dévoiler, portent sur la période charnière de l'histoire de la présence française au Rwanda. Pour le peu qu'on en sache, ces documents sont absolument accablants.
Les protagonistes cherchent à ce que ces archives ne soient pas dévoilées de leur vivant.
Que peuvent contenir ces documents?
Ce ne sont bien évidemment que des supputations, mais ces documents pourraient contenir la preuve que la France connaissait parfaitement la réalité de la guerre civile et a choisi d'y participer sérieusement, en comprenant que cela pouvait passer par l'extermination.
Il faut comprendre qu'il n'y a pas de prescription lorsqu'il s'agit de génocide. De fait, plusieurs hauts responsables pourraient être condamnés. L'association Survie accuse des dirigeants politiques et militaires français d'avoir apporté un soutien actif aux génocidaires.
Ce jugement est-il excessif ?
Je ne peux pas parler au nom de cette association à laquelle je n'appartiens pas, mais il existe des indices graves et concordants laissant supposer que des haut gradés, des politiciens et desmercenaires français, sont impliqués à un degré qu'il faudra déterminer, dans l'attentat du 6 avril 1994 contre le président Juvénal Habyarimana.
Le verdict du récent procès Pascal Simbikangwa est-il de nature à pacifier les relations franco-rwandaises?
C'est certainement un pas important, Pascal Simbikangwa faisait partie du cercle intermédiaire responsable du génocide. Cette condamnation intervient après 19 ans et rompt avec les anciens disfonctionnements de la justice.
La création du pôle génocide permet aux Rwandais d'entrevoir une lueur d'espoir. Toujours est-il que les principaux coupables du génocide sont toujours dans la nature.
Peut-on parler, s'agissant du pouvoir de Paul Kagamé, de dérive autocratique? Qu'aurait-il pu faire en prenant en charge le pays en 1994 ?
Un pays traumatisé, détruit ? C'est vrai qu'il tient le pays d'une main de fer, mais s'il ne l'avait pas fait, il y aurait eu une vengeance massive de la part des Tutsis vainqueurs. C'est un homme d'Etat exceptionnel mais certainement autoritaire.
Les Rwandais pourront-ils un jour tourner la page de la décennie 1990? Si oui, à quel prix?
L'idéologie de haine, qualifiée injustement d'ethnique, qui a conduit au génocide remonte aux années 1950. Depuis les années 1930 déjà, les cartes d'identités ethniques ont été imposées. Le génocide a profondément bouleversé les Rwandais. Aujourd'hui encore, les survivants vivent aux côtés de leurs voisins génocidaires, et cela rend les choses difficiles. Même si le régime actuel a pris plusieurs dispositions "anti-divisionnisme", il faudra probablement plusieurs générations pour passer d'une mémoire vive à une mémoire apaisée. Les Gacacas, tribunaux communautaires mis en place dans les provinces, ont été insuffisants. Les peines qui y ont été prononcées sont modestes et symboliques. Les Rwandais sont obligés de cohabiter mais la réconciliation véritable ne peut se faire que s'il y a des excuses sincères.
Rwanda: la persistante occultation des responsabilités françaises
Par Raphaël Doridant (Enseignant ) et Charlotte Lacoste (Maître de conférences à l'université de Lorraine)
Les déclarations récentes du président rwandais Paul Kagamé permettent aux dirigeants français qui ont eu à conduire ou à connaître la politique menée au Rwanda de 1990 à 1994 de reprendre la posture de l'indignation outragée: comment peut-on accuser la France de complicité dans le génocide des Tutsi ? Cette imposture a déjà été dénoncée par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry: le noyau de responsables politiques et militaires qui, sous la houlette de François Mitterrand, a conduit une politique secrète à l'insu du Parlement tente, en s'abritant derrière «la France», de rendre les citoyens français solidaires d'une politique menée en leur nom sans qu'ils en aient été informés.
Si l'on en croit les responsables français de l'époque, leur objectif aurait été d'obliger toutes les parties (le président Habyarimana, son opposition et le Front patriotique rwandais, FPR) à trouver un accord politique refusé, selon eux, aussi bien par les extrémistes hutu que par le FPR, désireux d'exercer un pouvoir sans partage.
Puis, une fois le génocide enclenché, la France aurait été le seul pays à intervenir pour y mettre fin avec l'opération «Turquoise». Ce récit édifiant n'est qu'une falsification des événements visant à dissimuler de lourdes responsabilités individuelles, dissimulation qui explique que, vingt ans après, aucune conséquence n'ait encore été tirée des choix politiques qui ont été faits, de 1990 à 1994, au plus haut niveau de l'Etat français. Et ce en dépit des travaux menés par de nombreux chercheurs et journalistes qui, depuis 1994, ont soulevé quantité de questions demeurées sans réponse. En voici quelques-unes.
Une politique de conciliation ou une guerre contre les Tutsi ?
Pourquoi, en avril 1991, à Ruhengeri, dans le nord du Rwanda, des militaires français ont-ils participé avec leurs collègues rwandais à des contrôles d'identité lors desquels ils ont trié les Tutsi, qui étaient tués par les miliciens à quelques mètres d'eux ?
Pourquoi, en septembre 1991, Paul Dijoud, directeur des affaires africaines et malgaches au Quai d'Orsay, a-t-il dit à Paul Kagamé que si les combattants du FPR s'emparaient du pays, ils retrouveraient leurs familles exterminées à leur arrivée à Kigali?
Pourquoi l'armée française a-t-elle sauvé le régime Habyarimana en juin-juillet 1992 et en février-mars 1993, alors que des massacres de Tutsi avaient déjà lieu de manière récurrente depuis octobre 1990?
Pourquoi, après l'assassinat, le 7 avril 1994, des responsables politiques rwandais partisans des accords de paix signés à Arusha, l'ambassadeur Marlaud a-t-il accueilli les responsables politiques extrémistes à l'ambassade de France et cautionné la formation du gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui encadra le génocide?
