De Bergheim à Sherwiller
L'année 1832, avec en arrière fond la Révolution de 1830 et la crise agraire fut marquée par une flambée d'émeutes antisémites. Si c'est à Ribeauvillé qu'éclatèrent les 11 et 12 juin les premiers incidents, c'est à Bergheim que ceux-ci furent les plus importants. Au son du tocsin les juifs sont malmenés, leurs maisons pillées, les toits abattus, les meubles brisés. Lorsqu'au matin l'armée se présente sur les lieux pour rétablir l'ordre, elle est accueillie à coups de pierres et de tuiles. Les dragons sont obligés de charger. Le sang coule. Le mouvement avait été prémédité et préparé, il aurait dû s'étendre à l'autres villes et villages du vignoble... Le clergé, si l'on en croit les rapports de l'administration préfectorale, semble avoir joué un rôle important dans la préparation du mouvement. D'autres incidents sont également signalés dans le reste de l'Alsace. A Sherwiller, les Juifs sont menacés par les habitants de Châtenois, et ne doivent leur salut qu'à une intervention de la gendarmerie » (Source : googlebook )
A la suite de ces émeutes, la famille Blum a décidé de s'installer à Sherwiller, pas très loin, mais la population y était probablement moins hostile.
On peut toujours y voir la synagogue, transformée aujourd'hui en caserne de pompiers, et à côté la maison du rabbin, avec un petit texte en hébreu sculpté au dessus de la porte, avec mon épouse, nous avions visité le village, et avions demandé au syndicat d'initiative où se trouvait la synagogue, ils nous l'ont indiqué très gentiment, et nous sommes retourné pour les remercier.
La dame s'est excusée, "Excusez nous, nous avons été obligé d'utiliser la synagogue comme local pour les pompiers, il n'y avait plus de juifs dans le village". Au nom de tous les descendants d'Alexandre Blum, je lui ai pardonné.
Alexandre Blum est mon arrière grand père, il est né à Scherwiller le 18 décembre 1842. Il vendait sur les marchés, mais il a fait de mauvaises affaires, et a fini par s'installer à Sélestat. Il avait vingt huit ans quand les allemands ont annexé l'Alsace, et il est resté très patriote. Des que ses fils avaient treize ans, il les envoyaient à Besançon chez sa belle soeur, afin qu'ils apprennent l'horlogerie et ne deviennent pas des soldats allemands.
Il est mort jeune, en 1904, son épouse Joséphine née Mayer, lui a survécu longtemps, et a fini sa vie près de ses enfants à Besançon-Battant. Son père, David Mayer, né en 1804 à Wintzenheim tout près de Colmar n'avait pas de fils, il aurait voulu que son fils soit rabbin, alors il a instruit sa fille. Elle est devenue plus tard quasiment sourde, et passait des heures à dévorer livres sur livres, on dit qu'elle faisait parfois brûler le repas... mais chut ! c'est un secret de famille.
Les Blum dans l'horlogerie bisontine
La sœur de Joséphine Mayer, Julie, s'était mariée avec Élie Lévy, ils n'ont pas eu d'enfants, et dirigeaient une manufacture de montres à Besançon, les enfants d'Alexandre, Henri mon grand père, son frère Eugène y ont acquis une solide formation horlogère technique et commerciale.
Elie Lévy prenant sa retraite, les frères Henri et Eugène Blum prirent la direction de l'usine UTINAM de Besançon qui fabriquait les montres "UTI". Georges Meyer de Paris était le propriétaire du groupe qui avait aussi une usine en Suisse à La Chaux-de-Fonds.
Enrôlé comme tous ses contemporains pour la grande guerre de 1914, il a facilité les tâches administratives de la caserne en apportant sa machine à écrire personnelle, et ses talents de dactylo lui ont évité d'être envoyé au front de suite. Son frère Jules n'a pas eu cette chance et a été tué dès le début de la guerre.
