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Turquie : Un coup d'État qui tombe à pic


Mercredi, 07-Avr-2021
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trefle
 

Une tentative mal préparée de coup d'État donne enfin à Erdogan l'occasion de se débarasser de tous ceux qui le gènent et qui ne sont pas encore entrés dans la clandestinité ou en exil : militaires, juges, et universitaires croupissent désormais en prison. Ce coup d'état évoque l'incendie du Reischtag par les nazis et on se demande s'il n'aurait pas été organisé par Erdogan lui-même.
C'est peu probable, mais l'occasion était trop belle, et le président qui jouit d'un soutien populaire plus fort que jamais, enfin débarrassé des gêneurs, peut recentrer son pays vers l'Asie centrale, son  histoire, et son islam.
Il reste néanmoins le seul ennemi de l'occident à faire partie de l'OTAN.

 

Résumé des épisodes précédents

En Novembre 2015, Mivy avait expliqué que Recep Tayyip Erdoğan souhaitait être khalife à la place du khalife, il reste très populaire grâce à des succès économiques qui ne se démentent pas. Il a la plus forte croissance européenne à 4,8 % pour le premier trimestre 2016) avec un taux d'inflation de 7 %, toutefois la recherche est très faible, et le nombre de brevets déposés est très en dessous de la moyenne européenne.

Erdoğan souhaite modifier la constitution, il veut un régime présidentiel. Les dernières élections gagnée haut la main, (50 % pour l'AKP son parti) ne lui avaient pas donné la majorité qualifiée suffisante. Qu'à cela ne tienne, il a déjà fait construire un palais présidentiel pharaonique, de 1005 pièces abritant 2700 collaborateurs. La réalité du pouvoir politique va passer des institutions républicaines au palais présidentiel, toutes les mesures seront prises pour y arriver.

Erdogan veut se débarasser de ses adversaires intérieurs

Le président a trois adversaires intérieurs qui s'opposent à son triomphe

  • Les Kurdes, qui réclament soit l'autonomie soit l'indépendance, et qui sont divisés entre "politiques" et "terroristes" . On doit à l'AKP plusieurs attentats
  • Les musulmans non soumis à l'AKP, en particulier les confréries dirigées par Abdulah Gulen et les Alevis qui sont persécutés. 
  • Les laïques fidèles au message d'Ataturk qui résistent au sein de l'armée, de la magistrature et de l'université.

La police a arrêté en août 2011 une centaine d'officiers accusés de préparer un coup d'état, ainsi que des universitaires et juristes militant du parti BDP souhaitant une autonomie pour le Kurdistan. Ilker Basbug Chef d'état major a été incarcéré en 2012.

En mai 2015, le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk annonçait que plus de 2000 citoyens turcs ont été trainés en  justice pour injure au chef de l'État ou pour avoir demandé l'arrêt des opérations militaires contre les Kurdes. 1000 universitaires ont été accusé de trahison par le premier ministre pour avoir signé des pétitions.

Erol Önderoglu directeur d'un journal pro Kurde a été arrêté. «Erol Önderoglu est mondialement reconnu comme un défenseur de premier plan de la liberté d'expression en Turquie, s'insurge Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie central de Reporters sans Frontières. Il est aberrant et profondément honteux de le voir accusé de terrorisme, victime des abus qu'il a toujours dénoncés»

 

« En septembre 2015 180 intellectuels dont un ancien ministre de l'AKP signent une pétition Les signataires de ce texte, «L'Allemagne de Hitler en 2015», réagissaient à des perquisitions dans les locaux du groupe Koza Ipek Holding, propriétaire de deux journaux et de deux chaînes de télévision, et à l'inculpation du directeur de la publication du vénérable quotidien d'opposition Cumhuriyet (centre-gauche), Can Dündar, pour «espionnage», «divulgation de secrets d'État» et «propagande en faveur d'une organisation terroriste».

Le groupe Koza Ipek était soupçonné de financer l'organisation du prédicateur Fethullah Gülen, un ancien allié de Recep Tayyip Erdoğan devenu son ennemi mortel lorsque ses adeptes, bien introduits dans les milieux judiciaires, ont lancé une enquête pour corruption éclaboussant des cadres du gouvernement et s'approchant de la famille présidentielle, fin 2013. Can Dündar, qui encourt la prison à vie, était pour sa part dans le viseur de la justice depuis la publication, en mai, d'un article dévoilant, images à l'appui, un trafic d'armes à destination de la Syrie, dans des camions affrétés par le MIT, les services secrets turcs. Erdoğan avait alors prévenu: «Celui qui a publié cette information va payer le prix fort, je ne vais pas le lâcher comme ça.»  (source : Slate )

 

Le contexte géopolitique de la Turquie est trouble

Le Régime Erdoğan maintient comme il peut la Turquie dans la tempête. Membre de l'OTAN, héritage de la période laïque et pro occidentale, le pays abrite des base de l'Alliance Atlantique, en particulier des avions voir des bombes atomiques. La Turquie est frontalière de l'Iran et de la Russie, deux menaces pour l'occident.
       Toutefois Erdoğan a infléchi la politique dans un sens islamique, et ce pays aide les djihadistes en Syrie et en Irak. Or ils sont les ennemis déclarés de l'OTAN, d'où un numéro d'équilibriste.