Pourquoi le colonel Poncet ne s'est-il pas opposé, à Kigali, à «l'arrestation et l'élimination des opposants et des Tutsi», mentionnées en ces termes dans l'ordre d'opération «Amaryllis» du 8 avril 1994 ?
Pourquoi, dans la nuit du 8 au 9 avril 1994, l'un des avions d'«Amaryllis» a-t-il débarqué des caisses de munitions de mortier qui ont ensuite été chargées sur des véhicules des Forces armées rwandaises (FAR)?
Pourquoi, les 14 et 16 juin 1994, des fonds en provenance de la BNP sont-ils venus créditer un compte suisse permettant au colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministère de la défense du GIR, de régler deux livraisons d'armes en provenance des Seychelles?
Pourquoi, le 18 juillet 1994, une cargaison d'armes destinées aux FAR a-t-elle été débarquée sur l'aéroport de Goma où se trouvait le PC du général Lafourcade, commandant de la force «Turquoise»?
Pourquoi le premier ministre, Edouard Balladur, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, et le conseiller «Afrique» de François Mitterrand, Bruno Delaye, ont-ils reçu, le 27 avril 1994, en plein génocide, le ministre des affaires étrangères du GIR et son directeur des affaires politiques?
Pourquoi, lors de sa rencontre du 9 mai 1994 avec le lieutenant-colonel Rwabalinda, conseiller du chef d'état-major des FAR, le général Huchon, chef de la mission militaire de coopération, a-t-il estimé: «Il faut sans tarder fournir toutes les preuves de la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l'opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale», à un moment où des centaines de milliers de Tutsi avaient déjà été massacrés?
Comment se fait-il que Bruno Delaye détenait, début mai 1994, une autorité suffisante sur les tueurs pour arrêter, d'un coup de téléphone, une attaque sur l'Hôtel des Mille Collines où étaient réfugiées des centaines de Tutsi?
Le contrat d'assistance militaire et de livraison d'armes signé par Paul Barril, ex-gendarme de l'Elysée, avec le premier ministre du GIR, le 28 mai 1994, faisait-il partie de la «stratégie indirecte» qu'évoque, dans une note du 6 mai 1994, le général Quesnot, chef d'état-major particulier de Mitterrand?
Pourquoi, le 18 mai 1994, à l'Assemblée, Alain Juppé a-t-il employé le mot «génocide» et précisé que «les troupes gouvernementales rwandaises livrées à l'extermination systématique de la population tutsi», avant, le 16 juin 1994, d'incriminer les «milices» et non plus les FAR, et d'évoquer «les» génocides commis au Rwanda, inaugurant ainsi le thème mensonger du «double génocide»?
Mettre fin au génocide ou secourir les assassins? Pourquoi l'ordre d'opération «Turquoise» du 22 juin 1994 dédouane-t-il les autorités rwandaises de leurs responsabilités dans le génocide en attribuant les massacres à des «bandes formées de civils ou de militaires hutu incontrôlés (…) exhortés à la défense populaire par les chefs de milice»?
Pourquoi le ministre de la défense, François Léotard, et l'amiral Lanxade, chef d'état-major des armées, n'ont-ils pas donné l'ordre de porter assistance aux survivants tutsi de Bisesero alors que, le 27 juin 1994, une patrouille française avait découvert qu'ils étaient attaqués quotidiennement par les tueurs? Pourquoi n'ont-ils été secourus que trois jours plus tard, grâce à l'initiative de militaires du GIGN et du 13e RDP qui ont dû outrepasser les ordres? Pourquoi des militaires français ont-ils entraîné des civils rwandais durant l'opération «Turquoise»?
L'ex-secrétaire général de l'Elysée Hubert Védrine a-t-il quelque chose à nous apprendre sur ce qui a été dit chez le premier ministre sur le sort des responsables politiques du génocide? Pourquoi, alors que le Quai d'Orsay avait affirmé, le 15 juillet 1994, que les membres du GIR qui trouveraient refuge dans la zone «Turquoise» y seraient arrêtés, l'état-major tactique du lieutenant-colonel Hogard a-t-il organisé leur évacuation vers le Zaïre?
Ce n'est qu'en répondant à ces questions que les dirigeants français de l'époque pourraient être lavés des soupçons de complicité de génocide qui pèsent sur eux. Les citoyens de notre pays ont le droit d'obtenir des réponses de la part de ceux qui, depuis 1994, dressent des écrans de fumée pour ne pas avoir à rendre compte de leurs actes. Il en va de l'avenir de notre démocratie.
Inacceptable, certes mais imprescriptible
(août 2008)
Par Stéphane Juffa
La diplomatie française, par l’intermédiaire de son porte-parole Romain Nadal, a exprimé qu’il y avait, dans les Conclusions du rapport de la "Commission chargée de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide", présentées mardi à Kigali, des "accusations inacceptables portées à l'égard de responsables politiques et militaires français".
Quelque chose me dit que le terme "inacceptable" est savamment choisi. Le Quai n’a pas dit de ces conclusions qu’elles étaient "contrefaites", ni "calomnieuses", pas plus qu’ "infondées", juste "inacceptables"
Ce qui surprend aussi, dans ce bref communiqué des Affaires Etrangères, c’est que, pour moitié, il s’applique à parler de leur "détermination à construire une nouvelle relation avec le Rwanda".
Personnellement, si j’étais ministre des AE et que la justice d’un Etat étranger accusait le mien à tort d'avoir été "au courant des préparatifs" d’un ethnocide et d’avoir "participé aux principales initiatives" de sa mise en place ainsi qu’à "sa mise en exécution", j’ordonnerais à mon porte-parole d’affirmer l’innocence de mon pays. Je ne chercherais pas à tout prix à placer "notre relation" avec la capitale en question dans "une perspective d’avenir".
