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27-Sep-2024
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par France Inter avec agences publié le 12 juin 2019
L'ex-colonie britannique est le théâtre, depuis plusieurs jours, de manifestations d'ampleur (dont celle de dimanche, du jamais vu depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997), réunissant selon les organisateurs un million de personnes, toutes opposées à un texte de loi sur les extraditions, qui faciliterait le transfert de suspects en Chine afin qu'ils y soient jugés. Ce mercredi, les protestataires vêtus de noir, pour la plupart des jeunes gens et des étudiants, encerclaient les bâtiments du gouvernement dans le centre de l'île de Hong Kong, afin d'exiger le retrait du projet soutenu par Pékin. Alors que la foule enflait, le président de cette assemblée dominée par les députés pro-Pékin a annoncé que les débats étaient reportés à une "date ultérieure".
La circulation était paralysée tandis que la Bourse reculait de plus de 1,5%. Les rangées de policiers anti-émeutes ont déployées pour l'occasion, et des heurts violents sont survenus à la fin d'une marche qui avait pourtant démarré dans le calme. La police a fait usage de gaz lacrymogène, de gaz au poivre et de matraques pour repousser la foule, composée pour la plupart de jeunes gens et d'étudiants.
Les affrontements ont éclaté aux abords du Conseil législatif (LegCo, Parlement) après 15h00 (9h00, heure de Paris), à l'expiration du délai que les protestataires avaient donné au gouvernement pour qu'il renonce à son texte. Les forces de l'ordre se sont rapidement alors retrouvées en nette minorité face à des protestataires toujours plus nombreux.
Comme en écho à l'immense mouvement pro-démocratie de l'automne 2014, qui avait paralysé des quartiers entiers de la mégapole pendant plus de deux mois, les manifestants ont alors envahi des voies principales de circulation du centre-ville, bloquées à l'aide de barrières métalliques. Certains protestataires arrachaient des pavés sur les trottoirs. Des policiers gardant le LegCo ont fait usage de gaz au poivre et de canons à eau, brandissant également des pancartes pour avertir les manifestants qu'ils étaient prêts à utiliser la force.
Le texte a suscité les critiques de pays occidentaux ainsi qu'une levée de boucliers de Hongkongais qui redoutent une justice chinoise opaque et politisée, et pensent que cette réforme nuira à l'image internationale et l'attractivité du territoire semi-autonome. Mais cette mobilisation spectaculaire dans une ville de sept millions d'habitants n'a pas fait bouger la cheffe du gouvernement local Carrie Lam, qui a rejeté toute éventualité de retirer le projet de loi.
Au terme de l'accord de 1984 entre Londres et Pékin qui a présidé à son retour dans le giron chinois, Hong Kong jouit d'une semi-autonomie et de libertés n'existant pas en Chine continentale et ce, en théorie, jusqu'en 2047. La ville est cependant depuis une dizaine d'années le théâtre d'une forte agitation politique en raison de l'inquiétude générée par l'ingérence grandissante de Pékin dans ses affaires intérieures.
Plus d'une centaine d'entreprises et de commerces avaient annoncé leur fermeture en signe de solidarité avec les opposants au texte. Les principaux syndicats étudiants ont appelé au boycottage des cours. Des enseignants, infirmières et travailleurs sociaux ont également fait part de leur volonté de cesser le travail dans ce territoire où les grèves sont rares. Des supporteurs de football hongkongais ont même hué l'hymne national chinois lors d'un match à domicile contre Taïwan mardi soir.
Les heurts entre manifestants et policiers ont fait plusieurs blessés, et sur Twitter certains publient des photos et vidéos de violences policières.
Le projet de loi contesté par les manifestants doit, selon les autorités, combler un vide juridique et faire que la ville ne soit plus un asile pour certains criminels. Elles assurent que des garde-fous existent en matière de droits humains et qu'il ne visera pas les opposants politiques. Mais après des années de tensions, nombre de Hongkongais ne croient plus aux promesses de leur exécutif et se méfient des intentions du gouvernement chinois.
par Olivier Bénis publié le 16 juin 2019 à 17h45 France Inter
C'était une manifestation bien différente des précédentes. En particulier de celle de mercredi dernier, émaillée de violences policières et qui donnait l'impression d'un pouvoir local aussi intraitable que dépassé par les événements. L'île avait alors connu les pires violences depuis 1997 et sa rétrocession à la Chine, point de départ d'un bras de fer quasi constant entre Pékin et Hong Kong sur la question des libertés publiques, notamment. Au total, 80 personnes avaient été blessées (dont 22 policiers). Un homme de 35 ans avait même fait une chute mortelle, le samedi suivante, en tombant du toit d'un centre commercial où il était grimpé pour tenir une banderole.
Ce dimanche, quelque chose semblait différent. L'ampleur de la manifestation a été sans commune mesure avec la précédente : deux millions de personnes dans la rue, selon les organisateurs, soit deux fois plus que la semaine précédente, le dimanche 9 juin, pour réclamer la même chose : le retrait inconditionnel d'un projet de loi facilitant des extraditions judiciaires vers la Chine. Un projet dont les opposants craignent qu'il ne permette de multiplier les arrestations et extraditions politiques, l'organisation du système judiciaire côté Pékin étant très dépendante du parti au pouvoir.
C'est tout simplement la plus grosse manifestation qu'ait connu l'île depuis la rétrocession. Au total, Hong Kong héberge sept millions de personnes. Si l'on en croit les leaders du mouvement, près d'un habitant sur trois était donc dans la rue ce dimanche. La manifestation avait été autorisée par la police le 14 juin.
Parmi les manifestants, des représentants de toutes générations et toutes origines : jeunes ou moins jeunes inquiets pour l'avenir de la génération suivante, activistes, familles, intellectuels... Un homme d'affaires explique ainsi qu'il a voulu venir car "les plus jeunes ont beaucoup à perdre. Moi, j'ai bientôt 50 ans, donc je vois les choses différemment... Mais beaucoup de gens sont tristes pour cette jeunesse, qui n'a pas connu ce que nous avons connu. Tout ce que nous voulons, c'est la liberté de parole, la liberté d'expression, les droits de l'homme !"