Les allemands ont considéré à partir de 1915 que les alsaciens combattant dans l'armée française étaient des déserteurs, et que s'ils étaient fait prisonniers, ils seraient automatiquement fusillés. Pour leur éviter ce funeste destin, la France a envoyé ses alsaciens en Algérie, en particulier chez les zouaves, ainsi Henri avec ses frères Gaston et Eugène ont ils pu goûter les joies du sarouel et des rahat loukoums
Ils racontaient combien les jeunes métropolitains ne devaient pas faire le zouave, s'ils voulaient éviter d'être mariés un peu malgré eux, car les parents d'Alger utilisaient mille stratagèmes pour caser leurs filles avec un beau zouave.
Henri Blum, mon grand père était bel homme, il vous suffit de regarder la photo pour vous en rendre compte.
Henri était libre penseur, membre du bureau de la communauté juive, franc maçon, et sympathisant radical socialiste comme la plupart des juifs de son époque. Il a fait partie de l'équipe municipale de Besançon, et était l'ami le docteur Baigue, qui fut maire socialiste et pacifiste de la ville en 1901. (Il s'était opposé à la guerre de 1914). Mon grand père était chargé de la jeunesse et des sports, et on lui doit le stade de Montrapon.
Il croyait en la responsabilité individuelle, et pensait qu'on ne devait pas super protéger les gens. Il avait acquis à Miserey près de Besançon une maison de campagne en haut d'une butte, et il y avait un muret donnant sur un chemin en contrebas. On pouvait s'asseoir au soleil sur le mur, on lui a fait remarquer qu'un enfant pouvait tomber de deux ou trois mètres sur le chemin, mais pour lui, ce n'était pas en écartant le danger qu'on apprendrait à s'en méfier.
Avec la paix on a pu assister au mariage d'Adrienne Blum, leur soeur, avec Henri Bernheim. Une belle fête, avec de beaux chapeaux !
Le personnel de l'usine Utinam
L'usine tournait bien, Henri et Eugène en assuraient la direction, et rendaient des comptes à Georges Meyer de Paris, leur deux soeurs Berthe et Céline ont aussi eu leur place dans l'usine.
Le personnel de l'Usine Utinam et à droite, on reconnait le directeur, Henri Blum
Henri et ses neuf enfants pouvaient mener une vie bourgeoise, avec les bons petits plats, que Marie-Anne, ou la cuisinière savait lui préparer.
Un bel avenir radieux s'annonçait pour tous, mais le destin en a décidé autrement.
En 1937, Henri est mort brutalement d'un coma diabétique. La veille de sa mort, il avait encore aidé ma maman à rédiger un devoir de philosophie. Alexandre le fils ainé né en 1914 était marié et habitait Paris, sa petite soeur née en 1918 était en âge de se marier, on lui a trouvé vite fait bien fait un mari afin qu'elle ne soit plus à charge, ainsi ma maman s'est mariée à l'âge de 20 ans.
Henri Blum
Puis la guerre est arrivée, Adrienne et sa fille ont été arrêtés en tentant de franchir la ligne de démarcation. Eugène avait été prévenu qu'on lui voulait beaucoup de mal, et qu'il avait intérêt à fuir de suite, il n'a pas voulu abandonner sa femme paralysée. Grâce au Docteur Baigue Suzanne Didiesheim, la femme d'Eugène, a pu vivre sous un faux nom toute la guerre à l'hôpital de Besançon. Ma grand mère, Marie Anne Didiesheim femme d'Henri Blum a été arrêtée à la maison, dénoncée par un jardinier qui voulait s'approprier la résidence secondaire de la famille, et tous sont partis pour Drancy, Auschwitz et ne sont jamais revenus.
Alors, après le désastre, la famille Blum s'est retrouvée dans la grande maison familiale de Besançon difficilement récupérée, les FFI qui en avaient chassé les allemands ne voulaient pas partir. Ce fut la république des enfants, Henri était mort, Eugène et Marie Anne avaient été déportés, il restait Suzanne au fond de son lit, et les enfants d'Henri et Eugène, brillants mais indisciplinés et traumatisés...
Les biens de la famille avaient été protégés par la mairie de Besançon, qui les avait tous restitués à la famille, je les ai connu, ils ont navigués après de le départ de la famille de l'Avenue Denfer Rochereau à Besançon, et je ne sais plus où ils sont aujourd'hui, enfin il me reste quelques photos