Est-ce la langue diplomatique qui est abstruse, est-ce que la France est à ce point chrétienne, qu’elle s’empresse de tendre la joue droite juste après avoir été frappée sur la gauche ?
C’est à peine si, sur les rives de la Seine, on ose en plus "s'interroger sur l'objectivité du mandat confié à cette commission indépendante chargée par les autorités rwandaises de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda".
Lorsqu’on en est à "s'interroger sur l'objectivité d’un mandat", c’est qu’on a le trouble dans ses idées. Il me semble pourtant que toute question est bonne à poser à une commission ; surtout si elle a trait à l’"implication" de la France dans le génocide, et qu’elle ne conjecture pas, dans son libellé, que la France avait participé à son exécution.
D’autant plus que cette interrogation est, ma foi, fort semblable, à celle posée à la Mission parlementaire française sur le Rwanda, en 1998.
Quant à savoir si c’est la mission française ou la commission rwandaise qui a réalisé sa tâche avec le plus d’objectivité, je conseille la plus grande prudence.
Ce n’est pas, en effet, parce que les sept juristes et historiens ayant rédigé les Conclusions qui accusent la France sont Rwandais, et, par conséquent, africains, que cela procure le droit au Quai d’Orsay, a priori, avant d’avoir pris connaissance de leur rapport, de réfuter leurs qualités et leur rectitude.
Il faudrait, au moins, si on ne veut pas avoir l’air de racistes de primaire engeance, étudier, comme nous l’avons fait sur place, les conditions dans lesquelles la commission rwandaise a recueilli ses témoignages, et analyser leur plausibilité dans l’histoire, le temps et l’espace avant de s’avancer péremptoire.
Lorsqu’on est accusé d’avoir participé à l’assassinat de 800 000 êtres humains, on pourrait prendre la peine d’écouter ce qu’a rapporté l’Européenne Nicole Merlo, et qui est si détaillé que nous avons eu besoin de trois articles pleins pour nous en faire l’écho : un, deux et trois.
Après cela, on aura du mal à saisir ce dont Philippe Bernard parlait, avant-hier, dans son véritable mémoire de défense de l’Etat français publié par Le Monde, lorsqu’il exprime sa gêne, "tant peuvent être sujets à manipulation des témoignages invérifiables de génocidaires repentis, recueillis par leurs vainqueurs dans un pays traumatisé et autoritaire".
Des "génocidaires repentis", les témoins suscités ? Sur quel marché Le Monde compte-t-il cette fois-ci vendre ses salades ? Pour qui Le Monde rame-t-il dans la couverture des suites de cette tragédie ?
Il est vrai que ce journal ignore largement ce qui s’est dit durant les témoignages donnés face à la commission rwandaise d’investigation. La raison ? Hormis Colette Braeckman pour Le Soir belge et Patrick de Saint-Exupéry (ex-Fig.), qui firent à Kigali un passage ultra rapide, le correspondant de la Ména, Serge Farnel, fut le seul journaliste occidental à assister à l’intégralité des débats de la seconde session de la Commission. Celle où les témoins apportèrent leurs dépositions à la barre.
Cette absence des media français démontre à elle seule leur manque d’entrain à retrouver la vérité.
Nous sommes les premiers à le proclamer, tout témoignage est questionnable, encore faut-il se donner la peine de le mettre en doute ; la seule bonne manière de disqualifier un témoignage consiste d’abord à l’éplucher scrupuleusement. Celle qui s’escrime à l’écarter d’un revers de manche, au prétexte que l’armée française serait incapable de commettre semblable exaction, ne fera légitimement qu’exciter les doutes. Elle procède du même réflexe, arrogant et inepte, que celui qui consiste à affirmer qu’untel n’a pas pu bidonner un reportage d’actualité parce qu’il est journaliste de renom. Et de croire que, ce faisant, on va fermer la discussion.
Ensuite, si on n’a pas encore vomi sa honte, on devra prendre connaissance de l’opinion sur l’objectivité de la mission parlementaire française d’un député qui en fut vice-président. Celle qui fut exprimée le 11 mai 2006, à l'Assemblée Nationale, par Jean-Claude Lefort dans son interpellation écrite du Quai d’Orsay.
Il commença par indiquer, qu'en 1998, la mission parlementaire sur le Rwanda s’était employée à "dégager la France de toute responsabilité" et que ses conclusions avaient "par la suite été contestées pour leur partialité et la censure de certains témoignages". Lefort évoqua, par ailleurs, l’existence de "la mission citoyenne d’information" qui produisit des témoignages d’un "engagement de l'Etat français dans un massacre en cent jours de plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants". (Ex- "Un étendard sanglant" à laver par Serge Farnel).
Et pour un premier aperçu du rôle criminel tenu par "tonton" et tous ses petits nains dans l’extermination des Tutsis, rien ne vaut, pour commencer, la lecture attentive de "Bruno, François, Paul et les autres…".
L’ethnocide a fait l’objet d’une enquête exclusive de la Metula News Agency donnant lieu à plus d’une centaine d’articles. Parmi ceux-ci, les dix-huit analyses, aussi passionnantes que méticuleuses, de "Un étendard sanglant à laver" [1], qui servent désormais de référence à la reconstitution du génocide des Tutsis rwandais.
Ne nous perdons pas en conjectures qui n’ont plus lieu d’être : les accusations portées par la commission rwandaise, également appelée "Commission Mucyo", du nom de son président et ancien ministre de la Justice, sont objectivement imparables. Nous avons suffisamment enquêté pour l’affirmer : la France politique et militaire de l’époque de Mitterrand et de la Cohabitation a effectivement contribué à la préparation et à l’accomplissement du génocide.