Ultime coup de théâtre, après avoir déjà annoncé la veille une suspension du projet, la chef de l'exécutif (pro-Pékin) Carrie Lam a fini par présenter "des excuses", reconnaissant que "les lacunes dans le travail du gouvernement ont entraîné beaucoup de conflits et de querelles dans la société hongkongaise". "La cheffe de l'exécutif présente ses excuses aux citoyens et promet d'accepter les critiques avec le plus de sincérité et d'humilité possible", précise son communiqué
Le pouvoir a également annoncé la libération du militant démocrate Joshua Wong, renvoyé en détention jeudi dernier, suite à une condamnation pour son rôle dans un autre mouvement social, la "Révolte des parapluies" en 2014. Il avait alors 17 ans. Un changement de cap et des excuses qui arrivent sans doute un peu tard : les Hongkongais ont très mal vécu les violences contre leur jeunesse mercredi dernier, et la crise semble loin d'être désamorcée.
Par Zhifan Liu, Envoyé spécial à Hongkong — 5 août 2019
La journée de grève générale à Hongkong avait commencé par le blocage des transports en commun dans l’archipel, paralysant une grande partie du métro. A l’heure de pointe, des manifestants habillés de noir bloquaient les portes avec des extincteurs ou leurs traditionnels parapluies. Outre des retards importants, ces actions ont provoqué de la crispation et de la frustration chez des usagers se rendant sur leur lieu de travail. Pour tenter d’apaiser la tension, à Tuen Mun des manifestants distribuaient des hamburgers dans les bus en s’excusant des conséquences du blocage. Mais à midi, alors que la situation revenait à la normale sous terre, les manifestations continuaient à la surface, et les forces de l’ordre arrêtaient plusieurs protestataires réunis devant un commissariat de police.
La police ne vise plus seulement à disperser la foule, elle procède désormais à de vastes vagues de détentions, espérant décourager les militants les plus ardents. Au total, les autorités ont arrêté 420 personnes depuis le début des événements, le 9 juin. Agées de 14 à 76 ans, elles reflètent la diversité de la foule présente dans les rues de Hongkong pour demander plus de démocratie et dénoncer les violences policières. Sur une photo prise par l’agence Reuters ce lundi après-midi, une manifestante âgée d’au moins 80 ans, lunettes de piscine sur le nez et sac au dos, étouffe sous les gaz.
Vers 13 heures, les policiers anti-émeute lançaient leurs premiers tirs de gaz lacrymogène à Tsuen Wan, dans le nord du territoire semi-autonome. Les rondes se sont intensifiées dans l’après-midi, laissant un nuage permanent de fumée touchant aussi bien des protestataires que des citoyens lambdas, personnes âgées et enfants compris. Au moins 8 rassemblements étaient organisés dans l’ensemble du territoire, réunissant chacun plusieurs dizaines de milliers de manifestants.
Dans le quartier Admiralty, le centre politique de la ville, le parc Tamar de 1,7 hectare, jouxtant le Parlement aux vitres protégées par des plaques en bois depuis l’intrusion des manifestants le mois dernier, est devenu rapidement trop exigu, et les rues alentour prises d’assaut par la foule malgré un soleil de plomb. Yan, 33 ans, employée dans une boîte de télécommunications, est venue manifester, consciente du risque qu’elle prend à faire grève : «Même si je sais qu’il n’y aura pas de conséquences directes sur mon contrat, certains dans mon entreprise soutiennent le gouvernement et ils peuvent vous apporter des problèmes sur n’importe quel sujet, comme sur les promotions ou des revues de performance. Mais si on ne se mobilise pas maintenant, demain il sera trop tard.»
La culture du travail reste primordiale dans l’ancienne colonie britannique qui n’a jamais connu une mobilisation de cette ampleur. Pourtant, à l’aéroport international de Hongkong, l’appel à la grève a été relayé par des syndicats de personnels navigants et suivi par près d’un tiers des contrôleurs aériens. Résultat, à la mi-journée, plus de deux cents vols avaient été annulés. Les personnels aériens ont rejoint le mouvement de protestation il y a deux semaines, suivis ce week-end par les fonctionnaires du gouvernement. Malgré les menaces de sanctions de la part de la hiérarchie, 40 000 agents des services publics ont défilé dans la rue vendredi soir pour réclamer plus de démocratie et dénoncer les violences policières.
Un mouvement exceptionnel dans l’ancienne colonie britannique. «C’est la première fois que Hongkong connaît une grève générale de travailleurs. C’est historique, pour beaucoup c’est leur première grève dans leur vie. Soudainement on voit des salariés, et même des fonctionnaires qui étaient considérés comme plutôt conservateurs, soutenir le mouvement et l’idée de la grève générale», dit Pasha Wan, membre du parti d’extrême gauche Action socialiste, avant de poursuivre : «Je vois qu’il y a des changements rapides dans la culture hongkongaise, il peut y avoir de grands bouleversements à Hongkong.»
Sous le régime de la loi fondamentale de Hongkong, les salariés faisant grève pour des raisons politiques ne sont pas protégés. Beaucoup tentent dès lors de trouver une parade en prenant un jour de congé pour rejoindre le mouvement, ou en prétextant l’impossibilité de se rendre au bureau. C’est le cas de ce Hongkongais qui travaille dans le secteur des médias : «A ma connaissance, c’est la première fois en quarante ou cinquante ans qu’il y a un tel mouvement. Les Hongkongais ont toujours besoin de travailler, de gagner de l’argent, mais désormais on veut faire le bon choix. Si tout le monde soutient ce mouvement, je pense que le gouvernement se rendra compte que c’est une situation sérieuse et on espère qu’il fera ce qu’il faut pour répondre à son peuple.»
Le gouvernement, justement, brille par son absence. Depuis le début de la crise, provoquée par un projet de loi d’extradition qui mettrait fin aux libertés fondamentales dont jouissent les 7,4 millions d’habitants de l’ancienne colonie britannique revenue dans le giron de la Chine populaire en 1997, le gouvernement local s’entête à refuser le dialogue,transformant un vaste mouvement populaire et pacifique en face-à-face de plus en plus violent avec la police. Sur les réseaux sociaux, ce slogan connaissait un franc succès : «Carrie Lam est en grève depuis dix jours, alors pourquoi pas vous ?» La cheffe de l’exécutif est finalement sortie de son silence lors d’une conférence de presse. Déclarant que les manifestations mettaient Hongkong «dans une situation très dangereuse», elle a réaffirmé qu’elle ne démissionnera pas de son poste, en dépit des demandes du peuple hongkongais.