La Russie défend la dictature laïque Syrienne, la Turquie avait abattu un avion Russe, ce qui avait valu une crise sans précédant entre les deux pays. La Russie espère redevenir le champion des chrétiens d'orient abandonnés par l'occident, donc elle se heurte aux volonté égémoniques d'Erdoğan.

Pour être le champion de l'islam, Erdoğan a rejoint la cause Palestinienne, en provoquant une rupture spectaculaire, en conséquence, les touristes israéliens sont partis à Chypre, il n'a plus obtenu de pièces de rechange pour ses armes achetées en Israël, et Israël est susceptible d'apporter un sérieux coup de main à la rebellion Kurde. Erdoğan champion des sunnites ne peut qu'avoir des relations de méfiance vis à vis de l'Iran et de ses alliés, et des relations de concurrence avec l'Arabie et l'Égypte.

Ne pouvant être l'ennemi de tout le monde, Erdogan a donc changé son fusil d'épaule, et pris une posture neutre dans le conflit israélo-arabe en tentant de renouer des relations commerciales avec Israël. Il s'est excusé devant Poutine, et a repris un dialogue "constructif" avec son puissant voisin Russe. Il s'est officiellement brouillé avec l'État Islamique, qui lui a rendu la monnaie de sa pièce en provoquant quelques attentats dramatiques, et ainsi a  pu ainsi conserver sa place au sein de l'OTAN. Il fait en même temps l'impossible aussi pour renforcer la coopération islamique avec l'Iran. Il maintient sa  posture de candidat à la Communauté Européenne à laquelle personne ne croit, et dont personne ne veut, même pas lui-même, et exerce un chantage aux réfugiés. Il exige des faveurs européennes en échange du maintien sur place en Turquie de millions de malheureux venus de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan.

Ami de tous, il peut aussi trahir tout le monde, il possède des alliés de rechange, et roule pour lui même.

 

Le coup d'État manqué

La France était encore sous le coup de l'abominable attentat de Nice, quand on apprenait qu'un coup d'état avait échoué en Turquie. Le 15 juillet 2016, des militaires ont pris le pouvoir quelques heures pour « restaurer la liberté et la démocratie ». Ils avaient pris le contrôle de la télévision publique, jusqu'à deux heures du matin, mais le président Erdoğan a pu s'exprimer sur CNN Turk, et appelé ses partisans à descendre dans la rue. Le gros des troupes n'a pas suivi les putshistes, et cette révolte mal préparée s'est terminée très rapidement dans le sang, 285 morts, et 1440 blessés.

Le haut commandement semblait avoir été mis au courant de cette tentative, qui l'avait mis au courant ? on a suggéré les américains, les russes, les iraniens... mais peut-être, était-ce les services internes de l'armée qui devaient se méfier de certains régiments contrôlés par des éléments hostiles au président.

La foule turque a salué la "victoire de la démocratie", sur les putshistes, et aussitôt, toutes les chancelleries du monde entier ont félicité le président Erdoğan, heureux de voir le putsh dans l'échec.

Des océans de drapeaux turcs ont rempli les places des grandes villes turques, mais aussi à l'étranger, le 31 juillet, plus de 40000 turcs défilaient dans la liesse à Cologne en Allemagne.

Mis à part Daniel Pipe, je n'ai lu nul part de soutien aux putshistes.

Une répression immédiate bien préparée à l'avance

Dans les 24 heures, tout était plié, et l'État s'est mis en chasse.

Les manifestations spontanées se sont transformées parfois en "pogrom", la foule a saccagé des librairies, on a massacré des putshistes en public.  La police a fait des purge rapide dans l'armée où des milliers de soldats ont été arrêtés.

Le 4 Août, selon le ministre de l'Intérieur Efkan Ala, 25.917 personnes ont été interpellées, dont 13.419 étaient toujours en détention pour leur rôle dans la tentative de putsch. Des dizaines de milliers d'autres ont aussi perdu leurs emplois, en particulier dans l'éducation, et dans la justice.

Si la police pouvait, et devait rapidement et logiquement arrêter les militaires responsables du putsh ainsi que leurs complice, comment expliquer le limogeage de dizaine de milliers d'enseignants, de milliers de juges et de fonctionnaires qui ne pouvaient pas être impliqué dans l'action séditieuse ?   Visiblement, la police avait des listes préparées à l'avance.

Le président Erdoğan a accusé son rival islamiste Fethullah Gülen d'être l'organisateur du coup d'État.

Le diable Gülen

 

Pour le président Erdoğan Fethullah Gülen est à la tête d'une confrérie qui se comporte comme un état dans l'état, la confrérie a placé ses hommes dans tous les endroits névralgiques, armée, justice, police, université pour contrôler le pays au mépris de la démocratie qui avait donné le pouvoir au futur Khalife.