Elle l’a fait de la manière la plus sournoise qui soit : sous le couvert de l’envoi de coopérants, puis d’une force "pacificatrice" mandatée par l’ONU, dont la mission était de protéger les Tutsis, dont Mitterrand collaborait en fait à l’extermination.
Non contente de ces crimes, dont ce n’est que le fait de s’y confronter qui est "inacceptable" pour la France officielle et médiatique de 2008, Paris – c’est dans notre enquête – a continué à soutenir les génocidaires défaits en exil, à cacher des chefs assassins, à nier jusqu’à la factualité du génocide et à entraver les tentatives de confondre judiciairement les responsables hutus et français.
La France a fait plus grave encore : elle a instrumentalisé le juge Bruguière afin qu’il lance des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre des plus proches lieutenants de l’actuel président du Rwanda, Paul Kagamé. Des mandats d’arrêt contre ceux qui ont fait cesser le génocide ! Elle a autorisé qu’on bidouille une enquête jusqu’à la lie afin de laisser croire au monde que Kagamé avait assassiné le président hutu Juvénal Habyarimana.
Pour remettre l’église au milieu du village, j’engage ma responsabilité – sur la base de nos enquêtes – sur le fait que ce n’est pas Kagamé ni ses amis tutsis, ni les Casques bleus belges qui ont abattu le Falcon d’ Habyarimana. Restent les Hutus, les militaires français ou des mercenaires à leur botte ; je vous donne en mille qui sont les plus capables, parmi les suspects restants, de manier des missiles sol-air.
Si la France d’en haut ne peut, dans cette affaire aussi, "accepter" de reconnaître ses fautes, c’est d’abord parce qu’il y a encore trop de responsables en place dont les mains sont rouges du sang des Tutsis. C’est ensuite que ce pays n’est pas actuellement suffisamment stable pour effectuer toutes les réformes, toutes les mises en examen et toutes les mutations qu’engendrerait une psychanalyse nationale.
C’est, enfin et surtout, parce que cette collaboration à un génocide n’avait aucun sens, et que la France s’y est tout de même brûlée. Elle n’en a tiré aucun profit d’aucune sorte et, le pire, c’est qu’elle n’a jamais projeté d’en tirer le moindre bénéfice.
La vérité est dérisoire, à la mesure du carnage qu’elle a engendré. Je vous la livre après des années de réflexion et des discussions serrées avec plusieurs acteurs principaux et des spectateurs bien logés de cet Holocauste africain ; j’ai longtemps questionné sa vraisemblance mais maintenant j’en suis convaincu : François Mitterrand détestait, pour des raisons obscures qu’il a probablement emportées avec lui dans l’au-delà, les Tutsis. De plus, il privilégiait les Hutus, qui étaient plus nombreux, moins développés et qui parlaient français, par opposition aux chefs du FPR, de culture anglophone. Des avantages à ses yeux.
C’est tout.
C’est tout pour François Mitterrand et les 800’000 victimes, s’entend. Car les autres, ce qu’ils sont toujours incapables d’"accepter", c’est l’insupportable légèreté avec laquelle, de gauche comme de droite, ils l’ont suivi. L’insupportable insouciance avec laquelle ils l’ont aidé – ou lui ont permis, ce qui est plus fâcheux – de matérialiser sa détestation. Par l’envoi d’armes aux Hutus. Par leur encadrement. Par leur organisation. Par la mise à disposition de l’ambassade de France et de son personnel à Kigali. Par la mobilisation de l’armée et la corruption extrême de son rôle et par le silence terrible des media.
Un silence qui pèse et qui a contribué à créer des connivences et des réseaux nuisibles. Quand les élites d’un pays ont besoin d’une psychothérapie et qu’ils l’évitent, le mal ne se résorbe pas spontanément. Il enfle, au contraire et dissocie le patient de la réalité. Cela mène à l’acceptation de la représentation symbolique du monde et fait exécrer la factualité des événements et ses ambassadeurs.
On trouve un bon exemple de ce mal plumitivement transmissible en lisant le commentaire de Thomas Hofnung, le spécialiste Afrique de Libération, sur les Conclusions de la Commission Mucyo, dans son papier "De Mitterrand à Villepin, tous coupables selon Kigali".
Hofnung écrit : "Hier soir, les autorités françaises, dans l’attente de pouvoir lire ce document, ont réaffirmé qu’elles déniaient toute «légitimité» et «impartialité» à cette commission, perçue comme une riposte aux mandats d’arrêt du juge Jean-Louis Bruguière, contre neuf proches du président Paul Kagame".
Mais ce prétexte ne tient pas la mer, car voici ce que nous en disait Jean de Dieu Mucyo, le 21 décembre 2006 déjà : "Je crois qu'il s'agit là d'une stratégie des Français, car on avait déjà terminé la première phase et annoncé la deuxième. Or c'est dans l’intervalle qu'il y a eu émission de ces mandats. Donc, ils savaient qu'on allait commencer la deuxième phase. Je crois qu'ils l'ont fait exprès". (ex-"Les preuves existantes permettent de déferrer des hauts responsables français !" – 21.12.2006 -).
C’est exact, nous avons vérifié, le gouvernement rwandais avait effectivement publié la date de la session des témoignages de la commission. Factuellement, c’est donc le ministre qui a raison et Hofnung et ceux qui ânonnent qui se fourvoient et qui fourvoient l’opinion : s’il y a eu représailles, ce ne peut être que l’envoi des mandats de Bruguière en riposte à la publication de la date du recueil des témoignages sur la participation française au génocide. C’est béton.