«Je pense que les gens qui mettent Hongkong en danger ne sont pas les protestataires, mais plutôt la police. Depuis le début du mouvement, les manifestants sont pacifiques. Nous voulons juste que le gouvernement réponde à nos demandes», lance un salarié du secteur de la finance gréviste. Lam a également rappelé que son gouvernement était «résolu à rétablir l’ordre dans Hongkong». Au cours de la journée, les opérations policières se sont déployées sur cinq des dix-huit districts de la ville alors que plusieurs barricades ont été érigées par les manifestants tout de noir vêtu, bloquant les principales artères de la ville.
Plusieurs véhicules ont tenté de forcer ces barrages, fonçant dans la foule, et à North Point, les manifestants, équipés et déterminés, ont repoussé une attaque par des hommes qui les attaquaient à coups de bâton. Un remake de la scène d’horreur du 21 juillet, quand des centaines de membres des triades avaient tabassé les passagers du métro, blessant 45 personnes, dont 5 gravement. En début de soirée, une partie des manifestants les plus motivés convergeaient vers les rues de Causeway Bay, ce quartier commerçant où le mètre carré est plus cher que sur les Champs-Elysées. Promesse d’une nouvelle nuit de désordre dans l’archipel.
Le territoire du sud de la Chine, place financière internationale, connaît actuellement sa plus grave crise politique depuis sa rétrocession par Londres à Pékin en 1997. PHILIP FONG/AFP
Chambres d’hôtel vides, commerces à la peine: l’économie de Hongkong, le secteur du tourisme au premier chef, commence à accuser sévèrement le coup après plus de deux mois de manifestations.
Même la fréquentation à Disneyland a reculé: rien ne va plus pour l’économie de Hongkong, après plus de deux mois de manifestations pro-démocratie, dont la dernière en date se déroule dimanche 11 août. Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif de Hongkong, a accusé vendredi les contestataires de mettre en danger l’économie du territoire. Les conséquences pourraient être pires que celles de l’épidémie du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 et de la crise financière de 2008, a-t-elle averti, et «la reprise économique prendra très longtemps».
Le secteur privé, en particulier l’industrie du tourisme, commence à évaluer les répercussions sur ses comptes de plus de deux mois de manifestations parfois violentes. Les chiffres sont mauvais: en juillet, le taux d’occupation des chambres d’hôtel et le nombre de visiteurs ont chuté. Les réservations de visites de groupe ont reculé de 50%. «Ce qui se produit à Hong Kong ces derniers mois place l’économie et la population locale dans une situation préoccupante, voire dangereuse», a averti cette semaine Edward Yau, secrétaire d’État au commerce et au développement économique de Hongkong.
L’industrie du tourisme de la ville se dit «assiégée». «Je pense que la situation est de plus en plus grave», a déclaré à l’AFP Jason Wong, président du Conseil de l’industrie du tourisme de Hongkong. L’impact est tel que les agences de voyages commencent à envisager de placer des employés en congés sans solde pour résister à la tempête, a-t-il ajouté. Alors que les images de confrontations entre certains manifestants et la police dans les rues de Hongkong ont circulé dans le monde entier, les contestataires ont déjà prévenu que leur mobilisation se poursuivrait en août. Les réservations pour août et septembre ont «chuté de façon significative», déclare à l’AFP un porte-parole du Bureau du tourisme de Hongkong. Ce climat laisse présager un recul persistant pour le reste de la saison estivale, d’autant que plusieurs pays, dont les États-Unis, l’Australie et le Japon, ont émis des avertissements aux voyageurs.
Même Disneyland Hongkong accuse le coup. Le PDG de Disney Bob Iger a reconnu mardi que les manifestations pesaient sur la fréquentation du parc. «Vous en sentirez les effets dans les résultats du trimestre en cours», a-t-il déclaré, «elles ont provoqué des perturbations qui ont réduit le nombre de visiteurs». La chute des arrivées à Hongkong heurte également de plein fouet la compagnie aérienne hongkongaise Cathay Pacific qui a dû annuler des vols cette semaine en raison d’une grève générale.
Les experts affirment que la crise aggrave un ralentissement économique que Hongkong subissait déjà en raison de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. La situation économique de la ville était loin d’être florissante avant même le début des protestations, la croissance de 4,6 % plongeant à 0,6 % en glissement annuel au premier trimestre, la pire performance trimestrielle en dix ans. Selon des données préliminaires, le deuxième trimestre n’offre guère de meilleures perspectives. Le gouvernement table toujours sur une croissance de 2 à 3% cette année mais les prévisions des grandes banques sont plus pessimistes.
L’impact réel des manifestations sur la croissance ne sera connu que plus tard dans l’année mais pour Martin Rasmussen, économiste sur la Chine chez Capital Economics, cette crise va peser lourd. Au départ, les manifestants «étaient assez pacifiques, comme la contestation des parapluies de 2014», fait-il valoir, «maintenant, ils deviennent beaucoup plus radicaux, aussi estimons-nous que l’impact sur l’économie va se faire sentir».
Huffington post, 11/08/2019 par Bénédicte Magnier
HONG KONG - Le 21 juillet, les images ont surpris tout le monde, de par leur violence et cette question sans réponse: qui étaient ces hommes, pour la plupart vêtus de blanc, qui ont attaqué frontalement les manifestants hongkongais prodémocratie qui défilaient dans les rues? Pour de nombreux observateurs, les triades, les mafias chinoises, étaient entrées dans le jeu. Elles sont à nouveau apparues lundi 5 août. Les manifestants étaient eux mobilisés pour le dixième week-end d’affilée ces 10 et 11 août.
Alain Rodier, directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement et auteur d’un livre sur le sujet (“Les Triades, la menace occultée”), a accepté d’éclairer cette intervention dans les manifestations, Pour lui, il est de l’ordre du possible que le gouvernement chinois, dépassé par plusieurs mois de contestation, ait tenté d’intimider les manifestants et de les pousser à rester chez eux, par peur des attaques. Le 21 juillet, plus d’une quarantaine de personnes avaient été gravement blessées par ces hommes munis de barres de fer.
En 2014 déjà, lorsque Hong Kong s’était soulevé une première fois contre Pékin, les triades avaient rejoint les manifestants pro-Pékin pour tenter un retour à l’ordre. À l’époque, la police avait été accusée de passivité, voire de complaisance à l’égard de ces agresseurs, tout comme lors du 21 juillet 2019, où de nombreux manifestants ont témoigné de la lenteur de l’intervention policière. La police de Hong Kong a néanmoins déclaré avoir arrêté 12 personnes au terme de cette journée, dont neuf apparentés aux triades.