Ainsi, si la police a découvert des malversations, de la corruption chez des proches du président, ce n'est que pour nuire à la démocratie. Si des juges pensent que les charges contre l'entourage d'Erdoğan méritent un procès, c'est par ce que les juge travaille pour l'anti-turquie, pour l'affreux Gülen.  De même si des journalistes apportent la preuve que les services secrets de l'État turc apportent armes et soutien à l'État Islamique, ce n'est qu'une trahison au profit de l'abominable Gülen.

En fait que les opposants soient laïques ou Kurdes, ils sont supposés travailler Gülen pour veut dominer l'État au mépris de la démocratie. Nous sommes ici en plein fascisme.
Le chef charismatique fasciste, duce, führer ou caudillo exprime par sa bouche la volonté du peuple, et celui qui s'oppose au chef s'oppose au peuple et mérite procès et sanction.

Des conséquences internes

L'armée sera complètement réorganisée, elle ne sera plus le garant d'une laïcité, ni un contre pouvoir, mais comme dans tous les pays du monde, elle dépendra du ministère de la défense, lui même nommé par le Président.

La justice est décapitée, on a licencié 2450 juges !  désormais, aucun juge n'aura l'audace d'aller mettre son vilain nez dans les affaires du président démocratiquement élu, ni de son parti démocratiquement représentatif, ni de ses amis démocratiquement choisis.

L'Université est démocratisée. L'enseignement sera cohérent avec la vision islamique du monde, et l'histoire sera enseignée selon la vision démocratique du président.

Le "meeting pour la démocratie" a réuni près d'un million de personnes à Istanbul, à l'appel du président. Trois semaines après la tentative de putsch du 15 juillet, l'électorat nationaliste semble être siphonné au profit de l'AKP, le seul parti démocratique.

Tous ces progrès sont si miraculeux que beaucoup pensent que c'est le Président Erdogan qui a organisé lui même le coup d'état, dont les conséquences évoquent irrestiblement l'incendie du Reichstag par les nazis. Ce crime avait permis à Hitler de liquider toute son opposition. Toutefois, il est peu probable que ce soit Erdogan en personne qui ait dirigé le coup d'État, je privilégie l'hypothèse que des arrestations étaient en cours de préparation. Afin de les éviter de se retrouver en prison, des militaires ont précipité l'action, et son impréparation explique son échec.

Conséquences extérieures

Erdoğan s'éloigne du monde occidental dont il rejette le modèle politique. Si Gülen est le grand méchant coupable de tout, il est aux États Unis, en fait il est lui même manipulé par la CIA. Gülen est un agent américain.

Un tel discours ne peut que plaire à Poutine qui trouve en Turquie un autre lui même, autoritaire à souhait et opposé aux États Unis. Les deux hommes sont faits pour s'entendre, alors on oublie les anciennes querelles. La Turquie lâche l'État Islamique et se réconcilie avec Damas. Un nouvel axe se forme Moscou-Ankara-Téhéran-Bagdad dans le but de chasser les américains du Proche et du Moyen Orient.

La Turquie pourtant fait toujours partie de l'OTAN, et paradoxalement aucune procédure n'est en cours pour l'en chasser, et pour cause, les États Unis ont des bases stratégiques en Turquie, et pour les maintenir, ils sont obligé d'être polis avec le maître d'Ankara. Mais la Turquie n'est plus un allié, c'est un pays ennemi qui tolère des bases US, et les américains ont besoin de cette tolérance.

L'Égypte, l'Arabie, les Kurdes et Israël voient avec inquiétude cette nouvelle alliance, qui promet de se lancer à l'assaut de l'État Islamique.
Verra-t-on comme en 1945 Russes et Américains se précipiter sur Raqqa pour empêcher l'autre d'agrandir sa zone d'influence ? A quoi riment les frappes occidentales dans le contexte actuel ?

Et L'Europe ?  ?  elle a tellement peur que la Turquie lui envoie de réfugés qu'elle joue la politique de l'Autruche. Elle ignore ce qui se passe en Turquie.

Je ferais volontiers des prévisions, mais comme chacun le sait les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l'avenir.

Michel Lévy

 

Revue de presse :

 

   
   
   
   
   
   
   
 
        

Dans le livre de Samuel Huntington "Le choc des civilisations", l'auteur définit des ensembles humains homogènes, l'Europe de l'Ouest, l'Europe de l'Est, le monde Islamique etc... il remarque que chaque monde a une solidarité interne, et n'apprécie pas de voir un étranger au monde venir chez lui militairement. Ainsi les interventions occidentales ou Russes en terre d'islam sont à terme vouées à l'échec.

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Huntington a écrit en 1996 que la Turquie est le leader naturel du monde islamique, en effet, l'Iran est Shiite donc hors jeu pour cela, l'Egypte est trop pauvre, l'Arabie n'a pas une économie suffisante, le maghreb et le Pakistan sont trop loins. 
Pour jouer son rôle, la Turquie serait obligée de rompre son alliance occidentale, de renoncer à la laïcité, et de soutenir la cause palestinienne.