Hofnung s’aventure, un peu plus loin, à copier-coller sur son article la version officielle selon laquelle" (…) il n’y avait plus de soldats français en 1994, à la suite de la signature des accords d’Arusha (fin 1993)". C’est faux, cependant, tous les témoignages que nous avons honnêtement recueillis sur place affirment le contraire, et ils n’émanent pas d’ex-génocidaires repentis, de témoins manipulés et terrorisés par qui que ce soit ou d’anti-Français convaincus. Le témoignage fait à la Ména et non à la commission d’enquête rwandaise par l’Européenne Nicole Merlo (opus cité) est éclairant à cet égard. Madame Merlo nous a affirmé, avec force détails et repères vérifiables, que juste avant le début du génocide, "on voyait des soldats français à tous les barrages"
Baste des sornettes pour demeurés, il est peut-être temps d’affronter la réalité. Ce n’est pas la France que les menteurs protègent, ce ne sont que leurs privilèges. Ils vivent à nouveau un temps où dans une publication telle Télérama on peut se livrer à des jeux de mots avec les noms de Juifs sans que cela n’émeuve personne. Un temps où, pour tout débat, on insulte ses contempteurs. Un temps où l’élite est médiocre, où, à court d’arguments, elle s’est mise à pétitionner à tout va pour des gens et des causes qui n’en valent pas la peine. Un temps où on joue sur l’éloignement géographique et linguistique de ceux qui dérangent pour étouffer et distordre leurs propos.
La République des Droits de l’Homme avait pris l’habitude d’élire démocratiquement des rois auxquels elle déléguait des prérogatives exorbitantes. La République des Droits de l’Homme a auto-vassalisé sa pensée, au point de protéger les crimes de ses rois élus même après leur mort. C’est toute une classe issue des scandales et des raisons d’Etat qui a perdu le sens de l’autocritique. Qui n’"accepte" pas qu’on lui reproche d’avoir servi des rois insensés, surtout si cela l’a poussée à participer à des crimes et des fautes qu’elle n’a plus le ressort vital pour regarder en face.
C’est son problème. Celui d’avoir créé des Péan, des Enderlin, des Siné, des Villepin, des Védrine, des Morin et j’en passe. Si la France ne réagit pas, elle va imploser, dans la violence et la douleur. Nous, nous l’aimons bien, la France, pour ses legs innombrables et l’immense beauté de son peuple, mais, je le redis, c’est avant tout son problème.
Le nôtre consiste à protéger le factuel contre le symbolique des corrompus. A faire en sorte que la France se montre beaucoup plus économe, à l’avenir, avec le sang des autres. Parce que la vie nous a appris dans notre chair à compter jusqu’à huit cent mille, et même beaucoup plus, et qu’en défendant le devoir de comptabilité, de tout notre discernement, c’est surtout à nous-mêmes et à ceux qui nous ressemblent que nous pensons.
Notes de la rédaction (2014) :
1Certaines de photos des articles mentionnés en lien ne sont plus accessibles, car elles ont, depuis, disparu des bases de données que nous avions utilisées.
2Certains liens, dans les articles eux-mêmes mentionnés en lien, ne fonctionnent plus, car leurs adresses sur le Net ont changé. Il est toutefois aisé de les retrouver en remplaçant dans ces liens la section "http://www.menapress.com/" par "http://www.metulanews.net/". .
3Tout le matériel documentaire répertorié et cité dans cet article représente moins de 5 pour cent des analyses publiées par la Ména sur le thème du Génocide rwandais.
Une certaine France a donné au « Hutu power » les moyens de son action, elle a soutenu jusqu’au bout ses dirigeants et aujourd’hui encore elle s’obstine dans le déni. Il faudra plus qu’un procès d’assisses et quelques gestes de bonne volonté pour dépasser cette histoire là : comme l’affaire Dreyfus, comme le procès Papon, le Rwanda est aussi devenu un enjeu français.
Takouhi Djan"Vous êtes partis,vous n'avez ni tombe pour se recueillir,mais vos noms resteront gravés dans notre mémoire.Nous n'avons pas pu vous dire "au revoir" nous vous aimons et votre existence sera parlée et reparlée parce qu'on vous a enlevé une vie que vous...Voir plus
ne certaine France a donné au « Hutu power » les moyens de son action, elle a soutenu jusqu’au bout ses dirigeants et aujourd’hui encore elle s’obstine dans le déni. Il faudra plus qu’un procès d’assisses et quelques gestes de bonne volonté pour dépasser cette histoire là : comme l’affaire Dreyfus, comme le procès Papon, le Rwanda est aussi devenu un enjeu français.
Guy MarcossianC'est du n'importe quoi. Pour assurer sa présence, défendre ses intérêts et ses positions géo-stratégiques, la France a toujours coopérer avec les pouvoirs en place (assistance militaire, humanitaire, économique, politique etc etc), d'ailleurs comment en aurait-il pu être autrement. Pour être un des rares à avoir assister au génocide à distance mais en direct, je puis affirmer que l'armée française comme belge à totalement été dépassé par la tournure des évènements, de là à accuser la France il y a un énorme pas = absurdité la plus totale
Takouhi Djan"Vous êtes partis,vous n'avez ni tombe pour se recueillir,mais vos noms resteront gravés dans notre mémoire.Nous n'avons pas pu vous dire "au revoir" nous vous aimons et votre existence sera parlée et reparlée parce qu'on vous a enlevé une vie que vous...Voir plus
Roger De LathouwerGuy Marcoussion, ce que vous racontez est un ramassis de foutaises et d'amalgames. Vous oubliez que la thèse de l'attentat contre l'avion présidentiel par le FPR dirigé par Kagame a été abandonnée par le juge d'enquête français Trévidic qui après enquête sur place confirme ce que les enquêteurs belges avaient déjà déterminés à l'époque sur des témoignages obtenus dans les jours qui avaient suivi l'attentat : les SAM-7 avaient été tirés depuis le camp militaire de Kanonge occcupé par les durs des FAR. Le colonel Hogard comme Péan est une belle ordure et un menteur sans scrupule, oubliant que leur témoin bidon déjà non crédible avait avoué avoir menti, et que tous les faits matériels connus indiquaient les FAR comme responsables et les officiers français complices déjà par leur silence.