Pour lui, il est de l’ordre du possible que le gouvernement chinois, dépassé par plusieurs mois de contestation, ait tenté d’intimider les manifestants et de les pousser à rester chez eux, par peur des attaques. Le 21 juillet, plus d’une quarantaine de personnes avaient été gravement blessées par ces hommes munis de barres de fer.
En 2014 déjà, lorsque Hong Kong s’était soulevé une première fois contre Pékin, les triades avaient rejoint les manifestants pro-Pékin pour tenter un retour à l’ordre. À l’époque, la police avait été accusée de passivité, voire de complaisance à l’égard de ces agresseurs, tout comme lors du 21 juillet 2019, où de nombreux manifestants ont témoigné de la lenteur de l’intervention policière. La police de Hong Kong a néanmoins déclaré avoir arrêté 12 personnes au terme de cette journée, dont neuf apparentés aux triades.
Ainsi, Pékin pourrait-il demander aux triades de traiter le problème des manifestants hongkongais plus durement ? Pour Alain Rodier, cela est peu probable: “Les triades sont totalement dépassées, le gouvernement local semble également dépassé et Pékin très embarrassé. (...) La grande question qui se pose, c’est quels ordres vont être donnés à l’armée. Est-ce qu’on va connaître un nouveau Tiananmen? (...) Parce que je ne crois pas que Pékin va pouvoir encore tolérer pendant des semaines, voire des mois cette insurrection.”
French.xinhuanet.com | Publié le 2019-08-14
BEIJING, 14 août (Xinhua) -- Xu Luying, porte-parole du Bureau des affaires de Hong Kong et de Macao relevant du Conseil des affaires d'Etat, a exprimé une indignation et une condamnation fortes vis-à-vis de l'encerclement et de l'attaque mardi soir visant un journaliste ainsi qu'un voyageur de la partie continentale de la Chine par des malfrats à l'Aéroport international de Hong Kong.
La porte-parole a exprimé son soutien à la police de Hong Kong pour arrêter les malfrats concernés conformément à la loi.Des violences épouvantables ont eu lieu à l'Aéroport international de Hong Kong mardi soir et tôt mercredi matin, quand des radicaux violents, participant à un rassemblement illégal à l'aéroport, ont blessé deux habitants de la partie continentale de la Chine, selon Mme Xu.
Mardi à 20h00, des radicaux violents ont détenu illégalement un habitant de Shenzhen, ville de la province voisine du Guangdong, dont le nom de famille est Xu. M. Xu, ayant un permis de voyage privé pour Hong Kong et Macao, a accompagné son ami à l'aéroport. Des radicaux violents l'ont attaché, ont pointé des faisceaux laser en direction de ses yeux, lui ont donné des coups de poing et l'ont plongé dans le coma, avant d'empêcher par tous les moyens l'ambulance de le transporter à l'hôpital. Avec l'aide de la police, il a fallu quatre heures pour dégager M. Xu. Après les événements, ces radicaux violents ont aussi attaqué un agent de police et lui ont dérobé sa matraque.
Au petit matin de mercredi, des radicaux violents ont attaché les deux mains d'un journaliste de Global Times dont le nom de famille est Fu, le suspectant d'être un faux journaliste. Après avoir été agressé, M. Fu a subi plusieurs blessures.
"Nous condamnons le plus sévèrement ces actes quasi terroristes et exprimons notre profonde sympathie aux compatriotes blessés et à l'agent de police de Hong Kong", a déclaré la porte-parole.
"Ces derniers jours, des radicaux violents à Hong Kong ont complètement franchi les limites de la loi, de la moralité et de l'humanité, et ont commis des crimes graves et violents, qui sont choquants et effrayants", a-t-elle révélé.
Leurs actes montrent un extrême mépris de l'état de droit et ont saboté gravement l'image internationale de Hong Kong et heurté les compatriotes de la partie continentale de la Chine, a indiqué Mme Xu.
"Ces crimes violents feront l'objet de sanctions sévères selon la loi", a-t-elle ajouté, "nous soutenons fermement la police et les organes juridiques de Hong Kong dans l'application de la loi, l'administration stricte de la justice et pour amener les agresseurs devant la justice le plus rapidement possible".
TV5 Monde Pascal Herard 12 août 2019 .
L'économie de la troisième place boursière au monde commence à ralentir, après deux mois de manifestations massives dans les rues. Une baisse de régime de l'économie hongkongaise était déjà amorcée, mais elle s'accentue aujourd'hui. Quel poids a l'économie dans ce conflit social ? Entretien avec Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine.
TV5MONDE : L'économie de Hong Kong déclinait déjà depuis le début de l'année, mais les manifestations semblent accentuer ce ralentissement : quelle est votre analyse à ce sujet ?
Antoine Bondaz : C'est un ralentissement de la croissance économique qui est en cours, plus qu'un déclin ou une dégringolade, et ce ralentissement de croissance a débuté avant les manifestations. Mais dans le cadre de la guerre commerciale en cours, entre les Etats-Unis et la Chine, Hong Kong est normalement préservée. Hong Kong n'est pas censée souffrir autant en termes de commerce que le continent chinois, pour une raison simple : les sanctions américaines via les droits de douane ne concernent pas Hong Kong, qui sert de plateforme pour l'importation chinoise de biens américains. Il faut savoir que les Américains ont un excédent commercial avec Hong Kong, à l'inverse de la Chine continentale, avec laquelle ils ont un déficit de 400 milliards. Aujourd'hui, en réalité, il y a un ralentissement économique dans toute la région, dont Taïwan et Singapour.
Hong Kong est une place boursière mondiale importante, que peut-il arriver si les manifestations continuent ?
A.B : A long terme, l'impact des manifestations ne peut pas être positif. La mise en doute de la stabilité sociale et politique de Hong Kong fera que cette place sera moins attractive qu'avant, mais elle restera malgré tout une place financière importante. Cette baisse d'attractivité de Hong Kong peut se traduire par des investissements un peu moins importants et des entreprises qui peuvent déplacer leur siège social. La volonté des manifestants est surtout de ne pas impacter les petites activités commerciales, qui sont le plus souvent favorables à la Chine.
Donc, ce que craignent les manifestants, c'est que tous les intérêts économiques se liguent contre eux, ce qui est la stratégie de Pékin, qui le dit ouvertement et le souhaite. Pour l'instant c'est en grande partie le tourisme qui est touché par les manifestations. La question qui se pose est donc : "qui sont les plus touchés entre les gros et les petits ?". Sur le court terme, ce sont surtout les petits, pas les gros. Ce qui n'arrange pas les manifestants. Mais à terme, comme le tourisme est touché, ce sont tous les commerces liés qui risquent d'être affectés, dont celui des produits de luxe associés au tourisme, qui dépend en particulier des touristes chinois et taïwanais.