Par ailleurs ce n'est pas la chute de l'avion présidentiel qui a génocidé 800.000 Tutsis et des dizaines de milliers de Hutus démocrates mais les FAR et les milices Interamwhe (toutes deux encadrées par des officiers français) et les populations hutues fanatisées par elles et par la Radio Mille Collines, un génocide planifié de longue date par l'entourage du président Habyarimana et déclenché le jour même de l'attentat. La fiction d'une avancée des FPR ce même jour s'est avéré être un mensonge de plus. Elles n'ont commencé à avancer que plusieurs jours plus tard pour arrêter le génocide en cours.
Critiquer les salauds qui ont formé et encadré les génocidaires c'est condamner une politique précise à un moment donné qui a abouti à un génocide qui n'aurait pas pu aboutir sans la connivence de l'armée française, l'aveuglement du gouvernement français de l'époque et de son président Mitterrand. C'est un journaliste français qui le dit et l'explique. je vous le rappelle une fois de plus car il semble que vous n'ayez pas eu le courage de le lire ou la mauvaise-foi de ne pas en avoir tenu compte .Je vous cite en conclusion de l 'éditorial d'Edwy Pleyel dans MediaPart: "Rwanda: le déshonneur de la France".
Guy Marcossianc’est vous monsieur qui faites un ramassis de foutaises et d’amalgames en interprétant de surcroît délibérément tout et n’importe quoi, et ce, à votre propre sauce.
Primo, tout le monde normalement constitué, la France incluse (politiques comme militaires), a affirmé et affirme encore aujourd’hui d’une façon indiscutable qu’il y a eu un génocide des tutsis indiscutable au Rwanda orchestré par des extrémistes hutus ayant harangués entre autres sa populace, et tout le monde sait, que l’attentat de l’avion présidentiel a été l’occasion pour déclencher le début des massacres (d’où le doute répété, et ce dés le premier jour, quant aux véritables responsables du dit attentat). Mais bon, c’est sans doute pour vous un « détail » sans importance, seulement le problème ici dans votre diatribe, c’est que votre argumentaire n’a plus aucun sens
Secundo, vous qui affirmez que la France aurait fomenté délibérément ce génocide, expliquez donc quel en était alors sa motivation obscure, car sauf erreur monsieur, après le génocide c’est bien les tutsis qui ont pris le pouvoir en délogeant les hutus, et non le contraire. Mais bon, c’est sans doute aussi ici un détail sans importance. À moins que, à moins que la France, et cela devrait vous plaire à la vue de votre logique/rhétorique/etc/etc, à moins donc que la France aurait en amont négocié/manigancé en coulisse avec le futur président tutsis, sieur Kagamé, les 2 parties estimant que la seule manière d’accéder au pouvoir était de pousser les hutus à commettre l’irréparable en orchestrant un génocide
Vous avez commencé un « jeu » de paraphrases, la partie n’étant point finie, vous permettez. Avez-vous connaissance des théories fumeuses affirmant que les juifs auraient fomenté la Shoah afin de récupérer une bonne fois pour toutes Israël, avez-vous connaissance aussi des mêmes théories fumeuses affirmant que les juifs (dömne, membre du CUP) auraient fomenté le génocide des arméniens afin de libérer Israël du joug ottoman. Ignoble n’est-ce pas, pourtant votre "logique", si tenté il y en a une, développée dans vos interventions précédentes, pourrait faire penser que vous partagez cette même « philosophie »
Quant à votre article de l’express, le titre « n’aurait pas eu », l’interview « n’aurait jamais pu » »n’aurait jamais eu » « n’aurait pas été » « les militaires considèrent », à propos des documents accablants « bien évidemment QUE des supputations » pourraient contenir la preuve » »en comprenant » »pourraient être », l’on peut continuer « laissant supposé » »impliqués à un degré qu’il faudra déterminer »…, bref j’ai bien lu l’interview de votre journaliste pro-Kagamé (lire l’éloge à son égard), mais apparemment il faut que je réitère ma critique personnel « interview d’un journaliste, qui sans preuve, suppose, pense et use avec constance du conditionnel »
FIGAROVOX/OPINION - Jacques Hogard, militaire français qui a vécu le génocide rwandais de l'intérieur, s'insurge contre les accusations portées contre la France par Paul Kagame. Selon lui, le président rwandais a souhaité les massacres pour mieux installer sa dictature.
Le Colonel Jacques Hogard a été commandant du groupement de Légion Étrangère lors de l'opération Turquoise au Rwanda, en 1994. À ce titre, il est membre fondateur de l'association France-Turquoise, dont l'objet principal est le «rétablissement de la vérité sur l'action de l'armée française et des militaires français au Rwanda» suite aux allégations concernant ceux-ci durant le génocide au Rwanda.
Le 6 avril 1994 à la nuit tombante, l'avion transportant Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, respectivement présidents hutus du Rwanda et du Burundi, de retour d'un sommet régional qui venait de se tenir à Arusha en Tanzanie, était abattu par un missile sol-air alors qu'il se présentait pour atterrir à Kigali, la capitale rwandaise.
Trois heures plus tard, dans le nord est du Rwanda, les colonnes en armes du FPR, la rébellion tutsie, se mettaient en marche pour la dernière étape de leur conquête guerrière du pays. A leur tête, un redoutable stratège et chef de guerre,Paul Kagame, Tutsi issu de l'émigration aristocratique rwandaise en Ouganda et colonel des renseignements de l'armée ougandaise, formé dans les écoles américaines.
A Kigali, au même moment, le bataillon du FPR stationné dans l'ancien parlement rwandais au titre des accords d'Arusha d'octobre 1993, se mettait également aussitôt en mouvement dans la capitale.