Le gouvernement chinois a-t-il intérêt à réprimer les manifestations comme sur le continent, ou bien doit-il tempérer les choses, pour préserver l'intégrité économique et financière de Hong Kong, ainsi que celle du continent ?
A.B : Pour Pékin, les intérêts politiques, d'unité du pays et de légitimité du Parti, seront toujours plus importants que les intérêts économiques. Mais il faut aussi relativiser le poids économique de Hong Kong aujourd'hui, face à la Chine. En 1997, Hong Kong pesait entre un quart et un cinquième de l'économie chinoise, aujourd'hui c'est un quarantième. Malgré tout Hong Kong reste quand même très importante, parce que son système économique est différent et que c'est une porte d'entrée pour les investissements étrangers en Chine ainsi qu'une porte de sortie pour les capitaux chinois. Mais son importance économique est bien moindre qu'en 1997.
En réalité, Pékin ne gère pas des manifestations, mais la politisation d'une génération. Ce qui est une gageure.
Le gouvernement chinois explique, de toute manière, dans son argumentaire économique, que les manifestations ne posent pas de problèmes en termes d'intérêts économiques pour la Chine, mais que le désordre social aura par contre un coût économique. Pékin insiste en expliquant que ce coût sera porté par les Hongkongais et que ce n'est donc pas leur intérêt qu'il y ait ce désordre social. Le but du gouvernement chinois est de séparer une partie de l'opinion publique des manifestants avec ce discours sur le coût économique. Sachant que le gouvernement de Pékin reprend en main le dossier depuis dix jours, avec une rhétorique qui parle de terrorisme. Ce qui leur ouvre plusieurs options, mais qui ne veut pas dire qu'ils vont intervenir. Sauf que s'ils ont besoin, maintenant ils peuvent le faire. C'est inquiétant, d'autant plus qu'il y a le 70ème anniversaire de la République populaire de Chine le premier octobre, et que Pékin ne peut pas se permettre d'apparaître affaibli aux yeux du monde et surtout aux yeux des Chinois.
Les intérêts occidentaux sont importants à Hong Kong : peuvent-ils jouer dans la résolution du conflit social en cours ?
A.B : Oui, c'est une variable dans l'équation chinoise si Pékin intervient, mais au niveau de son image à l'international, la Chine s'en moque. Qui critique la situation à Hong Kong ? Surtout les Occidentaux, et encore, avec une très faible mobilisation politique. Il y a eu un coup de maître diplomatique de la Chine, il y a peu, sur le Xinjang. Vingt deux pays occidentaux, dont 18 européens, ont signé une tribune critiquant les abus des droits de l'Homme dans cette région. La Chine, en réponse, a fait signer une lettre par 39 pays, dont des pays musulmans, disant qu'ils soutenaient la politique chinoise au Xinjang. Le message de la Chine a été : "Vous êtes les pays occidentaux, vous n'êtes pas la Communauté internationale". Ce qui est très difficile dans cette affaire, c'est que la Chine n'attendra pas une déclaration d'indépendance de Hong Kong pour intervenir et que les jeunes manifestants ont des revendications politiques plus importantes que leurs intérêts économiques. En réalité, Pékin ne gère pas des manifestations, mais la politisation d'une génération. Ce qui est une gageure.
Quelques rappels sur Hong Kong et les événements en cours
Hong Kong est redevenue chinoise — rétrocédée par le Royaume-Uni — en 1997, mais le territoire bénéficie d'un statut particulier, celui de "région administrative spéciale de la République populaire de Chine". Les différences entre Hong-Kong et la Chine continentale se situent à de nombreux niveaux, tant politiques, juridiques qu'économiques, et font de cette ville et de son territoire, la "zone la plus libérale du monde"… et la plus riche de Chine.
Une gouvernance à part
Le gouvernement chinois n'administre pas directement Hong Kong, qui, par son statut, est piloté économiquement par le HKTDC (Hong Kong Trade Development Council — Conseil de développement du commerce de HongKong). Hong Kong n'obéit pas aux lois nationales de la République populaire de Chine à quelques exceptions près : la Défense et les Affaires étrangères.
La première manifestation populaire "pour la démocratie" a débuté le 31 mars 2019 afin de contester un amendement de "la loi sur les extraditions des opposants politiques", voulu par Pékin. Le 9 juin 2019, plus d'un million de personnes défilaient dans les rues. Mais cette contestation populaire n'est pas la première : depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, chaque premier juillet des manifestations sont organisées par l'ONG du Front civil des droits de l'Homme (FCDH), en faveur "de la démocratie, du suffrage universel, des droits des minorités et de la protection de la liberté d'expression". C'est le FCDH qui est à l'initiative des manifestations qui se répètent depuis le 31 mars 2019.
Rian Thum — Traduit par Yann Champion — 18 septembre 2018 à 8h54 — mis à jour le 18 septembre 2018 à 11h08 Sur la revue SLATE
Temps de lecture: 19 min
L’été dernier, les liaisons électroniques entre la région du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine, et le reste du monde ont commencé à se rompre. Les Ouïghours, qui constituent le plus important groupe ethnique du Xinjiang, se sont mis à supprimer leurs amis et les membres de leurs familles installés à l’étranger de leurs contacts sur WeChat, la principale plateforme de communication en ligne du pays. Beaucoup ont demandé à leurs proches de ne pas les contacter par téléphone. La famille de l’un des Ouïghours à qui j’ai pu parler a réussi à communiquer clandestinement une dernière fois en passant par la fonction tchat d’un jeu vidéo. En 2009, le gouvernement avait déjà totalement coupé internet durant presque un an, mais c’était différent. Cette fois-ci, des groupes minoritaires entiers se sont coupés eux-mêmes du monde extérieur, en effaçant un par un leurs contacts.
Et pendant que les Ouïghours disparaissaient des conversations transnationales, de nouvelles constructions très particulières sont apparues dans la région: de grands complexes entourés de deux rangées de clôtures et de tours de garde, le tout clairement visible par imagerie satellite. Des centaines de milliers de femmes et d’hommes principalement ouïghours –mais aussi issus d’autres minorités– ont disparu dans ces infrastructures l’année dernière, généralement sans que leurs familles n’en soient informées et sans aucune forme de procès. La police ayant cherché à arrêter assez de Ouïghours pour remplir les quotas des camps d’internement, le moindre signe de déloyauté possible envers les autorités (comme refuser de boire de l’alcool ou ne pas saluer les représentants de l’État) est devenu un motif d'arrestation. Être en liaison avec le monde extérieur fait partie des signes interprétés comme des preuves de déloyauté.
Lorsque l’on sait quelles conséquences entraîne le simple fait de communiquer avec l’étranger, on peut s’étonner de voir à quel point nous sommes nombreux, hors de Chine, à avoir découvert ces programmes d’internement massif destinés aux minorités du Xinjiang. En se fondant sur les fuites provenant d’un policier de Kashgar étonnamment bavard (mais aujourd’hui réduit au silence), des universitaires ont estimé que 5 à 10% environ de la population ouïghoure adulte a été emprisonnée dans ces camps, sans qu’aucune charge ne pèse contre eux. Un autre policier a expliqué, sous couvert d’anonymat aux journalistes de Radio Free Asia, qu’ils prévoyaient d’envoyer 40% de la population dans ce système d’internement, dont près de 100% des hommes âgés de 20 à 50 ans.
Face à l’opinion publique internationale, l’État chinois a nié l’existence de ces «camps de rééducation» (tels qu’on les a qualifiés), mais les autorités locales continuent de construire de nouveaux complexes et lancent ouvertement des appels d’offres en ligne pour la construction de centres, en spécifiant des détails allant de la taille des camps (jusqu’à huit hectares environ) aux types de matériaux requis («surfaces résistant aux bombes»). Quelques personnes qui, pour une raison ou une autre, ont été libérées de ces camps ont raconté à des journalistes ce qu’elles y avaient vécu, décrivant des conditions allant parfois jusqu’à la torture.
«Une annonce de recrutement de cinquante gardes “endurcis” pour travailler dans un crématorium fait craindre que le gouvernement chinois ne s'équipe pour procéder à des exécutions de masse»
Des questions demeurent toutefois, notamment sur le but de ces camps d’internement et sur le sort réservé aux gens qui y rentrent. Le champ des interprétations est vaste. Au Xinjiang, les médias locaux les présentent comme des structures de réhabilitation à court terme. Les Ouïghours qui y ont vu disparaître des amis ou des membres de leur famille depuis six mois ou plus craignent bien pire. Et la publication d’une annonce de recrutement de cinquante gardes «endurcis» pour travailler dans un crématorium construit en périphérie d’Urumqi, la capitale de la région, fait craindre que le gouvernement chinois ne soit en train de s’équiper pour procéder à des exécutions de masse.
Si les intentions qui président certains choix politiques sont parfois difficiles à cerner, notamment dans un État opaque comme la Chine, les fuites d’informations, preuves en ligne et récits de témoins directs rassemblés au cours de ces derniers mois permettent toutefois de se faire une idée de ce qui anime les autorités du Xinjiang. Si l’on considère la longue histoire de résistance au pouvoir chinois de la province et les nombreuses tentatives des autorités pour y mettre un terme, certaines motivations deviennent très claires.
Depuis la conquête par la dynastie Qing, en 1759, de cette région qu’ils ont appelée Xinjiang (la «nouvelle frontière»), les différents États chinois y ont été confrontés à de nombreuses difficultés, notamment plusieurs rébellions –en 1864, 1933 et 1945– qui ont conduit à l’établissement d’États indépendants éphémères. Lors de la fondation de la République populaire de Chine (RPC) en 1949, les Chinois han ne constituaient que 6% de la population du Xinjiang. Et les autorités chinoises avaient tendance à considérer les groupes autochtones –dont la majorité ouïghoure– avec condescendance et suspicion. En 1982, les politiques en faveur de la colonisation avaient fait passer la population chinoise du Xinjiang à 40%, mais les autorités continuaient à considérer la résistance autochtone comme une menace à leurs aspirations territoriales. Même après deux siècles de domination chinoise, les populations autochtones du Xinjiang étaient plus liées culturellement à l’Asie centrale et au Moyen-Orient qu’à la Chine. Et la résistance, aussi bien pacifique qu’armée, était courante.
Au fil des ans, le Parti communiste chinois (PCC) a considéré cette résistance de plusieurs manières. Dans les années 1990, il la voyait essentiellement comme un «séparatisme» ethno-nationaliste alimenté par une idéologie panturquiste. Mais après 2001 et l’alignement de la Chine sur la «guerre contre le terrorisme» des États-Unis, les autorités ont commencé à parler plus souvent de «terrorisme», supposément issu d’«extrémisme religieux», avec une rhétorique lourdement empruntée aux discours des milieux islamophobes d’Occident. Les deux approches partent du même principe, selon lequel ce seraient les systèmes de croyances et d’idées qui pousseraient les gens à résister, et non les politiques culturelles et économiques restrictives, l’envie d’un meilleur statut social ou les abus commis par un État colonisateur.
«Les événements de 2009 accélérèrent la mutation du Xinjiang en État policier clairement raciste»
Jusqu’à récemment, les explications officielles données aux actes de résistance traitaient principalement des risques posés par les mouvements dissidents, en insistant sur le fait que seule une poignée de pommes gâtées s’opposaient au pouvoir du PCC. Au Xinjiang, les autorités employaient tous leurs efforts à contrôler ces «forces maléfiques» par des mesures de sécurité. Cette approche atteignit son apogée avec la réponse donnée aux émeutes meurtrières de 2009. En juillet de cette même année, les Ouïghours d’Urumqi manifestèrent contre la répression sanglante d’ouvriers d’une usine de Shenzhen. Lorsque la police tenta de disperser la manifestation, elle dégénéra en émeute et des Ouïghours tuèrent près de 200 personnes qui avaient pour seul tort de se trouver dans la rue, principalement des Chinois han.
Les médias d’État évoquèrent un complot ourdi par des Ouïghours exilés en Europe et aux États-Unis. La Police armée du peuple (PAP), une force de sécurité paramilitaire, envahit la région, établissant des checkpoints et des postes de garde fortifiés à travers tout le Xinjiang. Les convois de transport de troupes vert olive paradaient continuellement dans les centres-villes.