Le lendemain, débutaient des massacres d'une horreur indescriptible qui allaient ensanglanter le pays des mille collines pendant une centaine de jours, des habitants hutus tuant sans relâche leurs compatriotes tutsis dans des conditions abominables.
Le génocide des Tutsis commençait et avec lui, le malheur de ce petit pays des Grands Lacs qui, vingt après, vit sous un régime totalitaire où la démocratie et les libertés élémentaires sont un rêve pour le moment inaccessible.
Aux 800 000 victimes tutsies de 1994, succéderont hélas entre 1995 et 1997 quelques 400 000 victimes hutues, pourchassées et décimées dans les forêts orientales de l'actuelle RDC...
Ce génocide ne restera pas seul. Aux 800 000 victimes tutsies de 1994, succéderont hélas entre 1995 et 1997 quelques 400 000 victimes hutues, pourchassées et décimées dans les forêts orientales de l'actuelle RDC, sans parler des centaines de milliers de Congolais de toutes ethnies, massacrés eux aussi dans des combats et des tueries qui durent encore de nos jours.
Il y a quelques jours, à la veille du vingtième anniversaire du génocide, le président Kagame dans un violent discours s'en prenait une fois encore à la France qu'il accuse avec persévérance depuis vint ans de complicité de génocide, quand il ne dit pas tout simplement qu'elle en est quasiment l'unique responsable!
Devant le caractère intolérable de telles accusations énoncées en dépit des faits et de l'Histoire, hier 6 avril, la France a donc renoncé à déléguer un ministre de son Gouvernement aux cérémonies officielles organisées à Kigali.
Les Accords d'Arusha signés en octobre 1993 mettent officiellement un terme au soutien militaire de la France qui retire donc toutes ses unités militaires du Rwanda
En rétorsion, le président Kagame a alors décidé d'interdire à notre ambassadeur au Rwanda d'assister à ces cérémonies auxquelles cependant était présent un ex-ministre français en la personne du controversé Bernard Kouchner, ami de longue date du potentat rwandais.
Comment expliquer une telle impasse entre la France et le Rwanda d'aujourd'hui?
Certes il y a l'Histoire. L'Histoire contemporaine commencée dès l'établissement d'une coopération militaire entre le Rwanda et la France au début du septennat de Valery Giscard d'Estaingalors que Juvénal Habyarimana était depuis quelques années au pouvoir au Rwanda.
C'est en effet au nom de ces accords que le même président Habyarimana en octobre 1990 décide de faire appel à la France pour contrer les éléments armés en tenue ougandaise et dotés de matériels militaires ougandais qui pénètrent dans le nord du pays. C'est l'époque de l'opération Noroit qui consiste avec deux ou trois compagnies d'infanterie à protéger nos ressortissants et assurer la stabilité de la capitale. C'est aussi l'époque où la coopération militaire française va assurer la remise à niveau des FAR (Forces armées rwandaises) face au FPR.
Ceci on s'en doute, ne nous attire guère les faveurs du guerillero tutsi!
Mais ce soutien de la France au Président Habyarimana ne se fait pas sans contrepartie. Nous sommes quelques mois après le Discours de La Baule et cette contrepartie, exigée et obtenue par la France, est la démocratisation du régime, l'abandon du monopartisme, l'adoption du multipartisme et l'ouverture du dialogue tant avec l'opposition intérieure qu'avec la rébellion armée du FPR.
Au point que Habyarimana doit ainsi entrer dans une période de cohabitation où sa position devient difficile.
C'est bien la France qui par la bouche de son ministre des affaires étrangères de l'époque, Alain Juppé, est la première à appeler le génocide par son nom, pour le dénoncer et demander l'envoi d'une force internationale qui mette fin aux massacres.
Les Accords d'Arusha signés en octobre 1993 consacrent cette évolution tout en mettant officiellement un terme au soutien militaire de la France qui retire donc toutes ses unités militaires du Rwanda, laissant la place à une force de l'ONU, la MINUAR commandée par le général canadien Roméo Dallaire.
C'est donc cette force de plus de 2000 hommes qui, par décision de l'ONU, sera amputée des 9/10èmes de ses effectifs, dix jours seulement après le déclenchement du génocide début avril 1994!
C'est donc cette force, et derrière elle, l'ONU, mais plus encore la Communauté internationale qui assistent sans intervenir, comme impuissants, au déroulement du génocide de 800 000 Tutsis, en ce sinistre printemps de 1994.
Or, c'est bien la France qui par la bouche de son ministre des affaires étrangères de l'époque, Alain Juppé, est la première à appeler le génocide par son nom, pour le dénoncer et demander l'envoi d'une force internationale qui mette fin aux massacres.
Mais les Etats-Unis notamment, par la bouche de Madeleine Albright, s'y opposent de tout leur poids.
Il faudra donc attendre fin juin pour qu'à force de pressions, l'ONU vote la résolution autorisant la France à mener une opération limitée à deux mois au Rwanda, afin d'y mettre un terme au génocide.
C'est l'opération Turquoise (22 juin/22 août 1994) pendant laquelle moins de 2000 hommes s'emploieront à rétablir ordre et sécurité pour tous dans le sud-ouest du Rwanda, tandis que s'effondre le régime hutu radical qui a succédé au président Habyarimana et à son gouvernement d'opposition. Cette opération s'effectue dans un contexte de grande tension avivée par la débandade du gouvernement intérimaire et de l'administration et le délitement des FAR soumises depuis des mois à un strict embargo des armes et des munitions. En face se déploie alors la force militaire d'un FPR puissamment armé et soutenu par l'Ouganda au moins. En quelques semaines le pays est conquis, à l'exception de cette zone humanitaire sûre (ZHS) constituée par la France avec l'aval de l'ONU dans le sud-ouest du pays.