Des camions de soldats chinois patrouillent à Kashgar, dans le Xinjiang, le 10 juillet 2009. | Peter Parks / AFP
N’oubliant pas l’importance de la conquête de l’opinion ouïghoure, ils portaient des bannières promouvant «l’unité ethnique». Dans les années qui suivirent, les autorités tapissèrent les villes de caméras de sécurité et imposèrent des restrictions sur les déplacements des Ouïghours dans la campagne. Le début de la décennie 2000 avait déjà vu un renforcement des contrôles de l’État sur le mouvement ouïghour, ses pratiques religieuses et ses autres formes d’expression, mais les événements de 2009 accélérèrent la mutation du Xinjiang en État policier clairement raciste.
La Vie Pierre Jova
Publié le 16/08/2019 à 18h40 - Modifié le 16/08/2019 à 18h43Pierre Jova
Les images font le tour du monde. Assis devant des bâtiments officiels, les manifestants de Hong Kong chantent à tue-tête « Sing Hallelujah to the Lord » (en français, « Chante alléluia au Seigneur »), en guise de ralliement pacifique. Depuis le début du mouvement contre le projet de loi d’extradition vers la Chine continentale voulu par le gouvernement hongkongais, l’influence chrétienne dans les cortèges ne fait pas de doute. « Les chrétiens sont comme la majorité des Hongkongais : ils sont inquiets, en colère, et veulent faire entendre leur voix », témoigne sous anonymat un prêtre catholique européen officiant dans une église en banlieue de Hong Kong, qui communique avec La Vie grâce à une messagerie cryptée. « Dans toutes les paroisses, on prie pour la paix, il y a des marches ».
Plus concrètement, des églises ouvrent leurs portes aux manifestants, pour leur permettre d’échapper à la police, de boire, et de recharger leur portable. « Le 5 août dernier, nous avons accueilli 250 jeunes qui fuyaient les charges policières. L’adresse de notre paroisse circulait sur les réseaux sociaux comme lieu de refuge ! Après que le danger soit passé, je les ai bénis, et ils sont repartis en petits groupes », raconte le prêtre, qui a lui-même rejoint une manifestation devant le Parlement hongkongais.
Ce chant chrétien qui sert de cri de ralliement aux manifestants de Hongkong
Cette implication des chrétiens n’est pas étonnante. Durant le siècle et demi où l’Union Jack flottait sur la presqu’île, de 1841 à 1997, Hong Kong a été une porte d’entrée de la Chine pour les missionnaires catholiques et protestants, faisant de la cité une véritable ruche chrétienne. Le diocèse anglican de Hong Kong a été le premier de l’anglicanisme à avoir ordonné une femme, la théologienne chinoise Florence Li Tim-Oi, en 1944, pour pallier au manque de pasteurs pendant l’occupation japonaise. Avec quelque 800 000 chrétiens sur sept millions d’habitants, contre deux millions de bouddhistes et taoïstes, les Églises ont un rayonnement considérable.
On compte entre 2000 et 4000 baptêmes d’adultes par an
L’Université baptiste de Hong Kong est le second établissement d’enseignement supérieur de la région, après l’université publique. « Plus de 50 % des Hongkongais sont passés dans des écoles chrétiennes », explique le prêtre européen. « L’Église catholique est très dynamique : on compte entre 2000 et 4000 baptêmes d’adultes par an, et dans ma propre paroisse, 2500 fidèles assistent aux six messes du dimanche. Une septième messe est prévue à la rentrée ! », se réjouit-il. « Hong Kong est un modèle pour beaucoup de diocèses chinois. Des prêtres de toute la Chine viennent se former ici. » Depuis la rétrocession de 1997, Pékin garantit dans cette « région administrative spéciale » une liberté de culte impensable dans le reste du pays, même si son influence sur le gouvernement hongkongais, désigné à travers un collège électoral restreint, ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre à celui-ci. C’est le cas de l’actuel chef de l’exécutif Carrie Lam, en poste depuis 2017.
Jaloux de leurs libertés, les Hongkongais avaient déjà protesté contre la législation dire « anti-subversion », perçue comme liberticide, en juillet 2003. Plus de 500 000 personnes avaient manifesté, obtenant le retrait du projet de loi, avec à leur tête Joseph Zen, l’évêque catholique de Hong Kong. Nommé par Jean-Paul II en 2002, le prélat ne fait pas mystère de ses sentiments anticommunistes : à l’âge de 16 ans, aspirant chez les Salésiens, il avait dû fuir sa ville natale, Shanghai, conquise par l’Armée populaire chinoise, pour se réfugier à Hong Kong. Une expérience qui l’a rendu extrêmement méfiant à l’égard du Parti communiste chinoise (PCC).
Joseph Zen fut crée cardinal par Benoît XVI en 2006. Ayant quitté son siège épiscopal en 2009, il était redescendu dans la rue lors de la campagne de désobéissance civile « Occupy Central », déclenché à l’été 2014 pour réclamer le suffrage universel à Hong Kong. D’abord cantonnée au blocage du quartier d’affaires, la campagne évolua en défilés de masse, avec près de 1,2 million de personnes jusqu’en décembre 2014. Les manifestants s’abritant sous des ombrelles chinoises pour se protéger du gaz lacrymogène, la mouvement fut appelé « révolte des parapluies ». Un des leaders étudiants d’alors, Joshua Wong, âgé de 18 ans, se réclamait alors de sa foi protestante luthérienne. Il a repris du service contre la loi d’extradition, revendiquant sa filiation avec le personnage biblique de Josué (en anglais, Joshua) : « Josué a succédé à Moïse pour faire sortir son peuple de l’oppression autoritaire en Égypte », a-t-il déclaré au site World Magazine, en mai dernier.
C’est notre conviction basée sur la foi que nous avons : chaque personne est créée à l’image de Dieu.
Autre chef de file chrétien des « parapluies », le pasteur baptiste Chu Yiu-ming. Âgé de 75 ans, il avait aidé des dissidents de Tiananmen, en 1989, à se réfugier à Hong Kong. En avril dernier, le pasteur a été condamné à seize mois de prison, pour « trouble à l’ordre public ». Avant l’annonce du verdict, Chu Yiu-ming prononça un long sermon, diffusé dans la presse démocrate hongkongaise : « C’est notre conviction basée sur la foi que nous avons: chaque personne est créée à l’image de Dieu. En tant que tel, chaque personne devrait être respectée et protégée. Nous aspirons à la démocratie, car la démocratie aspire à la liberté, à l’égalité et à l’amour universel », prêcha-t-il, en estimant que le banc des accusés représentait « la chaire la plus honorable » de son ministère pastoral. « Nous n’avons aucun regret, nous n’avons aucune rancune, aucune colère, aucun grief. Nous n’abandonnons pas. Je me confie dans les paroles de Jésus, ‘Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. Le royaume des cieux est à eux !’ (Matthieu 5:10) Ô Seigneur, qui est juste et bon, je te confie ma vie, que ta volonté soit faite ! »
Aujourd’hui, se distingue parmi les manifestants Joseph Ha Chi-shing, franciscain et évêque auxiliaire catholique de Hong Kong. « Il est très apprécié, y compris par les non-chrétiens », confirme le missionnaire européen, qui ne cache pas son admiration pour lui : « C’est un véritable pasteur, qui est tout donné pour son peuple. Il veille à ce que le mouvement ne bascule pas dans la violence, et observe un grand respect des personnes. » Un positionnement plus fécond, à ses yeux, que celui du cardinal Zen, ayant rejoint la contestation dès le début, à 87 ans ! « Joseph Ha se place sur le terrain spirituel, contrairement au cardinal Zen, qui est dans une posture politique, plus agressive », estime le prêtre.
Néanmoins, tous les chrétiens ne sont pas dans le camp insurgé. Archevêque anglican de Hong Kong depuis 2006, Paul Kwong est membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois, organe placé sous la direction du PCC. Le 6 juin 2014, lorsque Hong Kong voyait naître « Occupy Central », il prêcha la soumission dans une homélie retentissante : « Je ne pense pas que si Jésus était aujourd’hui dans les rues, il userait de tels mots humiliants à l’égard du gouvernement. Je ne pense pas que Jésus s’exprimerait avec une telle violence irrationnelle », jugea l’archevêque, avant de s’emporter contre les manifestants, pour beaucoup issus des classes aisées : « pourquoi n’emmènent-ils pas avec eux leurs employées de maison philippines ? » Cinq ans plus tard, il a fermement condamné l’intrusion de manifestants dans l’enceinte du Parlement hongkongais, le 1er juillet dernier. Sans empêcher de nombreux anglicans d’être présents dans les rassemblements.
En outre, malgré l’engagement sans failles du cardinal Zen et de Joseph Ha, l’Église catholique reste prudente. Le chef du gouvernement, Carrie Lam, n’est-elle pas catholique pratiquante ? « L’Église est très soudée derrière ce mouvement dans son expression pacifique, mais il y a aussi des partisans du statu quo dans nos paroisses », reconnaît le missionnaire européen, qui précise : « beaucoup de policiers hongkongais sont catholiques ! » Dans ses relations délicates avec le gouvernement, le clergé est contraint de lâcher du lest. « Le 13 août dernier, de grandes manifestations étaient prévues, et nous voulions ouvrir à nouveau notre église aux fuyards », confie le prêtre européen. « Mais Joseph Ha m’a demandé de ne pas le faire, tellement la pression sur les écoles catholiques, qui sont subventionnées par le gouvernement, était forte ».
En toile de fond de la crise hongkongaise, c’est la diplomatie vaticane en Chine qui se trouve fragilisée. Après des années de négociations, initiées sous Benoît XVI, un accord provisoire a été conclu entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine, en septembre 2018, sur la reconnaissance par Rome de certains évêques nommés par le PCC. Cet évènement a été dénoncé par le cardinal Zen comme une capitulation, les cercles conservateurs occidentaux hostiles au pape François se faisant un plaisir de relayer ses griefs.
De leur côté, certains craignent que cette agitation ne vienne perturber les efforts d’apaisement. « Il ne faut faut pas s’en mêler ! », tempête ainsi un sinologue catholique français, qui juge durement les manifestations. « Pour Pékin, le véritable objectif de la loi d’extradition est de frapper les oligarques qui cachent leur fortune à Hong Kong. Il est possible que les jeunes qui se lèvent contre cette législation soient manipulés », avance-t-il, redoutant un durcissement du régime chinois. « Si les chrétiens s’amusent à soutenir ceux que la Chine appelle désormais ‘terroristes’, cela va renforcer les durs du PCC. Il faut que les manifestations cessent, pour que la paix revienne », s’exclame-t-il. « Ce qui se passe à Hong Kong n’est pas directement lié aux accords : c’est une affaire politique interne », tempère le missionnaire européen. « Mais c’est vrai qu’ici, ils sont très mal perçus. Beaucoup de prêtres hongkongais, qu’ils soient Chinois ou étrangers, ont le sentiment que Rome s’est fait berner par le PCC. Depuis l’an dernier, les camps d’été catholiques pour jeunes en Chine continentale ont été interdits : une première depuis la Révolution culturelle ! Nous pouvons difficilement être dans l’action de grâce ! »
A Hong Kong, les nominations épiscopales illustrent cette diversité d’opinions au sein de l’Église catholique. Le cardinal Zen avait été remplacé en 2009 par l’évêque John Tong Hon, 80 ans, crée cardinal en 2012. Ce dernier défendit loyalement la main tendue par le pape François au régime chinois. Il fut ensuite remplacé en août 2017 par Michael Yeung, rapidement accusé d’être proche du PCC : lors de sa première conférence de presse, il justifia la destruction des croix d’églises protestantes en Chine par certaines autorités locales, affirmant que les chrétiens devaient respecter la loi.
Beaucoup de prêtres ont le sentiment que Rome s’est fait berner par le Parti communiste
Malade, Michael Yeung est mort en janvier 2019, avant le terme de son ministère. Rome rappela alors le cardinal Tong, pour qu’il reprenne son ancienne fonction. Mais, sur le terrain, c’est son évêque auxiliaire Joseph Ha qui a les faveurs des catholiques hongkongais. C’est lui qui aurait inspiré la déclaration du 19 juin dernier, signée par le cardinal Tong et le pasteur évangélique Eric So Shing-yit, président du Conseil chrétien de Hong Kong, appelant le gouvernement à retirer la loi d’extradition, et à ouvrir une enquête indépendante sur les violences policières. « Le cardinal Tong consulte fréquemment Joseph Ha. A 60 ans, il fait figure d’héritier naturel pour lui succéder. S’il est écarté au profit d’un autre prélat plus conciliant avec le PCC, il y aura une immense déception à Hong Kong, et pas seulement, dans la Chine entière... », redoute le prêtre européen.
Pour l’heure, ce dernier arpente les rues hongkongaises avec inquiétude : alors que l’armée régulière chinoise s’est manifestée à la frontière de l’enclave, un immense rassemblement en faveur de la démocratie est prévu pour ce dimanche 18 août. La police n’a pas donné son autorisation. « Il risque d’y avoir du dégât ! »