A l'époque il faut se souvenir que Kagame, depuis des semaines, menace la France de ses foudres si elle s'avise
Les Français quittent définitivement le Rwanda après deux mois d'un mandat intense où ils n'auront pas ménagé leur peine pour pacifier une région grande comme un département français
d'intervenir au Rwanda et de perturber ainsi la conquête du territoire.
En ce mois de juillet 1994, on connaît déjà bien, par ailleurs, la nature totalitaire du FPR et ses pratiques et c'est donc avec une posture très militaire, et dotée de moyens de combats significatifs que la Force Turquoise s'installe au Rwanda.
La fureur de Kagame qui n'a jamais porté dans son cœur la France et les Français, est grande.
Après quelques escarmouches, le général tutsi renoncera cependant, malgré ses rodomontades, à affronter les troupes françaises. Lesquelles pourront ainsi faire leur travail et sauver alors quelques milliers de Tutsis encore cachés dans les campagnes rwandaises.
Fin août 1994, Turquoise passe la main aux unités africaines, notamment éthiopiennes de la MINUAR II.
Les Français quittent définitivement le Rwanda après deux mois d'un mandat intense où ils n'auront pas ménagé leur peine pour pacifier une région grande comme un département français, et de convaincre d'y rester des centaines de milliers de Hutus tentés par l'exil dans les pays voisins, Burundi et Zaïre.
Dès lors, la propagande de Kagame se déchaîne contre les forces françaises accusées d'avoir protégé les génocidaires, d'avoir favorisé les milices hutues et pourquoi pas d'avoir participé elles même aux massacres!
La surprise est alors immense pour le soldat que je suis, immense parce que je suis de retour en France parmi les miens au terme d'une opération à laquelle je suis particulièrement fier d'avoir participé, estimant en effet y avoir fait de mon mieux, de même que chacun de mes hommes, de mes pairs et de mes chefs, pour ramener un peu d'ordre, de stabilité et de paix dans ce pays dévasté par la haine et la barbarie.
Mais ma surprise est d'autant plus grande que je découvre aussi des lobbies français et européens, disposant de solides moyens médiatiques et financiers, qui relaient alors sans vergogne, pour quels intérêts?, les accusations abominables contre la France et son armée proférées depuis Kigali par le FPR vainqueur au Rwanda.
Kagame a provoqué le génocide de 1994. Il le souhaitait, car les massacres à grande ampleur des Tutsis de l'intérieur, étaient pour lui le seul moyen d'échapper à la démocratie qui ne lui aurait définitivement laissé qu'un second rôle...
En vingt ans, les choses se sont beaucoup décantées.
Et personne de bonne foi ne peut aujourd'hui ignorer la sombre réalité du FPR au pouvoir au Rwanda depuis 1994: disparitions, assassinats, emprisonnements, jugements sommaires, exécutions, tortures, humiliations, contraintes morales et psychologiques, camps de rééducation et d'autocritiques…etc.
Comment ne pas citer par exemple les noms de l'héroïque Victoire Ingabire Umuhoza, l' «Aung San Suu Kyi rwandaise», opposante démocratique à Kagame et comme telle condamnée après tortures de toutes sortes à la prison à vie, et celui de Théodore Munyangabe, sous-préfet, «Juste parmi les Justes», Hutu sauveur de Tutsis au péril de son existence, condamné lui aussi à la prison à vie pour seul crime d'avoir été mon ami et collaborateur le plus engagé et courageux à Cyangugu durant l'été 1994?
Kagame a provoqué le génocide de 1994. Il le souhaitait, car les massacres à grande ampleur des Tutsis de l'intérieur, étaient pour lui le seul moyen d'échapper à la démocratie qui ne lui aurait définitivement laissé qu'un second rôle, le seul moyen de reprendre la lutte armée et de légitimer cette dernière, le seul moyen de prendre le contrôle du Rwanda et d'asseoir son régime d'une main de fer pour des décennies.
Lâché aujourd'hui visiblement par ses alliés américains, certainement du fait de ses frasques guerrières trop visibles en RDC et de son trop évident mépris pour les valeurs démocratiques, l'instrumentalisation du génocide est aujourd'hui la seule et dernière carte qui lui reste pour se maintenir au pouvoir.
Voilà pourquoi il fallait cet incident subit avec la France.
Ce n'est pas moi qui le dit mais ses frères d'armes tutsis, anciens déçus du FPR qui ont fui le Rwanda lorsqu'ils en ont constaté la dérive totalitaire, le général Kayumba Niamwasa, le docteur Théogène Rudasingwa, le procureur Gerald Gahima, le major Jean-Marie Micombero; ces mêmes Tutsis courageux poursuivis par la haine de Kagame où qu'ils se trouvent dans le monde et cela parfois jusqu'au sacrifice de leur vie comme le colonel Patrice Karegeya assassiné le 1er janvier dernier en Afrique du Sud.
Ce sont ces mêmes hauts dignitaires tutsis en exil qui accusent formellement Kagame avec luxe de détails et de témoignages de l'assassinat programmé de son prédécesseur.
Ce sont ces mêmes hauts dignitaires tutsis en exil qui accusent formellement Kagame d'avoir cyniquement bâti sa stratégie de conquête du pouvoir sur le sang de ses compatriotes.
Ce sont ces mêmes haut dignitaires tutsis qui lui prédisent comme à tous les dictateurs de l'Histoire, une fin prochaine et terrible.
Alors devant tout cela, il ne reste à Kagame que la fuite en avant, que les accusations outrancières, que les méthodes les moins démocratiques…
Ses déclarations aussi violentes que mensongères, réitérées la semaine dernière à la veille des commémorations du génocide de 1994, n'avaient pour but que d'éviter à tout prix tout contact avec la France: c'est qu'il peut être dangereux à terme pour un potentat de trop fréquenter les démocraties et de trop s'habituer par capillarité aux valeurs de l'Esprit!
Colonel (er) Jacques Hogard
Ancien commandant du Groupement Sud de l'Opération Turquoise